N° 150
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 décembre 2014 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (procédure accélérée),
Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; MM. Jean-Claude Carle, David Assouline, Mmes Corinne Bouchoux, Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Claudine Lepage, Colette Mélot, M. Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Françoise Férat, Dominique Gillot, M. Jacques Grosperrin, Mme Sylvie Robert, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Mmes Marie-Christine Blandin, Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Gilbert Bouchet, Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, MM. Joseph Castelli, François Commeinhes, René Danesi, Jean-Léonce Dupont, Mme Nicole Duranton, MM. Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Mme Samia Ghali, M. Loïc Hervé, Mmes Christiane Hummel, Mireille Jouve, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Pierre Leleux, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Jacques-Bernard Magner, Christian Manable, Philippe Marini, Mmes Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Jean-Jacques Panunzi, Cyril Pellevat, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, MM. Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Abdourahamane Soilihi, Hilarion Vendegou . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
636 (2013-2014), 140 , 154 , 157 , 174 et 175 (2014-2015) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Dans un contexte général de crise économique profonde et durable, de désillusion quant à la portée de l'action des pouvoirs publics, État et collectivités territoriales, sur le terrain, chacun s'accorde sur l'importance de faire évoluer notre pays vers une simplification de son organisation territoriale. Depuis quelques années, plusieurs textes ont ainsi été débattus et votés au Parlement : la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, la loi MAPTAM traitant exclusivement de la question des métropoles, le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. On notera que ce projet de loi n'est pas un nouveau texte de décentralisation à proprement parler.
Pour être pertinente, la réforme aurait dû intégrer un préalable qui est la réforme de l'État lui-même, qui doit repenser son rôle, ses missions pour que puissent être appréhendées les politiques territoriales de la culture et du sport mêmes.
Il est en effet difficile de parler d'approfondissement de la décentralisation, de répartition des compétences entre collectivités territoriales, régions, départements, établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre, métropoles, agglomération ou communautés de communes sans que l'État n'ait, d'abord, réaffirmé dans la loi ce qui relevait de lui.
Ainsi, dans ce projet de loi, il n'est question que de répartition de compétences entre collectivités territoriales. Même si elle n'a pas vocation à traiter de cette réforme de fond dans son ensemble, votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication ne pouvait rester absente de ce débat.
Elle s'est donc saisie pour avis des dispositions du projet de loi relatives à la culture, au sport, à la vie associative ainsi qu'à l'éducation. Mais, à travers ces compétences, ce sont bien des enjeux généraux qui se posent : le projet de loi qui nous est soumis ne saurait être élaboré comme un texte désincarné, sans tenir compte des intérêts de chacun, en particulier, en ce qui nous concerne, des jeunes et de leurs familles, des publics concernés mais également, que ce soit dans le domaine du sport comme de la culture ou de la jeunesse, des millions de bénévoles qui font vivre nos associations sur nos territoires au bénéfice de tous.
Mais avant d'étudier les détails de la nouvelle organisation territoriale de la France, de traiter de la répartition des compétences entre collectivités, de dresser le cadre institutionnel propre à répondre aux défis de l'avenir, dont la révolution numérique qui bouleverse notre manière de vivre, de travailler, de communiquer, d'apprendre et de nous informer, on rappellera les enjeux de la réforme. Ceux-ci figurent en page 3 du projet de loi :
• moderniser en profondeur notre organisation
territoriale ;
• armer le pays pour mieux
résister ;
• soutenir le progrès ;
• garantir la cohésion entre les hommes
et les territoires ;
avec pour objectifs de :
• clarifier notre organisation territoriale, la
rendre plus lisible ;
• donner de la cohérence à
l'action publique ;
• faire en sorte que chaque euro
dépensé soit pleinement efficace au service de nos
concitoyens.
Parmi les enjeux, compte tenu des sujets que nous avons à traiter, éducation, culture, sport, qui relèvent davantage de l'être que de l'avoir, il faudrait ajouter le nécessaire approfondissement du lien entre démocratie et culture. Il conviendrait en effet que la réforme soit l'occasion de veiller à corriger les inégalités sociales et territoriales en la matière. On notera que l'application de la réforme des « nouveaux rythmes scolaires » a été pour les élus l'occasion de s'interroger sur l'égal accès de nos jeunes concitoyens, à travers les activités périscolaires, à un certain nombre de pratiques.
Ce projet de loi a été également l'occasion de mesurer la crainte des élus locaux face au phénomène de « métropolisation », entraînant un déséquilibre toujours plus grand entre territoires urbains conquérants et territoires ruraux abandonnés, entre pôles connectés gagnants et les autres.
