C. LE FINANCEMENT DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC EN 2016
1. Une occasion manquée : l'absence de réforme de la CAP
a) La contribution à l'audiovisuel public en 2016
Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit de porter le montant de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) à 137 euros en France métropolitaine et à 87 euros en outre-mer . Cette hausse traduit la prise en compte de l'inflation conformément aux dispositions de l'article 97 de la loi du 30 décembre 1998 de finances rectificatives pour 2008 qui prévoient en particulier l'application d'un arrondi à l'euro le plus proche, la fraction d'euro égale à 0,50 comptant pour 1 . On peut rappeler que la CAP avait augmenté de 3 euros en métropole dans le cadre du PLF 2015 et 1 euro en outre-mer pour atteindre respectivement 136 euros et 86 euros.
Cette hausse limitée de la CAP devrait se traduire par une augmentation du rendement de 60,3 millions d'euros qui se décomposent comme suit :
- 23,4 millions d'euros supplémentaires liés à une augmentation du nombre de redevables estimée à 200 000 foyers (+0,85 %) ;
- 25,1 millions d'euros supplémentaires liées à la hausse du tarif en métropole et en outre-mer pour prendre en compte l'inflation ;
- 8,8 millions d'euros supplémentaires liés à l'effet année-pleine de la hausse du produit de la CAP en 2015 ;
- 3,9 millions d'euros d'économies de frais de trésorerie et de frais de gestion qui devraient par ailleurs rester stables par rapport à 2015.
À noter la déduction de 0,9 millions d'euros à prendre en compte du fait de la diminution des dégrèvements pour droits acquis.
Le montant des exonérations à la CAP devrait être quasiment stable en 2016 avec une hausse de 2 millions d'euros à 719 millions d'euros. Il correspond à trois catégories de redevables : les personnes exonérées de taxe d'habitation, les personnes bénéficiaires d'un droit acquis 3 ( * ) et les personnes dont le montant du revenu fiscal de référence est nul.
Deux dépenses fiscales donnent lieu à compensation par l'État dans le cadre du compte de concours financier :
- le dégrèvement en faveur des personnes de condition modeste qui concernait 3,9 millions de personnes en 2014 pour un coût de 490 millions d'euros en 2015 et de 497 millions d'euros en 2016 ;
- le dégrèvement en faveur des personnes de condition modeste au titre des « droits acquis » 4 ( * ) qui concernait 210 000 foyers en 2014 pour un coût de 39 millions d'euros. La réduction du nombre de bénéficiaires devrait s'accélérer à 124 000 foyers en 2016 pour un coût de 17 millions d'euros.
b) Le report de la réforme de la CAP à une date non précisée
L'évolution des usages de la télévision qui favorise le visionnage de contenus sur des tablettes et des smartphones constitue une menace sérieuse pour le rendement de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) qui repose exclusivement sur la possession d'un téléviseur. Ce taux de possession a commencé à baisser 5 ( * ) ce qui pourrait fragiliser le financement des sociétés de l'audiovisuel public dans les années à venir.
Afin de se prémunir face à cette perspective, une réforme de la CAP est envisagée afin d'en élargir l'assiette . Le rapporteur spécial de la commission des finances, M. Jean-Marie Beffara, la jugeait même urgente dans son rapport de l'année dernière 6 ( * ) . Dans un récent rapport rendu au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale, il a plaidé « en faveur d'une réforme qui s'inscrirait dans une approche neutre du point de vue des supports utilisés pour accéder au service public audiovisuel » 7 ( * ) qui serait inspirée du modèle britannique et se traduirait par un élargissement de l'assiette de la CAP aux tablettes et aux smartphones mais exclurait les postes de radio.
