C. LES AIDES DIRECTES OU LA RECHERCHE D'UN NOUVEAU MODÈLE ÉCONOMIQUE

1. Un ciblage des aides directes en faveur du pluralisme
a) Au profit de la presse hebdomadaire régionale

Un fonds spécifique a été créé en 1996 afin de favoriser la diffusion au numéro des titres de la presse hebdomadaire régionale d'information politique et générale , dont le maintien concourt au pluralisme d'expression et à la cohésion du tissu économique et social.

Son dispositif a été modifié à trois reprises :

• par le décret n° 97-1067 du 20 novembre 1997, qui a scindé le fonds en deux sections , afin de tenir compte de la situation des hebdomadaires les plus touchés par l'augmentation des tarifs postaux résultant, à l'époque, des négociations entre les éditeurs de presse, la Poste et l'État ;

• puis par le décret n° 2004-1312 du 26 novembre 2004, qui a ouvert le bénéfice du fonds aux titres rédigés en langue française ou dans une langue régionale en usage en France et renforcé l'égalité de traitement entre les titres , en introduisant, pour la seconde section, un plafond de diffusion fixé à 10 000 exemplaires ;

• enfin, par le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 réformant les aides à la presse, qui a institué un plafonnement progressif du soutien pouvant être reçu par un même groupe de presse au titre du fonds.

L'aide est réservée aux publications imprimées d'information politique et générale à diffusion régionale, départementale ou locale, de langue française ou régionale, inscrites sur les registres de la CPPAP et paraissant au moins cinquante fois par an.

La répartition des crédits entre les deux sections du fonds est décidée par le directeur général des médias et des industries culturelles. Toutefois, le montant des crédits affectés à la première section ne peut être inférieur à 85 % de la dotation globale du fonds. La seconde section est ouverte aux publications de poids léger et majoritairement distribuées par voie postale.

La répartition du montant global annuel de l'aide accordée au titre de la première section est définie proportionnellement au nombre d'exemplaires vendus au numéro , dans la limite d'un plafond de 20 000 exemplaires et d'un plancher de 2 000 exemplaires. Depuis 2007, la répartition du fonds entre les deux sections s'est stabilisée à 98 % et 2 %.

En 2015, le total des aides attribuées au cours d'une même année, au titre des deux sections, à des sociétés éditrices filiales ou sous contrôle ne peut être supérieur à 30 % du montant de la dotation du fonds en 2014 ; ce pourcentage sera ramené à 25 % en 2016.

Le montant des crédits ouverts au sein du programme 180 de la mission « Médias, livre et industries culturelles » au titre de l'action « aides à la presse » et de la sous-action « aides au pluralisme : aide à la presse hebdomadaire et régionale » s'élève, pour 2016 comme en 2015, à 1,4 million d'euros, dont 98,5 % au bénéfice de la première section. De fait, peu de titres sont désormais éligibles à la seconde section, en raison de la diminution constante de leurs abonnements postaux. Il n'est cependant pas envisagé de la supprimer, dans la mesure où certains titres demeurent essentiellement diffusés par abonnement postal. Au total, deux-cent-onze titres bénéficient de cette aide pour un montant moyen de 6 730 euros.

Pour être absolument complet dans sa présentation des aides directes au bénéfice de la presse locale visant à concourir au pluralisme, votre rapporteur pour avis rappelle que 1,4 million d'euro s est, en outre, attribué chaque année en soutien à seize quotidiens régionaux à faibles ressources de petites annonces, ce qui représente un montant moyen de 87 500 euros par titre.

b) Au bénéfice des quotidiens à faibles ressources publicitaires

L'aide aux quotidiens d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires est régie par le décret n° 86-616 du 12 mars 1986. Elle vise à soutenir tant les titres qui bénéficient structurellement de recettes publicitaires faibles compte tenu de leur positionnement éditorial, que ceux qui traversent de façon conjoncturelle des difficultés financières . L'aide contribue ainsi au maintien de la diversité de l'offre de presse et au pluralisme du débat démocratique.

En 2014 comme en 2015, l'aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires s'est établie à 8,6 millions d'euros.

Jusqu'à présent, le dispositif était divisé en trois sections avec une répartition des crédits effectuée chaque année par le directeur général des médias et des industries culturelles.

L'aide attribuée au titre de la première section du fonds bénéficie aux quotidiens répondant à certaines conditions relatives au prix de vente (dans une fourchette de 80 à 130 % du prix moyen pondéré pour les quotidiens nationaux d'information politique et générale), à la diffusion (moins de 150 000 exemplaires en moyenne), au tirage (moins de 250 000 exemplaires en moyenne) et au pourcentage de recettes de publicité (moins de 25 % du chiffre d'affaires).

L'aide accordée dans ce cadre ne peut dépasser 25 % des recettes totales du titre, hors subventions publiques . La Croix et L'Humanité, ainsi que France-Soir, aujourd'hui disparu, sont les bénéficiaires historiques de la première section depuis sa création ; en 2008, deux quotidiens supplémentaires ont rempli les conditions d'éligibilité : Libération et Présent . En 2014, ces titres ont respectivement reçu : 2,9 millions d'euros pour La Croix et pour Libération , 3,1 millions d'euros pour L'Humanité et environ 227 000 euros pour Présent .

