E. UNE APPROCHE INTÉGRÉE QUI N'A PAS LES MOYENS DE SES AMBITIONS

La stratégie de l'Etat en matière de lutte contre les drogues et les conduites addictives, telle qu'elle a été élaborée par la Mildeca et adoptée le 19 septembre 2013 par le comité interministériel de lutte contre la drogue et la toxicomanie et de prévention des dépendances, trouve sa traduction dans le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives , qui couvre la période 2013-2017 . Il incarne l'approche intégrée française en la matière, englobant prévention, réduction des risques, prise en charge sanitaire et sanction de l'usage et du trafic de stupéfiants.

Le plan a été accompagné d'une évolution sémantique dont il ne faut pas sous-estimer l'importance : la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie ( Mildt ) est devenue à cette occasion la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives ( Mildeca ) 19 ( * ) , afin de faire explicitement entrer dans son champ de compétence les addictions comportementales et de rompre avec une approche basée sur les substances .

Le plan 2013-2017 a été construit autour de trois priorités : fonder l'action publique sur l'observation, la recherche et l'évaluation ; prendre en compte les populations les plus exposées pour réduire les risques et les dommages sanitaires et sociaux ; renforcer la sécurité, la tranquillité et la santé publiques en luttant contre les trafics et contre toutes les formes de délinquance liées aux consommations de substances psychoactives. Ses cinq parties 20 ( * ) détaillent la feuille de route gouvernementale et en fixent les objectifs.

La mise en oeuvre opérationnelle du plan a été déclinée en deux plans d'actions , le premier portant sur les années 2013 à 2015 et le second sur les années 2016 et 2017.

Le coût du premier de ces plans, qui comprenait 131 actions , était initialement évalué à 58,84 millions d'euros , dont 14,22 à la charge de la Mildeca , 28,67 à celle des ministères et 15,95 à celle de l'assurance maladie . Agglomération d'actions d'importance et d'intérêt inégaux, de l'organisation d'un colloque sur les conduites addictives chez les jeunes (action 15) à l'expérimentation d'une salle de consommation à moindre risque (action 54), en passant par la formation des intervenants en éducation pour la santé et en santé scolaire au thème des conduites dopantes (action 108), il est aujourd'hui possible de faire le bilan de sa mise en oeuvre.

Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis par la Mildeca , celle-ci y a consacré 15,13 millions d'euros , issus de sa dotation budgétaire et du fonds de concours (5,45 millions d'euros), le premier poste de dépense étant l'action internationale en matière de lutte contre les conduites addictives (4,76 millions d'euros, soit 31 % du total), qui ne représente pourtant que neuf actions . La prévention, la prise en charge et la réduction des risques viennent en second, avec 4,15 millions d'euros engagés (27 % pour environ 60 actions), soit un niveau très légèrement supérieur à celui des crédits destinés à la recherche (4,03 millions d'euros, 27 % du total également pour quatre actions).

Les ministères partenaires ont quant à eux alloué 68,6 millions d'euros au plan. Au 1 er septembre 2015, 25 actions étaient achevées , 80 en cours de mise en oeuvre , 23 reportées (18 %) et trois supprimées . Toutefois, les réserves formulées à son sujet l'an dernier par votre rapporteur pour avis sont toujours valables aujourd'hui : sans remettre en cause la pertinence de la très grande majorité des actions proposées , le saupoudrage de ressources limitées sur un trop grand nombre d'entre elles est un frein à l'efficacité globale de la politique menée . De plus, les mesures proposées ne sont pas hiérarchisées , ce qui nuit à la lisibilité de l'action publique et à son évaluation qualitative.

Par ailleurs, les financements de la Mildeca restent, en 2015 comme en 2016, d'un montant très inégal . Ils varient de 3 000 euros pour une « action pour les bars à chicha » à 900 000 euros pour la contribution volontaire de la France à l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). C et accent mis sur la coopération internationale , s'il n'est pas critiquable en tant que tel en raison du caractère éminemment transnational de la question du trafic de stupéfiants et des addictions, reste étonnant aux yeux de votre rapporteur pour avis . En effet, l'impact direct de ces crédits devrait être très limité sur la prise en charge des personnes souffrant d'une addiction en France , l'amélioration des politiques de prévention ou la réduction des risques et des dommages sanitaires liés aux stupéfiants, au moins à court terme. Il est étonnant que la contribution de la France à une organisation internationale ne soit pas prise en charge par le ministère des affaires étrangères et du développement international , et ce alors que le  redéploiement d'une part, même limitée, de ces crédits aurait sans nul doute permis de combler plusieurs des lacunes de la politique nationale de lutte contre les conduites addictives.

