B. LE MALAISE DES PERSONNELS PÉNITENTIAIRES
1. Le désarroi de certains personnels
Ces difficultés entretiennent un climat de malaise - inégal selon les établissements pénitentiaires - dont M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, s'est fait l'écho dans son rapport annuel pour 2012 :
« Soit un fait mesurable simplement. L'absentéisme des personnels d'exécution . Dans certains établissements, il atteint aujourd'hui des dimensions fortes. Dans un centre pénitentiaire visité, le nombre de jours d'absence pour cause de maladie ou d'accident du travail était ainsi de plus de 3 500 jours pour un seul semestre soit, rapporté aux 262 agents que comptait l'établissement et à l'année, 27 jours par an et par agent. Si l'on enlève des jours d'absence ceux décomptés pour accidents du travail, dans une profession qui compte beaucoup d'agressions, il reste encore une moyenne de 20 jours par an et par agent. Ces absences ont un rapport direct avec les conditions de travail et, notamment, les choix architecturaux des bâtiments, répulsifs pour les personnels et le volume de la population carcérale . Dans une maison d'arrêt déplacée d'une construction ancienne à des bâtiments flambant neufs du programme « 13 200 », le nombre de jours d'absence est passé de deux par agent et par an dans le vieil établissement à 22,8 dans le nouveau [...].
« Soit encore le rôle des cadres moyens du personnel pénitentiaire, « gradés », appelés premiers surveillants et majors pénitentiaires . Dans une profession dont le taux d'encadrement est nettement plus faible, dit-on, que chez les fonctionnaires de police, les premiers surveillants ont un rôle essentiel mais mal défini. Tous le disent : ils sont écartelés entre le fait que la nuit et le week-end, l'un d'entre eux, responsable de l'équipe en fonction, est de facto chef d'établissement et, dans la journée, les jours ouvrables, soumis à des tâches beaucoup plus restreintes. Au surplus, même ces jours-là, ils sont de moins en moins présents aux côtés des surveillants pour encadrer ces derniers dans leurs missions. On les voit lors des mouvements importants (mise en place ou remontées des promenades), guère plus, absorbés qu'ils sont par des tâches diverses, souvent paperassières, variant d'un établissement à l'autre. En réalité, leur rôle exact, pourtant central, reste quelque peu indéterminé. Il y a un grand intérêt à redéfinir précisément leur rôle et, par conséquent, leurs obligations , eux qui tous sortent du rang. Des efforts de définition ont été faits ici ou là, y compris par les organisations professionnelles. Il est souhaitable qu'ils débouchent sur des clarifications attendues des intéressés.
« Soit enfin le demi-millier de personnels de direction, chefs d'établissement ou adjoints, qui ont de lourdes responsabilités, exercées souvent dans une relative solitude . Un certain nombre d'entre eux, depuis deux ans, a choisi de quitter le métier. [...] On doit pourtant se demander si le nombre des partants aujourd'hui n'autorise pas à y voir le signe d'une difficulté partagée et d'un désarroi de responsables ayant très souvent choisi avec foi leur métier.
« Ce sont ces différents malaises qui vaudraient aujourd'hui la peine d'être pris en considération, sans laisser chacun les gérer comme il peut à son échelle » 32 ( * ) .
Ces constats n'ont guère surpris votre rapporteur, qui s'est entretenu à maintes reprises de ces questions avec les personnels pénitentiaires lors de ses visites d'établissement.
Les représentants du personnel de la maison d'arrêt d'Aix-Luynes ont par exemple fait état de difficultés liées à la pression constante exercée sur les effectifs (les départs en retraite n'étant, de surcroît, pas anticipés), alors que la population carcérale ne cesse d'augmenter. La surpopulation du quartier maison d'arrêt se traduit par une augmentation des infractions et des incidents, sans que l'établissement ait toujours les moyens d'y apporter une réponse immédiate. Face à une situation qu'ils ont qualifiée d'« épuisante moralement », le turn-over des personnels est important.
2. Des relations dégradées entre personnels de direction et représentants des personnels de surveillance
C'est dans ce cadre que l'attention de votre rapporteur a été appelée sur les relations fortement dégradées qui pouvaient prévaloir dans certains établissements pénitentiaires entre personnels de direction, d'une part, et certains représentants des personnels de surveillance, d'autre part.
Les représentants des directeurs des services pénitentiaires entendus par votre rapporteur lui ont ainsi fait part de leur sentiment d'impuissance face au comportement parfois très virulent de certains représentants des personnels. Pratiquant l'invective et la mise en cause permanente, certains vont jusqu'à remettre en cause l'autorité des personnels de direction. Face à de tels comportements, ces derniers se sentent démunis, d'autant que la chancellerie ne leur apporte pas toujours le soutien que toute administration est pourtant tenue d'apporter à ses personnels en pareille situation.
Votre rapporteur juge cette situation fortement regrettable et invite le ministère de la justice à prendre les mesures nécessaires pour conforter l'autorité des directeurs d'établissements pénitentiaires .
Au-delà, il s'est interrogé sur l'opportunité de déconcentrer au niveau des chefs d'établissements une partie du pouvoir de sanction disciplinaire à l'égard des personnels affectés dans l'établissement (par exemple pour les sanctions du premier groupe).
En effet, à l'heure actuelle, les sanctions disciplinaires du premier groupe (avertissement et blâme) concernant les personnels de surveillance relèvent de la compétence des directions interrégionales, les sanctions plus sévères relevant de l'administration centrale. Dans ce cadre, les chefs d'établissement ne formulent que des propositions de sanctions.
Interrogé sur les conditions de faisabilité d'une telle déconcentration, le ministère de la justice a mis en avant des difficultés procédurales (tenant notamment au respect du principe du contradictoire : l'autorité de sanction ne peut pas être la même que celle qui a proposé la sanction) et rappelé l'opposition traditionnelle des organisations représentatives des personnels de surveillance à tout projet de déconcentration des sanctions disciplinaires...
En tout état de cause, votre rapporteur souhaite qu'une réflexion sérieuse ait lieu dans les mois à venir sur cette question qui lui paraît essentielle pour garantir l'autorité et la crédibilité de l'administration pénitentiaire face aux détenus.
De ce point de vue, il incombe à la direction de l'administration pénitentiaire de créer les conditions d'un dialogue social constructif en son sein.
* 32 Rapport annuel précité, pages 40-41.