EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 25 NOVEMBRE 2015
_______
La commission examine les rapports pour avis de M. Patrick Abate, rapporteur pour avis sur les crédits « Presse », et de Mme Colette Mélot sur les crédits « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2016 .
M. Patrick Abate, rapporteur pour avis des crédits du programme « Presse » . - « Notre liberté dépend de la liberté de la presse et elle ne saurait être limitée sans être perdue » : en cette année 2015 où, un fatal 7 janvier, cette liberté, dans son expression la plus engagée et la plus indépendante, a été meurtrie, la conviction exprimée il y a plus de deux siècles par Thomas Jefferson n'a jamais semblé si vraie ; elle a été confortée, malheureusement, ce 13 novembre par les événements tragiques, qui ont ciblé notre « vivre-ensemble », notre démocratie et notre liberté.
Pourtant, chers collègues, la presse souffre toujours d'une érosion de ses ventes, du vieillissement de son lectorat, de la fuite des recettes publicitaires vers d'autres supports et des contraintes, financières et technologiques, d'une mutation numérique à la fois fossoyeur et espoir d'équilibres économiques à venir.
Le constat est devenu lieu commun et pourtant, il se pourrait que 2016 représente un tournant : les investissements destinés à la modernisation des structures et des méthodes de travail commencent à porter leurs fruits, le système de distribution retrouve une stabilité à laquelle peu croyaient encore et l'Agence France-Presse s'est engagée dans une réforme a minima , certes, mais qui garantit à ce jour la poursuite de son activité.
Cela dit, les crédits du programme 180 font apparaître un affaiblissement du soutien de l'État en faveur de la presse. S'il se limite à une diminution de 1,1 % cette année, il fait suite à un resserrement des aides de 3 % entre 2014 et 2015. Le recul constaté représente la conséquence d'un moindre dynamisme des aides au guichet et rien n'a été entrepris, notamment à travers le fonds stratégique pour le développement de la presse, pour remédier à cette atonie.
Outre le taux de TVA « super réduit » de 2,1 % au bénéfice de l'ensemble des titres pour un coût d'environ 170 millions d'euros, l'aide de l'État à la presse - 128,8 millions d'euros en 2016 - se divise en trois catégories : les aides à la diffusion, les aides au pluralisme et les aides à la modernisation.
Les aides à la diffusion diminuent de 1,4 % pour un montant de 57,7 millions d'euros. L'aide au portage conserve sa dotation de 36 millions d'euros, mais le mécanisme d'exonération de charges pour les vendeurs-colporteurs enregistre un repli logique, consécutif à la réduction du nombre de professionnels.
Les aides au pluralisme, en revanche, enregistrent une augmentation de 34,8 % pour s'établir à 15,5 millions d'euros grâce l'élargissement du dispositif, par un décret du 6 novembre 2015, à des titres d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires à parution non quotidienne.
Nul ne contestera ici l'utilité d'un soutien renforcé en faveur de la presse d'opinion, aux ressources publicitaires réduites : les temps troublés que nous traversons rendent, au-delà de la simple information, l'analyse et le débat indispensables à l'appréhension d'un monde qui semble échapper à notre compréhension. Le renforcement du ciblage des aides directes en faveur de ces journaux constitue un point remarquable de l'évolution des crédits du programme 180 et mérite d'être salué.
La mesure complètera utilement, pour les titres concernés, les mécanismes fiscaux que nous avons adoptés dans le cadre de la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse. Le plus symbolique de ces mécanismes est le dispositif « Charb » pour lequel vous connaissez mon attachement, qui permet aux particuliers de déduire de leur impôt sur le revenu les dons aux associations qui oeuvrent en faveur du pluralisme de la presse.
Enfin, les aides à la diffusion reculent de 7,5 % à 55,6 millions d'euros pour 2016. Cette diminution ne doit toutefois pas nous inquiéter outre mesure, d'abord parce que la réduction porte essentiellement sur l'aide à la modernisation sociale des imprimeries, au titre de laquelle seulement deux dossiers au bénéfice des groupes Le Monde et Amaury nécessitent encore des financements, et, surtout, parce que le soutien de l'État à Presstalis est maintenu à 18 millions d'euros.