Ces faiblesses sont exacerbées dans le plan 2016-2017, qui s'inscrit dans un cadre budgétaire plus contraint que son prédécesseur . Il comprend pas moins de 254 actions , organisées autour de dix axes :

- prévenir et communiquer ;

- accompagner et prendre en charge ;

- réduire les risques sanitaires et les dommages collatéraux ;

- agir en outre-mer ;

- intensifier la lutte contre les trafics ;

- mieux appliquer la loi ;

- soutenir la recherche et l'observation ;

- harmoniser les contenus de la formation initiale et continue ;

- renforcer l'efficience de la gouvernance ;

- renforcer l'action de la France aux niveaux européen et international.

Il prend la forme d'un inventaire tout aussi hétéroclite que son prédécesseur , proposant tout autant de « renforcer la surveillance du darknet » (action 5.3) que « d'élargir l'enseignement en addictologie actuellement dispensé aux étudiants en médecine à l'ensemble des professionnels de santé » (action 8.1). Certaines de ces actions s'inscrivent dans le prolongement de celles menées entre 2013 et 2015 , notamment en matière de prévention (cf. infra ). Toutefois, ainsi que l'ont expliqué à votre rapporteur pour avis les représentants de la Mildeca lors de leur audition, sa contribution au financement du plan ne pourra qu'être inférieure e n 2017 au niveau qu'elle avait atteint les années précédentes . Alors que le choix va être fait de limiter la diminution des ressources déléguées aux chefs de projet territoriaux, seuls des financements complémentaires de la part des différents ministères concernés permettraient la mise en oeuvre effective de ce plan d'actions.

Dès lors, votre rapporteur pour avis ne peut que déplorer que la Mildeca ait élaboré une feuille de route ambitieuse qui devrait rester virtuelle . Il faut tirer les conséquences de cette situation : la prochaine équipe de la Mildeca devra nécessairement mener une réflexion visant à bâtir une politique plus lisible , autour d'un nombre plus restreint d'actions , en adéquation avec les moyens qui lui sont accordés et dotée d'une visibilité renforcée auprès des acteurs du champ des addictions mais également de l'ensemble de la société civile qui en soit renforcée.

Cela passe notamment par l'évaluation des actions réalisées dans le cadre du plan gouvernemental actuel. L'an dernier, la Mildeca a confié au laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP - Sciences Po) l'évaluation qualitative de la mise en oeuvre de quatre des actions prévues par celui-ci : les étudiants relais-santé, la campagne de communication relative aux consommations jeunes consommateurs, le programme de prévention et de prise en charge des troubles liés à l'alcoolisation foetale et l'action « argent facile » engagée dans les quartiers Sud de Marseille afin de prévenir les conduites addictives et réduire l'attrait pour les trafics. D'un coût de 125 000 euros , elles devraient être remises à la Mildeca en décembre 2016.

De même, un tableau de bord d'indicateurs clés, construit autour d'une dizaine d'objectifs par axe du plan gouvernemental, a été élaboré par l'OFDT afin de mesurer les effets du plan et la pertinence des constats formulés lors de sa préparation. Aux yeux de votre rapporteur pour avis, cette démarche doit être amplifiée et les moyens de l'OFDT davantage sollicités pour dresser le bilan qualitatif des actions menées dans le cadre du plan, en particulier celles financées directement par la Mildeca. Il est nécessaire, au vu des moyens réduits dont elle dispose, d'améliorer l'efficacité de la politique publique de lutte contre les conduites addictives .

De plus, si l'approche intégrée de cette problématique, par nature plus exigeante qu'une focalisation sur un seul de ses aspects, qu'il s'agisse de la prévention ou de la lutte contre les trafics, doit être préservée à l'avenir, il convient d'éviter de répéter, dans le prochain plan gouvernemental, les erreurs commises depuis 2013.


* 19 En application du décret n° 2014-322 du 11 mars 2014 relatif à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.

* 20 Prévenir, prendre en charge et réduire les risques ; intensifier la lutte contre les trafics ; mieux appliquer la loi ; fonder les politiques de lutte contre les drogues et les conduites addictives sur la recherche et la formation ; renforcer la coordination des actions nationales et internationales.

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