EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 25 novembre 2015, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016, sur le rapport de MM. Jacques Gautier, Daniel Reiner et Xavier Pintat, rapporteurs pour avis .

Après l'exposé des rapporteurs, un débat s'est engagé.

M. Robert del Picchia. - Lors du débat du Sénat qui s'est tenu, hier, en séance publique, sur les amendements présentés par notre commission et la commission des finances visant à maintenir le plafonnement de la décote dite « Duflot » que nous avions introduit dans la loi du 28 juillet 2015 d'actualisation de la LPM, le secrétaire d'État au budget s'est engagé à ce que la prévision de 32 milliards d'euros pour le budget 2016 de la défense soit scrupuleusement respectée.

M. Jean-Marie Bockel. - Dans le contexte de la montée en puissance de la menace, le respect des engagements pris pour le budget de la défense est essentiel. La question de l'évolution de l'opération « Sentinelle » est posée : ses modalités d'organisation, en renfort des forces de sécurité, ne doivent pas conduire à amputer nos capacités de défense au sens strict. Il est heureux que l'on s'apprête à mieux mobiliser les capacités de la réserve opérationnelle, mais le projet de « garde nationale » évoqué par le Président de la République, lors de son allocution devant le Congrès du Parlement, le 16 novembre dernier, reste flou. Il me semblerait opportun que notre commission engage une réflexion sur le sujet, compte tenu de l'importance qu'il est susceptible de revêtir dans les prochains mois.

Une question sur le fusil qui doit succéder au FAMAS : la possibilité qu'une entreprise française participe au programme a été mentionnée ; quelle forme cette participation prendrait-elle ? Dans le même ordre d'idée, quelle est la capacité française pour la fabrication de munitions ?

M. Hubert Falco. - Je risque de doucher l'enthousiasme des rapporteurs, mais dès lors que nous sommes en guerre, l'augmentation du budget de la défense dont ils ont fait état pour 2016 me paraît nettement insuffisante... J'entends que l'effort sera accentué à partir de 2017, mais c'est aujourd'hui que nous sommes en guerre : des moyens exceptionnels devraient donc se trouver dégagés dès cette année !

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Je rappelle que les paramètres de l'équation financière actuellement prévue pour la défense ont été réglés avant les attentats du 13 novembre dernier. Leur réévaluation est en cours, la situation est éminemment complexe ; mais ne doutons pas que la pression de Bercy demeure pour maintenir la contrainte budgétaire. Cela dit, nous mesurons tous l'importance de l'enjeu de sécurité du pays qui s'attache à cette réévaluation des moyens dont notre défense doit disposer.

M. André Trillard. - Si le budget de la défense n'a pas été écorné pour la fin de gestion 2015, d'autres budgets en lien avec la sécurité l'ont été ; je pense en particulier à la justice.

Par ailleurs, je m'interroge sur la logique de nos collègues députés qui, en juillet dernier, avaient voté notre initiative de limiter la décote « Duflot » praticable sur les ventes immobilières du ministère de la défense et, dans le PLF 2016, sont revenus, avec l'accord du Gouvernement, sur cette mesure qui avait fait consensus...

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Les amendements de notre commission et de la commission des finances qui tendent à maintenir ce plafonnement de la décote ont été adoptés, hier, par le Sénat.

M. Yves Pozzo di Borgo . - J'ai défendu cet amendement au nom de notre commission. Le secrétaire d'État au budget a clairement indiqué que, si les ventes d'immeubles du ministère de la défense devaient donner lieu à un produit plus important que les recettes prévues, à ce titre, par la LPM, l'excédent ne bénéficierait pas à la défense mais serait reversé au budget général. Il est donc important que nous réfléchissions à des recettes futures au profit de la défense ; j'ai formulé des propositions en ce sens, en demandant un meilleur retour sur le soutien à l'exportation que fournissent nos armées.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Le plus important reste d'obtenir les crédits budgétaires permettant à nos forces d'accomplir les missions qui sont exigées d'elles. Je crois qu'il ne faut pas chercher de nouvelles formes de recettes exceptionnelles pour la défense, alors que nous avons milité pour la disparition de ces REX dans l'actualisation de la LPM, afin de sécuriser la trajectoire financière de celle-ci.

M. Cédric Perrin . - Les tragiques évènements récents permettent de régulariser, en quelque sorte, la situation de nos armées : elles ne savaient pas réduire davantage leurs effectifs... Cependant, à la suite des annonces du Président de la République au Congrès, je m'interroge sur la manière dont vont être financés, désormais, les équipements dont la dépense était « gagée » par la déflation.

L'évolution du contexte intérieur et international conserve-t-il du sens à la programmation militaire ? Je note en particulier que deux années blanches sont prévues en matière de livraison de Rafale, et que le porte-avions Charles-de-Gaulle, aujourd'hui en Méditerranée orientale, sera bientôt immobilisé par son deuxième arrêt technique majeur...

