B. L'ACCENT MIS SUR LA PRÉVENTION ET LA RECHERCHE TARDE À PRODUIRE SES EFFETS
1. Un renouveau de la prévention qui peine à s'imposer
Le plan gouvernemental 2013-2017 compte, parmi ses orientations , le développement d'une politique de prévention reposant sur une approche scientifique et construite sur des preuves . Il prévoyait la création d'une nouvelle structure chargée de sélectionner des projets innovants dans ce domaine et d'évaluer leur efficacité avant d'envisager leur éventuelle généralisation.
L'action de cette commission interministérielle de prévention des conduites addictives (Cipca), mise en place en 2014 par la Mildeca et regroupant douze ministères ainsi que plusieurs organismes publics ou associatifs intéressés, vise à remplir quatre objectifs :
- valoriser et diffuser de nouvelles méthodes de prévention s'appuyant sur des données probantes et une approche pluridisciplinaire de la prévention ;
- proposer des caractéristiques des programmes de prévention efficaces ne s'arrêtant pas à une action ponctuelle d'information des publics concernés ;
- favoriser une culture de l'évaluation pour améliorer la qualité des programmes de prévention ;
- faciliter les transferts de connaissances et les échanges entre le monde de la recherche et les professionnels de la prévention.
A la suite d'un appel à candidatures lancé au printemps 2014, cinq programmes de prévention parmi les quatre-vingt proposés ont été retenus pour faire l'objet d'une évaluation , actuellement en cours. Devant répondre à de stricts critères d'éligibilité (être constitués d'un ensemble structuré d'activités ; être fondés sur un mécanisme d'action explicite ; définir un objectif comportemental explicite), ces projets devaient viser prioritairement les publics prioritaires du plan gouvernemental 34 ( * ) . Sur les 260 000 euros consacrés à la Cipca par la Mildeca dans le cadre du plan d'actions 2013-2015, 250 000 euros ont été alloués, via une convention conclue avec l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) 35 ( * ) , au financement de ces évaluations .
La création de la Cipca visait à remédier aux lacunes françaises en matière de validation scientifique des politiques de prévention . Votre rapporteur pour avis est satisfait qu'une prise de conscience ait eu lieu à ce sujet, la multiplicité des acteurs et des intérêts en jeu ne favorisant pas , jusqu'à aujourd'hui, la lisibilité et l'efficacité des politiques menées. Elle a également contribué à l'amélioration des procédures de sélection des projets de prévention par les financeurs, avec l'élaboration en 2016 d'une grille d'instruction des dossiers établie sur la base des standards de qualité européens. Le maintien en activité de la Cipca , qui fait partie du plan d'actions 2016-2017, doit donc être salué .
Néanmoins, les remarques formulées l'an dernier par votre rapporteur pour avis restent pertinentes : le succès de la Cipca dépendra de sa capacité à impulser une nouvelle dynamique en matière de prévention, et il est indispensable qu'elle dispose de moyens supplémentaires pour développer son activité et son expertise et faire appel à des équipes d'évaluation supplémentaires. Il semblerait que sur ces deux points aucune avancée positive n'ait été constatée en 2016 ou ne soit à attendre en 2017 . La Mildeca souligne tout d'abord que la diffusion des concepts proposés par la Cipca rencontre « des résistances fortes au niveau des acteurs de terrain ». De plus, aucun autre appel à candidatures n'a été lancé depuis celui de 2014 , et votre rapporteur pour avis n'a été informé d'aucun projet d'allocation de crédits à cette fin pour 2017.
La Mildeca devrait par ailleurs consacrer 800 000 euros en 2017 au développement de la prévention . Ainsi, le soutien à plusieurs projets innovants devrait se poursuivre, comme le good behavior game (GBG) à destination des écoles primaires de la ville de Valbonne (Alpes-Maritimes), développé aux Etats-Unis et qui vise à améliorer les comportements des élèves en classe par le développement de leurs compétences psychosociales 36 ( * ) , réduisant ainsi les conduites perturbatrices et favorisant la qualité de l'apprentissage. Il diminue de 50 % le risque de dépendance aux drogues, de 35 % la dépendance à l'alcool et de 59 % le tabagisme régulier.