Je salue, à cet égard, les efforts considérables réalisés par l'entreprise ces dernières années, au prix de lourds sacrifices sociaux - 1 500 emplois ont été supprimés depuis 2010 - pour retrouver l'équilibre des comptes. Malgré des retards dommageables dans la mise en oeuvre des réformes prévues par le plan stratégique conclu avec l'État, notamment la restructuration du réseau des dépositaires, l'équilibre d'exploitation sera atteint en 2015 grâce à des économies comprises entre 25 et 35 millions d'euros par an depuis quatre ans. Avec de nouveaux développements dans le domaine numérique et des finances assainies, Presstalis a su trouver les moyens de son développement futur. Le défi a été relevé.
Le bilan du fonds stratégique pour le développement de la presse est plus contrasté : doté de 29,6 millions d'euros de crédits en 2016, en diminution de 2,6 %, le dispositif cofinance des projets de développement numérique de sites majoritairement d'information politique et générale. L'aide apportée étant fonction de la capacité d'autofinancement des éditeurs, son montant varie entre 800 euros et 700 000 euros, pour une moyenne de 95 000 euros par projet. Effet pervers de ce système, il prive les titres qui ne disposent pas ou peu de fonds propres de l'accès à une aide à la modernisation, pourtant essentielle dans un marché où le numérique représente l'unique voie de développement du lectorat, même si son modèle économique n'est pas encore parfaitement stabilisé. Cette faille explique un niveau décevant de mobilisation des fonds disponibles et, partant, la réduction de la dotation en 2016.
J'appelle par conséquent le ministère de la culture et de la communication à réviser les critères d'attribution de cette aide, afin qu'elle bénéficie plus largement aux éditeurs modestes. Par ailleurs, compte tenu de la complexité des dossiers de demande d'aide et du frein que constitue le seuil d'entrée dans le dispositif, je souhaite que soit envisagé un recours facilité aux jeunes du service civique pour des postes de développement informatique, dans les entreprises de presse qui ne peuvent prétendre à l'aide du fonds stratégique, afin de renforcer en leur sein, même provisoirement, les compétences utiles à la mise en oeuvre, d'une stratégie numérique d'avenir, à la condition expresse qu'il ne s'agisse pas de remplacer à moindre frais de potentiels emplois pérennes ou des salariés en poste.
La seconde partie de mon propos portera sur un point très précis de la mission « Économie », l'aide au transport postal. Avec 1,3 milliard d'exemplaires distribués chaque année, La Poste, dont c'est l'une des missions de service public, contribue à 30 % de la diffusion de la presse, à des tarifs dérogatoires au droit commun, dont l'évolution est fixée par des accords tripartites avec l'État et les éditeurs ; leur montant varie en fonction des familles de presse.
Les accords Schwartz, signés pour la période 2009-2015, ont donné lieu à des manquements répétés de l'État à sa parole, au détriment de la presse et de La Poste. Ainsi, dès 2009, lors de la clôture des états-généraux de la presse écrite, l'application de la hausse tarifaire a été reportée d'un an. Ce moratoire postal a eu un impact d'environ 30 millions d'euros chaque année sur les comptes de La Poste .
Le désengagement unilatéral de l'État s'est poursuivi avec l'annonce, le 10 juillet 2013, de la sortie progressive du moratoire sur les tarifs postaux, afin de rejoindre la trajectoire initialement prévue par les accords Schwartz. Pis, en 2014 et en 2015, la contribution prévue dans l'accord a été réduite chaque année de 50 millions d'euros afin de tenir compte du bénéfice, pour La Poste, du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE).
En conséquence, l'aide de l'État au titre du transport postal a été de 150,5 millions d'euros en 2014 au lieu des 200 millions d'euros prévus, puis de 130 millions d'euros en 2015 contre 180 millions d'euros prévus.
Les accords Schwartz arrivant à échéance le 31 décembre 2015, les ministres de la culture, de l'économie et des finances, ont confié une mission sur l'avenir du transport postal de la presse à Emmanuel Giannesini, membre de la Cour des comptes et président du comité d'orientation du Fonds stratégique pour le développement de la presse. Cette mission devra proposer différents scénarios afin de définir le nouveau cadre du soutien public à l'acheminement des abonnements de presse, comprenant à la fois l'aide au transport postal et l'aide au portage. Ses conclusions ne sont pas encore connues. Dans cette attente, l'aide au transport postal a été fixée, pour 2016, à 119 millions d'euros dans le cadre de la mission « Économie » du projet de loi de finances, soit une nouvelle diminution drastique, qui augure mal du résultat des négociations relatives à l'après-Schwartz.
