D. UN SOUTIEN AU LIVRE FREINÉ PAR LES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES
1. Des dotations inégales
Au sein du programme 334 « Livre et industries culturelles », l'action n° 1 « Livre et lecture » est dotée par le projet de loi de finances de 246,6 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 257 millions d'euros en crédits de paiement (CP) pour 2016, soit un recul des crédits respectivement de 5,6 % et de 0,5 % par rapport à 2015. L'explication de la diminution des autorisations d'engagement réside dans l'achèvement de la première phase de travaux du quadrilatère Richelieu de la BnF.
Les crédits consacrés au livre et à la lecture sont répartis en quatre sous actions d'importance inégale :
- la subvention pour charge de service public de la BnF pour 206,8 millions d'euros en AE comme en CP. Au cours de sa séance publique du vendredi 13 novembre dernier, dans le cadre du « coup de rabot » général, l'Assemblée nationale a diminué cette subvention à hauteur de 1 million d'euros, arguant que l'opérateur avait la capacité de réduire ses dépenses à due concurrence ;
- le financement des travaux du Quadrilatère Richelieu pour seulement 500 000 euros en AE et 9,9 millions d'euros en CP ;
- les crédits destinés au développement de la lecture et des collections pour 20,5 millions d'euros en AE et 21,5 millions d'euros en CP .
Au sein de cette troisième sous-action , 8,2 millions d'euros en AE (7,2 millions d'euros en CP) correspondent à la subvention pour charge de service public versée à la Bibliothèque publique d'information (BPI) , dont il sera fait mention en détail ci-après.
Par ailleurs, 12,8 millions d'euros de crédits d'intervention sont répartis entre les crédits centraux (1,4 million d'euros) destinés à financer les interventions en direction des bibliothèques, le soutien à la conservation et à la diffusion du patrimoine écrit et le soutien au développement de la lecture (subventions aux associations) et les crédits déconcentrés (11,3 millions d'euros) consacrés à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine écrit, à travers le soutien apporté à l'Institut de la mémoire de l'édition contemporaine (IMEC) et la mise en oeuvre du plan d'action pour le patrimoine écrit (PAPE), aux acquisitions et l'enrichissement des collections par les fonds régionaux d'acquisition des bibliothèques (FRAB), mais également à l'aide au fonctionnement des médiathèques.
Le soutien de l'État aux bibliothèques municipales et départementales Pour ces établissements, qui relèvent des collectivités territoriales, le soutien de l'État se concrétise principalement à travers un dispositif réglementaire et financier spécifique - le concours particulier des bibliothèques de la dotation générale de décentralisation (DGC) - et par la mise à disposition de plus d'une centaine de conservateurs d'État , pour un coût d'environ 9 millions d'euros. Cette mise à disposition, qui concerne les cinquante-quatre bibliothèques classées au titre des articles L. 310-1 et L. 310-2 du code du patrimoine en raison de la présence d'importants fonds d'État dans leurs collections, est encadrée depuis 2010 par un système de conventionnement avec les collectivités bénéficiaires. L'année 2015, dernière année des conventions 2013-2015, a vu la conduite d'une évaluation nationale du dispositif et la préparation de nouvelles conventions de mises à disposition pour la période 2016-2018. Les crédits du concours particulier de la DGD ont, pour leur part, favorisé la création, depuis 1986, de plus de 2,8 millions de m² de bibliothèques. En 2014, les crédits du concours particulier se sont élevés à 80,4 millions d'euros et ont permis de soutenir 811 opérations sur l'ensemble le territoire national (dont 228 opérations de construction, restructuration ou extension) réparties dans 575 communes et 45 départements. L'exercice budgétaire 2015, doté également de 80,4 millions d'euros, est en cours de réalisation. Les principales opérations subventionnées par l'État dans ce cadre concernent les projets pluriannuels de Bordeaux, Brest, Caen, Carpentras et Cambrai, ainsi que les projets de bibliothèques numériques de référence de Bordeaux, Lyon, Rennes, Roubaix, Troyes et le projet du département du Pas-de-Calais. Source : Ministère de la culture et de la communication |
- enfin, les aides à l'édition, à la librairie et aux professions du livre pour 18,7 millions d'euros en AE et en CP.
Dans ce cadre, 15,7 millions d'euros de crédits centraux sont versés pour la rémunération des auteurs et des éditeurs au titre du droit de prêt en bibliothèque (9,2 millions d'euros) et pour la subvention au Syndicat de la librairie française et à la Centrale de l'édition. Enfin, 3 millions d'euros de crédits déconcentrés sont destinés au soutien aux libraires et aux maisons d'édition pour leurs projets de création, de développement et de diversification, afin de favoriser le maintien d'un réseau de librairies et éditeurs indépendants.