Enfin, je rejoins Xavier Pintat quant à la nécessité de préserver notre dispositif de dissuasion au niveau d'excellence qui est aujourd'hui le sien. Des choix importants devront être faits, dans les prochaines années, en ce domaine.

Mme Nathalie Goulet . - Pour soutenir les efforts actuellement déployés par la France afin de lutter contre le terrorisme, quelle coopération avec nos partenaires européens, ou quelle contribution, sous une forme ou une autre, est-elle prévue ? J'aimerais que l'on nous donne des réponses claires, à cet égard.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Il faudra, en effet, que ces réponses soient apportées, alors que la demande a été formulée, en direction de nos partenaires, au plus haut niveau de l'État, avec la mise en oeuvre de l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne.

M. Jean-Paul Emorine . - Je souscris bien entendu à l'idée que le renforcement de notre défense est nécessaire. Je voudrais cependant appeler l'attention sur la nécessité de préserver, en même temps que notre souveraineté militaire, notre souveraineté économique. Chaque année, la France emprunte, pour financer son budget, l'équivalent du double du budget de la défense ! En l'absence de croissance, c'est une situation qui comporte des risques substantiels pour l'avenir de notre pays. Nous devons conserver à l'esprit ces enjeux de moyen et long termes.

M. Jacques Legendre . - Je ne suis pas certain que nos objectifs de politique étrangère soient véritablement en phase avec nos moyens militaires. Avons-nous les moyens de nos ambitions ? Pouvons-nous dégager, malgré la situation économique du pays et la situation financière de l'État, des moyens militaires plus importants que ceux qui existent ?

Le coeur de ces moyens militaires est constitué par la dissuasion nucléaire. A-t-on bien atteint les objectifs qui étaient prévus en matière de simulation ?

M. Joël Guerriau . - A-t-on toutes les garanties que le coût de l'annulation de la vente des BPC à la Russie sera restitué au budget de la défense ? Le poids budgétaire de l'opération « Sentinelle », et celui des opérations extérieures que l'on intensifie en Syrie et en Irak aujourd'hui, seront-ils soutenables ?

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Au vu du nombre de bombes récemment lâchées sur le sol syrien, on peut en effet s'interroger sur le coût de ces opérations.

M. Jacques Gautier, rapporteur . - Je vais commencer de répondre à ces nombreuses questions.

On peut voir le budget de la défense de notre pays comme le verre à moitié vide ou le verre à moitié plein... Pour atteindre un niveau de dépenses militaires à hauteur de 2 % du PIB, un effort de quatre milliards d'euros supplémentaires serait nécessaire. Actuellement, ce niveau est de 1,7 % du PIB. En tout cas, la couverture des surcoûts d'OPEX a toujours été assurée, jusqu'à présent, dans le cadre des régulations budgétaires de fin d'année, par la solidarité interministérielle. Le surcoût de l'opération « Sentinelle », de même, est financé pour 2015. Pour la suite, je rappelle que notre commission a été à l'initiative de l'introduction dans la LPM, par la loi du 28 juillet 2015, d'un article 4-1 prévoyant qu'un bilan opérationnel et financier des opérations intérieures soit effectué par le Gouvernement ; il est expressément demandé que le premier bilan de cette nature, en 2016, précise les conditions dans lesquelles les surcoûts en la matière peuvent faire l'objet d'un financement interministériel.

L'amendement défendu au nom de notre commission, hier, par Yves Pozzo di Borgo, et adopté par le Sénat, tend bien à rétablir le vote du Parlement qui visait, dans la loi d'actualisation de la LPM de juillet dernier, à sécuriser les ressources de la défense devant provenir de cessions immobilières, en plafonnant à 30 % la décote « Duflot » sur ces ventes.

Le gel de la diminution des effectifs de la défense annoncé par le Président de la République impactera nécessairement les années 2017 et suivantes, jusqu'en 2019 - années pour lesquelles une diminution nette de postes du ministère de la défense était jusqu'à présent programmée, au total, à hauteur de 9 218 équivalents temps plein. Cette période sera d'ailleurs lourde d'enjeux pour l'ensemble de la trajectoire financière de la programmation militaire : la plus grande part de l'effort budgétaire y a été concentrée ; l'arrêt de la déflation d'effectifs va accroître cette tendance ; des décisions majeures seront à prendre dans le domaine de la dissuasion... Le prochain président de la République, quel qu'il soit, devra faire face à ces enjeux. Il entre dans notre rôle, je crois, d'éclairer les futurs candidats au poste !

La réalisation d'un livre blanc en matière de défense implique, soit de partir de l'analyse des menaces, pour définir en conséquence les missions des forces armées, puis les moyens qui doivent être donnés à celles-ci, soit de partir des moyens disponibles pour définir les objectifs militaires possibles. Notre Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 constitue un compromis entre ces deux approches. Les moyens, jusqu'à présent, répondaient à peu près à nos besoins, au vu des menaces identifiées ; mais les derniers évènements ont mis en évidence la nécessité de réajuster cet équilibre.

