II. L'ADMINISTRATION TERRITORIALE RÉFORMÉE À TOUS LES ÉCHELONS

Les services de l'État sont engagés dans d'importantes réformes aux niveaux régional, départemental et infra-départemental. Chacune de ces réformes met en avant les nécessités de modernisation et d'adaptation des services de l'État au nouveau contexte territorial et aux besoins des usagers. Elles contribuent incontestablement au recul de la présence de l'État dans les territoires et des crédits qui y sont affectés.

A. LA RÉORGANISATION DES SERVICES RÉGIONAUX DE L'ÉTAT DANS LES NOUVELLES RÉGIONS

La mise en place des sept nouvelles régions au 1 er janvier 2016 a entraîné la réorganisation des secrétariats généraux aux affaires régionales (SGAR) et des directions régionales de l'État. Dans les deux cas, la logique appliquée est très différente : si les SGAR ont été fusionnés et centralisés, les directions régionales doivent maintenant fonctionner en multi-sites.

1. La fusion des SGAR

Les SGAR des anciennes régions ont fusionné au 1 er janvier 2016 et leurs effectifs ont été centralisés à la nouvelle préfecture de région. Cependant, sont maintenues provisoirement dans les anciens chefs-lieux :

- les équipes dédiées aux plates-formes régionales d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines, afin d'assurer le suivi des agents concernés par la réforme régionale ;

- les équipes en charge de la clôture des programmes opérationnels européens 2007-2013, jusqu'au transfert de la mission aux conseils régionaux.

En termes de ressources humaines, cette fusion a abouti à la suppression de 95 ETPT 4 ( * ) . Les agents concernés par la réorganisation des SGAR ont pu bénéficier d'un accompagnement individuel et des outils d'accompagnement spécifiques mis en place dans le cadre de la réforme régionale (autorisation d'absence pour reconnaissance de l'environnement de la nouvelle affectation et droit à une période d'adaptation notamment). Comme prévu, certains agents des SGAR ont intégré les effectifs des préfectures de département.

L'organisation des SGAR a été adaptée au contexte des régions fusionnées. Le décret du 29 décembre 2015 5 ( * ) a établi une organisation en deux pôles, placé chacun sous la responsabilité d'un adjoint au secrétaire général pour les affaires régionales. Le premier est chargé de l'animation des politiques publiques, mission initiale des SGAR. Le second pôle est en charge des mutualisations et des projets de modernisation. Il a pour mission d'assurer la coordination interministérielle pour la mise en oeuvre de la charte de la déconcentration et des actions de modernisation, d'organiser les fonctions mutualisées des services de l'État en région (achats, informatique, immobilier) et d'animer la plate-forme d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines.

2. Les débuts difficiles des directions régionales en multi-sites

Les principes, complexes, qui ont guidé la réorganisation des directions régionales de l'État rendent peu aisée sa mise en oeuvre. Les difficultés de cette période de transition affectent le quotidien des agents.

a) Une réorganisation complexe

Pour rappel, le maintien d`un certain équilibre entre les territoires et le choix de préserver l'essentiel des effectifs dans les chefs-lieux des anciennes régions ont conduit à réorganiser les directions régionales dans les nouvelles régions selon deux principes :

- d'une part, les anciennes directions régionales ont été fusionnées, mais leur siège n'ont pas tous été implantés au nouveau chef-lieu de région ;

- d'autre part, pour chaque direction, des implantations ont été maintenues dans les anciens chefs-lieux de régions, chaque site étant à terme amené à être spécialisé sur certaines missions.

D'où une organisation multi-sites, différenciée selon les régions.

Les organigrammes ont été établis fin 2015, et seront progressivement mis en oeuvre jusque fin 2018. L'évolution de ces organigrammes se fait notamment au gré des mobilités fonctionnelles et géographiques des agents. Toutefois, dans un tiers des directions régionales, les organigrammes-cibles sont déjà en place, les agents n'ayant pas souhaité attendre 2018 pour effectuer leur mobilité.

Pour permettre aux agents de continuer à travailler dans de bonnes conditions et de manière efficace malgré les distances créées par cette organisation multi-sites, l'accent devait être mis sur le développement des moyens numériques. Un autre aspect essentiel de réussite de la réforme est sa gestion en termes de ressources humaines. Votre rapporteur, en tant que rapporteur délégué de la mission de suivi et de contrôle des dernières lois de réforme territoriale, a pu avoir un aperçu assez concret, sur ces deux points, de la mise en place de cette organisation multi-sites lors des sept déplacements effectués par la mission.

b) Un déploiement inégal des moyens numériques

La réorganisation des directions régionales de l'État en multi-sites devait être l'occasion de moderniser leurs méthodes de travail, notamment par le recours à divers moyens numériques. Afin de permettre aux agents de travailler dans de bonnes conditions avec les collègues et interlocuteurs désormais éloignés, un investissement important devait être fait sur les logiciels de visioconférence et web-conférence, la dématérialisation des documents et courriers, les transferts de fichiers informatiques volumineux, et les solutions permettant aux agents d'accéder à toutes leurs données (messagerie, documents, agendas) depuis différents sites.

Lors des déplacements de la mission de suivi des dernières lois de réforme territoriale, nous avons pu constater que le déploiement des solutions numériques variait d'une région à l'autre et selon les directions. Nous avons vu avec M. Nevache, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés, que l'avancement du déploiement de ces différentes solutions dépendait largement de la volonté de l'encadrement. Le ministère de tutelle des directions constitue aussi, dans certains cas, un frein à la mise en place de solutions communes permettant la communication, non seulement à l'intérieur d'une direction mais avec les autres. Il considère en effet que celle qu'il utilise déjà vaut mieux qu'une solution commune, même proposée au niveau national.