Le cadre du droit de prêt, qui constitue l'un des principaux dispositifs en faveur de la filière du livre, est fixé par la loi n° 2003-517 du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs. La SOFIA procède chaque année, avec retard, à la répartition des sommes perçues entre auteurs et éditeurs. Le total des sommes réparties en 2014 (au titre de l'année 2011), soit 16,6 millions d'euros, a marqué un retrait par rapport à la collecte effectuée l'année précédente (17,2 millions d'euros). Cette baisse provient, pour une part, d'une moindre contribution de l'État assise sur le nombre d'inscrits en bibliothèques), ainsi que d'un recul des achats de livres par les bibliothèques.
Compte tenu du contexte des finances publiques et de l'évolution des pratiques de lecture, qui conduit à un recul régulier des inscriptions en bibliothèque, cette tendance devrait se confirmer en 2015 et dans les années à venir au détriment des auteurs et des éditeurs. Votre rapporteur pour avis se réjouit donc des propositions de notre collègue Sylvie Robert, qui, dans le cadre d'une mission relative aux bibliothèques, confiée par Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, a proposé une réforme du concours particulier de la DGD, afin d'en étendre le bénéfice aux projets d'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques territoriales , dans le cadre du développement du rôle des bibliothèques comme établissements culturels de proximité. Cette mesure pourrait permettre d'augmenter la fréquentation des bibliothèques et, partant, d'augmenter le droit de prêt.
2. Des bibliothèques nationales à la recherche des moyens de leur développement
a) La BnF : une activité plombée par les projets immobiliers
Dans le cadre de leurs missions statutaires, les orientations stratégiques des deux établissements publics ayant statut de bibliothèque nationale, la BnF et la BPI, sont formalisées à travers des contrats de performance et projets d'établissements . Pour ce qui concerne la BnF, un contrat de performance pour la période 2014-2016 a été signé le 22 mai 2014 entre le ministère de la culture et de la communication et l'établissement public, après avoir bénéficié, pour sa rédaction, de l'appui d'une mission d'audit conduite par l'IGAC et l'Inspection générale des bibliothèques.
La BnF est dotée, dans le projet de loi de finances, d'une subvention pour charges de service public de 206,8 millions d'euros en 2016 , stable par rapport à 2015, où elle avait enregistré une légère augmentation de 1,6 %.
L'établissement participe depuis plusieurs années à l'effort de maîtrise des dépenses publiques et cherche, en conséquence, à limiter ses coûts de fonctionnement. Dans ce cadre, il s'agit notamment de contenir les dépenses de personnel, qui représentent 73,5 % des dépenses de l'opérateur. En 2016, le plafond d'emploi de l'opérateur diminuera de 18 équivalents temps plein (ETP) , pour atteindre 2 249 emplois , contre environ 2 500 en 2010, grâce au non-renouvellement des départs à la retraite. Il s'agit majoritairement d'emplois de catégorie C, tels que les magasiniers, les bibliothécaires et les techniciens d'art.
Une réorganisation des procédures du dépôt légal - un exemplaire numérique remplace désormais l'un des deux exemplaires physiques de l'ouvrage - a permis de libérer des postes. De même, le vestiaire du site François Mitterrand a été remplacé par une consigne automatique. Enfin, la sécurité des sites (François Mitterrand, Richelieu, Arsenal, Opéra, Avignon) a été confiée à une entreprise privée. La pression sur les effectifs devrait toutefois être moins forte en 2017, où la diminution sera limitée à quatorze ETP.
Au terme du décret du 3 janvier 1994 qui la régit, la BnF, établissement public à caractère administratif, a pour missions de :
- d'abord, collecter, notamment par la mise en oeuvre du dépôt légal, cataloguer, conserver et enrichir le patrimoine national dont elle a la garde, qu'il soit imprimé, graphique, audiovisuel ou numérique.
Ces collections sont valorisées par un programme d'expositions régulières et enrichies grâce à une importante politique d'acquisitions patrimoniales . Dans ce cadre, la BnF parvient à lever des fonds importants grâce au mécénat . En 2015, ont ainsi été financés plusieurs achats, dont des manuscrits médiévaux pour 3,1 millions d'euros et des manuscrits de Berlioz pour 1,5 million d'euros. Un appel à souscription est en cours pour l'acquisition du bréviaire de Saint Louis de Poissy. L'établissement s'appuie sur son association d'amis, dynamique bien que vieillissante, sur le Cercle de la BnF pour les relations publiques, mais également sur les dons de particuliers, comme Pierre Bergé, et d'entreprises.