L'aide attribuée au titre de la deuxième section bénéficie à des quotidiens, qui ne sont pas éligibles à la première section, leur prix étant inférieur à 80 % du prix moyen pondéré . Depuis 1986, seul l'éditeur Play Bac Presse en bénéficie pour environ 20 100 euros par an, au titre de différents quotidiens à destination des enfants et adolescents , diffusés exclusivement par abonnement, à l'instar de Mon Quotidien et de Le Petit Quotidien.

Enfin, l'aide attribuée au titre de la troisième section, créée en 2012, peut bénéficier, pendant trois ans et de façon dégressive , à des quotidiens, qui ont reçu une aide au titre de la première section pendant au moins trois années et dont les recettes de publicité représentent moins de 35 % des recettes totales. L'objectif est d'éviter qu'un accroissement des recettes publicitaires au-delà du plafond réglementaire en vigueur ait pour conséquence une sortie brutale et sans transition du dispositif . Aucun titre n'a bénéficié de cette aide en 2014.

Dans le double contexte de l'attentat contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo et du risque d'érosion de la diversité de l'offre de presse d'information politique et générale, le Gouvernement a souhaité renforcer les aides au pluralisme de la presse . Lors de la conférence des éditeurs, le 2 juin 2015, la ministre de la culture et de la communication a ainsi confirmé l'extension de l'aide, par la création de deux nouvelles sections, aux quotidiens nationaux d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires à l'ensemble des publications nationales d'information politique et générale, sans distinction de périodicité.

Aux termes du décret n° 2015-1440 du 6 novembre 2015 relatif au soutien de l'État au pluralisme de la presse, l'aide étendue est ouverte aux titres remplissant trois critères principaux :

- des recettes publicitaires inférieures à 25 % de leurs recettes totales. À l'occasion de la réforme, la notion de recettes totales est précisée pour exclure les frais de mise à disposition et d'acheminement des ventes en nombre, ainsi que celles de la diffusion postée et portée ;

- un prix de vente ne pouvant excéder 130 % du prix moyen pour la périodicité concernée. Toutefois, compte tenu des spécificités de prix des bimestriels et trimestriels, le plafond est porté à 160 % du prix moyen pour ces publications ;

- une diffusion moyenne inférieure à 300 000 exemplaires par numéro en moyenne.

En 2016, 4 millions d'euros supplémentaires seront réservés à l'extension de l'aide au bénéfice d'environ soixante-dix publications (soit 53 000 euros par titre), initiative que votre rapporteur pour avis salue. La mobilisation d'une enveloppe ad hoc , à la différence d'un simple redéploiement des crédits du fonds, permettra, en effet, d'assurer une certaine équité de traitement entre les quotidiens, qui verront leur niveau d'aide maintenue, et les titres d'autres périodicités .

Les titres bimensuels, mensuels, bimestriels et trimestriels locaux d'information politique et générale ne bénéficiant actuellement d'aucune aide spécifique au pluralisme, une réforme distincte pourrait être prochainement envisagée, perspective que soutient votre rapporteur pour avis, compte tenu de l'importance de ses titres dans les territoires.

Au total, le projet de loi de finances pour 2016 accorde 15,5 millions d'euros au soutien au pluralisme de la presse, en augmentation de près de 35 % en raison de l'extension de l'aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires.

À ce montant s'ajoute 1,5 million d'euros de crédits destinés au nouveau fonds de soutien aux médias de proximité, dont la création a été annoncée lors du traditionnel dîner de la Fête de l'Humanité en septembre dernier, à la suite d'une expérimentation menée en 2015. Les médias aidés dans ce cadre, d'envergure modeste, agissent principalement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ou dans les zones rurales à revitaliser.

Ces différentes aides concourent à la réalisation de l'objectif n° 2 du programme 180 consacré au maintien du pluralisme de la presse. Il se décline en deux indicateurs, respectivement relatifs à la diffusion de la presse imprimée et numérique et au nombre de titres d'information politique et générale.

2. Le numérique, entre espoirs et illusions
a) Un impact certain mais limité

La presse d'information en ligne peut être définie, en opposition à la presse imprimée, par une triple caractéristique : une flexibilité rédactionnelle permettant la diffusion d'une information presque instantanée, une adaptation constante de l'offre éditoriale à des publics ciblés , avec l'apparition d'offres verticales, et la participation des lecteurs au débat citoyen.

L'impact économique du passage au numérique des entreprises de presse est difficilement mesurable , dans la mesure où la majorité des éditeurs ne distinguent dans leur comptabilité ni les charges, ni les produits de leur activité liés à leurs services de presse en ligne : au niveau des charges, les frais de personnel et, notamment, ceux des journalistes ne sont pratiquement jamais isolés ; au niveau des revenus, les formules d'abonnements liées à la seule consultation numérique du titre sont quasi-inexistantes.

Certains éditeurs produisent certes des chiffres d'affaires précis sans permettre cependant d'obtenir une vue d'ensemble pleinement satisfaisante. Les chiffres peuvent être observés dans le cas où des sociétés spécifiques ont été créées, filiales de groupe de presse dédiées à cette activité, mais ils ne peuvent alors être obtenus sur un poste précis comme celui des recettes d'abonnements aux titres, puisqu'ils sont inclus dans un poste générique de « produits d'exploitation ».

