Avis n° 111 (2014-2015) de M. Gilbert BARBIER , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 20 novembre 2014

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N° 111

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 novembre 2014

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi de finances pour 2015 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME II

DIRECTION DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT - MISSION INTERMINISTÉRIELLE DE LUTTE CONTRE LES DROGUES ET LES CONDUITES ADDICTIVES (MILDECA)

Par M. Gilbert BARBIER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon, président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général ; M. Gérard Dériot, Mmes Colette Giudicelli, Caroline Cayeux, M. Yves Daudigny, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Gérard Roche, Mme Laurence Cohen, M. Gilbert Barbier, Mme Aline Archimbaud, vice-présidents ; Mme Agnès Canayer, M. René-Paul Savary, Mme Michelle Meunier, M. Jean-Louis Tourenne, Mme Elisabeth Doineau, secrétaires ; MM. Michel Amiel, Claude Bérit-Débat, Mme Nicole Bricq, MM. Olivier Cadic, Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Noël Cardoux, Daniel Chasseing, Mmes Karine Claireaux, Annie David, Isabelle Debré, Catherine Deroche, M. Jean Desessard, Mme Chantal Deseyne, MM. Claude Dilain, Jérôme Durain, Jean-Yves Dusserre, Mme Anne Emery-Dumas, MM. Michel Forissier, François Fortassin, Jean-Marc Gabouty, Mme Françoise Gatel, M. Bruno Gilles, Mme Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mme Corinne Imbert, MM. Éric Jeansannetas, Georges Labazée, Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Hermeline Malherbe, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Louis Pinton, Mme Catherine Procaccia, M. Didier Robert, Mme Patricia Schillinger, MM. Michel Vergoz, Dominique Watrin.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 2234, 2260 à 2267 et T.A. 420

Sénat : 107 et 108 à 114 (2014-2015)

LES OBSERVATIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Réunie le mercredi 26 novembre 2014 sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Gilbert Barbier sur les crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2015 .

Après avoir rappelé que la Mildt a été renommée Mildeca en 2014 pour prendre en compte l'ensemble des conduites addictives, le rapporteur pour avis a souligné que la situation française en matière d'addictions est préoccupante . Les produits se diversifient et se démocratisent, tandis que les comportements à risques se multiplient, qu'il s'agisse de drogues illégales ou de produits licites.

Faisant état d'une baisse des crédits de la Mildeca de 5 % entre 2014 et 2015, le rapporteur pour avis a mis en garde contre les effets d'une réduction supplémentaire sur sa capacité et celle de ses opérateurs à remplir leurs missions et contre la tentation d'un saupoudrage inefficace des moyens sur de trop nombreuses actions.

Le rapporteur pour avis a enfin précisé que le projet de loi relatif à la santé , qui devrait être examiné par le Parlement au printemps 2015, contient plusieurs dispositions relatives à la lutte contre les addictions. L'un de ses articles autorise l'ouverture, à titre expérimental, d'une salle de consommation à moindre risque . Le rapporteur pour avis a fait part de sa très ferme opposition à ce projet.

Suivant la proposition de son rapporteur pour avis, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2015.

Mission « Direction de l'action du Gouvernement »

Programme 129 « Coordination du travail gouvernemental »

Crédits de l'action n° 15 « Mission interministérielle de lutte
contre les drogues et les conduites addictives » pour 2015

Crédits de paiement (en euros)

Variation 2015/2014 (en %)

Action 15 « Mildeca »

19 634 250

- 5 %

dont subventions pour charges
de service public

Observatoire français
des drogues
et des toxicomanies (OFDT)

3 048 000

- 2,7 %

Centre interministériel
de formation anti-drogue (Cifad)

408 000

- 7,1 %

Source : Projet annuel de performance de la mission annexé au projet de loi de finances

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

2013 a été une année de transition pour la politique gouvernementale de lutte contre les addictions. Elle a vu la préparation du nouveau plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives , qui court jusqu'en 2017 . Il définit la stratégie des pouvoirs publics en matière de prévention, de soins et de réduction des risques liés aux addictions, de lutte contre les trafics, d'application de la loi et de développement de la recherche.

En 2014, ce plan a consisté tout d'abord à modifier la structure chargée d'en superviser l'application. La mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) est en effet devenue, par un décret du 11 mars, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Ce changement de dénomination n'est pas anodin : il rappelle que les addictions ne sont pas forcément causées par un produit et établit pleinement la compétence de la Mildeca sur l'ensemble de la politique publique menée contre les conduites addictives, par une approche intégrée portant sur la réduction de l'offre comme sur celle de la demande.

La mise en oeuvre du plan gouvernemental se poursuivra en 2015, accompagnée de modifications législatives relatives à la répression de l'incitation à la consommation d'alcool chez les mineurs, au développement de la réduction des risques et à l'expérimentation de salles de consommation à moindre risque , qui figurent toutes dans le projet de loi relatif à la santé. Au coeur de ces problématiques, la Mildeca verra son budget diminuer de 5 % .

Cette réduction ne constitue pas pour autant un motif justifiant un rejet de ces crédits, car, au vu de la situation critique de nos finances publiques, il appartient à toutes les structures de l'Etat de faire des économies. S'il est souhaitable que les moyens consacrés à la lutte contre les drogues et les addictions soient renforcés lorsque la conjoncture économique le permettra, il faut accepter des économies limitées durant la période actuelle.

La Mildeca a su engager la modernisation de la politique française de lutte contre les addictions, qui a pour spécificité de former un continuum qui va de la prévention à la répression sans négliger le soin et la réduction des risques. Une nouvelle impulsion a été donnée et une feuille de route a été préparée. A ce stade, il ne serait pas opportun de faire preuve de défiance vis-à-vis de ces orientations. Alors que le plan gouvernemental est jugé équilibré par les professionnels associatifs, médicaux ou policiers actifs dans le domaine des drogues, il faut maintenant se montrer vigilant à ce qu'il fasse bien l'objet d'une évaluation rigoureuse et indépendante.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LA DIVERSIFICATION DES CONDUITES ADDICTIVES SOULIGNE LES LACUNES DE LA RÉPONSE PUBLIQUE À CES COMPORTEMENTS

A. L'ÉVOLUTION INQUIÉTANTE DES COMPORTEMENTS DE CONSOMMATION DE DROGUES EN FRANCE

La consommation de substances psychoactives en France, qu'elles soient licites ou illicites, est marquée ces dernières années par un basculement vers des conduites à risques et une démocratisation de certains produits. Si la progression de la consommation de cannabis a atteint un point d'arrêt, la cocaïne se répand tandis que les niveaux de consommation de tabac et d'alcool restent toujours préoccupants.

Tableau n° 1 : La consommation de substances psychoactives en France

Produits illicites

Produits licites

Cannabis

Cocaïne

Ecstasy

Héroïne

Alcool

Tabac

Expérimentateurs

13,4 M

1,5 M

1,1 M

500 000

44,4 M

35,5 M

dont usagers dans l'année

3,8 M

400 000

150 000

//

41,3 M

15,8 M

dont usagers réguliers 1

1,2 M

//

//

//

8,8 M

13,4 M

dont usagers quotidiens

550 000

//

//

//

5,0 M

13,4 M

1 Dix fois par mois ou plus

Source : OFDT

Le cannabis reste bien sûr le produit illicite le plus consommé en France, avec 13,5 millions d'expérimentateurs, 3,8 millions d'usagers dans l'année, 1,2 million d'usagers réguliers et environ 550 000 usagers quotidiens. Si les Français restent parmi les principaux consommateurs européens, on observe une stabilisation des niveaux de consommation et un vieillissement de l'âge d'entrée dans la consommation. En 2011, 41,5 % des jeunes de 17 ans déclaraient avoir fumé du cannabis au cours de leur vie, contre 49,3 % en 2005 et 50,2 % en 2002.