La Poste et les représentants des différentes familles de presse m'ont fait part de leurs craintes pour l'avenir. Nul ne sait si un nouvel accord sera conclu ou si, comme le proposait le rapport de Roch-Olivier Maistre sur les aides à la presse en 2013, une relation commerciale ordinaire sera instaurée entre La Poste et les éditeurs de presse.
En tout état de cause, une augmentation des tarifs postaux est bel et bien prévue, alors que les éditeurs ont, durant la période d'application des accords Schwartz, déjà consenti un effort de 110 millions d'euros. Elle devrait majoritairement peser sur les magazines, notamment sur ceux appartenant à une nouvelle catégorie de presse de divertissement et de loisir, sur lesquels pourrait s'appliquer une hausse de plus de 60 % en quatre ans. J'estime cette perspective déraisonnable, dans un contexte où les magazines connaissent également des difficultés financières et, surtout, où le maintien d'une solidarité entre familles de presse, au-delà de la seule TVA, est plus que jamais nécessaire - sans compter la difficulté à définir la nouvelle catégorie.
Je conclurai en présentant les crédits consacrés à l'Agence France-Presse (AFP). Conformément aux engagements de la France à la suite des recommandations de la Commission européenne, traduites dans la loi du 17 avril 2015 puis dans le contrat d'objectifs et de moyens signé avec l'État le 15 juin dernier, le financement public de l'Agence distingue désormais le paiement des abonnements au fil AFP souscrits par les administrations de la compensation des missions d'intérêt général qui lui sont confiées. Le projet de loi de finances prévoit 21,6 millions d'euros au titre des abonnements, somme fixée par la nouvelle convention entre l'État et l'AFP, et 105,9 millions d'euros de subvention pour charge de service public.
Globalement, cette dotation est stable. Si elle permet à l'AFP de poursuivre son activité, elle ne règle en rien les difficultés de l'Agence à investir, compte tenu de l'absence de fonds propres et d'un endettement déjà inquiétant, grevé par sa filiale technique de moyens AFP Blue. Notre collègue Philippe Bonnecarrère avait déjà pointé ce risque dans son rapport : la situation n'a guère évolué depuis et ses craintes, que je partage, sont toujours d'actualité.
Je vous propose par conséquent que notre commission s'en remette à la sagesse du Sénat pour ce qui concerne l'adoption des crédits de la presse au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Personnellement, je ne serai pas défavorable à leur adoption.
Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis des crédits du programme « Livre et industries culturelles » . - « À la barbarie des terroristes, nous devons opposer l'invincible humanité de la culture », affirmait solennellement François Hollande quelques jours après les attentats du 13 novembre dernier, lors de la 70 e conférence générale de l'Unesco. Je pense que notre commission partage cette déclaration. À force de menaces, le livre et la musique - la culture en somme -, fruits de l'esprit de nos artistes et symboles de nos valeurs, n'ont jamais semblé si indispensables au vivre-ensemble.
Pourtant, les industries culturelles sont bien souvent malmenées par une modernité dont le rythme s'accorde difficilement avec le temps de la création, les contraintes de la production et le tempo lent du lecteur et du mélomane. Elles résistent cependant et parviennent, progressivement, à se rénover tout en demeurant fidèles à leur vocation créatrice.
Les gouvernements qui se sont succédé depuis la percée du numérique dans le monde de la culture ne sont pas étrangers à cette réussite. Ce projet de loi de finances ne limite en rien le soutien public : le programme 334 « Livre et industries culturelles » reçoit 265,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et 276 millions d'euros en crédits de paiement. À périmètre constant, l'effort supplémentaire s'élève à 1,4 % par rapport à 2015, au profit des seules industries culturelles.
Hélas, malgré cette discrète embellie, les crédits destinés au livre et aux industries culturelles ne bénéficient qu' a minima aux secondes. La promotion du livre et le soutien à la lecture accaparent 96,8 % des crédits, dans la mesure où le programme 334 comprend le financement d'opérateurs coûteux et notamment de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Contrairement à la production cinématographique et audiovisuelle, le livre, la musique et les jeux vidéo ne sont soutenus qu'au travers d'aides éparpillées et de crédits d'impôt par trop restrictifs. Les performances affichées par ces filières n'en sont que plus méritoires.