- ensuite, permettre l'accès du plus grand nombre à ces collections , tout en veillant à leur conservation.
La BnF a accueilli, dans ses salles de lecture, environ un million de visiteurs en 2014, en recul de 13 % par rapport à 2013 ; l'érosion s'est, depuis, poursuivie. Consciente de la priorité que constitue le développement actif de ses publics, l'établissement a rénové sa politique d'accueil, en élaborant un document d'orientation stratégique explicitant les différentes actions à mener, présenté au conseil d'administration au mois de juillet 2015, notamment une organisation des salles de lecture du Haut-de-Jardin plus conforme aux nouvelles habitudes de lecture et de travaux collectifs des étudiants, une extension du Wifi et un assouplissement des règles d'accréditation . Parmi les indicateurs de performance attachés à l'objectif n°1 « Favoriser l'accès du public aux bibliothèques et le développement de la lecture » figure le renforcement de la fréquentation des salles de lecture de la BNF : de 810 000 visiteurs en 2015, le résultat visé s'établit à 820 000 en 2016, puis à 970 000 en 2017 , grâce aux nouvelles mesures annoncées. Déjà, à l'issue des travaux du Haut-de-Jardin en 2014, une campagne d'information a été lancée, afin d'inciter le public à fréquenter les salles de lecture réaménagées. L'instauration de la gratuité des salles du Haut-de-Jardin pour les étudiants est en outre souhaitée par la BnF, dès lors que son coût (environ 400 000 euros par an) serait compensé par le ministère de la culture et de la communication ;
- enfin, préserver, gérer et mettre en valeur son patrimoine immobilier.
Cette dernière mission pèse lourdement, depuis plusieurs années, sur les comptes de l'établissement public. Le site François Mitterrand nécessite régulièrement des travaux de modernisation et de mise aux normes (6,7 millions d'euros sur la période 2015-2017 dont 1 million d'euros par tour pour les ascenseurs, auxquels s'ajouteront en 2016 5,4 millions d'euros de travaux de protection contre les inondations à la suite d'un incident sur une canalisation). La bibliothèque de l'Arsenal vient également d'être restaurée, bien que la mise aux normes de sécurité incendie ait été reportée en 2015 par manque de moyens.
Toutefois, l'essentiel de l'enveloppe est consacrée à la rénovation de son site historique du quadrilatère Richelieu. Le projet Richelieu a pour objectif de mieux assurer la sécurité des personnes et la sûreté des collections patrimoniales, en vue de l'installation sur le site des bibliothèques de l'Institut national d'histoire de l'art (INHA) et de l'École nationale des Chartes. Il s'agit de constituer un pôle de ressources en histoire de l'art , grâce à la rénovation des salles de lecture, à l'augmentation du nombre de places et à la création de nouvelles aires d'accueil pour le public.
Ce chantier, entamé en 2011 et qui devait s'achever en 2017, représente pour l'État une charge globale d'environ 230 millions d'euros, régulièrement réévaluée par l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), mandaté pour la conduite de l'opération 4 ( * ) . L'enveloppe des travaux est imputée à 80 % au ministère de la culture et de la communication, les 20 % restants étant à la charge du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Des surcoûts sont apparus à la suite de la découverte d'amiante et de plomb. Ces aléas ont retardé les travaux de près d'un an (la réouverture de la salle Labrouste, correspondant à la fin de la première phase, n'interviendra qu'en 2016), de même que les atermoiements du ministère de la culture et de la communication sur le sort à réserver à l'escalier d'honneur , qui date de 1917 et est inscrit à l'inventaire supplémentaire. Le projet initial, farouchement critiqué par certains, prévoit sa destruction et son remplacement par un escalier moderne. La BnF est elle-même largement mise à contribution pour le financement du projet , comme le rappelait son président Bruno Racine lors de son audition par votre rapporteur pour avis. Reviennent ainsi à sa charge les coûts de déménagement des personnels et des collections . L'établissement public a, en outre, complété de 12 millions d'euros le financement des travaux de la première phase, grâce à des gains issus de contentieux gagnés. Une somme équivalente devra être trouvée pour la seconde phase, qui débutera courant 2016, notamment pour le financement de la rénovation de la façade et des parties classées, ainsi que la réfection des pavés de la cour . Il est envisagé, à cet effet, de faire appel au mécénat et d'y affecter une partie du produit de la cession prochaine d'un bâtiment. En outre, une difficulté de fonctionnement devrait prochainement se poser à l'opérateur avec l'installation en 2016 de l'INHA dans les locaux rénovés. Rien n'est à ce jour prévu dans les recettes de l'institut pour compenser, à la BnF, les charges de gardiennage et de chauffage afférentes au bâtiment et estimées entre 1 et 2 millions d'euros par an. |
b) La BPI : une modernisation bienvenue bien que tardive
La BPI a essentiellement un rôle de conseil auprès de bibliothèques municipales et départementales ; elle constitue également, à leur profit, une source d'informations. À cet effet :
- la BPI procède chaque année à des études nationales sur le livre et la lecture sur demande du ministère de la culture et de la communication ;
- elle réalise des enquêtes de fréquentation des bibliothèques tous les deux ans, ainsi qu'une évaluation annuelle de la consultation sur place. Dans ce cadre, a également été réalisée en 2011 une enquête sur les usages et attentes des publics du champ social ;
- elle soutient l'association Réseau CAREL (Coopération pour l'accès aux ressources numériques en bibliothèques), créée en 2012, qui fédère des collectivités territoriales pour négocier avec les éditeurs et fournisseurs de ressources des tarifs à l'usage de l'ensemble des bibliothèques publiques ;
- enfin, en partenariat avec l'association « Images en bibliothèques », la BPI sélectionne des films documentaires non édités pour en acquérir, en coordination avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), les droits de représentation et de prêt au bénéfice des bibliothèques publiques. Le catalogue comprend plus de 1 400 titres à ce jour. Un projet de modernisation en profondeur du catalogue est à l'étude pour une mise en oeuvre sur la période 2015-2017.