Il faut contredire le mythe sur l'innocuité de la consommation de cannabis . Une étude australienne récente 1 ( * ) portant sur la recherche menée durant les vingt dernières années confirme les effets physiologiques, psychologiques et physiques d'une consommation prolongée et habituelle. Ainsi, la dépendance au cannabis touche un usager régulier sur dix, et même un sur six chez ceux dont la consommation a débuté à l'adolescence. Qui plus est, conduire sous l'emprise du cannabis double le risque d'avoir un accident.

De plus, le produit lui-même est en pleine mutation . Issu de nouveaux bassins de production, comme les Pays-Bas et l'Albanie, ou cultivé localement, sa teneur en THC est désormais bien plus forte qu'il y a quelques années : elle a doublé en dix ans pour la résine de cannabis et est souvent supérieure à 20 % dans de nouvelles variétés d'herbe saisies récemment par les douanes.

On assiste depuis quinze ans à une augmentation régulière de la consommation de cocaïne . Si en valeur absolue ce phénomène peut sembler limité, avec 1,5 million d'expérimentateurs et 400 000 usagers dans l'année, l'expérimentation a plus que doublé entre 2000 et 2011, passant de 1,8 % à 3,8 % de la population adulte. Inquiétant, l'usage au cours de l'année à quant à lui triplé , de 0,3 % à 0,9 % de la population et de 0,9 % à 3 % des jeunes de 17 ans. L'Europe est devenue le premier marché de ce produit, dépassant les Etats-Unis et suscitant l'intérêt des trafiquants d'Amérique du Sud qui utilisent maintenant l'Afrique de l'Ouest comme plateforme de transit.

Le développement, au-delà de la traditionnelle voie de l'inhalation de la poudre de cocaïne, de la cocaïne basée 2 ( * ) , crack 3 ( * ) ou « free base » 4 ( * ) , qui est fumée, pose d'importants problèmes sanitaires supplémentaires - infections bactériennes ou virales - en raison du partage du matériel de consommation. Si ce phénomène est encore très circonscrit à la région parisienne et aux départements d'outre-mer proches de l'Amérique, il touche des polyconsommateurs qui vivent dans une précarité extrême , souvent en marge de la société, et qui ont besoin d'un accompagnement médico-social renforcé.

Comme le souligne l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), la cocaïne a connu une diversification sociologique et géographique de ses usagers . Elle n'est plus réservée aux milieux les plus favorisés ni au monde de la nuit. Son prix ayant baissé, elle s'est diffusée sur l'ensemble du territoire et a été adoptée par les usagers de drogues traditionnels. Elle est pourtant à l'origine d'importants troubles cardiaques (le risque d'infarctus étant multiplié par 24) et neurologiques (AVC, épilepsie), l'inhalation causant quant à elle des lésions de la cloison nasale. Sa consommation peut être suivie d'hallucinations et de paranoïa, accompagnée d'une recherche compulsive du produit. Une dépendance psychique apparaît chez 5 % des usagers la première année et chez 20 % d'entre eux à long terme.

Les opiacés , et en premier lieu l'héroïne , sont à l'origine de dommages sanitaires et sociaux graves liés notamment à leurs modalités de consommation. Le partage de matériel d'injection est un facteur de contamination par les virus des hépatites B et C et du VIH . La dépendance physique et psychique est très forte et les risques de surdose sont élevés.

Si ici encore le nombre de personnes ayant pris de l'héroïne au moins une fois dans leur vie, 500 000 , peut sembler faible au regard de l'ensemble de la population française, ce sont la centaine de milliers d'usagers dépendants qui doivent faire l'objet d'un suivi particulier et bénéficier d'une politique de réduction des risques ambitieuse. 60 % des usagers d'héroïne par voie intraveineuse seraient porteurs du VHC , n'ayant souvent pas conscience de leur statut virologique.

Plus facilement disponible et ayant vu son prix diminuer (de 60 euros le gramme au début des années 2000 à 40 euros en 2011), l'héroïne a désormais conquis un public bien intégré socialement qui en fait un usage récréatif , par inhalation. Ayant perdu l'image stigmatisante qui était la sienne dans les années 1980, son association avec le VIH et les surdoses semble s'être estompée ; elle n'en est pourtant pas moins dangereuse. L'apparition des traitements de substitution aux opiacés (TSO) a certes permis de diminuer les risques sanitaires chez les usagers traditionnels, mais donne lieu à d'importantes dérives.

Il faut également mentionner la montée en puissance et la dangerosité des nouveaux produits de synthèse (NPS), qui se situent en marge de la légalité. Dès que leur interdiction est annoncée, des chimistes modifient leur composition pour les remettre en vente. Disponibles sans difficultés sur Internet, ni leurs effets ni leur qualité ne sont connus à l'avance par le consommateur. 81 nouveaux produits sont apparus en 2013 : l'Etat est toujours pris de court par le rythme de l'innovation dans ce domaine.

Ces drogues illégales ne doivent toutefois pas masquer le fait que ce sont des produits licites qui sont la principale source des addictions et de leurs conséquences sanitaires.

En ce qui concerne l'alcool , il est indéniable que la proportion de consommateurs quotidiens, tout comme les quantités consommées, sont à la baisse. En revanche, les comportements à risques se développent chez les jeunes avec le « binge drinking », ou alcoolisation ponctuelle importante (API) 5 ( * ) . 53 % des jeunes de 17 ans connaissent au moins une API dans le mois, tandis que plus de 75 % d'entre eux déclarent au moins une consommation d'alcool dans cette même période. Les jeunes femmes rattrapent le retard qu'elles ont pu avoir sur les hommes en la matière. En population générale, 11,7 % des 18-75 ans déclarent une consommation quotidienne d'alcool. En matière de santé, les dommages sont nombreux : maladies du foie, cancer, lésions neurologiques. Chez la femme enceinte, il peut avoir des conséquences graves sur le foetus et affecter le développement du système nerveux central de l'enfant. Chaque année, 49 000 décès peuvent être imputés à l'alcool .

Quant au tabac , si les buralistes déplorent une diminution des ventes (- 6 % en 2013), celle-ci ne s'est pas encore fait ressentir dans les comportements de consommation. En 2010, selon les dernières données disponibles, la France comptait plus de 13 millions de fumeurs quotidiens , dont 9 millions fumant plus de dix cigarettes par jour. Ici encore, ces dernières années ont vu l'usage s'accroitre significativement chez les femmes, même si des signes encourageants sont perçus chez les plus jeunes.

Ainsi, malgré une légère remontée à la fin des années 2000, la part de fumeurs quotidiens chez les jeunes de 17 ans reste bien inférieure en 2011 à son niveau de 2000 ( 31,5 % contre 41 % ). De même, l'âge d'initiation au tabac a légèrement reculé ( 14,1 ans contre 13,7 ans ). La lutte contre le tabagisme doit être une priorité : il est, avec 73 000 décès chaque année , la première cause de mortalité évitable en France. A cet effet, la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a annoncé le 25 septembre dernier le lancement d'un programme national de réduction du tabagisme (PNRT) dont le Parlement aura à débattre dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la santé.

Les orientations du programme national de réduction du tabagisme

Axe 1 - Protéger les jeunes et éviter l'entrée dans le tabagisme

- 1. Adopter les paquets de cigarettes neutres pour les rendre moins attractifs ;

- 2. Interdire de fumer en voiture en présence d'enfants de moins
de 12 ans ;

- 3. Rendre non-fumeurs les espaces publics de jeux pour enfants ;

- 4. Encadrer la publicité pour les cigarettes électroniques et interdire
le vapotage dans certains lieux publics.

