B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : UNE CODIFICATION RESPECTUEUSE DE L'ESPRIT ET DES SPÉCIFICITÉS DE LA NOUVELLE ACTIVITÉ
À titre liminaire, votre rapporteur souhaite insister sur la complexité du processus de codification.
Le choix de la codification dans le code des transports par les députés peut se justifier pour les modalités particulières d'exercice de l'activité de garde privée à bord des navires mais présente de graves inconvénients pour les dispositions figurant déjà dans le code de la sécurité intérieure.
À l'inverse, codifier l'intégralité du projet de loi dans le code de la sécurité intérieure, en créant un chapitre spécifique relatif aux modalités particulières d'exercice ne serait pas satisfaisant : la nouvelle activité privée de protection des navires fait intervenir des acteurs atypiques dans le monde de la sécurité privée : capitaines de navires, armateurs. Leurs fonctions sont définies dans le code des transports, qui renvoie aussi à des notions spécifiques liées à l'espace maritime. Le risque d'inintelligibilité, lié à des renvois multiples du code de la sécurité intérieure à un autre code, serait réel.
Votre commission, à l'initiative de son rapporteur a opté pour une solution médiane consistant à intégrer l'activité de protection des navires dans le titre I er du livre VI du code de la sécurité intérieure, en ce qui concerne le dispositif commun aux autres activités privées de sécurité : conditions d'exercice, rôle du CNAPS, contrôles, sanctions disciplinaires et pénales.
Dans un chapitre distinct du titre I er de ce livre VI, il s'agira de préciser les dispositions spécifiques à la protection des navires en matière de conditions d'exercice, de contrôle administratif ou de sanctions disciplinaires et pénales, le cas échéant, et d'opérer un renvoi aux modalités d'exercice de l'activité de protection des navires (l'actuel titre III du projet de loi), codifiées quant à elles dans le code des transports.
En effet, le rapatriement des dispositions du titre II, IV et V du projet de loi dans le code de la sécurité intérieure ne signifie pas que les spécificités, au sein même de ces titres, ne seront pas prises en compte. En outre, cela permettra, le cas échéant, d'améliorer à cette occasion la rédaction de certains articles existants du code de la sécurité intérieure.
En effet, la codification est aussi un processus pragmatique . Il s'agit moins de respecter des catégories que de remplir l'objectif de la codification : créer un cadre juridique accessible et compréhensible pour les citoyens et les usagers du droit. À cet égard, l'objection selon laquelle le code de la sécurité « intérieure » ne peut pas régir une activité se déroulant « à l'extérieur » du territoire est sans fondement : dès 2008, le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale a constaté que « la distinction entre sécurité intérieure et sécurité extérieure n'est plus pertinente ».
Plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur ont néanmoins fait valoir le caractère « militaire » des opérations de protection des navires, qui justifieraient de ne pas insérer les modalités de cette activité dans le code de la sécurité intérieure.
L'argument est discutable : l'activité ne s'exercera qu'à bord des navires battant pavillon français, en haute mer. Elle s'appliquera donc selon la loi de l'État du pavillon, c'est-à-dire les lois et les règlements applicables sur le territoire français.
Surtout, votre rapporteur estime qu'il est dangereux et tout à fait contraire à l'esprit du projet de loi lui-même et des dispositions actuellement applicables d'instaurer une nouvelle catégorie d'activité privée qui serait de nature militaire. Ce serait ouvrir la possibilité de permettre à terme l'activité de sociétés militaires privées, dont les dérives à l'étranger ont montré le danger, tant pour les populations civiles que pour les forces armées conventionnelles. En outre, une telle extension serait probablement inconstitutionnelle, dans la mesure où dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 Loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité , le Conseil constitutionnel a limité l'intervention des personnes privées dans le domaine de la sécurité aux missions non régaliennes de l'État.
Ainsi, dans sa décision 2011-625 DC du 10 mars 2011 Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, le Conseil constitutionnel a censuré la possibilité accordée à des opérateurs privés d'exploiter des systèmes de vidéo-protection sur la voie publique et de visionner ces images, en estimant que ces dispositions « rend[aient] ainsi possible la délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits » 5 ( * ) . Le Conseil constitutionnel a ainsi estimé qu'il y avait violation de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 6 ( * ) .
Au regard des avantages pratiques retenus de la solution proposée par votre rapporteur, votre commission a donc procédé à l'insertion de l'activité de protection des navires dans le titre I er du livre VI du code de la sécurité intérieure pour les dispositions relatives aux conditions d'exercice, aux contrôles ainsi qu'aux sanctions et a opéré les coordinations nécessaires pour prendre en compte les spécificités de cette nouvelle activité. En outre, elle a opéré un renvoi aux dispositions du titre I er et du titre III du projet de loi, tels qu'ils ont été codifiés dans le code des transports par l'Assemblée nationale.
* 5 Considérant n° 19.
* 6 « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. »