D. LA RÉFORME DU MODÈLE DE FINANCEMENT DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : UNE OCCASION MANQUÉE

Le système de répartition des moyens à la performance et à l'activité, dénommé SYMPA, mis en place au 1 er janvier 2009 en remplacement de l'ancien modèle d'allocation du nom de « San Remo », s'est interrompu brutalement en 2011, au moment où les moyens supplémentaires en faveur de l'enseignement supérieur ont fait défaut, ne permettant plus le rattrapage des établissements historiquement sous-dotés sans pénaliser les établissements identifiés jusqu'ici comme mieux dotés par le modèle théorique.

Afin de tenir compte des profonds bouleversements intervenus dans les secteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche, en particulier le passage aux responsabilités et compétences élargies 14 ( * ) (RCE) de l'ensemble des universités, l'expansion des financements sur projet dans le cadre du programme des investissements d'avenir et la mise en oeuvre de regroupements universitaires par fusions ou sous la forme de communautés d'universités et établissements (COMUE) ou d'associations, une réforme du modèle de financement des universités s'est imposée.

C'est pourquoi le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a lancé, en avril 2013, un chantier de refonte du modèle SYMPA, sur la base des travaux d'un comité de pilotage réunissant des représentants du ministère, de la CPU et de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI). Ce comité de pilotage s'est réuni à l'occasion d'une table ronde organisée le 11 décembre 2013 au Sénat par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, dans le prolongement du rapport d'information commun aux commissions des finances et de la culture sur le financement des universités de Mme Dominique Gillot et M. Philippe Adnot 15 ( * ) du printemps 2013.

Comme l'indique le ministère, le nouveau modèle envisagé par ce groupe de réflexion se donne pour objectifs :

- d'articuler plusieurs dimensions - aussi bien en termes de territoires, de structures, de modes de financement - au service des missions de l'enseignement supérieur et de la recherche, de la manière la plus équitable et efficace possible. Dans un contexte d'opérateurs autonomes, il s'agit d'inciter les établissements à déployer leurs stratégies et leurs engagements contractuels, en cohérence avec la stratégie nationale ;

- de permettre à l'État de piloter et réguler le système d'enseignement supérieur et de recherche sur des critères partagés et objectifs. Il doit avoir un caractère incitatif pour les établissements en prenant en compte la dimension de la performance et de la modernisation de l'action publique ;

- d'afficher de manière transparente les différentes composantes des moyens attribués aux établissements.

L'enjeu de la transparence dans l'allocation des moyens est un principe qui anime le ministère dans sa relation aux opérateurs. À titre d'illustration, lors du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) de juin 2013, ont été présentés le bilan et les perspectives de refonte de SYMPA. Les résultats de SYMPA pour chacune des universités et des écoles d'ingénieurs ont été communiqués.

Dans un document de travail en date du 30 septembre 2014, la direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP) a dessiné les contours d'un nouveau modèle d'allocation des moyens aux établissements d'enseignement supérieur, renommé « MODAL ». Les principales évolutions envisagées portent sur :

- l'évolution des indicateurs d'activité et de performance afin de mieux prendre en compte les priorités assignées à l'enseignement supérieur et à la recherche dans le cadre des stratégies nationales. Pour le volet « activité », le périmètre de l'indicateur traditionnel du nombre d'étudiants présents aux examens est clarifié afin de prendre en compte les étudiants induisant une charge de formation et non financés par ailleurs et de ne pas retenir les étudiants se présentant aux examens mais ne représentant aucune charge de formation pour l'établissement dans lequel est effectué l'examen. S'ajouteront d'autres critères, tels que la proportion des moyens consentis par un établissement au budget de projet d'une école supérieure du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ). Pour le volet « performance », devraient être retenus le nombre de diplômés en licence et en master (pondérés en fonction de la durée d'étude), la valeur ajoutée de la réussite (destinée à mesurer l'action de l'établissement pour faire réussir les publics étudiants accueillis en prenant en compte un certain nombre de variables socioprofessionnelles), le taux d'étudiants en apprentissage, le nombre d'heures stagiaires par enseignants (afin d'évaluer l'effort de l'établissement en faveur de la formation continue) et le taux d'inscrits titulaires d'un baccalauréat technologique ou professionnel en diplôme universitaire de technologie ;