Axe 2 - Aider les fumeurs à arrêter

- 1. Diffuser massivement une campagne d'information choc ;

- 2. Impliquer davantage les médecins traitants dans la lutte contre
le tabagisme ;

- 3. Améliorer le remboursement du sevrage tabagique.

Axe 3 - Agir sur l'économie du tabac

- 1. Créer un fonds dédié aux actions de lutte contre le tabagisme ;

- 2. Renforcer la transparence sur les activités de lobbying de l'industrie du tabac ;

- 3. Renforcer la lutte contre le commerce illicite de tabac.

B. MIEUX ENCADRER LES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION AUX OPIACÉS POUR METTRE UN TERME À LEUR DÉTOURNEMENT

Depuis près de vingt ans, et une circulaire de 1995 6 ( * ) , les traitements de substitution aux opiacés (TSO) constituent l'un des piliers de la politique française de réduction des risques à destination des personnes dépendantes de l'héroïne, afin de diminuer la mortalité liée à ce produit et les effets sanitaires de son injection. Deux médicaments ont reçu une autorisation de mise sur le marché dans ce but : la méthadone en 1995 et la buprénorphine à haut dosage (BHD), plus connue son nom de marque Subutex, en 1996.

Les conditions de prescription et de délivrance
des traitements de substitution aux opiacés

En raison de leur différence de nature, la méthadone et la BHD ne figurent pas dans la même catégorie de médicaments . La première est en effet un agoniste pur des opioïdes : elle produit les mêmes effets que l'héroïne et peut entraîner une surdose. En revanche, la seconde est un agoniste partiel, avec effets antagonistes, et ne peut pas causer de surdose.

La méthadone est donc classée comme stupéfiant et, à ce titre, tout traitement doit débuter par une prescription réalisée par un médecin hospitalier ou exerçant en centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). Elle existe sous la forme d'un sirop ou d'une gélule , cette dernière étant réservée aux patients stabilisés. Dès la stabilisation du patient, un médecin de ville peut prendre le relais et poursuivre la prescription du traitement. La durée maximale de prescription est de 14 jours pour le sirop et de 28 jours pour les gélules.

La BHD figure sur la liste 1 des médicaments soumis à prescription obligatoire, selon la nomenclature établie par les articles L. 5132-1 et L. 5132-6 du code de la santé publique 7 ( * ) . Elle peut être primo-prescrite par un médecin généraliste, pour une durée maximale de 28 jours de traitement par ordonnance. Elle est conditionnée en comprimés sublinguaux et est disponible depuis 2006 sous forme générique .

Dans les deux cas, la prescription est faite par une ordonnance sécurisée , identifiable par le numéro du lot dont elle est issue et l'identité du prescripteur imprimée en bleu. Elle doit comporter la mention du nombre d'unités thérapeutiques par prise, du nombre de prises et du dosage 8 ( * ) . Ces médicaments sont ensuite délivrés en pharmacie d'officine. Selon l'article L. 162-4-2 du code de la sécurité sociale, le prescripteur doit inscrire sur l'ordonnance, en suivant les indications du patient, le nom du pharmacien qui sera chargé de la délivrance de la méthadone ou de la BHD, sous peine de voir la prise en charge du traitement par l'assurance maladie refusée.

Selon une étude récente de l'OFDT 9 ( * ) , entre 160 000 et 180 000 patients suivent un TSO en France en 2013, un tiers à la méthadone et deux tiers à la BHD. Il s'agit pour cette dernière à 73 % du princeps, à 24 % des génériques et à 3 % de son association avec la naloxone, le Suboxone. 80 % des usagers problématiques d'opiacés, dont le nombre est estimé à 210 000 , prennent un TSO et la France serait, parmi ses voisins européens, l'un des pays ayant la part la plus importante de personnes en TSO par rapport à sa population. D'un âge moyen de 36 ans , les patients sous TSO sont à 75 % des hommes et à 40 % en affection de longue durée (pathologies psychiatriques, hépatites virales chroniques, etc.). Dans 37 % des cas, le traitement dure déjà depuis plus de cinq ans . 57 % des personnes vues dans les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) suivent un TSO 10 ( * ) , tout comme 8 % de la population carcérale 11 ( * ) .

Il n'est absolument pas question de remettre en cause le bien-fondé des TSO, qui ont permis depuis leur apparition de faire grandement diminuer le nombre de surdoses et d'améliorer la situation sanitaire et sociale de nombreuses personnes souffrant d'une addiction à l'héroïne. Toutefois, il est indéniable que leurs détournements sont nombreux et que leur mésusage est très répandu.

En 2013, selon l'enquête Oppidum 12 ( * ) , 20 % des personnes sous traitement de Subutex le consommaient par voie intraveineuse , ce taux montant à 32 % de celles ayant obtenu ce médicament illégalement. Des trafics se développent, que ce soit à l'échelle d'une personne revendant une partie de son traitement ou à celle de réseaux internationaux. En 2012, selon les données de l'assurance maladie, 2 % des patients avaient cinq prescripteurs ou plus et 19 % en avaient trois ou plus. 1 % avaient cinq pharmaciens ou plus et 12 % trois ou plus.

La caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), pour qui le remboursement en 2013 des 10 567 317 de boites de BHD facturées représentait un coût de 101 millions d'euros , suit les patients sous TSO et cherche à détecter les fraudes , en ciblant les consommations pouvant paraître très élevées ainsi que le nomadisme médical. En cas de suspicion de fraude, elle peut imposer la mise en place d'un protocole de soins ou suspendre les prestations après contrôle médical. Si la fraude est avérée, elle porte plainte ou inflige des pénalités financières.

Tableau n° 2 : Résultat des contrôles de la Cnam sur les assurés sociaux portant sur les fraudes aux traitements de substitution aux opiacés

Protocole
de soins

Suspension
des prestations

Dépôt
de plainte

Total

2007

934

1 042

45

2 021

2008

691

662

137

1 490

2009

705

589

71

1 365

2010

612

1 099

74

1 785

2011

500

709

41

1 250

2012

500

808

126

1 434

2013

471

626

39

1 136

Total

3 801

4 436

478

10 481

Source : Cnam

En 2013, 17 procédures de pénalités financières ont également été engagées dans des situations où le préjudice pour les caisses de sécurité sociale ne dépassait pas trois fois le plafond mensuel de la sécurité sociale, soit 9 258 euros. Elles se substituent au dépôt d'une plainte.

Trois séries de contrôles ont également été réalisées en direction des professionnels de santé , pharmaciens et médecins, en 2006, 2009 et 2013, sur la base des prescriptions de TSO réalisées et du nombre de boites délivrées.

Tableau n° 3 : Bilan des contrôles réalisés par la Cnam sur des professionnels de santé portant sur les fraudes aux traitements de substitution aux opiacés

Nombre de professionnels contrôlés

Lettre de mise en garde

Saisine
de la section des assurances sociales
du conseil
de l'ordre

Dépôt
de plainte

2006

72

20

36

2

2009

70

21

15

11

2013 1

72

8

12

9

Total

214

49

63

22

1 Chiffres provisoires

Source : Cnam

Selon les informations transmises à votre rapporteur pour avis par la Cnam, plusieurs sanctions pénales ont déjà été prononcées par les tribunaux à l'encontre des assurés sociaux comme de quatre professionnels de santé. En raison de la longueur des délais d'instruction, 18 des 22 plaintes déposées contre des professionnels de santé n'ont pas encore été jugées.