L'enquête annuelle lancée par la direction générale des médias et de industries culturelles du ministère de la culture et de la communication sur les entreprises ayant pour activité un ou plusieurs services de presse en ligne ne produit pas à ce jour tous les résultats escomptés et ne fait, en conséquence, pas encore l'objet d'une publication.

Les seuls chiffres d'affaires disponibles liés aux services de presse en ligne sont ceux des recettes publicitaires globales produites par l'IREP et le pourcentage moyen de la part que représente cette activité au sein des plus grandes entreprises du secteur, par le biais de l'enquête susmentionnée du ministère de la culture et de la communication. Dans un contexte économique médiocre, seuls progressent en termes de recettes publicitaires, selon l'IREP, le mobile et l'Internet, comme le rappelait précédemment votre rapporteur pour avis. La presse, en revanche, subit un fort recul depuis plusieurs années.

Devant l'absence de données économiques suffisantes, votre rapporteur pour avis a interrogé les éditeurs et leurs représentants quant à leur sentiment sur l'avenir numérique de leur activité au regard des évolutions qu'ils observent au sein de leurs entreprises. Le Syndicat national de la presse quotidienne nationale (SPQN) a rappelé, à titre liminaire, que le papier contribuait à encore, selon les titres, entre 70 % et 90 % du chiffre d'affaires . Pour la majorité des titres, la réflexion relative au numérique est évidemment utile, mais elle ne constitue de fait pas le coeur de leurs préoccupations.

Contrairement à une idée reçue, la presse digitale n'est pas directement concurrente de la presse imprimée : numérique et papier se complètent plus qu'ils ne s'opposent.

Dans son rapport « Presse et numérique - L'invention d'un nouvel écosystème » , remis à la ministre de la culture et de la communication en juin dernier, Jean-Marie Charon rappelle ainsi que « la complémentarité entre imprimé et numérique commence dans les années 90. Elle consiste alors en une duplication des contenus d'un support sur l'autre. L'engagement dans le numérique est pensé comme l'une des formes de diversification de la presse . Le principe de la complémentarité effective conduit à une articulation entre les contenus de l'imprimé et ceux du numérique , afin de tirer le meilleur parti de chacun des supports. À grands traits, le numérique est le support de l'information de flux et des différentes modalités de participation du public. L'imprimé, quant à lui, est le support de l'approfondissement, d'un traitement plus long, parfois plus esthétique, d'une information dite "à valeur ajoutée" » . Cette complémentarité demeure, même si elle n'a cessé de se réinventer avec l'émergence d'une presse exclusivement numérique.

Selon le SPQN, l'audience de la presse se développe grâce au numérique : 39 % des Français qui s'informent sur des supports de quotidiens d'information politique et générale le font exclusivement en ligne, tandis que près de 24 millions de Français consultent chaque mois les versions numériques de la presse quotidienne nationale, dont 7 millions de 18-34 ans. Le numérique concoure donc au rajeunissement du lectorat des titres historiques et l'attire même à la presse imprimée.

La part d'audience exclusivement numérique des quotidiens nationaux a progressé de huit points entre 2014 et 2015. Pour la première fois en 2015, les lectures digitales de l'IPG (52 % contre 43 % en 2014) sont plus importantes que les lectures en support papier. Dans ce cadre, le mobile prend le relais de l'Internet fixe : les lectures sur mobiles atteignent, en 2015, une proportion de 32 % contre 23 % en 2014. En 2014, 46 millions de versions numériques de journaux (PDF) ont été vendues, en augmentation de 44 % par rapport à 2013.

Pour les grands quotidiens nationaux, l'investissement dans les supports numériques vise donc tout à la fois à conquérir de nouveaux lecteurs, à compenser la perte du chiffre d'affaires publicitaire sur le papier et à s'adapter à la consommation de contenus en mobilité .

Pour autant, la mutation numérique, pour utile, voire indispensable, qu'elle puisse apparaître, pose de considérables difficultés en matière de modèle économique : les bons résultats du support numérique ne compensent encore nullement les pertes subies par la presse papier. En outre, il rapporte encore dix fois moins de recettes publicitaires que la presse imprimée.

Certains signes semblent cependant encourageants, notamment le fait que le paiement des contenus ne représente plus un tabou pour les internautes ; l'information n'est plus systématiquement considérée comme une marchandise ordinaire et gratuite, comme ce fût le cas au début d'Internet. De fait, comme le rappelait Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libération , lors de son audition, les grands journaux qui ont économiquement réussi leur mutation numérique, à l'instar du New York Times , ont parié dès l'origine sur la vente de leurs contenus.

En tout état de cause, l'Internet demeure, à ce stade, une source de revenus mineure pour la plupart des éditeurs de presse écrite et ne compense pas les pertes de revenus traditionnels du secteur. En 2014, l'ensemble du chiffre d'affaires lié aux services dématérialisés parvenait difficilement à dépasser les 5 % du chiffre d'affaires des trois cents plus importants éditeurs de presse écrite.

