C. L'ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES BEAUX-ARTS DE PARIS : L'URGENCE D'UN SURSAUT
1. Le référé de la Cour des comptes
Cet établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de la culture et de la communication - c'est l'un des opérateurs du programme 224 - constitue la plus ancienne et la plus prestigieuse école d'enseignement des arts plastiques en France, née au lendemain de la Révolution française.
Cette institution a également été créée en vue du rayonnement de Paris et, à ce titre, présente la particularité d'accueillir un musée, en raison des collections constituées à des fins pédagogiques.
Comme le rappelle le projet annuel de performances pour 2015, « de la tradition des académies associant enseignement et collections artistiques , (l'école) a gardé la volonté d'inscrire la création au sein d'un patrimoine immobilier séculaire, abritant de très nombreuses oeuvres d'art, et de maintenir et enrichir la pratique d'une pédagogie fondée sur l'atelier, dirigé par un artiste-professeur ».
Dans un référé rendu public le 3 février 2014, la Cour des comptes a dressé un constat extrêmement critique de la situation de l'école nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA). À l'issue du contrôle qui portait sur les exercices 2001 à 2011, la Cour a émis quatre séries de critiques, rappelées lors de l'audition organisée par la commission des finances du Sénat le 30 avril 2014 :
- la première critique porte sur la place et au rayonnement de l'ENSBA en France et à l'étranger . L'école ne partage aucune fonction support avec des établissements comparables, qu'ils soient parisiens ou nationaux. Un déficit de réflexion et de stratégie quant au devenir de l'école apparaît donc ; il incombe aussi bien au ministère de la culture qu'à celui de l'enseignement supérieur et de la recherche. Par ailleurs, l'ENSBA souffre d'un manque d'ouverture à l'international : elle peine à attirer aussi bien des étudiants que des enseignants étrangers. Cette situation la met en difficulté pour tenir son rang dans la compétition internationale ;
- les conditions de conservation des oeuvres représentent le deuxième angle de critiques adressées à l'ENSBA, qui abrite 2 000 peintures et 3 700 sculptures. Ces oeuvres sont bien évidemment un élément de richesse mais leur conservation constitue la source de multiples difficultés. Les préoccupations liées à la surveillance, au contrôle et à la préservation des oeuvres - située rue Bonaparte, l'école est en zone inondable - n'ont pas encore connu de solution. C'est pourquoi la Cour préconise un adossement de l'école à un autre établissement, par exemple : la Bibliothèque nationale de France, le musée du Louvre, le musée d'Orsay ou le Centre Pompidou ;
- le troisième sujet d'interrogation de la Cour des comptes porte sur l'organisation de la politique éditoriale et des expositions de l'ENSBA. Ces dernières demeurent en effet relativement confidentielles avec 30 000 à 35 000 visiteurs par an. En outre, l'école n'a mis en oeuvre aucune mutualisation dans le cadre de ses éditions ;
- enfin, la Cour s'inquiète de la gestion administrative de l'établissement. Elle pointe des déficiences liées à l'absence de contrat de performance, au défaut de comptabilité analytique ainsi qu'à la faiblesse des procédures de contrôle interne et de suivi. Toutes carences qui rendent difficile de mieux rationaliser les moyens de l'école. Sur la gestion des ressources humaines, celle-ci est devenue prévisionnelle, il n'existe aucun outil de contrôle sur le temps de travail ni sur les conséquences des titularisations impliquées par la mise en oeuvre de la loi Sauvadet.
En conclusion, la Cour des comptes relève un défaut d'orientation stratégique dans le pilotage de l'ENSBA . Elle estime qu'un contrat de performance sur une période triennale s'impose avec une réflexion d'ensemble sur les filières de l'enseignement artistique. Un plan général de conservation des oeuvres paraît également nécessaire avec l'adossement à un autre établissement. Elle estime que le budget de l'école est limité mais des économies peuvent néanmoins être réalisées.
2. La nécessaire mobilisation de l'État après des années de dérives
Alerté par ce référé, votre rapporteur pour avis a souhaité auditionner le directeur de l'ENSBA - arrivé en 2011, soit à l'issue de la période ayant fait l'objet du contrôle de la Cour des comptes - et sa secrétaire générale.
Le constat est celui d'un établissement dont le pilotage a connu de nombreuses dérives, non sanctionnées par sa tutelle pendant des années, et qui aujourd'hui essaie de rétablir une situation catastrophique avec des moyens très limités .