A titre d'exemple, des assurés sociaux mis en examen pour usage illicite de stupéfiants, détention non autorisée de stupéfiants et exercice illégal de la profession de pharmacien ont été condamnés à des peines d'emprisonnement ferme d'un à deux ans . Des professionnels de santé mis en examen pour faux et usage de faux ont reçu des peines de prison ferme allant de trois mois à un an , ou avec sursis allant d'un an à dix-huit mois.

Il faut toutefois aller plus loin que ces contrôles réalisés a posteriori et dont l'ampleur reste limitée. Ces TSO ne sont pas sans risques sanitaires s'ils ne sont pas prescrits dans le cadre d'un suivi médical régulier. On a ainsi vu se développer, dans de nombreux cas, une primodépendance à la BHD . Les TSO peuvent également entraîner, chez les polyconsommateurs, un transfert de dépendance vers d'autres substances comme l'alcool.

C'est pourquoi votre rapporteur pour avis estime qu'il est nécessaire de classer la BHD comme stupéfiant . Cette proposition avait été faite par la Mildt dès 2006 , malheureusement sans être approuvée par le ministre de la santé de l'époque. Alors que les mésusages n'ont depuis lors pas diminué, elle reste d'actualité. Il pourrait également être envisagé de remplacer le Subutex par ses déclinaisons génériques, qui en raison de leurs excipients semblent causer des difficultés aux injecteurs. Enfin, la généralisation du Suboxone devrait être une piste de réflexion, car en associant de la BHD à de la naloxone, qui est le principal antagoniste des récepteurs de la morphine, il ne produit aucun effet en cas d'injection et provoque des symptômes de sevrage. Il n'était toutefois prescrit qu'à 3 500 personnes en 2012, contre 105 000 pour la BHD.

C. MIEUX FAIRE FACE AUX NOUVELLES ADDICTIONS

De nos jours, le champ des addictions est plus large que celui de la toxicomanie . Jeu pathologique, usage excessif d'Internet ou encore achats compulsifs, ces addictions comportementales appellent une adaptation de la politique de prévention, de soins et de réduction des risques.

Selon des données issues du Baromètre santé 2010 de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), 47 % des
18-75 ans jouent de l'argent au moins une fois par an. 10,9 % jouent régulièrement (au moins 52 fois) et 4,7 % y consacrent plus de 500 euros . A cette date, le nombre de personnes concernées par le jeu problématique était évalué à 600 000 , la prévalence du jeu excessif étant estimée à 0,4 % de la population (200 000 personnes) et celle du jeu à risque modéré à 0,9 % de la population (400 000 personnes). Ces joueurs excessifs sont à 75 % des hommes et constituent une population particulièrement précaire : 58 % ont un revenu inférieur à 1 100 euros par mois et plus d'un tiers d'entre eux ne possèdent aucun diplôme.

Les addictions aux jeux de hasard et d'argent ont des conséquences financières aussi bien que sociales et relationnelles lourdes, pour les joueurs comme pour leurs proches : elles conduisent au surendettement et fragilisent les couples, menant à leur rupture et à l'isolement social. Les comorbidités psychiatriques sont nombreuses, en particulier les troubles bipolaires , présents chez près de 50 % des sujets dans les études réalisées, ou la dépression. De même, l'addiction à des substances psychoactives est fréquente chez les joueurs. A titre d'exemple, les deux tiers d'entre eux sont des fumeurs quotidiens, contre un tiers de la population générale ; 50,5 % des joueurs excessifs ont une consommation d'alcool à risque et 26,3 % y présentent un risque de dépendance 13 ( * ) , contre respectivement 15,5 % et 3,2 % de l'ensemble de la population.

Il est utile de rappeler que ces données sont antérieures à la loi du 12 mai 2010 14 ( * ) , qui a autorisé le jeu d'argent en ligne . Faciles d'accès et permettant de jouer anonymement, les sites de paris ou de poker agréés par l'Etat ont sans nul doute contribué à l'aggravation de la situation , même si l'article 26 de cette loi prévoit qu'ils doivent prévenir « les comportements de jeu excessif ou pathologique par la mise en place de mécanismes d'auto-exclusion et de modération et de dispositifs d'autolimitation des dépôts et des mises ». Il appartient à l'observatoire des jeux, mis en place par cette même loi, d'en quantifier l'impact.

D'autres formes d'addictions sans produit sont apparues plus récemment. Il en va ainsi de l'usage excessif des jeux vidéo et d'Internet , qui concernent particulièrement les adolescents. Si aucun lien n'a encore été démontré entre les jeux violents et la délinquance, ils ont bien pour effet à court terme d'augmenter l'agressivité des joueurs. Quant aux achats compulsifs , caractérisés par une envie irrépressible et répétée de faire des achats, ils concernent essentiellement des femmes et sont associés à des comorbidités psychiatriques, comme la dépression, et à des addictions complémentaires, notamment à l'alcool, qui sont aujourd'hui clairement identifiées.

Face à ces addictions comportementales, les traitements pharmacologiques sont inefficaces . Les demandes de soins interviennent tardivement et sont le plus souvent le fait de tiers. Pour y répondre, les thérapies comportementales et cognitives (TCC) privilégiées aujourd'hui visent, une fois les comorbidités traitées, à engager un travail avec le patient sur ses croyances et représentations erronées afin de lui permettre d'identifier et de résister aux sollicitations déclenchant son addiction. Un accompagnement social reste par ailleurs indispensable.

Dans ce contexte, il est nécessaire de renforcer la capacité des Csapa à repérer et à orienter les personnes souffrant d'une addiction sans substance, en particulier lorsqu'elles sont en situation de polyaddiction. La recherche scientifique sur ces questions doit être davantage développée tandis que le rôle de l'entourage doit être mis en valeur, aussi bien pour permettre une intervention précoce que pour faciliter le suivi de la personne concernée.

II. DANS UN CADRE BUDGÉTAIRE CONTRAINT, DONNER UN CAP CLAIR À LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES DROGUES ET LES ADDICTIONS

A. DE LA MILDT À LA MILDECA

Après l'achèvement du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies 2008-2011 s'est ouverte une période de transition pour les politiques publiques visant à réduire l'impact des drogues et des addictions sur la société. La nomination, par un décret du 14 septembre 2012, de Mme Danièle Jourdain-Menninger à la tête de la Mildt a permis de lancer les travaux de préparation d'un nouveau plan pluriannuel, dont l'adoption par le comité interministériel de lutte contre la drogue et la toxicomanie a eu lieu le 19 septembre 2013, sous la présidence du Premier ministre. Ce plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives s'étend sur cinq ans, de 2013 à 2017.

Il proposait notamment de « confirmer le champ de compétence de la Mildt », les textes la régissant n'en délimitant pas précisément l'étendue. Par un décret du 11 mars 2014 15 ( * ) , la Mildt est devenue la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). L'article D. 3411-13 du code de la santé publique a été modifié afin d'établir la compétence de cette structure d'animation et de coordination de l'action de l'Etat sur l'ensemble des addictions, qu'elles soient causées par une substance psychoactive ou non. Ainsi, la notion de « toxicomanie » a été remplacée par celle de « conduites addictives » et les deux aspects de cette politique, la réduction de l'offre et la réduction de la demande, figurent maintenant explicitement dans le code. Qui plus est, la compétence de la Mildeca en matière de lutte contre les trafics a été reconnue, tout comme sa contribution à l'élaboration de la position française en matière de lutte contre les drogues et les addictions dans les instances européennes et internationales.

Cette modernisation du cadre juridique de la Mildeca reconnaît l'existence d'éléments communs à toutes les conduites addictives et la nécessité de dépasser l'approche par les produits qui a longtemps prévalu. Tirant toutes les conséquences des avancées de la recherche en matière d'addictions, elle met l'Etat en mesure de répondre aux nouveaux défis en la matière tout en préservant la spécificité de la politique menée jusqu'à présent, qui est de former un continuum allant de la prévention à la répression sans négliger le soin et la réduction des risques.

