II. UNE ADMINISTRATION TERRITORIALE EN PERPÉTUELLE RÉFORME : LES LIMITES DE L'EXERCICE ?
Depuis 2008, l'administration territoriale, en réforme permanente, doit sans cesse s'adapter. Le rythme de ces réformes, la remise en question des missions des administrations déconcentrées et le contexte de restriction budgétaire usent progressivement la motivation des agents. Notre rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2015 avait souligné les limites de ces réformes, qui, de modernisations en simplifications, de réorganisations en mutualisations, réduisent les moyens et la présence de l'État sur le territoire, en tentant en même temps d'améliorer l'efficacité des services.
Aujourd'hui, trois réformes, en cours ou sur le point de s'appliquer, vont transformer en profondeur l'administration territoriale :
- l'adaptation de l'administration imposée par les réformes territoriales (lois MAPTAM 2 ( * ) , de délimitation des régions 3 ( * ) et NOTRe 4 ( * ) ), tout particulièrement la réorganisation des services régionaux, suite à la réforme des régions ;
- la réforme de la carte des sous-préfectures ;
- le plan « préfectures nouvelle génération ».
Après le rappel des grandes lignes de ces trois réformes, nous nous attarderons sur la réorganisation des services régionaux déconcentrés dans les régions fusionnées.
A. TROIS RÉFORMES MAJEURES ET SIMULTANÉES
1. Les suites de la réforme territoriale
Le Gouvernement avait annoncé dès juillet 2014 qu'une nouvelle étape de la réforme de l'administration déconcentrée serait menée de manière complémentaire et avec le même calendrier que la réforme territoriale. L'objectif était de mettre en cohérence et de rendre plus efficace l'action de l'État dans le nouveau cadre défini par cette réforme. Elle vise notamment à l'approfondissement de la déconcentration, avec l'adoption d'une nouvelle charte de la déconcentration, et à la clarification des missions et des compétences des différents services de l'État, dans le cadre de la revue des missions.
Le décret portant charte de la déconcentration a été publié le 7 mai 2015, abrogeant la précédente charte, datant de 1992. Fixant les principes fondateurs de l'administration territoriale, elle se borne, pour l'essentiel, à réaffirmer ce que l'on savait déjà. Elle confirme les rôles et compétences des différents échelons de l'administration territoriale, en chargeant l'échelon régional de deux responsabilités supplémentaires pour l'ensemble des services : la conduite de leur modernisation et la définition de la stratégie en matière de politique immobilière.
Le seul apport concret de la nouvelle charte est la possibilité de délégation de pouvoir aux préfets s'agissant de la gestion des personnels et des actes relatifs à la situation individuelle des agents. Dans un contexte où les ministères continuaient de gérer et de répartir les agents et où une mutation entre deux directions ne relevant pas du même ministère s'avérait être une opération complexe, cette délégation de pouvoir devrait assouplir la gestion des ressources humaines, attendu par tous.
Lancée en septembre 2014, la revue de missions entend recentrer l'action de l'État sur ses missions fondamentales, et déterminer les missions qui peuvent être exercées différemment en continuant à répondre aux besoins et attentes des administrés. À l'issue de nombreuses réunions de concertation, le premier bilan de la revue des missions a décliné 45 mesures qui seront mises en oeuvre d'ici début 2016.