Il convient cependant d'affiner le commentaire de ce résultat d'ensemble par plusieurs observations. D'abord, les chiffres détaillés par catégories de presse montrent que la presse technique professionnelle et la presse gratuite d'annonces affichent des résultats remarquables , bien supérieurs à la moyenne observée avec respectivement 18,5 % et 56,5 % de leurs recettes issues du numérique en 2014. Ensuite, les bons résultats obtenus par ces deux catégories de presse ne représentent qu'un faible volume du chiffre d'affaires total des entreprises en presse (210 millions d'euros pour la presse technique professionnelle et 34 millions d'euros pour la presse gratuite d'annonces). Enfin, si l'on ne considère que le sous-ensemble des recettes « hors presse » de ces mêmes entreprises au lieu de la totalité du chiffre d'affaires, la presse locale d'information politique et générale affiche les meilleurs résultats (26,1 % de moyenne), en raison de son activité traditionnelle d'impression et parfois d'édition, voire de distribution, qui l'a conduite à diversifier depuis longtemps ses ressources.

À cet égard, le Syndicat national de la presse quotidienne en région (SPQR) indiquait à votre rapporteur pour avis qu'en 2014, 15,9 millions de visiteurs uniques avaient été enregistrés pour les cinquante-huit sites de la presse locale (+ 67 % entre 2008 et 2014), soit un tiers de l'audience des sites d'information politique et générale, pour 530 millions de pages vues.

Les gains demeurent toutefois modestes, puisque sur les 2,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires de la presse en région, 70 millions sont réalisés sur le numérique , dont 67 millions d'euros de recettes publicitaires. Pour autant, si les ventes numériques ne représentent que 0,6 % du chiffre d'affaires des éditeurs locaux, elles ont crû de 113,2 % entre 2013 et 2014.

La monétisation des contenus demeure également un enjeu majeur pour les éditeurs locaux, afin de réaliser un chiffre d'affaires correspondant mieux aux audiences constatées. Cette stratégie s'est généralisée depuis 2013 avec plus de 50 000 abonnés à des offres payantes en ligne. Plusieurs initiatives ont été prises à cet effet, suivant les recommandations des services d'innovation de plus en plus fréquents au sein des groupes de presse en régions : le développement de l'utilisation de la vidéo (flash actu de La Dépêche , interviews pour La Provence ou documentaires pour La République des Pyrénées ), la création de nouvelles éditions (journal du soir pour Ouest-France et Sud-Ouest ), l'intégration de nouveaux supports (magazine sur tablette pour Le Journal de la Haute-Marne ) et une présence accrue sur les réseaux sociaux. La presse en région a, en outre, en 2015, lancé une plateforme professionnelle de partage et de commercialisation de vidéos produites par les rédactions , que testent quinze titres à l'heure actuelle. Enfin, grâce à un partenariat signé avec Hop ! et la SNCF, des contenus numériques de la presse en région sont mis à disposition des voyageurs sur le kiosque presse de la SNCF.

Pour faire face aux enjeux du numérique et aux investissements qu'il implique, notamment en ressources humaines avec le recrutement d'un nombre élevé de développeurs, l'intégration à un groupe constitue souvent une solution pour bénéficier des appuis financiers nécessaires. Elle rend également plus aisée la compensation des pertes sur le support papier. Les rapprochements observés dans l'économie des médias sont directement liés à la révolution numérique, qui nécessite de mobiliser des fonds tout en étant capable de faire face à l'effondrement des recettes traditionnelles. Ainsi, Le Figaro , Le Monde et, dans une moindre mesure, Libération ont-ils opté pour ce modèle.

Libération , comme L'Express , représentent un élément symbolique fort de la stratégie de Patrick Drahi, qui souhaite disposer à terme d'un groupe médiatique puissant. Le Figaro a, pour sa part, misé sur la diversification de son activité sous une marque unique, gage de sérieux et de qualité. La marque devient, en effet, un vecteur puissant de création de richesses pour les titres historiques . À titre d'illustration, le vieillissant magazine féminin Marie-France , racheté pour un euro symbolique en 2003 par Reworld Media , a intégralement changé sa stratégie éditoriale au bénéfice du numérique en conservant le bénéfice de la notoriété de sa marque.

La presse en région n'échappe nullement au phénomène de concentration capitalistique et de stratégie de groupe multimédia observé dans la presse quotidienne nationale et la presse magazine. Ainsi, le groupe Est Bourgogne Rhône Alpes (EBRA) est-il, depuis 2006, le plus puissant groupe de presse régionale avec un large portefeuille de titres d'importance inégale : Le Républicain Lorrain, L'Est Républicain , Les dernières nouvelles d'Alsace, Le journal de la Haute-Marne, L'Alsace, Vosges-Matin, le Bien public, le journal de Saône-et-Loire, La presse de Gray, La presse de Vesoul, Le Dauphiné libéré, Le Progrès, La Tribune et L'indépendant du Louhannais et du Jura.

Seul L'Humanit é, avec les difficultés que l'on connaît, demeure pleinement indépendant, même si le modèle de La Croix au sein du groupe Bayard bénéficie également d'un positionnement original, puisque son actionnaire, la congrégation des Assomptionnistes, n'exige aucun dividende ni ne dispose des fonds propres nécessaires aux investissements, comme l'indiquait Arnaud Broustet, son directeur délégué, lors de son audition.