- la prise en compte des coûts fixes via un montant forfaitaire, et non plus par l'ajout d'étudiants. Ce montant sera calibré en novembre, sur la base du montant correspondant dans le modèle SYMPA en 2014. Jusqu'ici, les coûts fixes étaient pris en compte dans le modèle SYMPA par l'ajout forfaitaire de 500 étudiants (avant pondération) à chaque université ;

- la prise en compte des COMUE, qui devrait permettre d'allouer des crédits et des emplois pour la création d'une COMUE appelée à gérer en propre une des missions reconnues par le modèle (inscription des étudiants et gestion des formations correspondantes, inscriptions et financement des formations des doctorants, mise en commun d'un laboratoire, gestion d'une ÉSPÉ...) ;

- la poursuite des efforts dans le sens d'un rééquilibrage des moyens entre établissements, de sorte que la dotation réelle notifiée aux établissements se rapproche de la dotation théorique calculée par le modèle ;

- l'intégration dans le modèle, en sus du fonctionnement, de la masse salariale : il est proposé d'en sanctuariser 70 % et d'en réinterroger 30 % au regard des indicateurs d'activité et de performance, afin de tenir compte du passage aux RCE des universités et d'une grande partie des écoles d'ingénieurs et de reconnaître la différenciation historique entre les établissements. À cet égard, la DGESIP reconnaît que la masse salariale se caractérise par une très grande inertie (importance des emplois statutaires) et un certain nombre de déterminants qui ne relèvent pas de l'activité ou de la performance des établissements, notamment le taux de cotisation au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » ou le glissement vieillesse-technicité (GVT). En conséquence, les conditions d'actualisation budgétaire des dotations, notamment de la masse salariale, sont appelées à être clairement distinguées de la phase de calcul théorique par le modèle.

Pour mémoire, dans le cadre de SYMPA, seuls 12 % de la masse salariale totale étaient intégrés au modèle et réinterrogés chaque année, 88 % étant en dehors du modèle et de fait sanctuarisés, correspondant aux emplois transférés (titulaires sur plafond état) dans le cadre du passage des universités aux RCE.

Votre rapporteur pour avis regrette que la nouvelle version MODAL, pas plus que le modèle SYMPA, ne prenne en compte les contraintes de sites, comme la superficie, la vétusté des locaux ou l'éclatement des campus sur plusieurs sites . Le ministère justifie la non-prise en compte des contraintes de site par le souci de restreindre le nombre de critères utilisés dans le calcul et de garantir la lisibilité du dispositif de financement. Il soutient que le modèle n'a pas vocation à représenter les coûts constatés, même si ces derniers éclairent des décisions de calibrage du modèle.

En revanche, votre rapporteur pour avis se félicite que le nouveau modèle évalue l'activité de recherche non plus en fonction de ses résultats mais en fonction de ses enseignants-chercheurs environnés , c'est-à-dire pondérés selon le domaine disciplinaire d'exercice. La pondération permet la reconnaissance de l' « environnement » de chaque enseignant-chercheur, en l'espère les moyens alloués pour mener à bien leur activité de recherche (coût de fonctionnement et de personnel scientifique et administratif). Les coefficients de pondération traduisent les différences d'encadrement scientifique et de coût entre champs disciplinaires, ainsi que les arbitrages politiques.

Lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, le 4 novembre 2014, la secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche a estimé que « beaucoup de modèles ont été expérimentés, prenant en compte des facteurs comme le nombre de boursiers, de disciplines ou d'étudiants, sans que les simulations financières donnent satisfaction. Le travail n'est pas perdu pour autant. Il a montré que le dispositif s'appliquait facilement aux écoles d'ingénieurs, mais pas aux universités qui offrent trop de diversité ». En soulignant les différences notables de vocation qui existent entre les grandes universités qui se caractérisent par une forte intensité de la recherche et les universités régionales de proximité disposant de moins d'infrastructures mais permettant à des étudiants de commencer leurs études plus près de leur commune d'origine, elle a reconnu la nécessité, pour que l'allocation des moyens soit la plus équitable possible, de prendre le temps de catégoriser les universités. Elle a indiqué redouter, du reste, que l'application aveugle du système SYMPA ne revienne à ce que certaines universités voient leurs dotations diminuer de près de 20 millions d'euros.