La recherche d'appuis européens à l'effort de défense actuellement soutenu par la France est en cours. Je rappelle que Jean-Pierre Raffarin, premier ministre, avait cherché à obtenir que les dépenses d'opérations extérieures soient soustraites du calcul du déficit « maastrichien ». Le nouveau contexte pourrait être de nature à faire prospérer cette proposition...

La livraison des Rafale à la France reprendra à partir de 2019. L'avionique de l'appareil, à cette date, devrait avoir été améliorée.

Dans le domaine des munitions, la France, depuis une quinzaine d'années, a renoncé à la production de petit calibre ; notre pays se concentre sur les calibres à partir des canons de 20 millimètres. Nous importons ces munitions, qui peuvent être produites à moindre coût ailleurs.

M. Xavier Pintat, rapporteur . - Toutes les observations qui ont été soulevées n'appellent pas nécessairement de réponse au plan technique. Je reviendrai seulement sur le programme de simulation qui soutient notre dissuasion.

Ce programme a permis de garantir, sans nouvel essai nucléaire, la tête nucléaire aéroportée (TNA) du missile ASMP-A et la tête nucléaire océanique (TNO) du missile M51. Il est constitué d'un ensemble cohérent d'investissements : des supercalculateurs - j'ai évoqué la commande du TERA 1 000 ; une installation de radiographie éclair, sur le site de Valduc ; enfin, le laser mégajoule, mis en service en 2014. Le programme se déroule conformément au calendrier prévu, et les résultats sont satisfaisants. En particulier, comme je l'ai indiqué, le dernier essai du M51, le 30 septembre dernier, a été un succès.

Pour le reste, je pense que le développement d'une réflexion de notre commission en ce qui concerne la réserve opérationnelle est une bonne idée.

M. Daniel Reiner, rapporteur . - C'est dans le cadre de l'adaptation au programme FÉLIN qu'une entreprise française pourrait être associée au programme AIF de renouvellement du FAMAS.

Comme je l'ai indiqué, le remboursement au programme 146 du coût net de l'annulation de la vente des Mistral à la Russie est assuré par le PLFR. De son côté, la société DCNS attend l'indemnisation que la COFACE doit lui verser au titre de cette opération.

Que notre politique de défense ne soit pas trop déconnectée de nos moyens militaires, ce fut tout l'exercice de rédaction du Livre blanc de 2013 ! À cet égard, je rappelle la formule du chef d'état-major des armées : le costume a été taillé « au plus juste »... Dans ce contexte, il était important que le plafonnement de la décote « Duflot » soit rétabli, par le Sénat, au bénéfice des cessions immobilières du ministère de la défense. Nous attendons encore de connaître les concours qui seront proposés à la France dans le cadre de l'activation de la clause de solidarité prévue par l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne.

La mise en garde de Jean-Paul Émorine est celle de la sagesse. Ce sont les termes d'un débat pour le prochain Livre blanc... Celui-ci devra évidemment comporter un volet consacré à la réserve opérationnelle. Le sujet avait déjà été débattu en 2013 ; une loi spéciale avait été envisagée, sans suite. Mais je rappelle que notre commission a d'ores et déjà produit un remarquable travail, dans ce domaine, dès 2010, sous la forme du rapport d'information de nos collègues Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam. Nous avons entendu la volonté du chef d'état-major des armées d'aller de l'avant en la matière, et je pense que le rapport du Gouvernement, à venir, sur la doctrine d'emploi et le cadre juridique des missions des forces armées sur le territoire national, devrait comporter des développements sur cet aspect.

M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Compte tenu des circonstances, notre commission pourrait en effet mettre l'accent, en 2016, non seulement sur la réalisation d'un bilan des OPEX, mais aussi sur les opérations intérieures. Ces travaux incluraient les questions relatives à la réserve et à la « garde nationale », sans perdre de vue les investissements importants qui, à compter de 2017, devront être réalisés, notamment, pour la dissuasion nucléaire - c'est-à-dire l'avenir de notre dispositif de défense, lequel, bien sûr, s'étend au-delà des opérations en cours.

À titre personnel, j'ai émis des réserves, récemment, sur l'emploi du mot guerre, pour qualifier la situation actuelle. Mais il est vrai que nous sommes en présence d'actes de guerre. En tout cas, si l'on est en guerre, il doit y avoir des sacrifices en conséquence ; si guerre il y a, elle se fait à Paris comme à Raqqa, et avec notre budget comme avec nos armées. Des choix doivent nécessairement être faits ; les efforts financiers - et je rejoins ici Jean-Paul Émorine - ne pourront être construits sur le seul recours au déficit. Je pense que cette lucidité est impérative, dans une éthique de responsabilité.

Mme Nathalie Goulet . - Les orientations qui ont été proposées pour les travaux de la commission recueillent l'approbation de mon groupe.

À l'issue de la même réunion, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense » inscrits dans le PLF 2016 .

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