Comme s'en émouvait le Syndicat national des journalistes (SNJ) auprès de votre rapporteur pour avis, la concentration capitalistique des publications a de lourds effets sur les effectifs , notamment au sein des rédactions, tandis que le numérique induit des changements profonds dans le métier de journaliste - délais très courts pour vérifier l'information, acquisition de compétence en design, informatique et vidéo, etc. -, peu accessibles aux salariés les plus anciens. À cet égard, Jean-Marie Charon, dans son rapport précité, jugeait utile que soit engagé un travail d'analyse approfondi sur « l'observation d'un journalisme à deux vitesses et le risque que s'amplifie l'écart entre les statuts et situations d'exercice du métier » .

Votre rapporteur pour avis estime que ce phénomène de concentration mériterait une très sérieuse évaluation au niveau national. Il admet, certes, que l'adossement à un groupe permet bien souvent la survie d'un titre, comme le lui rappelait Cédric Le Borgne, coordinateur de la direction des ventes de l'association EBRA. Pour autant, il s'inquiète du danger que pourrait faire peser une trop forte concentration sur l'indépendance de la presse , via l'influence de l'actionnaire majoritaire sur le contenu des articles. Il rappelle, à cet égard, son souhait que la charte des journalistes soit rendue obligatoire, afin de protéger au mieux les rédactions d'un tel risque.

b) Des aides spécifiques
(1) Des statuts ouvrant droit à un large éventail de soutiens

Le statut de la presse en ligne est assorti d'un certain nombre de devoirs et d'obligations, et permet l'accès partiel au régime économique des aides à la presse.

Les critères conditionnant la reconnaissance d'un site comme service de presse en ligne par la CPPAP sont précisés par le décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009. Il s'agit de la mention des obligations légales d'identification, par analogie avec le respect des mentions légales exigées pour la presse imprimée, de l'obligation d'exercice de l'éditeur à titre professionnel, de l'obligation de proposer un contenu d'intérêt général renouvelé régulièrement et daté, afin d'exclure les simples mises à jour ponctuelles et partielles , composé d'informations présentant un lien avec l'actualité et ayant fait l'objet d'un traitement à caractère journalistique. Sont notamment exclus de cette définition les sites présentant un contenu violent ou pornographique, comme ceux qui constituent un instrument de publicité ou de communication.

La reconnaissance d'un site en tant que service de presse en ligne lui permet de bénéficier des avantages fiscaux relatif à la TVA et à la contribution économique territoriale, ainsi que d'une reconnaissance facilitée du statut de journaliste pour l'obtention de la carte de presse et l'application de l'abattement sur les cotisations sociales et les frais professionnels. Par ailleurs, les sites dont le contenu présente un caractère d'information politique et générale peuvent accéder à des avantages spécifiques, tels que l'accès au fonds stratégique pour le développement de la presse et l'autorisation de recourir au mécanisme de provision pour investissement de l'article 39 bis A du code général des impôts.

Afin de bénéficier de la possibilité d'un soutien du fonds stratégique de modernisation de la presse, les services de presse en ligne doivent avoir pour objet principal « d'apporter, de façon permanente et continue, des informations, des analyses et des commentaires sur l'actualité politique et générale locale, nationale ou internationale susceptibles d'éclairer le jugement des citoyens dont l'intérêt dépasse significativement les préoccupations d'une catégorie de lecteurs . En outre, l'équipe rédactionnelle doit comporter « au moins un journaliste professionnel, au sens de l'article L. 7111-3 du Code du travail ».

Au total, au 30 juin 2015, le nombre de sites bénéficiant de ce statut s'élevait à 867, dont 274 avec le caractère d'information politique et générale.

Les journaux tout en ligne (terme proposé par la commission générale de terminologie et de néologie pour traduire l'expression anglophone pure players ), pour leur part, peuvent être définis comme ceux qui ne constituent pas la déclinaison en ligne d'un titre de presse imprimé . Ils se sont créés de façon dynamique en France depuis l'apparition d'Internet. Au 30 juin 2015, 357 services de presse tout en ligne étaient reconnus comme tels par la CPPAP.

En termes d'audience, Le Huffington Post, premier site de presse tout en ligne d'après la mesure réalisée par l'OJD, se classe au 17 e rang des services de presse en ligne en juillet 2015, avec 39,4 millions de pages vues, soit un niveau équivalent aux sites Internet de L'Express et du Point . Pour autant, ce classement d'audience reste dominé par des sites de titres bimédia.

Les règles en matière d'aide n'établissent aucune différence de traitement entre les services de presse en ligne, selon qu'ils sont ou non tout en ligne, dès lors qu'ils sont reconnus par la CPPAP. Ainsi, les services de presse tout en ligne sont assujettis, depuis le 1 er février 2014, au taux de TVA « super-réduit » de 2,10 %, en application de la loi du 27 février 2014 précitée. Les titres tout en ligne consacrés pour une large part à l'information politique et générale sont également éligibles au bénéfice de l'article 39 bis A du code général des impôts qui permet la déductibilité fiscale des provisions pour investissement. Ils sont, en outre, exonérés de contribution économique territoriale. Enfin, dans le cadre du fonds stratégique pour le développement de la presse, le soutien à l'innovation numérique est accordé sans distinction aux services de presse en ligne éligibles des titres bimédia ou tout en ligne. En 2014, le fonds a ainsi accordé un total de 378 006 euros à huit titres tout en ligne.