En direction des étudiants, la prévention par les pairs , à travers notamment les étudiants relais, est favorisée. Destiné au suivi des jeunes de moins de 25 ans en errance, le dispositif Tapaj (travail alternatif payé à la journée), devrait être étendu en 2017 . Débutée à Bordeaux, cette expérimentation concernait fin 2015 douze sites en France et 153 jeunes. Dix villes volontaires l'ont rejointe en 2016 , et dix candidatures supplémentaires ont été enregistrées à ce jour. Il s'agit d'un mécanisme d'insertion par l'emploi qui repose sur un partenariat entre un Csapa ou un Caarud, une association intermédiaire et plusieurs grandes entreprises 37 ( * ) qui offrent à ces jeunes marginalisés un emploi à temps partiel ne requérant aucune qualification et accompagné d'une rémunération horaire nette de 10 euros, versée le jour même, afin de développer des savoir-faire et des savoir-être professionnels mais surtout de revaloriser l'estime de soi de ses bénéficiaires.
En population générale et au vu de l'évolution des usages de drogues, les politiques de prévention conduites parfois depuis plusieurs décennies ont toutefois montré leurs limites .
Dans un rapport 38 ( * ) publié en juin 2016, la Cour des comptes a rappelé l'incapacité de l'action publique à agir sur les comportements de consommation d'alcool , soulignant l'évaluation insuffisante des actions de prévention menées , l'absence de mise en cohérence de l'activité des différents acteurs intervenant dans le champ de la prévention et mentionnant les difficultés de la Mildeca à « établir sa légitimité » 39 ( * ) pour assurer le pilotage de la politique de santé publique relative à l'alcool.
Quant au tabac , il est trop tôt pour mesurer les effets du paquet neutre , institué en application de la loi du 26 janvier 2016 40 ( * ) à compter du 20 mai 2016, avec une période de cohabitation de six mois avec les conditionnements traditionnels. L'adoption d'une telle disposition n'en reste pas moins un aveu d'échec des politiques de prévention de la consommation de tabac menées jusqu'à aujourd'hui.
2. Le soutien à la recherche
La recherche en matière de drogues et de conduites addictives, afin de comprendre les effets des produits stupéfiants et les déterminants des comportements de consommation, constitue une autre priorité du plan gouvernemental, qui a fixé quatre objectifs dans ce domaine :
- progresser dans la compréhension des conduites addictives ;
- renforcer la recherche clinique dans le domaine des addictions ;
- développer des études répondant aux besoins des administrations ;
- renforcer l' animation scientifique et l' ouverture internationale de la recherche française.
La Mildeca a apporté son soutien à vingt-et-un projets de recherche en 2015 , pour des montants allant de 7 000 euros pour un colloque de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à 200 000 euros pour un programme pluriannuel de recherche sur les comportements de dépendance aux psychotropes dans la société contemporaine porté par l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle y avait consacré 803 000 euros issus de sa dotation budgétaire et environ 590 000 euros provenant de son fonds de concours .
En 2016 , à ce jour, douze projets ont été financés par la Mildeca, dont le plus important est le suivi épidémiologique d'une cohorte d'usagers de drogues , engagé en 2015 par l'Inserm et qui a vocation à se poursuivre sur plusieurs années (280 000 euros). Une expertise collective a également été commandée à ce même organisme sur la réduction des dommages liés à l'alcool, afin d'identifier des stratégies de prévention et d'accompagnement. Les moyens sont stables par rapport à 2015, à hauteur de 812 000 euros , auxquels viennent s'ajouter 58 000 euros issus du fonds de concours . Pour 2017 en revanche, la diminution du budget de la Mildeca aura nécessairement un impact sur sa capacité à appuyer la recherche, et elle ne devrait plus disposer que de 700 000 euros ( -13,8 % ), hors fonds de concours, pour le faire.
La recherche est également financée par le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à travers le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Comme le fait ressortir le document de politique transversale (DPT) relatif à la lutte contre les drogues et les conduites addictives, annexé au présent projet de loi de finances, ce sont environ 17 millions d'euros qui ont été répartis à ce titre, en 2015 comme en 2016, aux principaux organismes de recherche publics . Le premier bénéficiaire en est l'Inserm , avec 11,5 millions d'euros . Ces montants sont toutefois en baisse de 13,7 % par rapport à 2014 . Surtout, les crédits consommés en 2015 (16,86 millions d'euros) s'avèrent inférieurs de 8,9 % aux crédits qu'il était prévu d'allouer à cette politique selon le DPT annexé au projet de loi de finances pour 2016. Ces derniers chiffres démontrent le caractère limité des efforts réalisés en faveur de la recherche , qui comme l'ensemble de l'action interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives pâtit de la diminution de ses moyens .
* 34 Les jeunes, les femmes enceintes et les publics précaires.
* 35 Intégré depuis dans l'agence nationale de santé publique.
* 36 Estime de soi, résistance à la pression des pairs, etc.
* 37 Enedis, SNCF, Auchan, Orange, etc.
* 38 Cour des Comptes, Les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool, 13 juin 2016.
* 39 Ibid., p. 117.
* 40 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, art. 27.