Action reine du programme 334, l'action n° 1 « Livre et lecture » est dotée de 256,4 millions d'euros en crédits de paiement. Mais ne nous y trompons pas : cette enveloppe, pour généreuse qu'elle paraisse, est en réalité presque exclusivement destinée à la subvention pour charges de service public de la BnF (215 millions d'euros). Bien sûr, il s'agit d'un établissement prestigieux, dont la politique de collaboration avec les bibliothèques territoriales doit être saluée, dont l'engagement en faveur du patrimoine écrit par l'achat régulier de pièces rares grâce à la mobilisation d'un généreux mécénat n'est plus à démontrer et dont, enfin, l'ambitieux programme de numérisation affiche des résultats dont la France peut s'enorgueillir.
La bibliothèque nationale numérique Gallica , inaugurée en 1997, compte désormais 3,4 millions de documents. Avec 40 000 visites par jour, soit 15 millions de lecteurs chaque année, le succès est à la hauteur des sommes dépensées. Avec le lancement, quelque peu tardif, de la numérisation des livres indisponibles du XX e siècle, dont nous avions voté à l'unanimité le principe en 2012, et le développement de nouveaux partenariats pour poursuivre la numérisation des collections, l'outil devrait encore renforcer son attractivité.
Mais que dire a contrario des vicissitudes immobilières de l'établissement ? La rénovation du site historique du quadrilatère Richelieu ne cesse de prendre du retard et de voir son coût régulièrement augmenter, passant de 211 à 230 millions d'euros. Le chantier, entamé en 2011, devrait se terminer en 2017 ; 2016 verra l'achèvement de la première phase et l'installation dans les lieux de l'Institut national d'histoire de l'art (INHA). En revanche, le flou demeure complet sur le financement des travaux de finition, notamment la rénovation des façades et des parties classées. Le site Tolbiac-François Mitterrand n'est pas épargné par les travaux à répétition : la maintenance y est coûteuse - 1 million d'euros par tour pour la modernisation des ascenseurs, par exemple - d'autant que de récentes inondations ont fait d'importants dégâts sur les canalisations, nécessitant 5,4 millions d'euros pour leur remise en état.
Reste qu'une fois l'immense paquebot François-Mitterrand financé, fonctionnement et travaux compris, peu de moyens demeurent disponibles pour d'autres établissements : la Bibliothèque publique d'information est chichement dotée de 7,2 millions d'euros pour 1,35 million de visiteurs annuels quand la BnF en reçoit péniblement 810 000. Plus grave encore, ces moyens font défaut pour de véritables de projets au bénéfice du développement de la lecture, notamment auprès des publics les plus éloignés, et le soutien au réseau de vente de livres.
Qui plus est, le Centre national du livre (CNL), l'opérateur en charge du soutien aux éditeurs, pour des projets culturellement ambitieux, et aux libraires les plus fragiles, peine à trouver les moyens de fonctionner convenablement. Sa dotation, assise sur le produit de la taxe sur les appareils de reprographie et de la taxe sur les éditeurs, n'a cessé de s'éroder pour passer sous le seuil des 30 millions d'euros. Une mission commune à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et au contrôle général économique et financier est en cours pour comprendre les raisons du piètre rendement de ces taxes. Si le caractère pérenne de leur moindre rentabilité devait se confirmer, d'autres modalités de financement devront être envisagées au bénéfice du CNL.
Il est, dès lors, plus qu'heureux que le marché du livre se porte bien. Après une légère érosion ces dernières années, les ventes se sont stabilisées à environ 422 millions d'ouvrages en 2014, dont un quart de littérature, pour un chiffre d'affaires éditeurs de 2,7 milliards d'euros. 2015 devrait également présenter un résultat satisfaisant, d'autant que les attentats du mois de janvier ont entraîné une augmentation sensible des ventes d'essais philosophiques, y compris anciens, et d'ouvrages religieux. La part du numérique demeure modeste, à 6,4 % du marché.
Contrairement à la musique, les mutations technologiques n'ont nullement entamé cette industrie culturelle traditionnelle, qui demeure ancrée dans les pratiques des Français, comme l'achat en librairie survit toujours face à la concurrence d'Internet. Nous nous étions beaucoup inquiétés il y a quelques mois, de l'avenir de ces commerces de quartier. Des difficultés subsistent, mais le secteur se porte mieux grâce, notamment, au dispositif que nous avons voté en 2014 à l'unanimité interdisant le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port aux sites de vente en ligne de livres. Je vous transmets les remerciements des professionnels.