Malgré ces diverses aides, l'immense majorité des pure players se trouve en difficulté financière . Seul Mediapart , avec une structure peu coûteuse d'une quarantaine de salariés et grâce tant à une cohérence idéologique forte qu'à une spécialisation reconnue dans l'investigation, réussit à se maintenir dans des conditions acceptables.

(2) Un fonds stratégique pour le développement de la presse insuffisamment mobilisé

Le décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 relatif à la réforme des aides à la presse et au fonds stratégique pour le développement de la presse remplace, à partir de 2012, le fonds de modernisation de la presse créé en 1999 et en ouvre le bénéfice à l'ensemble des titres éligibles, qu'ils soient ou non imprimés.

Le nouveau fonds stratégique fusionne alors les deux fonds d'aide aux projets industriels (le fonds d'aide à la modernisation) et numériques (le fonds d'aide au développement des services de presse en ligne créé en 2009). À sa création, le fonds comprenait trois sections : modernisation et mutation industrielles, correspondant à l'ancien fonds de modernisation, innovations numériques et conquête de nouveaux lectorats.

Puis, le décret n° 2014-659 du 23 juin 2014 portant réforme des aides à la presse a précisé les nouvelles modalités de fonctionnement du fonds stratégique et les principes d'attribution des aides. Des lors, les sections sont fusionnées, afin d'unifier et de simplifier l'examen des demandes d'aide, sans distinction par type de projet.

La réforme porte, en outre, sur l'éligibilité des services de presse en ligne, désormais limitée aux sites consacrant une large part à l'information politique et générale et, pour les années 2014 et 2015, aux services de presse en ligne qui développent l'information professionnelle ou qui favorisent l'accès au savoir et à la formation, la diffusion de la pensée, du débat d'idées, de la culture générale et de la recherche scientifique.

Enfin, les dépenses internes pour les projets de développement informatique entrent dans le champ du fonds, ce qui répond à une demande récurrente de la presse.

En 2014, le fonds stratégique pour le développement de la presse a soutenu un total de cent-dix-sept projets, dont soixante-seize concernaient le développement de services de presse en ligne et neuf des projets bimédia. L'aide apportée est très variable selon les projets présentés et la capacité d'autofinancement des éditeurs : son montant peut aller de 800 euros à 700 000 euros environ, pour une moyenne de 95 000 euros par dossier.

Les aides sont versées sous forme de subventions ou d'avances remboursables. Les dossiers sont instruits sur devis et l'aide versée sur facture acquittée, sur la base d'un montant maximum d'aide initialement consenti, dans un délai d'exécution de quatre ans pouvant être prolongé jusqu'à huit ans.

Pour 2016, le fonds stratégique pour le développement de la presse bénéficiera de 29,6 millions d'euros de crédits , en recul de 800 000 euros par rapport à 2015. Ce montant doit permettre de couvrir le financement des nouveaux projets sollicitant le soutien du fonds, mais également le paiement des projets autorisés les années précédentes selon leur exécution effective. Le premier indicateur associé à l'objectif n° 3 du programme 180 visant à améliorer le ciblage et l'efficacité des dispositifs d'aide mesure notamment l'effet de levier de l'aide à l'investissement du fonds stratégique pour le développement de la presse. En 2016, cet effet de levier devrait se maintenir à 3,6 %.

Le dispositif est cependant loin d'être exempt de critiques. Lors de leur audition, les représentants de la presse en région ont ainsi regretté des abondements massifs au bénéfice de publications numériques, exclusivement sur des critères d'innovation, sans tenir compte de la part d'audience, ce qui pénalise certains titres traditionnels. La presse en région, notamment, doit affecter des financements très importants à l'assainissement de ses modèles industriels, ce qui réduit d'autant les montants consacrés à l'innovation et limite donc mécaniquement l'abondement proportionné du fonds. Il conviendrait de prendre en compte cette charge particulière et temporaire, qui handicape la capacité d'innovation de ces groupes.

Les responsables du syndicat de la presse quotidienne nationale ont, pour leur part, regretté que l'efficacité du fonds stratégique pâtisse des gels budgétaires qui, chaque année, amputent les crédits qui lui sont affectés. Ainsi, sur 30 millions d'euros de dotation en loi de finances pour 2015, 20 millions d'euros ont été gelés. En conséquence, le taux de soutien par projet a dû être raboté, tandis que, en l'absence de réelles certitudes budgétaires sur l'année, certains éditeurs renonçaient à y faire appel .

Le directeur général des médias et des industries culturelles a, lors de son audition, indiqué à votre rapporteur pour avis, qu' une partie des économies réalisées par l'État sur l'aide au transport postal de la presse , dont il sera fait mention ultérieurement dans le présent avis, serait reversée, selon des modalités qui restent à définir, à l'innovation numérique des entreprises de presse. Votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux la mise en oeuvre rapide d'un tel transfert et, à tout le moins , la limitation de la pratique des gels s'agissant du soutien à la mutation digitale des éditeurs.