Le plan 2013-2017 repose sur cette approche intégrée, dont tous les acteurs saluent la pertinence, et est construit autour de cinq axes :

- prévenir, prendre en charge et réduire les risques ;

- intensifier la lutte contre les trafics ;

- mieux appliquer la loi ;

- fonder les politiques de lutte contre les drogues et les conduites addictives sur la recherche et la formation ;

- renforcer la coordination des actions nationales et internationales.

Il est décliné, pour la période 2013-2015, en un plan de 131 actions dont le coût est estimé à 58,8 millions d'euros . Aux yeux de votre rapporteur pour avis, il serait sans doute judicieux, pour éviter un saupoudrage inefficace de ressources financières limitées, d'en réduire l'ampleur et de concentrer les moyens disponibles sur un nombre plus réduit de priorités.

Il n'en reste pas moins que ce plan est jugé équilibré par les personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis, les acteurs du monde associatif comme les représentants des forces de l'ordre. Votre rapporteur pour avis est convaincu du bon sens de plusieurs de ses orientations, notamment le rappel du primat de la recherche scientifique lorsqu'il s'agit de définir les orientations de la politique de lutte contre les addictions. Il n'en partage néanmoins pas tous les choix, c'est pourquoi il est indispensable qu'il fasse l'objet, à son terme, d'une évaluation rigoureuse et indépendante.

B. UN BUDGET 2015 QUI PARTICIPE À L'EFFORT DE MAITRISE DES DÉPENSES PUBLIQUES

Fixé à 19,63 millions d'euros par le projet de loi de finances (PLF) pour 2015, le budget de la Mildeca est en baisse de 5 % par rapport à 2014
( - 1,03 million d'euros ). Troisième année de baisse consécutive, il est inférieur de 17,8 % par rapport à 2012.

Selon les documents budgétaires annexés au PLF, cet effort d'économie porte sur les dépenses de personnel (titre 2 ; - 4,7 % ) et les dépenses de fonctionnement (titre 3 ; - 18,8 % ). Au sein de ces dernières, les opérateurs de la Mildeca sont mis à contribution : l'OFDT voit son budget diminuer de 2,7 % tandis que celui du centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad, basée en Martinique) est en baisse de 7,1 % .

En revanche, les dépenses d'intervention (titre 6) restent stables, à 13,56 millions d'euros contre 13,58 millions d'euros en 2014. Parmi ce total, 9,6 millions d'euros sont confiés à des chefs de projet régionaux et départementaux, les directeurs de cabinet des préfets de département et de région, afin de participer au financement d'actions de prévention menées au niveau local.

Le pilotage de cette politique a fait l'objet en 2014 d'une évaluation dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP) 16 ( * ) . Cette mission a fait le constat que cette action territoriale est marquée par un « saupoudrage financier préjudiciable à l'efficience de la lutte contre les drogues et la toxicomanie », que l'évaluation des projets financés est insuffisamment développée et que la répartition des crédits « manque de transparence et est contestée ». Il convient d'améliorer la coordination avec les autres acteurs locaux intervenant dans le champ de la prévention et du soin, en particulier les agences régionales de santé (ARS). L'effet de levier de ces crédits, c'est-à-dire la capacité de rassembler des financements provenant d'autres organismes en complément de cette contribution de la Mildeca, doit être plus important. Sur ce point, les prévisions du Gouvernement se sont révélées trop optimistes : l'indicateur 4.2 associé au programme 129, qui mesure le niveau de mobilisation des partenaires locaux et était initialement fixé à 65 % du budget des actions locales de prévention en 2014, a été revu à la baisse à 59 % et ne devrait pas atteindre 65 % avant 2016 . Le renforcement du rôle de l'échelon régional , en le dotant d'une capacité d'impulsion et de coordination renforcée en direction des chefs de projet départementaux, permettrait sans nul doute un gain de lisibilité mais également d'efficacité de cette politique.

Ces dépenses de titre 6 concourent également au financement des engagements internationaux de la France en matière de lutte contre les drogues et les addictions (1,4 million d'euros), en particulier l'office des Nations unies contre la drogue et le crime (OnuDC) et le groupe Pompidou du Conseil de l'Europe, dont la France assure la présidence jusqu'à la fin de l'année 2014 avant de la céder à la Norvège. Elles comportent également un million d'euros destinés à subventionner la recherche sur les addictions.

La Mildeca dispose d'une seconde ressource : un fonds de concours alimenté par le produit des saisies réalisées dans le cadre d'enquêtes sur des trafics de stupéfiants. En 2010 et 2011, en raison de l'apurement par les tribunaux de l'ensemble des biens confisqués dans le cadre d'affaires d'infractions à la législation sur les stupéfiants définitivement jugées dans les années antérieures, il a dépassé 20 millions d'euros . Depuis cette date, son niveau se situe autour de dix millions d'euros par an, 11 123 050 euros ayant par exemple été saisis en 2013.

Les recettes du fonds de concours sont réparties entre les ministères et services concernés par la lutte contre la toxicomanie selon une clé de répartition fixée lors d'une réunion interministérielle le 15 février 2007 :

- 35 % pour la police ;

- 25 % pour la gendarmerie ;

- 20 % pour le ministère de la justice ;

- 10 % pour les douanes.

Les 10 % restants sont conservés par la Mildeca pour financer des actions de prévention. Il en va de même des crédits accordés à un ministère mais qui, en fin d'exercice, n'ont pas été utilisés.

Ce fonds de concours n'est pas une ressource pérenne et son existence ne saurait justifier la diminution de la dotation budgétaire de la Mildeca. Son champ n'est d'ailleurs pas aussi large que le domaine d'intervention de la Mildeca puisqu'il est essentiellement destiné à financer les services chargés de l'application de la loi et à leur permettre d'acquérir du matériel utilisé dans la lutte contre les trafics, d'améliorer la formation de leurs agents ou de développer la coopération internationale. Il permet surtout aujourd'hui de compenser la baisse des moyens que subissent les services enquêteurs.

Des progrès ont néanmoins été réalisés depuis 2013, avec la réunion semestrielle du comité de pilotage du fonds de concours, regroupant des représentants de chacun des ministères concernés. Il a notamment été convenu d'en améliorer la gestion , afin de réduire les reports de crédits d'une année sur l'autre, et de développer l'évaluation des actions financées. Le manque de prévisibilité des recettes du fonds est néanmoins lié à sa nature même. En effet, une très grande déperdition est constatée entre le volume des saisies et les condamnations prononcées : moins de 20 % des saisies sont confisquées définitivement . Dès lors, il appartient aux magistrats de systématiser les saisies et d'en faire un de leurs réflexes dans les affaires concernant le trafic de stupéfiants.

Au final, votre rapporteur pour avis estime que la réduction du budget de la Mildeca prévue par le PLF pour 2015 ne remet pas en cause ses capacités d'action mais est nécessaire au vu de l'état de nos finances publiques. La baisse des dépenses de l'Etat doit être réalisée et tous ses organismes doivent y participer. Il faut toutefois veiller à ne pas diminuer davantage le budget de l'OFDT : il ne pourrait alors plus assurer le financement de son réseau d'observation des phénomènes émergents Trend, qui repose sur sept sites en France.