Certaines de ces mesures concernant l'administration préfectorale vont dans le sens d'un gain de temps (amplification du développement du numérique dans les relations entre usagers et services de l'État 5 ( * ) , systématisation de la transmission dématérialisée des actes soumis au contrôle de légalité 6 ( * ) ). D'autres, comme son retrait de tâches où son intervention n'apporte pas de réelle plus-value (délivrance du certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi 7 ( * ) , validation des sessions de formation du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur 8 ( * ) ), lui donnent quelques marges de manoeuvre. D'autres encore visent la simplification des procédures administratives pour les porteurs de projets 9 ( * ) , comme l'autorisation unique pour les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), dont nous avons eu un aperçu de l'expérimentation à Amiens : à terme, elle permettra de regrouper, autour de la procédure d'autorisation ICPE, les autres autorisations éventuellement nécessaires (permis de construire, autorisation de défrichement, dérogation au titre des espèces protégées, autorisation au titre du code de l'énergie). Enfin, le renforcement et l'amélioration « du conseil aux plus petites collectivités territoriales dans les domaines juridiques les plus complexes » fait également partie des mesures mises en avant dans la revue des missions. De l'aveu du ministre de l'intérieur lui-même, « en milieu rural, les collectivités locales sont effectivement désormais dans l'impossibilité de bénéficier de services d'ingénierie de l'administration préfectorale et sous préfectorale, alors que la complexité croissante des normes [...] rend un tel accompagnement indispensable » 10 ( * ) . On se félicite de cette prise de conscience, mais elle est bien tardive. Reste à passer à l'acte !
Si ces mesures procèdent d'une bonne intention, le fait que « la démarche de la revue des missions est continue et va donc se poursuivre avec de nouvelles mesures qui seront prochainement arrêtées 11 ( * ) » n'est pas rassurant. En effet, le caractère continu de la revue des missions entretient le flou sur le devenir de l'administration territoriale.
2. La réforme de la carte des sous-préfectures
La réforme de la carte des sous-préfectures progresse lentement. Initiée en 2013, la première étape en Alsace et dans la Moselle a abouti, au 1 er janvier 2015, à la suppression de huit arrondissements, la fermeture de six sous-préfectures 12 ( * ) et la création de quatre antennes, dont une Maison de l'État. Au printemps 2015, le processus a été lancé par le ministre de l'intérieur pour les régions Île-de-France, Pays-de-la-Loire, Centre-Val-de-Loire et la nouvelle région Bourgogne-Franche-Comté. À l'instar de l'Alsace et de la Moselle, il s'appuie sur un diagnostic territorial et une concertation élargie au niveau local. Par ailleurs, les propositions d'évolution du réseau des sous-préfectures doivent prendre en compte le développement des Maisons de l'État et Maisons de services au public, nouvelles formes d'implantation des services publics mutualisées.
Dans le même temps, le sous-préfet est en principe conforté dans son rôle de « facilitateur » de projets, d'interlocuteur privilégié des acteurs locaux. L'arrondissement est confirmé comme cadre territorial de l'animation du développement local et de l'action administrative locale de l'État 13 ( * ) . Et cette mission d'accompagnement serait un élément central de la future directive nationale d'orientation 14 ( * ) . Nous avions rappelé l'année dernière combien ce rôle est essentiel à la fois pour les petites collectivités locales et pour le dynamisme des territoires.
Si un tel témoignage de considération envers la mission d'ingénierie territoriale du sous-préfet est louable, constatons qu'elle est en contradiction avec une réforme de la carte des sous-préfectures, qui aboutit souvent à la suppression de sous-préfectures au profit d'implantations de services mutualisés. En effet, comment concevoir le rôle de « développeur » local du sous-préfet sans proximité ? La secrétaire générale adjointe du ministère de l'intérieur, lors de son audition, a évoqué une réflexion en cours sur le maintien des sous-préfets, même « seuls », à la tête de Maisons de l'État. De quoi s'interroger sur le rôle d'un sous-préfet sans administration !
3. Le plan « préfectures nouvelle génération »
Lancé par le ministre de l'intérieur le 9 juin dernier, le plan « préfectures nouvelle génération » a pour ambition de « moderniser les préfectures en réactualisant l'exercice de leurs missions, pour répondre aux nouvelles attentes de nos concitoyens, pour s'adapter à la révolution numérique et pour optimiser les moyens du service public ». Quatre missions prioritaires de l'administration déconcentrée ont été identifiées : la gestion locale des crises, la lutte contre les fraudes, la coordination territoriale des politiques publiques, l'expertise juridique et le contrôle de légalité.