En outre, il conviendrait que le seuil d'entrée au fonds soit abaissé , de façon à ce que les entreprises de presse ne disposant pas de crédits importants, à l'instar de L'Humanité , ne soit pas découragées d'investir en sollicitant l'aide du dispositif, comme l'a fait remarquer Patrick Le Hyaric, président du directoire, lors de son audition

Votre rapporteur pour avis, conscient des difficultés rencontrées par les plus petits éditeurs devant la complexité des dossiers de demande d'aide et du frein que constitue le seuil d'entrée dans le dispositif, propose que des jeunes du service civique puissent être recrutés par ces structures sur des postes techniques de développement d'outils numériques , afin de les soutenir dans leur effort de modernisation, comme le suggérait Jean-Pierre Jager, fondateur et directeur de l'hebdomadaire lorrain La Semaine. Cette proposition est intéressante, en ce qu'elle s'inscrit dans une vision citoyenne de la presse, que personne ne conteste. Pour autant, elle ne doit pas conduire à ce que de potentiels emplois pérennes ou des salariés en poste soient remplacés à moindre frais.

Il convient de rappeler que le fonds stratégique constitue à ce jour l' unique aide publique versée aux éditeurs au titre de la modernisation de la presse sur le programme 180 . En effet, le plan « Imprime », destiné à la modernisation des imprimeries, mis en oeuvre en 2004 pour accompagner la cessation d'activité de certains employés, décroît progressivement . Qui plus est, les crédits destinés à ce dispositif (4,5 millions d'euros en 2015 puis 3,4 millions d'euros en 2016, sont désormais inscrits au programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi » de la mission « Travail et emploi ». Les derniers dossiers en cours concernent l' accompagnement de la fermeture des imprimeries du groupe Le Monde à Ivry-sur-Seine et du groupe Amaury à Saint-Ouen.

L'extinction progressive du plan « Imprime » et son transfert sur une autre mission du projet de loi de finances, comme la moindre dotation au fonds stratégique correspondant à son niveau de mobilisation expliquent le recul de 7,5 % en 2016 des aides à la diffusion de la presse.

(3) Le « Fonds Google » : pis-aller ou compromis bénéfique ?

La mutation de la presse vers un modèle économique plus numérique rend nécessaire une réflexion sur la rémunération et la protection des journalistes, créateurs de contenus , dans le cadre numérique. À cet effet, éditeurs et journalistes ont cherché à envisager les modalités d'une exploitation, sur tous supports, des oeuvres des journalistes et déterminer la rémunération qui leur est due.

À l'issue des États généraux de la presse, ont ainsi été introduites des dispositions ad hoc dans le code de la propriété intellectuelle et le code du travail, au sein de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet. Est désormais autorisée une première exploitation des contenus journalistiques sur tous les supports d'un même titre de presse, durant une période déterminée par accord collectif. Cette exploitation est rémunérée par le versement du seul salaire. À l'issue de cette période, toute nouvelle exploitation fait l'objet soit d'une majoration salariale, soit du versement de droits d'auteur aux journalistes . Enfin, et sous réserve de l'accord préalable et exprès du journaliste, toute cession à un tiers de son oeuvre par l'organe de presse dont relève son titre doit ouvrir droit à versement de droits d'auteur.

Jusqu'à l'intervention de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, qui a assoupli les règles de négociation des accords sur les droits d'auteur des journalistes, plusieurs difficultés pouvaient toutefois freiner la négociation d'accords d'entreprise. En effet, les accords négociés avec les institutions représentatives du personnel devaient, en vertu du code du travail, être validés par une commission de branche pour être applicables, commission de branche inexistante dans le secteur de la presse.

Pour utile qu'elle soit, cette réforme ne règle cependant que les cas où le travail du journaliste est réutilisé par un éditeur de presse. Or, Google , comme les autres moteurs de recherche Internet, utilisent gratuitement des contenus produits par la presse , dont il tire des revenus publicitaires.

Le gouvernement allemand a fait adopter, en mai 2013, une « loi Google » visant à faire acquitter par Google des droits voisins au bénéfice de la presse allemande pour les extraits de leurs titres utilisés à des fins commerciales par des moteurs de recherche. Cette démarche, jamais mise en oeuvre concrètement pour des raisons tant juridiques et techniques, puis l'initiative de la presse belge de signer avec Google un accord sur le versement de 5 millions d'euros aux éditeurs en décembre 2012, ont conduit à des réflexions similaires au sein de la presse française et du Gouvernement.

L'Association de la presse d'information politique et générale (AIPG) s'est constituée en mai 2012 avec comme objet immédiat de négocier tant avec les pouvoirs publics qu'avec Google et de trouver une solution mutuellement satisfaisante. L'AIPG rassemble douze quotidiens, quatorze hebdomadaires et quatre mensuels, issus de trois familles de presse : presse quotidienne nationale, presse quotidienne régionale et news magazines. L'objectif était, comme le rappelait Laurent Joffrin lors de son audition par notre rapporteur pour avis, de faire payer à Google l'utilisation des contenus journalistiques, sur le modèle que le cinéma, en son temps, a imposé à la télévision .