La coopération est également une mission stratégique de la BPI. Réuni en juillet 2014, le conseil de coopération de l'établissement a précisé les principaux axes de partenariat souhaités par les bibliothèques territoriales, notamment le développement de l'expertise numérique dans différents domaines et le renforcement des études nationales autour des pratiques de lecture en bibliothèque.
Au sein du projet de loi de finances pour 2016, la BPI dispose d'une subvention pour charges de service public de 7,2 millions d'euros en AE , soit une augmentation de 1,04 % par rapport à 2015. Sur ce total, 6,8 millions d'euros sont destinés au fonctionnement de l'établissement, dont une partie pour le financement des 63 emplois temps plein (ETP), et 1,3 million d'euros à l'investissement aux fins de travaux de rénovation de l'entrée et de l'espace d'accueil au public. Il s'agit de la première étape d'un programme de travaux plus ambitieux, dont votre rapporteur pour avis se réjouit.
Le projet de rénovation immobilière, dont le calendrier a été précisé récemment (études en 2016-2017, puis travaux en 2018-2019), a pour objectif de redonner à la bibliothèque le rôle d'innovation souhaité dans le projet initial de Georges Pompidou. Il s'agit de réaménager les espaces (6 000 m² au sein du Centre Pompidou sur un total de 10 000 m²) et de les adapter aux pratiques de lecture actuelles . Une dotation de 10 millions d'euros en AE a été ouverte à cet effet dans la loi de finances pour 2015. Les CP seront demandés en fonction du calendrier d'avancement du chantier. À ce stade, 3 millions d'euros de CP sont prévus pour la période 2015-2017.
Ces travaux devraient permettre de relancer une fréquentation en berne . Le nombre de visiteurs - lecteurs et chercheurs - diminue chaque année depuis 2002, avec une inflexion plus forte depuis 2013, pour s'établir, en 2015 à 1,35 million de personnes . Le premier indicateur de performance de l'objectif n° 1 « Favoriser l'accès du public aux bibliothèques et le développement de la lecture » associé au programme 334 concerne la fréquentation de la BPI. Après une stabilisation en 2016, l'objectif est de retrouver en 2017 le niveau de 2013, soit 1,5 million de visiteurs annuels.
L'érosion constatée de la fréquentation de la BPI s'explique par différentes décisions concomitantes : la limitation des accès , décidée à la fin de l'année 2013, en fin de semaine et pendant la période de révision des examens afin d'améliorer les conditions de travail des étudiants ; le renforcement des contrôles d'accès à l'entrée ; la fermeture partielle des salles de lecture en été et du niveau 2 en 2015 pendant les travaux de sécurité incendie du Centre Pompidou ; enfin, le maintien d'un temps de présence moyen élevé des visiteurs, qui limite le taux de rotation journalier. En revanche, les expositions, à l'instar de celles consacrées à Marguerite Duras et à Claire Bretécher en 2014, améliorent sensiblement la fréquentation pendant leurs périodes d'ouverture au public.
En décembre 2012, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication, a souhaité que le projet d'établissement « Lire le monde », élaboré en 2011, soit modifié afin de garantir le maintien du nombre de places de lecture dans l'établissement, de développer les liens avec le Centre Pompidou et de renforcer davantage la coopération avec les bibliothèques en régions . Un nouveau projet a été transmis le 25 juillet 2013, mais ces modifications ont entraîné un report de la rédaction du futur contrat de performance de la bibliothèque, qui devrait être présenté au dernier conseil d'administration de l'année 2015.
