EXAMEN EN COMMISSION

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(Mardi 29 mars 2016)

- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente -

M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis . - La commission de la culture examinera demain la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, adoptée le 8 mars par l'Assemblée nationale. Elle nous a délégué au fond l'examen de l'article 1 er ter relatif à la protection du secret des données des journalistes, qui modifie la loi de 1881 sur la presse mais également le code de procédure pénale.

En juin 2013, le Gouvernement a déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes. Il a été examiné par la commission des affaires culturelles mais n'a pas prospéré. Il y a quelques semaines, ce projet de loi a été réintégré dans la présente proposition de loi par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale.

Le secret des sources des journalistes est pourtant protégé depuis la loi du 4 janvier 2010, qui a rendu la législation française compatible avec la jurisprudence européenne. Elle est équilibrée, mais le précédent garde des sceaux a voulu aller plus avant dans la protection du secret des sources, après avoir pris l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.

Nous avons d'abord un problème de définition : qu'est-ce qu'un journaliste ? Celui qui a une carte de presse ? La proposition de loi étend le qualificatif aux directeurs des organes de presse - ils en ont la responsabilité - mais aussi aux collaborateurs occasionnels. C'est comme étendre le secret de la confession aux diacres, bedeaux et servants de messe.

M. Jean-Pierre Sueur . - C'est le droit canon.

M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis . - Le droit canon est le premier à avoir parlé du secret ! Mieux vaut retenir une définition plus limitée des bénéficiaires de la protection du secret des souces : les journalistes, auxquels on ajoute les responsables de rédactions.

Deuxième problème, les cas où le secret des sources doit s'incliner devant d'autres principes. Le texte du Gouvernement autorisait qu'on y porte atteinte s'agissant de la prévention ou de la répression de crimes ou délits soumis à une peine d'emprisonnement d'au moins sept ans. La rédaction du texte trahissait les vicissitudes subies, nous y avons remis de l'ordre.

Nous avons rétabli le délit de recel de la violation du secret de l'instruction, qui avait été de facto supprimé par la rédaction de l'Assemblée nationale lorsqu'il existait un but légitime à la diffusion du secret. Mais qu'est-ce qu'un « but légitime dans une société démocratique » ? Nous faisons du droit, pas de la littérature ; il faut utiliser des termes de droit.

M. François Pillet . - Je suis favorable au retour à un texte juridiquement équilibré. On nous demande d'organiser des zones de non-droit au profit des médias, sans contrepartie, puisqu'il y a une absence totale de contrôle déontologique et de sanctions. En filigrane des cas évoqués se trouvent des victimes dont les libertés individuelles peuvent avoir été agressées. Qui, dans cette salle, n'a pas regretté que des informations publiées s'étant révélées inexactes voire mensongères, ne soient jamais corrigées ? En raison de la prescription, il est impossible à la victime de demander réparation de son préjudice. Merci au rapporteur de revenir à une réflexion plus stricte.

Mme Catherine Troendlé , présidente . - Nous sommes nombreux à partager cet avis.

M. François Grosdidier . - Merci au rapporteur dont je salue la volonté de rechercher l'équilibre. L'exercice est difficile. Il n'y a plus, aujourd'hui, de présomption d'innocence ni de secret de l'instruction. On suit les enquêtes au jour le jour, officiellement ou officieusement. Au nom de la transparence et de la liberté de la presse, les droits des mis en cause sont bafoués et l'indemnisation - rare - n'est jamais en rapport avec le préjudice subi. Autrefois, quand un article risquait d'entraîner une condamnation, l'organe de presse se ravisait. Désormais, il préfère prendre un risque pécuniaire infime par rapport à la certitude du succès commercial. Face à des magistrats et des journalistes qui bafouent allègrement le secret de l'instruction et la présomption d'innocence, les dispositions sont bien peu contraignantes...

M. Alain Marc . - Rappelons le véritable scandale qu'a été l'affaire Baudis. Cet homme, qui n'est plus là, a été diffamé et on n'a jamais entendu les organes de presse reconnaître qu'ils s'étaient fourvoyés et le réhabiliter.

M. Jean-Pierre Sueur . - Notre groupe doit encore travailler et ne prendra pas position à ce stade. Je serai plus nuancé que le rapporteur sur les collaborateurs de la rédaction. Au quotidien Le Monde , certains assistants sont impliqués à temps plein dans la rédaction sans posséder la carte de presse.

Le recel de violation du secret de l'instruction est un vrai problème : il est difficile de voter une loi disposant que l'on peut violer la loi quand le but de cette violation est « légitime dans une société démocratique »...

M. Pierre-Yves Collombat . - Cela existe dans le règlement militaire.

M. Jean-Pierre Sueur . - Enfin, je suis réservé sur la question des annonces légales, vieux serpent de mer. Quand on est très attaché à la presse régionale, quotidienne et hebdomadaire, il s'agit d'un sujet sensible.

M. François Grosdidier . - Les annonces légales constituent une rente aux frais de la collectivité !

M. Pierre-Yves Collombat . - Je suis d'accord avec la façon dont le rapporteur aborde le problème. Je regrette toutefois qu'on ne s'attache qu'au secret des sources, sans aborder des questions comme l'indépendance des rédactions, la réparation des dégâts ou l'obstruction de certaines publications dérangeantes par ceux qui disposent de cohortes d'avocats et déposent des recours répétitifs - le Front national a longtemps utilisé cette technique, dont M. Bolloré est également un spécialiste.

Mme Catherine Troendlé , présidente . - La plupart de ces éléments ne sont pas du ressort de notre commission mais de celle de la Culture.

M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis . - Monsieur Sueur, la loi de 2010 considère les collaborateurs des journaux comme des journalistes, même s'ils ne possèdent pas la carte de presse.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1 er ter

M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis . - L'amendement LOIS.1 exclut les collaborateurs qui ne participent pas au recueil d'informations de la protection du secret des sources.

L'amendement LOIS.1 est adopté.

M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis . - L'amendement LOIS.2 supprime la notion d'« atteinte indirecte » aux sources et évite la confusion terminologique entre l'enquête journalistique et l'enquête judiciaire.

L'amendement LOIS.2 est adopté.

M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis . - L'amendement LOIS.3 ajoute une hypothèse d'atteinte au secret des sources en utilisant les termes d'« impératif prépondérant d'intérêt public ».

L'amendement LOIS.3 est adopté.

M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis . - L'amendement LOIS.4 rétablit le délit de recel de la violation du secret de l'enquête ou de l'instruction.

L'amendement LOIS.4 est adopté.

M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis . - L'amendement LOIS.5 rétablit le rôle du juge d'instruction aux côtés du juge des libertés et de la détention.

L'amendement LOIS.5 est adopté.

M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis . - L'amendement LOIS.6 revient sur l'obligation de publication de la cession des fonds de commerce dans un journal d'annonces légales. Il faudrait rétablir une mesure dont nous venons de voter la suppression, à l'unanimité, dans la loi Macron ?

M. François Bonhomme . - Ce dispositif a été dévoyé en un soutien à la presse quotidienne régionale qui n'a plus lieu d'être. Nous devrions nous interroger sur l'indépendance des médias ; j'ai pu en mesurer les limites dans ma région, où le principal groupe de presse est aux mains d'une même famille et exerce un quasi-monopole... Ce débat finit par délaisser l'essentiel.

L'amendement LOIS.6 est adopté.

Mme Catherine Troendlé , présidente . - Le rapporteur se rendra demain à la commission de la culture pour présenter les amendements que nous venons d'adopter.

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