C. RENONCER À L'EXPÉRIMENTATION D'UNE SALLE DE CONSOMMATION À MOINDRE RISQUE

Dans plusieurs pays étrangers (Suisse, Canada, Pays-Bas, Allemagne, etc.), la politique de réduction des risques en direction des usagers de drogues inclut désormais des centres d'injection supervisés , lieux dans lesquels les personnes souffrant d'une addiction et consommant de la drogue par voie intraveineuse peuvent, sous la supervision d'un personnel médical et médico-social, consommer leur drogue dans des conditions d'hygiène et de salubrité normales, à l'aide de matériel à usage unique, et bénéficier le cas échéant d'un accès aux soins et à un accompagnement social.

Le plan gouvernemental 2013-2017 prévoit d'expérimenter « l'ouverture d'une salle de consommation à moindre risque (SCMR) à Paris dans un premier temps, puis dans une ou deux autres villes, sur la durée du plan ». Toutefois, le 8 octobre 2013, la section sociale du Conseil d'Etat a émis un avis négatif sur un projet de décret « relatif aux expérimentations locales en matière de réduction des risques en direction des usagers de drogues » qui portait sur les SCMR en estimant que sa base légale était insuffisante et qu'il fallait, pour qu'une SCMR puisse être ouverte, que le législateur fixe une dérogation limitée à l'interdiction, fixée par la loi, de la consommation de stupéfiants.

En conséquence, l'article 9 du projet de loi relatif à la santé , déposé à l'Assemblée nationale le 15 octobre 2014, autorise l'expérimentation pour une durée de six ans de ces SCMR . Dépendant d'un Caarud, elles seraient destinées à « accueillir des usagers majeurs de substances psychoactives ou classées comme stupéfiantes qui souhaitent bénéficier de conseils en réduction des risques dans le cadre d'usages supervisés ». Ces derniers pourraient y consommer les produits qu'ils y ont apportés pour leur usage personnel, sans pouvoir être poursuivis pour usage illicite et détention illicite de stupéfiants. Le personnel de la salle ne pourrait pas être poursuivi pour complicité d'usage illicite de stupéfiants et facilitation de l'usage illicite de stupéfiants.

Etablissements médico-sociaux, les Caarud sont financés par l'assurance maladie. Selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis lors de ses auditions, 3,2 millions d'euros seraient alloués à l'expérimentation d'une SCMR au sein du fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaire (FNPEIS) de la Cnam sur quatre ans , soit 800 000 euros par an .

Votre rapporteur pour avis est fondamentalement opposé à cette initiative . Ayant visité un exemple étranger, à Genève, il peut affirmer que cet outil n'est pas adapté à la situation française , à ses traditions comme à sa législation. Cette légalisation de facto de l'usage de drogues brouille et rend inaudible le message qui doit être celui de l'Etat, c'est-à-dire la prohibition . Qui plus est, quelles vont en être les conséquences pour les riverains ? Loin d'être le seul dans ce cas, votre rapporteur pour avis craint que cela n'aboutisse à créer une zone de non-droit , le rassemblement d'un grand nombre de consommateurs en un même lieu attirant mécaniquement leurs fournisseurs. Quelle devra être la réaction de la police ? Ne pourra-t-elle plus contrôler les passants dans ce secteur ? Et que penser de la responsabilité des personnels de cette structure en cas d'overdose ?

Cette question sera très largement débattue au printemps 2015, lorsque le projet de loi relatif à la santé sera soumis au Sénat. Il était néanmoins utile de la mentionner dans le présent rapport car la Mildeca est chargée de préparer cette expérimentation et d'en piloter l'évaluation .

*

* *

Suivant la proposition de son rapporteur pour avis, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2015.

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 26 novembre 2014, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission examine le rapport pour avis de M. Gilbert Barbier sur l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2015.

M. Gilbert Barbier, rapporteur pour avis. - 2013 a été une année de transition pour la politique gouvernementale de lutte contre les addictions. Elle a vu la préparation du nouveau plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Il court jusqu'en 2017 et définit la stratégie des pouvoirs publics en matière de prévention, de soins et de réduction des risques liés aux addictions, de lutte contre les trafics et d'application de la loi et de développement de la recherche.

En 2014, ce plan a consisté tout d'abord à modifier la structure chargée d'en superviser l'application. La mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies (Mildt) est en effet devenue, par un décret du 11 mars, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Ce changement de dénomination n'est pas anodin : il rappelle que les addictions ne sont pas forcément causées par un produit et établit pleinement la compétence de la Mildeca sur l'ensemble de la politique publique menée contre les conduites addictives, par une approche intégrée portant sur la réduction de l'offre comme sur celle de la demande.

Une telle clarification était nécessaire tant la situation française en matière d'addictions est préoccupante. Le cannabis reste bien sûr le produit illicite le plus consommé en France, avec 13,5 millions d'expérimentateurs, 3,8 millions d'usagers dans l'année, 1,2 million d'usagers réguliers et environ 550 000 usagers quotidiens. Si les Français restent parmi les principaux consommateurs européens, on observe une stabilisation des niveaux de consommation et un vieillissement de l'âge d'entrée dans la consommation.

A l'occasion de ce rapport, il m'est apparu utile de contredire le mythe qui tend à se répandre sur l'innocuité de sa consommation. Une étude récente portant sur un suivi de 20 ans confirme les effets physiologiques, psychologiques et physiques d'une consommation prolongée et habituelle. De plus, le produit lui-même est en pleine mutation : issu de nouveaux bassins de production ou cultivé localement, sa teneur en THC est désormais bien plus forte qu'il y a quelques années. Les enjeux économiques liés à sa culture sont énormes pour des Etats comme le Maroc, où l'argent injecté par les trafiquants dans l'économie locale serait équivalent au poids de l'industrie du tourisme. Je rappelle que dans mon rapport pour la mission commune Assemblée nationale - Sénat sur les toxicomanies il y a maintenant trois ans, j'avais proposé d'instituer une pénalité contraventionnelle pour les usagers simples de cannabis avec effet immédiat, beaucoup plus sensible pour les jeunes que les rappels à la loi. Repoussée à l'époque, il semble que cette proposition fasse actuellement son chemin, notamment à l'Assemblée nationale.

On assiste depuis quinze ans à une augmentation régulière de la consommation de cocaïne. Si en valeur absolue ce phénomène peut sembler limité, avec 1,5 million d'expérimentateurs et 400 000 usagers dans l'année, l'expérimentation a plus que doublé en dix ans, passant de 1,8 % à 3,8 % de la population adulte. Inquiétant, l'usage au cours de l'année à quant à lui triplé, de 0,3 % à 0,9 % de la population. L'Europe est devenue le premier marché de ce produit, dépassant les Etats-Unis, suscitant l'intérêt des trafiquants d'Amérique du Sud qui utilisent maintenant l'Afrique de l'Ouest comme plateforme de transit pour leur produit.

Les opiacés, et en premier lieu l'héroïne, sont à l'origine de dommages sanitaires et sociaux graves liés notamment à leurs modalités de consommation. Le partage de matériel d'injection est un facteur de contamination des virus des hépatites B et C et du VIH. La dépendance physique et psychique est très forte et les risques d'overdose ne peuvent pas être écartés. Si ici encore le nombre de personnes ayant pris de l'héroïne au moins une fois dans leur vie, 500 000, peut sembler faible au regard de l'ensemble de la population française, ce sont la centaine de milliers d'usagers dépendants qui doivent faire l'objet d'un suivi médico-social particulier et bénéficier d'une politique de réduction des risques ambitieuse.

Les traitements de substitution, à base de méthadone ou de buprénorphine haut dosage (Subutex), permettent une prise en charge et un suivi qui n'est pas toujours effectif, mais le mésusage du Subutex en injection intraveineuse est de plus en plus répandu. Des filières internationales s'en saisissent. Il serait nécessaire d'instituer des contrôles plus stricts sur leur prescription, ce qui passe à mes yeux par le classement du Subutex comme stupéfiant, voire son interdiction au profit de la buprénorphine associée à un antagoniste (Suboxone).