3. Le CNL : un opérateur à conforter
a) Un effort de simplification et de transparence à confirmer
Le Centre national du livre (CNL), établissement public administratif sous tutelle du ministère de la culture et de la communication , agit comme opérateur du ministère dans le cadre d'orientations définies par un conseil d'administration où siègent, à côté des représentants publics, des représentants des professions du secteur et des personnalités qualifiées. Depuis 2010, son président est nommé pour cinq ans par le Président de la République.
L'établissement est chargé de soutenir, aux différents niveaux de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothèques, organisateurs de manifestations), les projets favorisant la création et la diffusion des oeuvres les plus exigeantes sur le plan littéraire ou scientifique . Il attribue notamment des subventions et des prêts après avis de commissions ou comités spécialisés . Dans ce cadre, l'opérateur a pour mission de :
- soutenir et encourager l'activité littéraire des écrivains, des illustrateurs et des traducteurs , par l'attribution de bourses de création et de résidence. Un sous-indicateur de l'objectif n° 2 « Soutenir la création et la diffusion du livre » fixe à 45 % en 2016 et à 50 % en 2017 la part de ces aides consacrée à de nouveaux auteurs et traducteurs, afin d'encourager les jeunes talents ;
- soutenir l'édition d'oeuvres littéraires jugées primordiales par le biais de subventions à destination des éditeurs français. Il s'agit principalement ici des genres en difficulté que représentent la poésie, le théâtre, les livres d'art et de sciences humaines. Un autre sous-indicateur de l'objectif n° 2 susmentionné fixe à 22 300 le nombre de nouveaux titres publiés chaque année dans ces domaines ;
- encourager tous les modes d'expression littéraire et concourir à la diffusion, sous toutes ses formes, d'oeuvres littéraires en langue française ;
- contribuer , par l'aide aux entreprises d'édition et de librairie, au développement économique du secteur du livre ainsi qu'au maintien et à la qualité des réseaux de diffusion du livre et de la lecture ;
- participer à la défense et à l'illustration de la langue et de la culture françaises ;
- favoriser la traduction d'oeuvres étrangères en français et d'oeuvres françaises en langues étrangères ;
- accompagner les manifestations construites autour d'un projet littéraire permettant la rencontre et la rémunération des auteurs en s'adressant au plus large public ;
- intensifier les échanges littéraires en France et à l'étranger , et concourir à toutes les actions de promotion du livre et de la lecture susceptibles de contribuer à la diffusion et au rayonnement du livre français ;
- enfin, soutenir les bibliothèques , les établissements culturels et les librairies , en France et à l'étranger, qui commandent des ouvrages de langue française présentant un intérêt culturel, scientifique, technique ou touchant à la francophonie.
La mobilisation du CNL en faveur des librairies En application des plans Livre 2008 et Librairie 2013 , l'intervention du CNL - orientée vers les librairies indépendantes, professionnelles, proposant un assortiment de qualité - a été élargie, précisée et dotée de moyens budgétaires importants. Le CNL a ainsi soutenu 270 librairies à hauteur de 3 millions d'euros en 2013 et 4,6 millions d'euros en 2014. Ces interventions prennent la forme :
Par ailleurs, le CNL a développé, depuis 2014, une démarche de contractualisation avec les certaines directions régionales des affaires culturelles (DRAC), qui se traduit par la mobilisation et la mise en commun de moyens budgétaires permettant de soutenir les investissements et la professionnalisation de librairies de petite taille, inéligibles aux aides du CNL et jouant un rôle territorial manifeste dans l'accès au livre. L'établissement soutient également des structures professionnelles de façon permanente (Adelc) ou sur projet. Il est par ailleurs chargé de l'instruction du label Librairie de référence . Enfin, le CNL consacre, chaque année, une enveloppe d'environ 350 000 euros aux librairies francophones à l'étranger , répartie entre des aides directes et un soutien annuel à l'Association internationale des librairies francophones (Ailf). Source : Ministère de la culture et de la communication |
Outre les aides diverses aux librairies, le CNL a attribué, en 2014, 2 millions d'euros en bourses d'écriture, crédits de traduction et frais de résidence à des auteurs reconnus. 5,3 millions d'euros ont, en outre, bénéficié aux éditeurs pour le financement de traductions et de publications. Par ailleurs, plus de 30 % des crédits de l'opérateur, soit 9 millions d'euros, ont été destinés au numérique. Environ 65 % à 70 % des demandes d'aide sont acceptées par les commissions.
