C. LES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES NATIONALES DE MILITAIRES (APNM)
La loi 2015-947 du 28 juillet 2015 10 ( * ) actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 fait naître le droit nouveau pour les militaires de créer et d'adhérer librement à une association professionnelle nationale de militaires (APNM) dont l'objet exclusif est « la préservation et la promotion des intérêts des militaires en ce qui concerne la condition militaire ». Cette même loi donne une définition de la condition militaire comme étant « l'ensemble des obligations et des sujétions propres à l'état militaire, ainsi que les garanties et les compensations apportées par la Nation aux militaires » 11 ( * ) .
Intervenant à la suite de deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme condamnant la France au motif que la Cour a considéré que « l'interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d'y adhérer », qui figure à l'article L. 4121-4 du Code de la défense, portait atteinte à la liberté d'association protégée par l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, liberté qui comprend le droit de fonder des syndicats et de s'y affilier, le nouveau régime des APNM vise à mettre la législation française en conformité avec celle-ci.
Ce régime s'inspire très largement des propositions formulées par M. Bernard Pêcheur, président de la section de l'administration du Conseil d'Etat 12 ( * ) , dans un rapport remis au président de la République le 18 décembre 2014.
La réforme instaurée consiste à autoriser la création d'associations professionnelles sui generis , la création et l'adhésion à des syndicats au sens du code du travail demeurant interdite.
Ces associations seront exclusivement nationales et auront pour objet exclusif la préservation et la promotion des intérêts des militaires en ce qui concerne la « condition militaire » , dont la loi donne une définition en des termes excluant notamment les questions d'organisation des armées .
Chacune de ces associations sera ouverte à tout militaire , quel que soit son grade, ses fonctions ou son sexe, appartenant au moins à l'une des trois armées ou service de soutien interarmées ou formation rattachée. Y seront admis les réservistes, les personnels civils détachés dans les forces armées à l'exclusion des anciens militaires.
L'activité des APNM est strictement encadrée par la loi : ainsi, ces associations ne peuvent porter atteinte aux valeurs républicaines ni aux principes fondamentaux de l'état militaire ni à l'ensemble des obligations s'imposant aux militaires (disponibilité, loyalisme, neutralité, discipline...) ni ne doivent s'immiscer dans la définition de la politique de défense et les choix opérationnels.
Les associations sont également tenues à une obligation d'indépendance et ne pourront constituer des unions ou fédérations qu'entre elles.
Les APNM disposeront par ailleurs d'un certain nombre de moyens d'action et d'expression, dont certains sont prévus par la loi tandis que d'autres relèveront de la partie règlementaire du code de la défense :
- le droit d'agir en justice pour demander l'annulation d'actes réglementaires relatifs à la condition militaire et de décisions individuelles dans la mesure où elles portent atteinte aux intérêts collectifs de la profession, à l'exclusion des mesures d'organisation des services afin de prévenir tout risque de déstabilisation ;
- le droit de se constituer partie civile dans le cas où les APNM subiront un préjudice direct ;
- le droit de se réunir et de s'exprimer publiquement et en interne ;
- le droit de faire valoir leur position auprès des autorités ministérielles et du commandement et de saisir l'inspection générale des armées.
Resteront bien entendu interdites la grève, les manifestations sur la voie publique et les pétitions.
Certaines des APNM pourraient en outre être reconnues représentatives afin de participer au dialogue institutionnel. Cette représentativité est conditionnée au respect de certaines conditions de transparence financière et d'ancienneté (un an minimum) et de certains critères d'influence et d'audience (nombre et diversité des adhérents, niveau des cotisations).
Les APNM représentatives se voient ainsi reconnaître des droits et facilités supplémentaires :
- être reçues périodiquement par le chef d'état-major ou le directeur compétent (ou par le ministre et le chef d'état-major des armées pour les associations représentatives au niveau interarmées) ;
- siéger dans les organes délibérants des établissements publics et organismes nationaux intervenant dans le champ de la condition militaire (Caisse nationale militaire de sécurité sociale, IGESA...) ;
- être entendues par le Haut conseil d'évaluation de la condition militaire ;
- disposer d'un local propre ;
- bénéficier d'un crédit de temps majoré pour leur président ;
- bénéficier d'un crédit d'impôt sur le revenu pour les adhérents au titre des cotisations versées (article 8 du projet de loi).