Conscient de la volonté des dirigeants de l'école d'améliorer la situation en tenant compte des critiques de la Cour des comptes, votre rapporteur pour avis a relevé quelques éléments permettant d'illustrer l'ampleur des difficultés auxquelles ils sont confrontés :
- la subvention de l'État couvre 70 % des besoins de l'établissement, encouragé à développer ses ressources propres, reposant principalement sur la location d'espaces et le mécénat. Or l'école doit faire face à de très importants travaux d'accessibilité et de mise aux normes . On mesure l'état de délabrement des locaux en apprenant que l'école a été menacée de fermeture en raison du non-respect des normes d'électricité, ou encore qu'un plafond s'est récemment effondré. Un suivi normal des besoins de l'établissement depuis le début des années 2000 aurait évidemment permis d'éviter une telle situation.
Depuis trois ans, les nouveaux responsables de l'établissement se sont efforcés de rééquilibrer les recettes en favorisant le mécénat par rapport à la location d'espaces , comme le montre le schéma ci-dessous. Toutefois cette démarche n'est pas aisée, les mécènes demandant systématiquement comme contrepartie la mise à disposition d'espaces au sein de l'école pour des événements privés.
Source : ENSBA
La première phase de diagnostic, menée par l'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), vient de s'achever, confirmant que les travaux devront s'étaler sur une dizaine d'années pour un coût total de 50 millions d'euros environ . Il faut également tenir compte du coût de la réfection du système électrique, de 2,5 millions d'euros, tandis que l'aménagement des deux amphithéâtres qui seront rénovés nécessitera 350 000 euros supplémentaires.
Le directeur de l'école a pu convaincre une entreprise privée de prendre à sa charge les travaux de l'amphithéâtre d'honneur pour 1,5 million d'euros.
En outre, alors que le développement d'une communication efficace en direction des mécènes potentiels nécessite de mobiliser des ressources, le budget de la communication a dû être divisé par deux pour tenir compte des contraintes budgétaires , tandis que le système informatique est dans un tel état d'obsolescence que l'école a doublé ses effectifs dans le domaine de l'informatique en recrutant... un seul ETPT.
Selon le projet annuel de performances pour 2015, la subvention pour charges de service public s'élève à 7,357 millions d'euros , en augmentation de 300 000 euros par rapport à 2014. Mais cette subvention avait été réduite de 200 000 euros en 2013 et de 300 000 euros en 2014. Le fonds de roulement ne peut être diminué, son niveau atteignant désormais le seuil prudentiel de 30 jours de fonctionnement .
20 à 25 % du budget sont consacrés à l'activité d'enseignement de l'école. Rejoignant le constat dressé par l'Association nationale des écoles supérieures d'art (ANdÉA), votre rapporteur pour avis estime que la question de la rémunération des professeurs se pose avec acuité. L'ENSBA est en train de mettre en place un 3 e cycle dans le cadre du pôle de recherche et d'enseignement supérieur Paris sciences et Lettres : cette démarche repose sur l'activité bénévole de deux professeurs depuis trois ans, en attendant une réponse à la demande de création de deux emplois . Le régime indemnitaire est interdit pour rémunérer des professeurs contractuels alors que dans d'autres écoles européennes comme Düsseldorf, les professeurs touchent un salaire mensuel de 6 000 euros nets . Aujourd'hui l'ENSBA rémunère les enseignants contractuels à un niveau de 3 000 euros mensuels tout au plus, les plus jeunes enseignants ne touchant pas plus de 1 500 euros nets par mois. Dans ces conditions, il paraît évident que l'établissement ne pourra régler seul la question du rayonnement international soulevée par la Cour des comptes .
Compte tenu des contraintes présentées ci-dessus, les responsables de l'école souhaitent aujourd'hui étudier la possibilité de créer une fondation adossée à l'Institut de France (académie des beaux-arts) et un fonds de dotation, afin de développer de nouvelles recettes, aujourd'hui détaillées comme suit.
Il est rappelé que les frais d'inscription s'élèvent à 460 euros et que l'établissement compte 550 étudiants. Pour pallier la pénurie d'espace préjudiciable au bon déroulement des enseignements, une location de salles à Saint-Ouen a été décidée. Le ministère de la culture a d'ailleurs salué cette démarche dans le projet annuel de performances en précisant que « le développement de l'école à Saint-Ouen marque la démarche volontariste de l'établissement de s'ouvrir aux enjeux sociaux et urbains contemporains ». Compte tenu du constat dressé ci-dessus, il est tentant de penser que cette délocalisation a surtout été guidée par des considérations d'ordre financier. Mais, après tout, le ministère de tutelle est également en charge de la communication...