Le dispositif d'aides du CNL s'est longtemps caractérisé par sa complexité et son éparpillement. On comptait ainsi trente-cinq catégories d'aides attribuées sur avis de dix-huit commissions et neuf comités, organisées par disciplines ou par type d'intervention. Ces structures rassemblaient, outre un réseau bénévole de lecteurs et d'experts, plus de 300 spécialistes (écrivains, universitaires, journalistes, chercheurs, traducteurs, critiques, éditeurs, libraires, conservateurs, animateurs de la vie littéraire, français et étrangers), nommés pour trois ans par le ministre de la culture et de la communication, sur proposition du président du CNL.
Conscient de la nécessité d'une rationalisation de son système d'aides, le CNL a présenté en mars 2012 une réforme du dispositif, suspendue par la ministre de la culture et de la communication dès le mois de juillet 2012 en raison des inquiétudes suscitées chez les auteurs. La réforme envisagée consistait en la réduction du nombre de dispositifs d'aides à treize et du nombre d'instances à onze commissions et six comités.
Pour apaiser les craintes et juger de la portée du dispositif proposé, Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication, a confié à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) le soin de dresser un bilan du système d'aide existant et d'expertiser le projet de réforme du CNL. Les conclusions de cette mission ont été rendues en novembre 2012.
La première critique de l'IGAC portait sur la quasi-absence de concertation en amont de la présentation de la réforme, méthode qui a largement contribué à crisper les positions. La mission s'interrogeait ensuite sur la réalité de la diminution annoncée du nombre d'aides, dans la mesure où de nouveaux dispositifs seraient créés (soutien aux grands projets patrimoniaux, aide au roman, soutien aux manifestations littéraires internationales, etc.). Elle s'inquiétait en revanche de la suppression des aides à vocation sociale , qui constituent une mission historique de l'opérateur. Enfin, la mission regrettait qu' aucune évaluation de la réforme ne soit prévue. Le rapport de l'IGAC concluait enfin à la nécessité d'une véritable concertation avec l'ensemble des acteurs du livre, comme de l' affirmation des priorités de la tutelle en matière de soutien au secteur, avant toute mise en oeuvre de la réforme.
Après une période d'incertitude à la tête de l'établissement entre la démission de Jean-François Colosimo en juin 2013 et la nomination de Vincent Monadé en octobre de la même année, la réforme des statuts du CNL a été opérée, à compter du 1 er janvier 2015, par le décret n° 2014-1435 du 1 er décembre 2014, qui donne suite à plusieurs des préconisations formulées par le rapport précité de l'IGAC. Le dispositif d'aide a été, dès lors, simplifié et limité à vingt-six catégories.
Les nouveaux statuts du CNL portent d'abord modification de la composition du conseil d'administration de l'établissement public. La représentation parlementaire y est intégrée, tandis qu'un rééquilibrage entre le collège des professionnels et celui des représentants de l'État est opéré au profit de ce dernier, entraînant une réduction du nombre de professionnels désormais désignés par leurs instances représentatives.
La réforme tend ensuite à rendre plus collégial le fonctionnement de l'établissement public par la création d'un collège des présidents des commissions spécialisées. Cette instance doit, en particulier, constituer un lieu d'échange et de concertation sur l'évolution des dispositifs d'aide et les modalités de fonctionnement des commissions spécialisées. Elle peut, en outre, émettre un avis sur les nominations, par le président de l'établissement, des membres des commissions spécialisées, ainsi que des experts et lecteurs extérieurs. Le collège désigne enfin, en son sein, un représentant au conseil d'administration, afin d'être en mesure de formuler des avis sur l'orientation de l'activité du Centre national du livre.
Il est également procédé à une modification de la gouvernance de l'établissement avec l'organisation d'un débat annuel au sein du conseil d'administration s'agissant des orientations stratégiques et de l'application du contrat de performance.
La réforme vise enfin à encadrer l'autonomie décisionnelle du président de l'établissement en soumettant à un avis collégial la grande majorité des aides. En application des nouvelles dispositions statutaires, le président doit rendre compte au conseil d'administration au moins une fois par an des suites données aux avis rendus par les commissions spécialisées. Le conseil d'administration approuve les contrats et les conventions souscrits par l'établissement et qu'il détermine ceux pour lesquels il délègue la responsabilité au président, compte tenu de leur nature et de leur montant financier.