Il faut également mentionner la montée en puissance et la dangerosité des nouveaux produits de synthèse, qui se situent en marge de la légalité. Dès que leur interdiction est annoncée, des chimistes modifient leur composition pour les remettre en vente sous une autre forme. Disponibles sans difficultés sur internet, ni leurs effets ni leur qualité ne sont connus à l'avance par le consommateur. 81 nouveaux produits sont apparus en 2013 : l'Etat est toujours pris de court par le rythme de l'innovation dans ce domaine.

Ces drogues illégales ne doivent toutefois pas masquer le fait que ce sont des produits licites qui sont la principale source des addictions et de leurs conséquences sanitaires. En ce qui concerne l'alcool, il est vrai que la proportion de consommateurs quotidiens, tout comme les quantités consommées, sont à la baisse. En revanche, les comportements à risques se développent chez les jeunes avec le « binge drinking », ou alcoolisation ponctuelle importante (API). 53 % des jeunes de 17 ans connaissent au moins une API dans le mois. Les femmes rattrapent le retard qu'elles ont pu avoir sur les hommes en la matière. Chaque année, près de 50 000 décès peuvent être imputés à l'alcool.

Quant au tabac, si les buralistes déplorent une diminution des ventes, celle-ci ne s'est pas encore fait ressentir dans les comportements de consommation. La France compte plus de 13 millions de fumeurs quotidiens. Ici encore, ces dernières années ont vu l'usage s'accroitre significativement chez les femmes, même si des signes encourageants sont perçus chez les plus jeunes. Sur ce sujet, Marisol Touraine a présenté en septembre dernier un programme national de réduction du tabagisme (PNRT), dont nous devrions débattre lors de l'examen du projet de loi de santé l'an prochain. Ce doit être une priorité quand on sait qu'avec 73 000 décès chaque année le tabac est la première cause de mortalité évitable en France.

La Mildeca est-elle en mesure de répondre à ces défis ? L'examen de ses crédits peut permettre d'en douter, puisqu'ils diminuent de 5 % par rapport à 2014, passant de 20,66 à 19,63 millions d'euros. Ces économies devraient toutefois être réalisées dans les dépenses de fonctionnement, puisque les dépenses d'intervention, et en particulier les moyens délégués aux chefs de projets départementaux pour cofinancer des initiatives locales de prévention, resteront stables à 9,8 millions d'euros.

Les deux opérateurs de la Mildeca, le centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad, basé en Martinique) et l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), subissent également une baisse de leur budget, de 7,1 % et 2,7 % respectivement. Des réductions supplémentaires handicaperaient grandement l'OFDT puisqu'il ne pourrait plus assurer le financement de son réseau d'observation des phénomènes émergents Trend, qui repose sur sept sites en France.

Je vous rappelle également que la Mildeca bénéficie d'un fonds de concours, alimenté par le produit des saisies réalisées dans le cadre d'enquêtes sur des trafics de stupéfiants. Après des années 2010 et 2011 fastes, où il a dépassé les 20 millions d'euros, il s'est stabilisé depuis aux alentours de 10 millions d'euros. Ces crédits sont ensuite redistribués aux services concernés par la lutte contre les infractions à la législation sur les stupéfiants (police, gendarmerie, justice, douanes) pour financer des achats de matériels. 10 % sont conservés par le Mildeca pour financer des initiatives liées à la prévention.

En 2015, l'activité de la Mildeca devrait se concentrer sur la mise en oeuvre du plan gouvernemental, qui est décliné en un premier plan d'actions pour la période 2013-2015 composé de 131 actions. 131 actions c'est peut-être trop par rapport aux moyens disponibles : il faut éviter un saupoudrage souvent inefficace. Cette année devrait surtout être marquée par un grand rendez-vous législatif qui aura un impact certain sur la politique de lutte contre les conduites addictives. Le projet de loi relatif à la santé comprend plusieurs dispositions visant à développer la prévention et la réduction des risques. En direction des jeunes, l'article 4 punit les incitations à la consommation d'alcool dans les cas de bizutage, les incitations à la consommation habituelle d'alcool ainsi que la vente de produits incitant à la consommation d'alcool. Son article 8 enrichit la définition de la politique de réduction des risques donnée par le code de la santé publique en précisant qu'elle porte aussi bien sur l'information des usagers que sur leur orientation vers les services sociaux ou médicaux adaptés. Cet article rappelle qu'elle repose sur l'échange, dans un cadre sécurisé, des matériels de consommation, et sur les mesures à prendre afin de diminuer les risques de transmission d'infections. Il lui donne enfin une base légale dans le milieu carcéral.

Enfin, l'article 9 autorise l'expérimentation pour une durée de six ans de salles de consommation à moindre risque. Figurant dans le plan gouvernemental, cette mesure devait être mise en oeuvre par décret l'an dernier ; le Conseil d'Etat avait alors estimé qu'un passage par la loi était nécessaire.

Personnellement, j'y suis fondamentalement opposé. Pour avoir visité un exemple étranger, à Genève, je ne pense pas que cet outil soit adapté à la situation française, à ses traditions comme à sa législation. Cette légalisation de facto de l'usage de drogues brouille et rend inaudible le message qui doit être celui de l'Etat, c'est-à-dire la prohibition. Qui plus est, quelles vont en être les conséquences pour les riverains ? Je crains, et je suis loin d'être le seul dans ce cas, que cela ne n'aboutisse à créer une zone de non-droit, le rassemblement d'un grand nombre de consommateurs en un même lieu attirant mécaniquement leurs fournisseurs. Quelle devra être la réaction de la police ? Ne pourra-t-elle plus contrôler les passants dans ce secteur ? Et que penser de la responsabilité des personnels de cette structure en cas d'overdose ?

Nous aurons très largement l'occasion de débattre de cette question au printemps prochain, lorsque ce projet de loi sera soumis à notre commission. Je tenais néanmoins à vous faire part de mon point de vue aujourd'hui car la Mildeca est chargée de préparer cette expérimentation et d'en piloter l'évaluation.

Sous la direction de sa nouvelle présidente, la Mildeca a su engager la modernisation de la politique française de lutte contre les addictions, qui a pour spécificité de former un continuum qui va de la prévention à la répression sans négliger le soin et la réduction des risques. Toutes les personnes que j'ai auditionnées, qu'elles soient issues du milieu associatif ou bien chargées de la lutte contre les trafics, sont très attachées à cette caractéristique et jugent le plan gouvernemental équilibré.

Je n'en partage pas tous les choix, et j'espère qu'il fera l'objet d'une évaluation rigoureuse et indépendante. Pour l'heure, s'agissant du budget pour 2015, on peut regretter qu'il s'inscrive dans le mouvement de diminution des moyens que la Mildeca subit depuis plusieurs années. Néanmoins, une nouvelle impulsion a été donnée et une feuille de route a été établie. J'estime donc qu'il ne faut pas, à ce stade, marquer notre défiance vis-à-vis de ces orientations. C'est pourquoi je vous invite à donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la Mildeca.

Mme Catherine Génisson. - Existe-t-il une analyse sociologique des consommateurs de drogues illicites, qui permette d'aller plus loin que les idées reçues sur le sujet ?

On sait que les drogues de synthèse sont particulièrement neurotoxiques. Dispose-t-on d'une analyse de leur composition ?

La diminution des ventes de tabac ne se ressent pas encore dans les comportements de consommation : c'est un point qu'il faudra aborder lorsque nous débattrons du projet de loi relatif à la santé.

