II. UNE ATTENTION PLUS POUSSÉE PORTÉE AU MILIEU OUVERT

Dans la suite des travaux de la conférence de consensus, la nomination d'une nouvelle directrice de l'administration pénitentiaire connue pour sa connaissance approfondie des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et la décision de créer 1 000 postes de conseillers d'insertion et de probation sur trois ans, dont 300 dès 2014, marquent la volonté du Gouvernement d'asseoir la politique pénale et la politique d'exécution des peines sur le milieu ouvert en renforçant les missions des SPIP.

Il y a là un infléchissement significatif par rapport aux orientations des années précédentes, où, malgré un certain nombre de créations de postes d'ailleurs insuffisantes pour faire face à l'augmentation de la population pénale, les crédits et emplois dégagés en faveur des SPIP n'étaient pas à la hauteur des enjeux posés par la politique de diversification des réponses pénales et d'aménagements des peines voulue par le législateur.

Votre rapporteur se félicite de cette inflexion, qui répond notamment à une des exigences de la loi pénitentiaire, tout en soulignant, au regard de la situation fortement dégradée de nombre de ces services, la nécessité d'inscrire cet effort budgétaire dans la durée et de doter ces derniers des moyens nécessaires à leur fonctionnement.

A. UN DÉVELOPPEMENT DYNAMIQUE DES AMÉNAGEMENTS DE PEINE ET DES ALTERNATIVES À L'INCARCÉRATION CONFRONTÉ À LA SURCHARGE CHRONIQUE DES SPIP

La population détenue ne constitue qu'une fraction de l'ensemble de la population pénale confiée à l'administration pénitentiaire : au 1 er janvier 2013, sur 251 998 personnes prises en charge par l'administration pénitentiaire, 175 200 (soit 70 % d'entre elles) étaient suivies en milieu ouvert. En outre, parmi les 76 798 personnes placées sous écrou, environ 20 % bénéficiaient d'un aménagement de peine.

La prise en charge de ces personnes repose principalement sur les SPIP de milieu ouvert. Alors que le nombre de mesures de milieu ouvert ne cesse d'augmenter, la situation de saturation de nombre d'entre eux constitue un frein à la mise en place de véritables actions de réinsertion.

1. Une politique d'aménagements de peine encore insuffisamment axée sur la réinsertion

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a élargi les possibilités d'aménagements de peine, soit ab initio , lorsque la peine d'emprisonnement prononcée est inférieure à deux ans (un an pour les personnes condamnées en état de récidive légale), soit en cours d'exécution de la peine d'emprisonnement.

Plusieurs mesures peuvent être prononcées : semi-liberté, placement à l'extérieur, placement sous surveillance électronique, fractionnement de peine, auxquelles il convient d'ajouter la mesure de libération conditionnelle et la surveillance électronique de fin de peine (SEFIP).

Ces mesures ont connu un fort développement au cours des années écoulées, passant de 18 % des personnes placées sous écrou en 2011 à 22 % en 2013. Le nombre total de personnes écrouées en aménagement de peine (semi-liberté, placements extérieurs, placements sous surveillance électronique) s'élevait ainsi à 4 869 au 1 er juin 2007, à 12 627 au 1 er juin 2012 et à 13 924 au 1 er juin 2013, soit une augmentation de 10 % en un an et de 186 % en six ans .

Dans sa circulaire du 19 septembre 2012, la garde des sceaux a fait de l'aménagement des peines un axe important de sa politique pénale.

Ces mesures sont toutefois encore trop conçues par l'administration pénitentiaire comme un instrument de désengorgement des établissements pénitentiaires , et insuffisamment mises au service de la réinsertion de la personne condamnée. Cela se traduit notamment par la prédominance du placement sous surveillance électronique (PSE) au sein des mesures d'aménagements de peine décidées chaque année (71 % en 2011, 77 % en 2013).

Le PSE est en effet devenu le premier aménagement de peine sous écrou et concerne, au 1 er juin 2013, 11 559 personnes (dont 10 886 en aménagement de peine et 673 en SEFIP), contre 10 111 au 1 er juin 2012 et 2 306 au 1 er juin 2007, soit une augmentation de 14 % en un an et de 401 % sur six ans .

Le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) continue quant à lui d'occuper une place résiduelle par rapport au PSE en raison, en particulier, des conditions très restrictives dans lesquelles il peut être prononcé (26 mesures prononcées en 2012).

Les représentants des personnels des SPIP entendus par votre rapporteur ont regretté cette orientation insuffisamment axée sur la réinsertion.

En effet, l'accompagnement socio-éducatif associé à une mesure de PSE est pauvre et se résume souvent à un simple contrôle du respect par le condamné de ses obligations de présence au lieu d'exécution de la mesure. Fortement chronophage pour les personnels d'insertion et de probation, il est en outre trop rarement associé à un projet de réinsertion.

En regard, les mesures de semi-liberté et de placement à l'extérieur présentent un réel intérêt en termes de prévention de la récidive et sont pourtant insuffisamment développées :

- les personnes bénéficiant d'une mesure de semi-liberté sont hébergées en établissement pénitentiaire (centre ou quartier de semi-liberté, centres ou quartiers pour peines aménagées, quartiers courtes peines ou nouveau concept) et sont autorisées à en sortir à des horaires préalablement définis, notamment pour poursuivre leur activité professionnelle, suivre une formation, rechercher un emploi, etc. Au 1 er août 2013, 1 939 personnes faisaient l'objet d'une mesure de semi-liberté, contre 1 704 au 1 er août 2007 (+ 13,8 % en six ans ).