Parallèlement, un nouveau contrat de performance pour la période 2015-2017 , faisant suite à celui signé le 19 mai 2011 et venu à échéance fin 2013, a été adopté par le conseil d'administration le 30 mars 2015 et signé le 21 juillet dernier par Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Trois priorités stratégiques ont été retenues :
- tout d'abord, l'établissement devra contribuer au développement de la place du livre dans les pratiques culturelles des Français et à l'accès du plus grand nombre à la lecture. Cet objectif devra se traduire par un développement des partenariats existants entre le CNL et les régions, en vue de préserver le maillage territorial de la librairie. L'établissement devra également renforcer ses actions en faveur des publics empêchés ou éloignés du livre (personnes atteintes d'un handicap, personnes sous main de justice, personnes hospitalisées ou en situation de dépendance). Le CNL a ainsi élargi les conditions d'éligibilité de ses dispositifs consacrés à la constitution de premiers fonds et de fonds thématiques en bibliothèques (800 000 euros pour 2015) aux projets dédiés aux personnes empêchées. Les dispositifs réformés permettent, en outre, de mieux prendre en compte les projets destinés à offrir un accès à la lecture aux publics les plus éloignés du livre et la lecture (géographiquement, socialement ou culturellement), en particulier d'accompagner prioritairement des projets en milieu rural ;
- ensuite, le CNL devra veiller à accompagner les acteurs français du livre, en France et à l'international , pour leur permettre de s'adapter aux mutations du secteur. Cette priorité couvre les champs de l'édition, des librairies et des auteurs. Le CNL renforcera son soutien économique aux éditeurs indépendants, développera des actions de professionnalisation des libraires et contribuera à l'amélioration de la situation des auteurs et au développement d'une offre légale de livres numériques ;
- enfin, l'opérateur devra optimiser et moderniser son organisation et son fonctionnement , en s'inscrivant dans une démarche d'évaluation de ses actions, de renforcement du dialogue social et d'amélioration de sa gestion des ressources, y compris humaines.
Malgré un périmètre d'action ambitieux, le poids du CNL dans l'économie du livre demeure modeste . Ses interventions représentent ainsi environ 1 % du chiffre d'affaires de l'édition , soit un taux d'intervention bien inférieur à celui du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) en matière de cinéma, de l'ordre de 10 % du chiffre d'affaires du secteur.
Son action est toutefois décisive pour la qualité, la diversité et l'économie des domaines éditoriaux à rotation lente. C'est pourquoi, votre rapporteur pour avis salue la réforme engagée en 2015, dont elle suivra avec attention l'effectivité de la mise en oeuvre . Elle veillera également à ce que les ressources affectées à l'établissement continuent à lui permettre de mener à bien ses missions.
b) Des crédits à stabiliser
Le CNL bénéficie, pour son fonctionnement et ses interventions, du produit de deux taxes fiscales affectées de nature différente :
- la première taxe, de nature redistributrice, est due par les éditeurs en fonction des ventes d'ouvrages de librairie . Elle est perçue au taux de 0,2 % sur la même assiette et dans les mêmes conditions que la TVA. En sont exonérés les éditeurs dont le chiffre d'affaires de l'année précédente n'excède pas 76 000 euros ;
- la seconde taxe, de nature compensatrice, concerne les ventes des appareils de reprographie et, depuis 2007, de reproduction et d'impression, figurant sur une liste fixée par arrêté interministériel. Elle a pour objet d'apporter une réparation partielle au préjudice subi par les éditeurs et auteurs du fait du développement de l'usage de la reprographie. Elle est perçue au taux de 3,25 % (2,25 % jusqu'en 2009), acquittée mensuellement ou trimestriellement et concerne la première vente sur le territoire.
Dans un souci de simplification, la loi de finances pour 2000 a supprimé le compte d'affectation spéciale dit « Fonds national du livre ». Les taxes fiscales sur l'édition et la reprographie sont donc désormais directement versées à l'agent comptable du CNL respectivement par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et des droits indirects.
Les recettes de ces taxes affectées sont en partie liées à la conjoncture économique, sans qu'il soit possible de les anticiper très précisément, surtout en ce qui concerne la taxe sur les appareils de reprographie, ce qui rend la dotation du CNL particulièrement incertaine s'agissant d'un opérateur de l'État . Ainsi, après diverses réformes permettant d'ajuster l'assiette et le taux, le produit de la taxe sur les appareils de reprographie, initialement évalué à 30 millions d'euros, n'a atteint le niveau escompté pour la première fois qu'en 2011, le produit de la taxe s'élevant à alors 30,7 millions d'euros.
Pour mémoire, depuis 2004, le CNL ne perçoit plus de subvention de fonctionnement de son ministère de tutelle. Pire, la subvention mise en place au titre des transferts de compétence intervenus en 2009 entre l'administration centrale et le CNL, qui représentait 2,8 millions d'euros en loi de finances pour 2012, n'a pas été reconduite depuis 2013, l'établissement participant à l'effort de relèvement des comptes publics.