Il y aura également un vaste débat sur l'expérimentation des salles de shoot. Les avis sont très partagés et tous doivent pouvoir être exprimés.

Mme Laurence Cohen. - Ayant été moi-même rapporteure pour avis à trois reprises des crédits de ce qui était encore la Mildt, je suis particulièrement sensible à la problématique des addictions.

Je suis étonnée et même révoltée par la tendance générale qui nous invite à faire mieux avec moins. Le budget de la Mildeca est encore amputé. Se réfugier derrière la diminution du budget de fonctionnement ne permet pas de masquer qu'elle aura des conséquences humaines inévitables. J'avais rencontré de nombreux professionnels à l'époque, notamment le chef de l'office central de répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), et j'avais été atterrée par le manque de moyens de la police. Continuer à les diminuer est une aberration.

Le fonds de concours est un apport non négligeable, mais il est aléatoire. Qui plus est, les véhicules saisis lors des enquêtes ne peuvent pas être utilisés par les forces de l'ordre, même s'ils s'avèrent être plus performants que ceux dont ils disposent. Il y a donc de nombreuses règles à faire évoluer en la matière.

Je trouve que l'expérimentation de salles de consommation à moindre risque est intéressante et doit être menée à bien. Il serait également important d'aborder la dépénalisation de l'usage du cannabis, car les politiques mises en oeuvre jusqu'à présent en la matière ne sont pas efficaces. Je déplore que notre pays n'ait pas le courage d'organiser un débat public qui permettrait de dépasser les peurs et les fantasmes sur cette question de santé publique.

Pour toutes ces raisons, je ne peux pas suivre l'avis du rapporteur.

Mme Pascale Gruny. - La répression seule ne peut pas régler le problème des addictions : la prévention, tout particulièrement en direction des jeunes, doit se développer. Il faut qu'elle débute dès le primaire, avant les premières consommations qui ont lieu au collège.

L'aspect médical est souvent privilégié en France, au détriment de l'accompagnement social et de l'insertion des toxicomanes, qui sont pourtant essentiels. L'exemple italien mériterait d'être étudié.

Enfin, je tiens à marquer mon opposition aux salles de shoot et à la dépénalisation de la consommation du cannabis : il ne faut pas envoyer de tels messages.

Mme Corinne Imbert. - Le détournement de l'usage du Subutex n'est pas récent, est-il maintenant plus répandu ? Cela soulève la question de la forme galénique du médicament, et ce d'autant plus que la forme générique du Subutex est souvent refusée par les patients car elle se dissout moins bien. Je ne sais pas si son classement en tant que stupéfiant sera un gage d'efficacité, la prescription et la délivrance étant déjà bien encadrées. L'associer à un autre médicament ou rendre le générique obligatoire pourraient être des solutions. Par ailleurs, quelle est l'importance de son trafic ?

J'aimerais enfin faire remarquer que, si tous les utilisateurs de drogues douces ne sont pas tombés dans les drogues dures, tous les utilisateurs de drogues dures sont passés par les drogues douces. Pour cette raison, je suis très réservée sur la dépénalisation.

M. Gilbert Barbier, rapporteur pour avis. - La cocaïne s'est considérablement démocratisée, mais je n'ai pas de statistiques précises sur les milieux dans lesquels elle est consommée. Quant aux drogues de synthèse, la rapidité avec laquelle les chimistes les modifient et les mettent en vente sur internet ne permet pas d'en faire l'analyse avant qu'elles ne se répandent.

Je considère qu'il faut que l'Etat fasse des économies : on ne peut pas uniquement augmenter les recettes pour combler les déficits. L'ensemble des services de l'Etat et des organismes qui lui sont rattachés doivent y contribuer. Si on en avait la possibilité, ce domaine mériterait évidemment des moyens supplémentaires, mais au vu de l'état actuel des finances publiques je ne peux pas demander l'augmentation du budget de la Mildeca.

L'insuffisance de la prévention en France est un vrai problème de santé publique, qui dépasse le champ des addictions.

Le suivi social des personnes souffrant d'une addiction ou qui sont en sevrage peut être effectué par les centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). J'en ai visité plusieurs qui font un bon travail dans ce domaine, même si on peut certainement mieux faire.

Je suis d'accord avec l'approche pharmacologique de Corinne Imbert sur le Subutex. J'ai proposé une solution pour lutter contre les trafics qu'on constate de nos jours ; elle est peut être excessive, mais aujourd'hui la même ordonnance peut être utilisée dans un court laps de temps dans plusieurs pharmacies, les systèmes d'information se synchronisant trop lentement. La ministre ne partage pas ma position, ce qui clôt sans doute le débat pour l'instant.

Mme Isabelle Debré. - Une salle de consommation à moindre risque devait voir le jour près de la gare du Nord au printemps prochain : c'est ce que Marisol Touraine avait annoncé. Va-t-elle pouvoir ouvrir avant que la loi ne soit votée ?

M. Gilbert Barbier, rapporteur pour avis. - Absolument pas, le Conseil d'Etat s'y étant opposé.

Mme Isabelle Debré. - Je vous remercie pour cette réponse, et je partage votre point de vue sur le sujet.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2015.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

• Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam)

Mathilde Lignot-Leloup , directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins
Garménick Leblanc , responsable de la cellule « médico-social »

• Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca)

Gilles Lecoq, délégué
Jean-François Pons , secrétaire général

• Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)

François Beck , directeur
Christophe Palle, responsable scientifique

• Fédération Addiction

Nathalie Latour , directrice générale
Catherine Delorme , membre du bureau

• Direction générale de la santé du ministère des affaires sociales, de la santé
et des droits des femmes

Pascal Mélihan-Cheinin, sous-directeur de la santé des populations
et de la prévention des maladies chroniques par intérim
Laurence Lavy , cheffe du bureau des addictions et autres déterminants comportementaux de santé (MC2)

• Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS)

François Thierry , commissaire divisionnaire, chef de l'OCRTIS


* 1 Hall W. What has research over the past two decades revealed about the adverse health effects of recreational cannabis use ? Addiction, 109, octobre 2014.

* 2 Poudre de cocaïne destinée à être fumée après transformation en galette par sa dissolution dans l'eau et l'adjonction d'un agent alcalin, bicarbonate de soude ou ammoniac.

* 3 Cocaïne basée vendue au consommateur sous forme de caillou ou de galette.

* 4 Transformation par le consommateur de la poudre de cocaïne en caillou de cocaïne basée pour son usage propre.

* 5 Soit boire au moins cinq verres d'alcool en une même occasion.

* 6 Circulaire DGS/SP3/95 n° 29 du 31 mars 1995 relative aux traitements de substitution pour les toxicomanes dépendants aux opiacés.

* 7 Y sont inscrits « les substances ou préparations, ou les médicaments et produits présentant les risques les plus élevés pour la santé ».

* 8 En application de l'article R. 5132-29 du code de la santé publique.

* 9 Les traitements de substitution aux opiacés en France : données récentes ; Tendances n° 94, octobre 2014.

* 10 En 2012.

* 11 En 2010, soit environ 5 000 personnes.

* 12 Observation des produits psychotropes illicites ou détournés de leur utilisation médicamenteuse, réalisée essentiellement auprès du public des Csapa par les centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance (CEIP) et l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

* 13 Selon les critères du test Audit-C (Alcohol use disorders identification test) mis au point sous l'égide de l'OMS pour détecter les consommations d'alcool à risque et dangereuses.

* 14 Loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.

* 15 Décret n° 2014-322 du 11 mars 2014 relatif à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.

* 16 Igas-IGA-IGSJ, Evaluation du pilotage territorial de la politique de prévention et de lutte contre les drogues et la toxicomanie, mars 2014.

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