Parmi les moyens déployés, celui qui donne incontestablement le plus de satisfaction est l'application de web-conference : JITSI. Issue de l' open source 6 ( * ) donc gratuite, elle a été expérimentée par les services de l'État en Bourgogne-Franche-Comté et est en cours de déploiement au niveau national. Cette application ne nécessite que l'installation d'une webcam et de hauts-parleurs et quelques minutes de formation. Elle permet aux agents d'échanger en visio mais aussi de travailler et de modifier des documents simultanément.

Les résultats sont moins satisfaisants pour la visioconférence 7 ( * ) . Dans ce domaine, chaque ministère a développé son propre système, qui n'est pas toujours compatible avec celui des autres. Dans certaines directions, les problèmes sont réguliers et compromettent fréquemment le bon déroulement des réunions.

Des progrès doivent aussi être faits concernant le parapheur et la signature électronique. La répartition des directions régionales entre plusieurs sites a rendu essentielle la dématérialisation des courriers. Le logiciel de gestion électronique des documents donne satisfaction pour la circulation des courriers, mais pas sur le paraphe et la signature. Les contraintes juridiques liées à la signature électronique rendent la réalisation de cette dernière beaucoup trop longue. Si bien que la solution adoptée pour le moment consiste à imprimer le document, le faire signer et le scanner...

On peut comprendre que des contraintes techniques freinent le déploiement des solutions numériques. Mais il est urgent que l'encadrement et les administrations centrales dépassent leurs réticences et s'impliquent pleinement dans la mise en oeuvre de ces moyens numériques, car ils sont essentiels au bon fonctionnement des nouvelles directions régionales.

c) Un bilan mitigé en termes de ressources humaines

Diverses mesures d'accompagnement en matière de ressources humaines ont été mises en oeuvre dans le cadre de la réforme 8 ( * ) . En premier lieu, les agents dont le poste a été concerné par la réorganisation ont pu bénéficier d'un accompagnement individuel et de divers dispositifs indemnitaires et statutaires, comme l'autorisation d'absence pour reconnaissance de l'environnement de la nouvelle affectation ou le droit à une période d'adaptation. Rappelons qu'il a été décidé que l'on n'imposerait pas de mobilité géographique à ces derniers. En outre, afin de compenser la réduction du nombre de postes de cadres, un dispositif de maintien des rémunérations et des garanties statutaires a été mis en place pour ces derniers.

Cet accompagnement s'est aussi traduit par le développement de formations à la conduite d'équipes en situation de changement ainsi qu'à l'encadrement et au travail à distance. Ces formations doivent permettre aux cadres et agents d'adapter leurs méthodes et leurs relations de travail à la nouvelle organisation des services, dans laquelle la culture de l'encadrement est profondément modifiée. Le coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés, M. Nevache, est très conscient que ce passage d'un mode de travail hiérarchique à un mode plus collaboratif prendra du temps.

Ces efforts sur le plan des ressources humaines ne compensent cependant pas les effets de la complexité et du manque de cohérence de la réorganisation des directions régionales de l'État. Comme il fallait s'y attendre, le nombre de déplacements et leur importance kilométrique ont fortement augmenté. Avec pour conséquence une fatigue croissante des agents, et moins de temps à pouvoir consacrer à l'exercice effectif de leurs missions. Ce phénomène est marqué chez les cadres, dont les déplacements sont essentiels pour garder le contact avec les équipes réparties sur le territoire.

Pour réduire le nombre de ces déplacements et la fatigue qu'ils induisent, plusieurs interlocuteurs ont indiqué à la mission de suivi des lois de réforme territoriale qu'une des solutions privilégiées consistait à envoyer sur le terrain l'agent le plus proche, et non l'agent le plus compétent sur le sujet traité. Cette solution réduit l'intérêt des agents pour leurs missions, mais elle prive surtout les interlocuteurs des services régionaux de l'État de l'expertise de ces derniers. Elle résume ce que l'on pouvait redouter des effets de la réforme : perte de proximité pour les services de l'État et perte de sens pour les missions de leurs agents.

En outre, parce que cette organisation multi-sites n'est pas toujours cohérente et parce qu'il est probable que le jeu des départs et des mobilités du personnel va déséquilibrer les effectifs des différents sites au profit de ceux du siège, les agents des directions régionales s'inquiètent de la probable centralisation, à plus ou moins long terme, de tous les effectifs aux sièges.

Pour le préfet de région, qui coordonne l'action des directions régionales, l'organisation multi-sites s'avère difficile à gérer, comme en a témoigné la préfète de Normandie 9 ( * ) .

Au niveau départemental, les préfectures sont appelées à se transformer en profondeur d'ici 2020, suite à la mise en oeuvre du plan « Préfectures nouvelle génération ».


* 4 Ce nombre ne prend pas en compte le transfert des emplois FEDER aux conseils régionaux.

* 5 Décret du 29 décembre 2015 modifiant le décret du 25 mai 2009 relatif aux missions des secrétariats généraux aux affaires régionales.

* 6 La désignation open source (traduction en français : code source ouvert) s'applique aux logiciels dont la licence permet une libre redistribution, un accès au code source et la possibilité de créer des travaux dérivés.

* 7 La visioconférence utilise du matériel spécifique et correspond à une conversation téléphonique dont les interlocuteurs se voient en vidéo ; la web-conférence peut se faire avec un ordinateur standard équipé pour le multimédia (haut-parleurs et caméra) et permet le partage de documents.

* 8 Ces mesures sont détaillées dans la feuille de route accompagnement RH de la réforme des services régionaux de l'État, annexée à une lettre de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique du 9 septembre 2015.

* 9 Dans l'article « Le bi-site perdurera après 2018 », La lettre d'écoNormandie, 20 mai 2016.

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