Parallèlement, la loi de finances pour 2012 a plafonné les deux taxes affectées au financement du CNL , respectivement à hauteur de 5,3 millions d'euros pour la taxe sur l'édition et de 29,4 millions d'euros pour la taxe sur le matériel de reproduction et d'impression. Ce plafonnement, reconduit pour les exercices suivants, est appliqué au produit des deux taxes avant prélèvement des frais d'assiette et de recouvrement estimés chaque année à 1,2 million d'euros. La ressource nette totale du CNL se trouve ainsi plafonnée à 33,5 millions d'euros .
De surcroît, le résultat budgétaire de l'opérateur est, chaque année, affecté structurellement par des demandes de remboursement d'opérateurs privés (1,5 million d'euros en moyenne sur les quatre dernières années), qui correspondent principalement à des importations temporaires (appareils qui transitent par la France puis sont réexportés).
Pour autant, le plafonnement de la dotation du CNC, dont votre rapporteur pour avis récuse le principe compte tenu de l'utilité économique et sociale du soutien à la chaîne du livre, n'a plus guère de conséquence depuis 2013, aucune des taxes n'a dès lors atteint le plafond fixé . Après quatre années de stabilité, le rendement des deux taxes affectées a connu en 2014 un recul supérieur à 10 %. Les chiffres du premier semestre de 2015 confirment cette évolution , le rendement des taxes, sur l'ensemble de l'exercice étant estimé respectivement à 28,3 millions d'euros et à 4,9 millions d'euros.
Cet assèchement des ressources du CNL, s'il devait perdurer, aurait des conséquences graves sur la capacité de l'établissement public à tenir ses engagements et à remplir ses missions au service du secteur du livre. Au cours de son audition, Vincent Monadé, président du CNL, a fait part de ses vives inquiétudes à votre rapporteur pour avis. L'opérateur a, face à l'érosion de ses rentrées fiscales, déjà modifié par trois fois son projet de budget pour 2015, s'obligeant à des choix drastiques pour maintenir son niveau d'intervention . En 2016, des efforts supplémentaires devront porter sur certaines enveloppes, notamment sur l'aide aux structures, à l'instar de la Maison des écrivains. Seules les aides aux manifestations littéraires verront leurs crédits légèrement augmenter, conformément à l'engagement pris par le CNL d'une rémunération des auteurs y participant. L'organisation de la fête de la littérature jeunesse Lire en short , dont la première édition s'est tenue en juillet dernier, ne devrait pas non plus en pâtir. En revanche, selon Vincent Monadé, l'établissement pourrait être amené à renoncer à tout ou partie de sa contribution aux programmes de numérisation de la BnF.
Or, si la diminution de la taxe sur la reprographie s'explique par un recul général du marché de ce type d'appareils , concurrencés par de nouvelles technologies, il n'en est rien de la taxe sur les éditeurs, dans un contexte favorable à la filière du livre. Dès lors, l'incompétence des services déconcentrés des impôts , chargés de sa collecte, s'agissant du marché des éditeurs, dans lequel une myriade de petites structures méconnues coexistent avec les plus grandes maisons, est souvent pointée du doigt.
Au vu de ce constat, la ministre de la culture et de la communication et le ministère des finances ont confié à l'IGAC et au contrôle général économique et financier une mission chargée d'expliquer les raisons de ce décrochage , en identifiant la part des causes structurelles et de la conjoncture du secteur. Ses conclusions devraient être connues dans les prochains jours, selon l'information donnée à votre rapporteur pour avis par Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication le 17 novembre dernier. Des mesures seront ensuite prises en fonction des préconisations de la mission, qui pourraient permettre au CNL de disposer, au cours de l'année 2016, de moyens supplémentaires.
Quoi qu'il en soit, dans un contexte où le marché de la principale ressource de l'opérateur va perdre environ 20 % de sa valeur dans les dix prochaines années, comme l'indiquaient à votre rapporteur pour avis les responsables du Syndicat de l'industrie des technologies de l'information (SFIB), une amélioration sensible de la collecte de la taxe éditeurs ne règlera en rien le problème croissant du financement du CNL . Il est donc désormais urgent de réfléchir à de nouvelles ressources affectées , d'autant qu'il n'y a philosophiquement plus guère de sens à ce que 85 % des ressources de l'établissement public en charge du soutien au livre et à la lecture proviennent d' une industrie qui, aujourd'hui, ne contribue plus guère à la photocopie d'ouvrages , pratique ne cessant par ailleurs de reculer au profit des usages numériques.
* 4 Le montant des travaux était estimé à 211 millions d'euros en 2011.