Les tensions internes au sein du système universitaire sur l'appréciation du modèle et de ses effets sont très fortes. Par exemple, les représentants des établissements spécialisés dans les sciences humaines et sociales considèrent être particulièrement désavantagés aussi bien par l'ancien modèle que par la nouvelle configuration envisagée. Toutefois, la possibilité de concevoir des modèles de financement par catégories d'établissements affaiblirait considérablement toute idée de solidarité entre universités et changerait la logique même que les gouvernements successifs ont cherché à imprimer au paysage universitaire en incitant aux regroupements pour favoriser l'interdisciplinarité.

En revanche, la secrétaire d'État a annoncé, le 31 octobre 2014, que le nouveau modèle envisagé par le DGESIP s'appliquera à partir de 2015 aux écoles d'ingénieurs qui se caractérisent par une plus grande homogénéité.

La CPU a indiqué à votre rapporteur pour avis les différents points de désaccord qu'elle entretient avec la DGESIP sur les pistes de réforme que celle-ci envisage pour le nouveau modèle d'allocation des moyens :

- le premier point de divergence concerne l'absence de concordance entre les calendriers de deux chantiers pourtant étroitement liés : celui portant sur la réforme du modèle SYMPA et celui portant sur l'analyse des coûts des formations et de la recherche. Or, la CPU souligne que l'un des motifs ayant conduit à ouvrir le chantier de réforme du modèle SYMPA réside dans la contestation des coefficients disciplinaires. C'est la raison pour laquelle a été parallèlement lancé le chantier sur la connaissance des coûts en vue d'objectiver la valeur des coefficients. Par conséquent, la CPU trouve incohérent de mettre en oeuvre, en 2015, un nouveau mode de calcul des dotations alors même que l'analyse de la connaissance des coûts des formations n'est pas encore finalisée ;

- le deuxième point de divergence avec la DGESIP est relatif au calibrage des enveloppes du futur modèle, notamment entre formations et recherche, d'une part, et entre activité et performance, d'autre part. Or, ce calibrage n'a toujours pas été débattu, selon la CPU, alors qu'il s'agit là de sujets éminemment politiques sur lesquels la conférence demande à être entendue ;

- le troisième point de désaccord porte sur les indicateurs liés aux effets d'incitation (c'est-à-dire à la performance) envisagés par la DGESIP, notamment ceux concernant la recherche, que la CPU ne peut en l'état retenir, au motif qu'une inconnue persiste sur la façon dont le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), appelé à remplacer l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) évaluera et restituera la notion de performance des unités de recherche. La CPU s'oppose fermement à ce que des critères de performance individuelle soient retenus pour rendre compte de la performance collective des unités de recherche ;

- enfin, le quatrième point de divergence, le plus important, réside dans l'opposition déterminée de la CPU à une intégration, fût-elle partielle, de la masse salariale dans le modèle d'allocation. En effet, elle considère que, d'une part, le modèle répartit déjà les emplois à l'activité et à la performance et, d'autre part, que les déterminants de l'évolution de la masse salariale, autres que le nombre d'emplois (notamment valeur du point d'indice, taux de contribution au CAS « Pensions », GVT, mesures catégorielles...) sont radicalement différents des indicateurs d'activité et de performance utilisés pour les crédits de fonctionnement et pour le calcul des emplois, ce qui pose, selon elle, un problème de cohérence globale.


* 14 Autonomie de gestion budgétaire et financière et des ressources humaines, ce qui a impliqué le transfert aux établissements de leur masse salariale.

* 15 Financement des universités : l'équité au service de la réussite de tous , rapport d'information de Mme Dominique Gillot et M. Philippe Adnot, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des finances, n° 547 (2012-2013), 24 avril 2013.

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