Votre rapporteur pour avis ne considère pas ce projet de réforme comme adapté à l'évolution des usages . L'exclusion de la radio de l'assiette en laissant penser que les contenus de Radio France sont « gratuits » ne répond pas, en particulier, à la nécessité de reconnaître la valeur de l'offre du service public et l'élargissement de l'assiette risque de poser de sérieux problèmes concernant la lutte contre la fraude en particulier le contrôle de la possession d'objets connectés. Il n'en demeure pas moins que votre rapporteur pour avis regrette également le report de la réforme de la CAP qui constitue un facteur de déstabilisation de l'audiovisuel public en général et de France Télévisions en particulier qui se voit attribuer en 2016 une part du produit de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques et lieu et place de la dotation budgétaire.
2. L'article 20 du PLF et la suppression de la dotation budgétaire dès 2016
a) Le dispositif initial de hausse de la « TOCE » de 0,3 point
Le report de la réforme de la CAP a donné lieu au mois de septembre 2015 à un débat au sein du gouvernement sur le moyen d'augmenter les ressources disponibles pour les sociétés de l'audiovisuel public. Si la hausse du tarif de la CAP au-delà de la compensation de l'inflation n'a pas été véritablement envisagée, il n'en est pas de même d'autres pistes comme le retour de la publicité après 20 heures défendue par le ministre des finances, M. Michel Sapin, et l'élargissement de l'assiette de la CAP aux boxes Internet qui semblait avoir la préférence de la ministre de la culture et de la communication, Mme Fleur Pellerin.
Au final, et de manière un peu inattendue puisque cette piste n'avait pas été discutée publiquement, le gouvernement a décidé d'augmenter sensiblement la taxe sur les opérateurs de communication électroniques.
Le paragraphe I de l'article 20 du PLF pour 2016 dans sa rédaction initiale prévoyait d' augmenter d'un tiers le taux de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (« TOCE ») prévue par l'article 302 bis KH du code général des impôts, qui devait ainsi passer de 0,9 à 1,2 % de leur chiffre d'affaires.
La « TOCE » a été créée en 2009 parallèlement à la taxe sur la publicité des chaînes de télévision afin de compenser la baisse des recettes publicitaires de France Télévisions suite à l'interdiction de la publicité après 20 heures. Cette taxe a rapporté 213 millions d'euros en 2014 tandis que le produit de la taxe sur la publicité s'élevait à 15 millions d'euros . La hausse du taux prévue par l'article 20 reviendrait selon le gouvernement à une augmentation du produit de 75 millions d'euros en 2016.
Évolution du montant recouvré au titre
des taxes prévues
par les articles 302
bis
KG et 302
bis
KH du code général des impôts
depuis
2010
(en millions d'euros)
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
|
Taxe 302 bis KG |
18 |
13 |
13 |
14 |
15 |
Taxe 302 bis KH |
251 |
258 |
180 |
254 |
213 |
Total |
269 |
271 |
193 |
268 |
228 |
Source : Direction de la législation fiscale
Alors que le produit attendu des deux taxes (compte tenu de la hausse de la TOCE initiale prévue dans le PLF) peut être estimé à au moins 315 millions d'euros en 2016, seuls 75 millions d'euros issus du produit de la « TOCE » devaient être en réalité affectés à France Télévisions chaque année selon le paragraphe IV de l'article 20, auquel il faut ajouter un reliquat de dotation budgétaire à hauteur de 40,5 millions d'euros.
L'exposé des motifs de cet article précise par ailleurs que « dans un souci d'unification du circuit de financement de ces sociétés, cette nouvelle ressource transitera par le même mécanisme que la contribution à l'audiovisuel public (CAP), permettant ainsi au Parlement d'apprécier dans son ensemble les ressources du secteur de l'audiovisuel public issues des recettes affectées lors de l'examen des crédits du compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public » » 8 ( * ) .
L'article 20 vise également à actualiser, au regard des prévisions de recouvrement de la CAP pour 2016, les données relatives à la CAP inscrites au sein du compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public » et à reconduire le dispositif de garantie de ces ressources pour les sociétés bénéficiaires. Le montant estimé de la CAP s'élèverait ainsi à 3 214,5 millions d'euros en 2016 contre 3 149,8 millions d'euros en 2015.
b) La nouvelle hausse de la TOCE décidée par l'Assemblée nationale
Lors du débat sur l'article 20 le 19 octobre dernier, le rapporteur spécial de la Commission des finances, M. Jean-Marie Beffara, avait déposé deux amendements visant à augmenter les ressources de France Télévisions en accroissant la part de la TOCE affectée au groupe public.