Des groupes de travail conjoints, associant organisations syndicales et préfectures, doivent établir des propositions d'ici la fin de l'année 2015. La mise en oeuvre de ce plan est prévue dès 2016, mais il produira ses effets les plus importants à partir de 2017.
Le plan « préfectures nouvelle génération » n'en est donc qu'au stade de l'ébauche. Mais dans deux de ses quatre axes, les orientations marquent un nouveau rétrécissement du champ d'action de l'administration territoriale.
Dans le domaine du contrôle de légalité, sont prévues la réduction de la liste des actes transmissibles et surtout l'expérimentation de « modalités innovantes telles que l'autocontrôle par les collectivités dans le cadre d'une démarche conventionnelle reposant sur la confiance mutuelle »... Depuis la réforme du contrôle de légalité en 2009, tous les rapporteurs pour avis du programme « Administration territoriale » ont exprimé leur inquiétude de voir ainsi réduit le nombre des actes à contrôler pour faire face aux réductions de personnel (- 26,2 % depuis 2009). D'ailleurs, l'objectif de 100 % des actes prioritaires contrôlés - annoncé depuis 2013 - n'est toujours pas atteint. Quant à l'autocontrôle des collectivités, il fallait oser l'inventer, sauf à confondre conseil et contrôle !
Le plan « préfecture nouvelle génération » vise aussi à moderniser les modalités de délivrances des titres, en s'appuyant notamment sur les nouvelles technologies. Là encore, les contours de cette modernisation ne sont pas encore définis. Sont évoquées comme moyens de modernisation la numérisation et la télétransmission, pour réduire la fraude, et la mise en place de plateformes spécialisées pour l'instruction et la validation. Le recours à des tiers de confiance ou à des procédures externalisées sont aussi envisagés, marquant ainsi un nouveau recul dans les missions de l'administration territoriale. Il faut par ailleurs espérer que les leçons ont été tirées des difficultés connues en 2009 lors de la mise en place des premiers titres sécurisés (passeports et cartes grises issues du SIV 15 ( * ) ), et que cette réorganisation de la délivrance des titres, reposant sur de nouvelles applications informatiques, ne posera pas les mêmes problèmes (bugs, longue files d'attente...).
Au-delà de ces nouveaux abandons des prérogatives de l'administration déconcentrée, force est de constater que la mise en oeuvre de ce plan entraînera de nouveaux bouleversements des organisations et des méthodes de travail dans les préfectures et sous-préfectures. Malgré cela, nous avons pu constater, lors de notre déplacement à Amiens, que le plan « préfectures nouvelle génération » était plus attendu que craint par le personnel, en ce qu'il porte, enfin, un resserrement des missions qui leur sont affectées. Pour les agents, ce plan marque le retour à l'adéquation entre les moyens en personnel de l'administration préfectorale et ses missions. Sauf qu'on aurait souhaité que ce soit les moyens qui rejoignent les besoins, et non l'inverse.
Outre ces bouleversements permanents, dans les régions appelées à fusionner au 1 er janvier 2016, l'administration territoriale doit en outre affronter une réorganisation sans précédent.
* 2 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.
* 3 Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
* 4 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
* 5 Mesure n° 3 de la revue des missions.
* 6 Mesure n° 8 de la revue des missions.
* 7 Transférée aux Chambres de métier et de l'artisanat (mesure n° 4 de la revue des missions).
* 8 L'habilitation pour valider les sessions de formation est donnée aux organismes de formation associatifs (mesure n° 6 de la revue des missions).
* 9 Mesure n 27 de la revue des missions.
* 10 Compte-rendu de l'audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, le 27 octobre 2015 devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2016 n° 3117 tome 1 « Administration générale et territoriale de l'État ».
* 11 Source : réponse au questionnaire.
* 12 Excepté une sous-préfecture qui fermera au 1 er janvier 2016 après une phase intermédiaire de jumelage.
* 13 Décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration.
* 14 Document fixant les priorités du réseau des préfectures et des sous-préfectures, ayant valeur d'orientation stratégique et opérationnelle.
* 15 Système d'immatriculation des véhicules.