C. UNE DÉPENSE FISCALE QUI CONTINUE SA PROGRESSION

Outre la dette viagère et les mesures d'ordre social qui y sont associées, le droit à réparation dont sont titulaires les anciens combattants et leurs ayants droit comprend plusieurs dépenses fiscales . Définies comme « des dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en oeuvre entraîne pour l'État une perte de recettes et donc, pour les contribuables, un allégement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l'application de la norme, c'est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français » 20 ( * ) , cinq d'entre elles portant principalement sur l'impôt sur le revenu sont rattachées au programme 169.

Tout titulaire de la carte du combattant âgé de plus de soixante-quinze ans , ainsi que son conjoint survivant dès lors qu'il en a lui-même bénéficié de son vivant, reçoit une demi-part fiscale . Par ailleurs, les versements effectués en vue de la constitution d'une rente mutualiste sont déduits du revenu imposable. Enfin, la retraite du combattant , les pensions militaires d'invalidité , les rentes mutualistes lorsqu'elles sont inférieures au plafond imposable et l'allocation de reconnaissance servie aux harkis ne sont pas soumises à l'impôt sur le revenu .

Ces dépenses fiscales devraient représenter selon les estimations du Gouvernement 710 millions d'euros en 2015 , en hausse de 5,2 % par rapport à 2014 (675 millions d'euros) et de 16 % par rapport à 2013 (612 millions d'euros). Sur la même période, les crédits du programme 169 ont diminué de 8,5 % . La principale d'entre elles, la demi-part supplémentaire reconnue aux titulaires de la carte du combattant, verra son coût progresser de 8,2 % .

Tableau n° 8 : Les dépenses fiscales associées à la mission
« Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation »

Impôt concerné

Dispositif

Nombre de bénéficiaires
2013
(ménages)

Chiffrage pour 2014
( PLF 2014 - PLF 2015 )

Chiffrage pour 2015

(en millions d'euros)

Impôt
sur le
revenu

Exonération de la retraite du combattant, des pensions militaires d'invalidité, des retraites mutualistes servies aux anciens combattants et aux victimes de guerre et de l'allocation de reconnaissance servie aux harkis et à leurs veuves

Date de création : 1934

1 942 204

200 -200

200

Demi-part supplémentaire pour les contribuables (et leurs veuves) de plus de 75 ans titulaires de la carte du combattant

Date de création : 1945

656 640

330 -425

460

Déduction des versements effectués en vue de la retraite mutualiste du combattant

Date de création : 1941

206 670

36 -50

50

Droits d'enregistrement
et de timbre

Réduction de droits en raison de la qualité du donataire ou de l'héritier (mutilé, etc.)

Date de création : 1959

nd

å

å

Exonération de droits de mutation pour les successions des victimes d'opérations militaires ou d'actes de terrorisme

Date de création : 1939

nd

nc

nc

Total

2 805 514 1

566 -675 1

710 1

1 : approximation compte tenu des données manquantes

å : coût inférieur à 0,5 million d'euros

nd : non déterminé

nc : non chiffrable

Source : Commission des affaires sociales et projet annuel de performance annexé au PLF

Ces dépenses fiscales sont des composantes essentielles du droit à réparation et une traduction à part entière de la reconnaissance de la Nation envers ses anciens combattants. Leur légitimité ne saurait être remise en cause, tout comme leur périmètre . Néanmoins, votre rapporteur pour avis ne peut que déplorer, comme sa prédécesseure, le manque de fiabilité de leur chiffrage .

En effet, le projet annuel de performance (PAP) de la mission annexé au projet de loi de finances pour 2014 évaluait à 370 millions d'euros pour cette même année le coût de la demi-part. Le PAP pour 2015 présente quant à lui un chiffre supérieur de 15 % à l'estimation de l'an dernier ( 425 millions d'euros ). Entre les PLF pour 2014 et 2015, le montant global des dépenses fiscales rattachées à la mission a été sous-évalué de 69 millions d'euros pour 2014 et de 46 millions d'euros pour 2013 . Toujours pour 2013, la différence entre les estimations des PLF pour 2013 et 2015 est de 107 millions d'euros , soit une hausse de 21 % par rapport au montant initial.