Des négociations confidentielles entre Google et l'AIPG ont été engagées durant deux mois sous les auspices d'un médiateur nommé et rémunéré par l'État, Marc Schwartz. Au terme de ces discussions, un accord de principe a été annoncé en présence du Président de la République et du président de Google , Éric Schmidt, le 1 er février 2013.

L'État n'étant partie prenante ni aux négociations ni à l'accord , et celui-ci étant revêtu d' une clause de confidentialité , le contenu n'en est pas officiellement connu. Il apparaît toutefois qu'il comporte deux volets :

- la création d'un fonds abondé par Google d'un total de 60 millions d'euros pour « faciliter la transition de la presse vers le monde numérique » . Seuls sont éligibles les titres de la presse d'information politique et générale nationale, régionale ou en ligne. Le Fonds Google pour l'innovation numérique de la presse a été mis en place le 19 septembre 2013 pour une durée de trois ans . Les aides sont attribuées sur la base du caractère innovant et de la viabilité économique du projet ;

- la mise en place d'une coopération en matière de régie publicitaire en ligne .

Le fonds constitue un dispositif d'aide privé, qui ne se substitue pas à l'action des pouvoirs publics en matière d'accompagnement de la transition numérique de la presse écrite.

Selon les informations transmises à votre rapporteur pour avis par son directeur, le fonds a contribué depuis sa mise en place, à hauteur d'environ 60 % des coûts, au financement d' une centaine de projets portés, pour un total de d'environ 48 millions d'euros de crédits . Le montant de chaque aide accordée est variable, puisqu'il dépend, comme pour le fonds stratégique, des crédits que chaque entreprise est capable de mobiliser. Les deux tiers des projets présentés sont retenus pour une aide moyenne de 300 000 euros , même si les éditeurs les plus puissants ont pu mettre en oeuvre des projets plus coûteux.

Ainsi, L'Express a bénéficié de 1,9 million d'euros pour améliorer la récupération de données sur son site, Les Echos de 2 millions d'euros pour financer la création d'une plateforme nationale d'annonces légales sur les cessions et reprises d'entreprises et Le Monde de 402 000 euros pour développer son site dédiée à l'Afrique.

Dès sa création, les critiques ont été acerbes : l'accord conclu entre Google et la presse s'apparenterait à une reddition des éditeurs, à une passivité symptomatique de l'État, voire à une manifestation supplémentaire de « la loi du plus fort » dans les relations économiques.

Dan Israël, dans une étude publiée par Causeur en juin 2015, intitulée « Google et la presse : la raison du plus fort - comment les journaux français ont fondu face au géant américain » , résumait ainsi le contexte et les conséquences de l'accord : « contre 60 millions d'euros, à répartir sur trois ans, Google a réussi à rendre caduque toute idée de loi l'obligeant à rémunérer les journaux . En acceptant sans barguigner l'offre, la presse a quant à elle fait la démonstration de son état de faiblesse, dans cette nouvelle ère numérique qui mine chaque jour un peu plus ses ressources financières » .

La solution retenue, dans un contexte où l'opportunité de légiférer n'était pas certaine, semble à votre rapporteur pour avis constituer un compromis utile , qui conduit, pendant trois ans, à doubler par des financements privés les crédits publics destinés à l'innovation numérique. Pour sa part, Laurent Joffrin estimait, lors de son audition, qu'on ne pouvait critiquer tout à fait la philosophie du dispositif, même s' il ne résolvait que temporairement et de façon limitée le problème de la réputation des contenus journalistiques utilisés sur Internet.

En tout état de cause, votre rapporteur pour avis rappelle que l'aide apportée par Google , pour utile qu'elle soit pour les titres concernés, demeure très en-deçà de ce que l'entreprise devrait acquitter à la France si elle renonçait à appliquer les mécanismes d'optimisation fiscale , qui lui permettent de ne payer que 7,7 millions d'euros d'impôts en 2013 pour un chiffre d'affaires pourtant estimé à un milliard d'euros. Toutefois, elle a permis le financement de projets numériques innovants au bénéfice des éditeurs français , tandis qu'en Allemagne la presse, dans l'attente de l'application effective de la nouvelle législation adoptée dans ce pays, n'a reçu aucune aide à ce jour.

À la mi-2016, le fonds pour l'innovation numérique de la presse va cesser son activité s'agissant des nouveaux projets , qui bénéficieront des 12 millions d'euros restant à dépenser . Il poursuivra cependant le suivi des projets en cours après cette date, puisque les crédits ne sont versés qu'en fonction de leur état d'avancement. Lui succèdera le Digital new initiative , fonds interne à Google doté de 150 millions d'euros sur trois ans, à destination des éditeurs européens . Il s'appuiera, à son lancement, sur huit éditeurs partenaires, dont Les Échos pour la France, Die Zeit en Allemagne et The Guardian au Royaume-Uni.

Ce nouveau dispositif, pour utile qu'il pourra être, bénéficiera par définition moins aux éditeurs français, compte tenu des crédits disponibles au regard du nombre de titres éligibles à l'échelle européenne. Votre rapporteur pour avis appelle donc de ses voeux la mise en oeuvre d' un système pérenne de compensation à la presse des contenus diffusés par Google . Ce mécanisme devra être pensé de façon à ne pas pénaliser les moteurs de recherche les plus fragiles.

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