L'action n° 2 « Industries culturelles », qui regroupe la musique, le jeu vidéo et la dotation à la Hadopi, n'étant dotée que de 15,9 millions d'euros, elle appelle de plus brefs commentaires. Point le plus marquant, après avoir perdu 60 % de son chiffre d'affaires et 50 % de ses salariés en dix ans, le marché de la musique est en passe de réussir, grâce au streaming , sa mutation numérique. En croissance de 34 % en 2014, celui-ci représente désormais 16 % du chiffre d'affaires de l'industrie musicale et 55 % des revenus numériques. Il est heureux que la récente médiation confiée à Marc Schwartz ait abouti à un meilleur partage de la valeur au profit des artistes-interprètes sur ce mode de diffusion.
Après une période délicate, dont nos collègues Bruno Retailleau et André Gattolin s'étaient émus dans un rapport consacré en juillet 2013 à l'industrie du jeu vidéo, les studios français renouent avec la croissance. Les produits issus de nos studios, souvent de taille modeste, employant des techniciens et artistes de l'animation, dont les compétences demeurent fort prisées à l'étranger, ont un succès enviable sur le marché mondial malgré une capacité d'investissement encore insuffisante. L'extension du crédit d'impôt, enfin autorisée par la Commission européenne, représente un coup de pouce significatif pour l'industrie française du jeu vidéo face à une farouche concurrence fiscale internationale.
Enfin, après un assèchement dramatique de ses fonds, la Hadopi retrouve un peu d'oxygène, avec une dotation de 8,5 millions d'euros. Néanmoins, cette enveloppe reste insuffisante pour que la Haute Autorité développe son activité de lutte contre le piratage et de promotion de l'offre légale. Or, alors que le principe même d'une application du droit d'auteur dans l'univers numérique est parfois remis en cause, la Hadopi n'a jamais été si utile. En ce sens, je souscris pleinement aux ambitieuses propositions de modernisation et de renforcement de l'institution développées par nos collègues Corinne Bouchoux et Loïc Hervé en juillet dernier. Je souhaite qu'elles trouvent prochainement leur traduction législative.
Pour conclure et compte tenu de ces observations, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Livre et industries culturelles».
Mme Mireille Jouve . - Je salue tout particulièrement la création du Fonds de soutien à l'information sociale de proximité, doté d'1,5 million d'euros. Le rôle des médias locaux, souvent de taille modeste, est, en effet, essentiel au maintien du lien social et à notre vitalité démocratique. Le taux de TVA à 2,1 % constitue par ailleurs, depuis 2014, un encouragement bienvenu à la diffusion de la presse en ligne, même s'il est trop tôt pour en ressentir les effets. Cependant, il ne doit pas nuire à la qualité éditoriale : certains grands titres remplacent leurs journalistes d'investigation par des employés relayant, devant leur ordinateur, une information produite ailleurs. Le rachat de nombreux titres par de grands groupes industriels nécessite lui aussi une grande vigilance à l'égard de l'indépendance des rédactions et du maintien du pluralisme. Je salue également l'extension des aides au pluralisme aux publications fragiles à parution non quotidienne ; je me félicite enfin du maintien des crédits au livre et aux industries culturelles et de la bonne résistance du marché du livre.
L'augmentation de 2,5 millions des crédits de la Hadopi n'est peut-être pas suffisante pour traquer le téléchargement illégal. C'est en effet un chantier considérable.
Mme Corinne Bouchoux . - Les aides à la presse, au pluralisme et aux nouveaux médias sont bienvenues. Car, si le numérique représente l'avenir, il ne fait pas encore vivre ses acteurs. Notre groupe est par conséquent plutôt favorable à l'adoption des crédits pour la presse. Des économistes que je qualifierai d'atypiques ont travaillé sur le modèle économique de la presse. Avez-vous étudié, dans le cadre de votre avis, les propositions de Julia Cagé sur le financement des entreprises de presse ?
Quant aux crédits du livre, nous sommes tout à fait favorables à la mixité des publics et à la massification des pratiques de lecture promues par le Gouvernement ; mais massification ne signifie pas démocratisation, et nous en sommes encore loin. Là encore, notre groupe rendra néanmoins un avis favorable.
Mme Christine Prunaud . - Les libraires et éditeurs indépendants demandent, notamment par la voix de l'association l'Autre livre, à bénéficier d'un tarif postal réduit. Ils estiment que le livre ne doit pas être traité comme une marchandise ordinaire. Quelle est votre opinion sur la flexibilité de cette proposition ?