L'accroissement rapide de la dépense fiscale liée à la demi-part était pourtant prévisible : il est lié à l'assouplissement progressif des conditions d'attribution de la carte du combattant aux soldats ayant servi en Algérie, qui a abouti en 2004 à l'instauration du critère de quatre mois de présence sur ce territoire, et au vieillissement de la population concernée. Les plus jeunes appelés ayant servi en Algérie sont nés en 1941 ou au début de l'année 1942 ; ils ont aujourd'hui tous plus de soixante-douze ans. Les plus âgés des militaires de carrière sont maintenant centenaires. Ils peuvent quasiment tous prétendre à la carte du combattant et donc à la demi-part. Par ailleurs, au 31 décembre 2013, sur les 969 263 retraites du combattant versées au titre de la guerre d'Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc, 180 000 sont perçues par des personnes qui ont entre soixante-dix et soixante-quatorze ans ; les autres le sont par des personnes plus âgées.

Au vu de ces chiffres, il était sans nul doute possible d' anticiper de manière plus précise l'évolution de la principale dépense fiscale liée au programme 169, tout en prenant en compte le fait qu'une partie des anciens combattants éligibles à la demi-part ne sont pas imposables. Cette hausse devrait se poursuivre pendant plusieurs années avant qu'une stabilisation ne s'opère puis que les nouvelles entrées dans le dispositif ne compensent plus la diminution de la population en raison de son vieillissement, qui pour les générations les plus âgées s'amorce déjà.

La commission des finances de notre assemblée s'était saisie de cette question 21 ( * ) au premier semestre 2014. Son rapporteur spécial, notre collègue Philippe Marini, appelait à « maîtriser » l'évolution de la dépense fiscale en faveur des anciens combattants, soulignant l'insuffisante prise en compte de l'évolution démographique dans les méthodes de chiffrage utilisées par le ministère des finances et le manque de précision des résultats obtenus. Selon les projections établies par celui-ci, le coût de la dépense fiscale liée à la mission devrait atteindre 775 millions d'euros en 2018 , soit une hausse de 85 % en 10 ans .

Les recommandations du rapport Marini

1. Collecter et réactualiser les données générationnelles relatives aux titulaires de la carte du combattant et d'un titre de reconnaissance de la Nation afin de disposer d'outils fiables pour chiffrer les dépenses fiscales et réaliser des simulations d'évolution.

2. Présenter et justifier la contribution des différentes dépenses fiscales à l'atteinte des objectifs des programmes de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », au même titre que les crédits budgétaires.

3. Proposer des indicateurs qui permettraient d'intégrer les dépenses fiscales dans le dispositif de mesure de la performance de la mission.

4. Mettre en oeuvre sans délai l'évaluation des dépenses fiscales de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » prévue par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 pour mesurer leur efficience et leur efficacité.

5. Organiser, en concertation avec les associations d'anciens combattants, une réflexion globale sur la dépense fiscale au sein de la mission et formuler des propositions de refonte avant le 1 er juillet 2015.

Lors des auditions qu'il a réalisées, votre rapporteur pour avis a perçu l'incompréhension qu'a suscitée ce rapport chez les représentants du monde combattant.

Pour autant, ce rapport avait le mérite de réaffirmer qu' il n'est pas acceptable que l'information fournie au législateur se révèle année après année être inexacte . Si la remise en cause des dépenses fiscales elles-mêmes n'est aucunement justifiée , il serait tout à fait pertinent de mettre en oeuvre la première recommandation du rapport Marini, afin de pouvoir réaliser des simulations d'évolution cohérente avec la situation démographique des titulaires de la carte du combattant. De même, améliorer l'intégration des dépenses fiscales dans le dispositif de performance de la mission s'inscrit dans le cadre de la gestion rénovée des finances publiques issue de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) de 2001. Il ne faut toutefois pas oublier que ces dépenses fiscales sont l'expression d'une dette de l'Etat envers ses anciens combattants et ont une valeur symbolique qui contrebalance très largement leur coût et les distingue des 452 autres dépenses fiscales recensées dans le PLF pour 2015.


* 20 Source : Evaluation des voies et moyens, tome II, annexée au PLF pour 2015.

* 21 Philippe Marini, rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur la dépense fiscale en faveur des anciens combattants ; n° 653, 2013-2014.

Page mise à jour le

Partager cette page