On notera qu'avec la réforme on va vers un éloignement des instances de décision par rapport au citoyen, la commune vers l'intercommunalité élargie, certaines intercommunalités vers une métropole ; les régions changent de dimension et l'État, lui, connaît de grandes tensions, ses politiques se définissant indirectement à un échelon plus haut qu'est l'échelon européen. Il faut prendre garde que ce phénomène irréversible, la loi ne l'accentue et ainsi prévoir des correctifs à des effets plausibles. En clair, la Conférence territoriale de l'action publique (instaurée par la loi MAPTAM) ne saurait être le seul instrument des régions toutes puissantes.
L'enjeu sera également de sécuriser les formidables acquis dans les domaines concernés, permis par trente ans de décentralisation et d'implication progressive des collectivités territoriales. À cet égard, le contexte très contraignant de la crise des financements publics invite à une responsabilisation collective et à des choix pragmatiques.
Dès lors, pour être réussie, la réforme repose sur deux conditions :
- la réforme territoriale devra s'accompagner d'une réforme du financement des collectivités leur garantissant leur autonomie ;
- la réforme devra, au-delà des évolutions retenues dans les domaines qui nous concernent, s'accompagner d'un certain nombre de lois cadres (patrimoine et architecture, création et spectacle vivant, enseignements artistiques, sport...).
À cet égard, votre commission de la culture regrette le retard, voire l'abandon de plusieurs textes qui auraient pu porter cette évolution. Ainsi, annoncée pour 2013, la loi sur le patrimoine n'a toujours pas vu le jour. Notamment destinée à mettre en oeuvre certaines préconisations du rapport de M. Pierre Lescure sur l'acte II de l'exception culturelle, le projet de loi relatif à la création a été lui aussi remis à plus tard. La loi-cadre sur le sport, qui semblait en voie de finalisation, n'est plus à l'ordre du jour.
D'autres dispositions contenues dans le projet de loi de finances pour 2015, notamment en matière d'enseignement spécialisé, marquent un recul inquiétant sans que, jusqu'à présent, aucune proposition n'ait été faite pour pallier celui-ci. À travers ces exemples, on le voit, le risque de désengagement de l'État est réel.
Si la nouvelle organisation territoriale passe par la redéfinition, la clarification et la répartition de compétences entre collectivités dont l'État lui-même, condition indispensable à la lisibilité, à l'efficacité de l'action publique, elle doit avant tout remettre l'homme au coeur de l'action publique.
Les débats de votre commission de la culture ont en effet montré l'étendue des craintes d'un éloignement supplémentaire d'une réforme technocratique déconnectée des réalités de terrain. Cette réforme mérite mieux aussi que des études d'impact insuffisantes ou des décisions dont le bien-fondé n'aura pas été vérifié. Aussi, en matière d'éducation, le transfert de « la compétence de gestion » des collèges des départements aux régions engendrerait des économies, mais nul ne peut citer le moindre chiffre à l'appui de cette démonstration. De même, qui pourrait croire que le transport scolaire sera mieux assuré quand il sera pris en charge par la région ?
La structure actuelle d'enchevêtrement des compétences est, on le sait, source de complexité. Les acteurs de la vie locale, à l'instar des intervenants culturels ou des porteurs de projets associatifs, s'épuisent à solliciter plusieurs partenaires qui ont tendance, chacun, à apprécier la validité du projet au nombre de ses financeurs. Pour autant, dans les domaines de la culture et du sport, le projet de loi ne met pas en place une répartition des compétences entre niveaux de collectivités. Au contraire, depuis la loi de 2010, la compétence a été réaffirmée comme partagée. Cette organisation est revendiquée mais suscite en même temps beaucoup d'interrogations chez les acteurs de terrain et associations d'élus, quelle que soit la taille des collectivités concernées. Au cours des tables rondes tenues par votre commission de la culture, le débat s'est focalisé sur la notion de partage : chacun pourra-t-il continuer à tout faire ? Cette compétence partagée devrait-elle être également obligatoire ?
Dans un contexte de réduction drastique parfois des interventions de certaines collectivités, le débat pourrait paraître superflu : sans qu'aucune modification ne soit apportée à la répartition des compétences, le retrait du soutien d'une collectivité à une manifestation, un festival ou au fonctionnement d'un grand équipement constitue, en effet, déjà une forme de clarification des compétences par défaut. Le risque, malgré tout, est que, si la loi ne précise pas quelles pourraient être les conditions d'une articulation consentie des compétences permettant la simplification et la structuration des politiques concernées qui font aujourd'hui souvent défaut, des pans entiers de celles-ci ne s'effondrent. Si la compétence est partagée, rien n'interdit, par ailleurs, en effet, de pointer certaines logiques qui devraient prévaloir de manière à lui substituer une « compétence répartie ».
L'examen des modalités de mise en place de la nouvelle organisation territoriale de la République doit donc permettre de tracer une trajectoire pour l'avenir. C'est forte de cette conviction que votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a abordé les dispositions du projet de loi entrant dans son champ de compétences.