Le premier amendement prévoyait de porter cette part de 75 millions à 115,5 millions d'euros afin de permettre dès 2016 l'extinction des crédits budgétaires à hauteur de 40,533 millions d'euros prévus au programme 313 de la mission Medias. Pour le rapporteur spécial, « cet amendement sera complété en seconde partie du projet de loi de finances par une proposition d'annulation des crédits budgétaires, afin de n'engendrer aucune perte pour le budget de l'État (...) » .
Le second amendement déposé également par le rapporteur spécial proposait quant à lui de porter à 140,5 millions d'euros la part de la TOCE affectée à France Télévisions afin de supprimer la dotation budgétaire comme précédemment mais également de prévoir de surcroît « une augmentation des ressources en faveur de France Télévisions à hauteur de 25 millions d'euros » . Pour M. Beffara, cet amendement propose « de couvrir, grâce à la taxe sur les opérateurs de communication électronique, 50 % du déficit prévisionnel. À charge pour France Télévisions de poursuivre les économies structurelles nécessaires afin de permettre un retour rapide à l'équilibre » .
Lors du débat en séance publique, le gouvernement a déposé un amendement finalement adopté par l'Assemblée nationale visant à « renforcer l'indépendance financière de France Télévisions en anticipant d'un an l'extinction de sa dotation budgétaire, initialement prévue en 2017 » mais également à apporter un soutien supplémentaire à France Télévisions à hauteur de 25 millions d'euros comme le proposait le second amendement du rapporteur spécial. L'amendement gouvernemental propose ainsi d'accroître de 65,5 millions d'euros l'affectation de la taxe sur les opérateurs de communication électronique à France Télévisions et de diminuer à hauteur de 40,5 millions d'euros sa dotation budgétaire.
Cependant, alors que l'amendement de M. Beffara se limitait à accroître le montant de l'affectation de la TOCE à France Télévisions en réduisant, par voie de conséquence, la part restant pour l'État, l'amendement du gouvernement prévoit d'augmenter de 0,1 point le taux de la TOCE ainsi porté à 1,3 % afin de dégager un rendement additionnel de 25 millions d'euros .
Au final, le produit de la TOCE devrait s'élever en 2016 à 325 millions d'euros dont seulement 140,5 millions d'euros affectés à France Télévisions.
Une nouvelle hausse de la « TOCE »
vécue comme une « provocation »
La nouvelle hausse de la « TOCE » de 0,1 point afin de réduire de moitié le déficit de France Télévisions à 25 millions d'euros a été vécue difficilement par les opérateurs de télécommunications. M. Didier Casas, président de la Fédération française des télécoms (FFT) qui regroupe Orange, Numéricâble-SFR et Bouygues Telecom a déclaré que « le gouvernement persévère dans l'erreur (...) après une première hausse et vient de nouveau faire les poches de l'industrie des telecoms malgré des engagements pris au plus haut sommet de l'État » . Il rappelle par ailleurs que « les entreprises du secteur ont dû se transformer et faire des économies, parfois au prix de lourds sacrifices, notamment de la part des salariés et on leur fait encore compenser l'absence de transformation de la télévision publique » . |
On peut rappeler que le produit de la TOCE au taux inchangé de 0,9 % s'élèverait en 2016 à 225 millions d'euros ce qui aurait suffi à financer les crédits affectés à hauteur de 140,5 millions d'euros à France Télévisions. Si l'on ajoute aux 184,5 millions d'euros de TOCE dont l'État conservera le bénéfice les 15 millions de taxe sur la publicité qu'il perçoit par ailleurs, ce sont près de 200 millions d'euros qui sont détournés de la vocation originelle des deux taxes créées en 2009.
c) La position de votre rapporteur pour avis
Votre rapporteur pour avis estime que l'argument du renforcement de l'indépendance du financement de France Télévisions grâce à l'affectation d'une part de la TOCE au travers du compte de concours financier ne saurait être considéré comme pleinement satisfaisant car il n'offre, en réalité, aucune véritable garantie. Certes, l'affectation du montant est présentée comme étant une disposition pérenne mais elle peut être modifiée en loi de finances sans difficulté. On ne peut pas considérer, dans ces conditions, qu'elle présente le même niveau de garantie que la contribution à l'audiovisuel public qui est, par nature, consacrée au financement de l'audiovisuel public.