Mme Sylvie Robert . - Nous nous félicitons de l'augmentation de 1,4 % des crédits alloués au livre et aux industries culturelles. Certes, la BnF en reçoit une grande partie, mais notre collègue Colette Mélot a omis de signaler l'augmentation de 1 million d'euros du budget des contrats territoire-lecture développés dans les milieux ruraux et certains quartiers prioritaires.
Je ne conteste pas l'importance de l'aide publique aux industries culturelles, mais le secteur recouvre des modèles économiques très différents : les jeux vidéo sont un marché porteur dont les acteurs jouissent d'une bonne santé financière et artistique.
Je regrette la baisse des aides aux radios locales ; ces radios de proximité jouent pourtant un rôle important.
Enfin, au vu du contenu de son rapport, je m'étonne de l'avis défavorable proposé par notre rapporteur sur les crédits du programme 334.
M. Bruno Retailleau . - Je salue la qualité du travail de Mme Mélot dont nous allons suivre l'avis. La révolution numérique ayant en premier lieu affecté l'industrie de la musique, la progression de 34 % du streaming représente une mutation positive. Nous regrettons que le Gouvernement, au lieu de l'accompagner, ait tenté de supprimer la Hadopi. L'augmentation des crédits est bienvenue mais ne compense que partiellement les baisses successives des trois années précédentes. Nous voterons par conséquent contre l'adoption des crédits de cette mission.
M. Jean-Louis Carrère . - Bruno Retailleau ne félicite que l'un des rapporteurs, or tous deux ont bien travaillé !
M. David Assouline . - Bien que nous restions dans l'expectative quant au dispositif qui suivra les accords Schwartz, la réforme des aides à la presse va dans le bon sens : celui de la transparence des critères d'attribution et d'un recentrement sur les objectifs initiaux de protection du pluralisme. Le pluralisme de la presse, dans le système mis en place à la Libération, reposait sur les quotidiens locaux et régionaux qui assuraient un véritable maillage du territoire. La concentration et le rachat de journaux par des banques et de grands groupes industriels menacent l'indépendance de la presse, mais portent aussi atteinte à sa diversité et à son pluralisme. Il est indispensable de trouver des leviers pour y remédier.
Enfin, appeler à voter contre une augmentation budgétaire constitue une posture incompréhensible. Si un prochain gouvernement vous demande de voter en faveur d'un budget malgré des baisses de crédits, quelle sera votre réaction ?
M. Jacques Grosperrin . - L'augmentation de la dotation de la Hadopi représente un signe de reconnaissance de son travail après les polémiques. Doit-on conclure à son maintien, voire à son renforcement ?
M. Patrick Abate, rapporteur pour avis . - Notre rapport témoigne effectivement de notre attention aux propositions des nouveaux penseurs que vous évoquez. Julia Cagé vient au demeurant d'être nommée administratrice de l'AFP.
La concentration de la presse m'apparaît moins inquiétante que la concentration de différents médias au sein d'un même groupe. Les journalistes figés devant leur écran se multiplient, et le recours aux pigistes augmente. Notre rapport fait état de ces phénomènes et recommande que les aides à la presse soient liées à un engagement déontologique des éditeurs en la matière.
Par ailleurs, le soutien aux radios associatives locales ressort des crédits de l'audiovisuel et non de la presse.
Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis . - Le président de la BnF propose d'instaurer la gratuité pour les étudiants et les jeunes de 18 à 23 ans, une mesure qui représenterait un manque à gagner de 400 000 euros par an dont il demande la compensation par l'État.
Je ne m'oppose pas à des tarifs postaux réduits pour le transport postal de livres, mais cela sera difficile à obtenir alors que la presse voit ces tarifs augmenter.
Je me félicite de la dotation supplémentaire au profit des contrats territoire-lecture passés par les Directions régionales de l'action culturelle (DRAC). Mais elle ne permettra que de compenser le fait que le CNL subit une baisse de ses moyens, appelée à s'aggraver avec le déclin de la taxe sur la reprographie, qui l'oblige à limiter ses interventions dans les territoires. Une commission étudie en ce moment une réduction des taxes.
L'augmentation de 2,5 millions d'euros de la dotation de la Hadopi ne constitue qu'un rattrapage : en 2014, la Haute Autorité a dû puiser dans son fonds de roulement pour compenser une baisse de la dotation à 6 millions d'euros. Aucun progrès n'est donc à relever dans la lutte contre le piratage. Il ne faut pas voir dans l'augmentation des crédits autre chose que le maintien de la Haute Autorité.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2016.