Les APNM représentatives au niveau de trois armées et de deux formations rattachés pourront en outre participer au Conseil supérieur de la fonction militaire ( CSFM), instance de concertation du niveau ministériel. A l'initiative de votre commission, leur participation aux conseils de la fonction militaire (CFM) n'a en revanche pas été admise.
La création du régime des APNM s'accompagne en effet d'une réforme du dispositif de concertation préexistant.
Une évolution majeure réside dans l'extension du champ de compétence du CSFM . Auparavant, cette instance s'exprimait sur les textes réglementaires d'application du livre I er du code de la défense ayant une portée statutaire. Désormais, le CSFM exprime son avis sur les questions de caractère général relatives à la condition militaire et doit être saisi des projets de loi modifiant le présent livre et des textes d'application de ce livre ayant une portée statutaire, indiciaire ou indemnitaire .
La loi prévoit également qu'une représentation du CSFM sera appelée à s'exprimer, chaque année, devant le HCECM et pourra en outre demander à être entendue par loi sur toute question générale intéressant la condition militaire.
Ainsi, le CSFM doit évoluer en une instance permanente et professionnalisée.
Les conseils de la fonction militaire (CFM), instances de concertation placées au niveau du chef d'état-major d'une force armée ou directeur d'une formation rattachée, voient quant à eux leur champ de compétences recentré. Ils ne sont plus tenus de procéder à une étude de l'ensemble des questions inscrites à l'ordre du jour du CSFM, ce qui les contraignait à être des « pré-CSFM » au lieu de se concentrer sur les questions intéressant leur armée ou service. Ils pourront ainsi mieux maîtriser leur ordre du jour.
Enfin, la loi modifie les modes de désignation des membres du CSFM et des CFM, en complétant la mention du « tirage au sort » par celle de l'« élection ». Si les membres du CSFM étaient déjà pour l'essentiel élus parmi les membres des CFM, les membres des conseils de la fonction militaire étaient en revanche désignés par voie de tirage au sort « parmi les militaires ayant fait acte de volontariat au sein d'une population déterminée pour chaque armée ou formation rattachée » (art. R 4124-1 du code de la défense).
Il s'agit donc de renforcer la légitimité des CFM en prévoyant à terme l'élection de leurs membres.
Par ailleurs, deux nouveaux CFM sont créés, pour les deux corps militaires des commissaires des armées et des ingénieurs militaires d'infrastructures, afin de tenir compte des évolutions de l'organisation interne du ministère.
Ce nouveau dispositif sera mis en place progressivement et sera pleinement effectif au terme du délai de 18 mois prévu par la loi du 29 juillet 2015, soit au mois de janvier 2017.
Des décrets d'application, visant notamment à préciser notamment les seuils d'effectifs permettant de déterminer la représentativité d'une APNM, sont en cours d'examen par les CFM et le CSFM et devraient être signés avant la fin de l'année.
Pour l'heure, selon les informations communiquées par le directeur des ressources humaines du ministère de la défense, une seule APNM s'est pour l'instant constituée : il s'agit de l'association Association professionnelle nationale des militaires de la gendarmerie du XXIème, dite GEND XXI. Ses statuts ont été déposés en préfecture et le ministère de la défense a donné son agrément à l'association. Cette association pourrait prochainement créer une fédération avec d'autres associations des armées.
L'association de défense des droits des militaires-gendarmerie (ADEFDROMIL) est également en train de se constituer sous la forme d'une APNM.
* 9 Les volontaires techniciens (VT), assistant les VS dans des fonctions de formation ou de soutien, sont rattachés à la catégorie des volontaires des armées ; ils perçoivent une solde mensuelle.
* 10 Publiée au journal officiel du 29 juillet 2015.
* 11 Article L.4111-1 du code de la défense (loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015).