À noter que lors du débat à l'Assemblée nationale, la ministre de la culture a rappelé que « cette année, il était difficile de mettre en oeuvre des réformes tenant à l'assiette ou à la modernisation de cette contribution à l'audiovisuel public parce qu'il y a un engagement fort du Gouvernement et du Président de la République de ne pas alourdir la charge fiscale qui pèse sur les foyers français. Cette réflexion est pourtant toujours en cours . Elle est conforme à l'évolution des usages que nous constatons aujourd'hui dans les accès à la culture de manière générale. Nous continuons donc à y travailler » . Or cet engagement de ne pas augmenter les prélèvements ne devrait pas être complètement respecté dans son esprit puisque la hausse de la TOCE pourrait avoir pour conséquence - au moins pour partie - une hausse des tarifs des opérateurs de communication ce qui reviendra à réduire le pouvoir d'achat des Français .
Votre rapporteur pour avis a souhaité connaître l'avis de la présidente de France Télévisions, Mme Delphine Ernotte-Cunci sur le fait de savoir si la hausse de la « TOCE » pouvait être considérée comme une alternative à une réforme de la CAP. Sa réponse lors de son audition par votre commission n'a laissé aucun doute : « S'agissant de la ressource, l'amendement est plutôt conjoncturel , même si, à l'origine, la taxe Copé visait à compenser le manque à gagner consécutif à la suppression de la publicité après 20 heures. Que ce dispositif soit pérenne ou non, il ne remet pas en cause le régime de la CAP. Aux États-Unis, le nombre de téléviseurs a baissé de 10 % en deux ans et en France la tendance va dans le même sens » 9 ( * ) .
Dans ces conditions, le Sénat a supprimé la hausse de la TOCE lors de l'examen de l'article 20 en adoptant le 25 novembre un amendement du rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier. Votre rapporteur pour avis a fait adopter un sous-amendement, cosigné par la présidente de notre commission, Mme Catherine Morin-Desailly, à l'amendement du rapporteur général, qui maintient l'affectation de 140,5 millions d'euros à France Télévisions.
* 3 Ce régime concerne les contribuables qui n'étaient pas assujettis à la CAP avant la réforme de 2005 et qui le seraient devenus en raison de leur assujettissement à la taxe d'habitation.
* 4 L'article 56 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 a prolongé définitivement ce régime dit des « droits acquis » qui concerne des personnes âgées de plus de 65 ans non imposables et des foyers dont l'un des membres est handicapé, sous certaines conditions.
* 5 En 2014, 96,2 % des foyers étaient dotés d'au moins un téléviseur soit une baisse de 1,9 point en un an.
* 6 Dans son rapport spécial de cette année n° 3110 annexe 32, p. 41, M. Jean-Louis Beffara a souhaité « alerter de nouveau le Gouvernement sur la nécessité de procéder dès que possible à la réforme de l'assiette de la CAP, afin de ne pas engendrer une sortie progressive de l'assiette d'un nombre croissant de foyers ».
* 7 « Un modèle économique de l'audiovisuel public adapté au 21 ème siècle », rapport d'information n° 3098 de la commission des finances de l'Assemblée nationale, M. Éric Woerth, président, et M. Jean-Marie Beffara, rapporteur, p. 57 et suivantes.
* 8 Projet de loi de finances pour 2016 n° 3096 (AN), p. 85.
* 9 Audition par votre commission le 5 novembre 2015, http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20151102/cult.html#toc5