Dans un avis rendu le 26 septembre 2012, M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dresse un bilan en demi-teinte de la mise en oeuvre de cette mesure, regrettant en particulier l'éloignement des bassins d'emploi de certains quartiers ou centres ainsi que le caractère parfois inadapté des horaires de leur ouverture ou des permanences des SPIP ;

- le placement à l'extérieur vise quant à lui à permettre à la personne condamnée, sous certaines conditions, d'effectuer des activités en dehors de l'établissement pénitentiaire et notamment de travailler, de suivre une formation, de suivre un traitement médical, de participer à sa vie de famille ou de s'inscrire dans tout projet sérieux d'insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive. Le nombre de personnes bénéficiant d'une mesure de placement à l'extérieur n'évolue pas : de 1 085 au 1 er juillet 2011, il était de 1 061 au 1 er juillet 2013.

Parmi les éléments avancés par l'administration pénitentiaire pour expliquer cette stagnation des mesures de placement à l'extérieur, l'absence de budget pérenne , susceptible de fragiliser les partenariats conclus avec les associations chargées de l'accueil, de l'hébergement et de l'accompagnement de la personne condamnée, est mise en avant.

Toutefois, en 2012, l'administration pénitentiaire a décidé que les crédits destinés au financement des placements à l'extérieur feraient désormais l'objet d'un « fléchage » au sein des dotations budgétaires attribuées à chaque direction interrégionale, afin de sanctuariser ces crédits et, ainsi, d'inciter à y avoir plus fréquemment recours.

Par ailleurs, 7 980 mesures de libération conditionnelle ont été accordées en 2012, dont près de 81 % concernaient des personnes condamnées à une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans. Confrontée à un durcissement des conditions législatives dans lesquelles elle peut être accordée, elle est toutefois en augmentation de 6,7 % en 2012, après une diminution de 8,4 % en 2011.

Au total, la part de personnes condamnées exécutant une peine d'emprisonnement sans bénéficier d'un quelconque aménagement de peine demeure malgré cela prédominante (80 % environ), alors même qu'il est largement démontré que de telles mesures ont un effet sur le taux de récidive ou de réitération à la sortie : une évaluation faite par les services de la direction de l'administration pénitentiaire en 2011 tend à montrer que les risques de recondamnation des libérés n'ayant bénéficié d'aucun aménagement de peine demeurent 1,6 fois plus élevés que ceux des bénéficiaires d'une libération conditionnelle ; le risque d'être recondamné à une peine privative de liberté est deux fois plus élevé 28 ( * ) .

2. Une augmentation des alternatives à l'incarcération

Les mesures alternatives à l'incarcération sont nombreuses et peuvent être prononcées à tous les stades de la procédure judiciaire (stages de citoyenneté, sanction-réparation, etc.). Les mesures de sursis avec mise à l'épreuve (SME) et le travail d'intérêt général (TIG) sont sans doute les plus importantes, en termes de nombre comme d'accompagnement socio-éducatif, et sont en progression constante :

- le SME représente la mesure alternative la plus importante suivie par les SPIP. Il permet de dispenser le condamné d'exécuter tout ou partie de la peine prononcée tout en le soumettant à certaines obligations ou interdictions (suivre un enseignement ou une formation professionnelle, ne pas exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs, suivre un traitement médical, indemniser la victime, etc.).

Cette mesure est en progression importante : 145 384 mesures de SME étaient suivies au 1 er avril 2013 (soit 72,4 % des peines prises en charge en milieu ouvert par les SPIP ), contre 121 700 au 1 er janvier 2008 (soit une progression de près de 20 % en cinq ans).

Toutefois, son utilité repose sur la capacité des SPIP à s'assurer du respect par le condamné des obligations et interdictions édictées par la juridiction ;

- le TIG consiste quant à lui à effectuer un travail non rémunéré au sein d'une association, d'une collectivité publique, d'un établissement public (hôpital, établissement scolaire...) ou d'une personne morale de droit privé chargée d'une mission de service public.

De l'avis de l'ensemble des professionnels, le nombre de TIG proposés chaque année par ces partenaires est notoirement insuffisant pour faire face aux besoins des juridictions, alors même que cette mesure constitue une réponse pénale particulièrement adaptée à certains types d'infractions.

Face à ce constat, le ministère de la justice s'est engagé depuis quelques années dans une politique active de démarchage de partenaires pour développer le nombre de mesures disponibles. La tenue d'une « journée du TIG » le 11 octobre 2011 a permis la création de 200 postes de TIG et l'habilitation de 65 nouvelles structures pour les personnes majeures. Parallèlement, un décret du 17 octobre 2011 a permis l'habilitation au niveau national d'associations ou de personnes morales de droit privé exerçant une mission de service public. Depuis le 7 mars 2012, la Croix Rouge, La Poste et le Secours catholique sont ainsi habilités à recevoir des personnes condamnées à une mesure de TIG.

Ces mesures sont sans doute à l'origine de l'augmentation du nombre de TIG exécutés en France : au 1 er juillet 2013, 36 705 mesures de TIG et de sursis TIG étaient suivies en milieu ouvert (soit 18,3 % des mesures prises en charge en milieu ouvert par les SPIP ), contre 24 502 mesures au 1 er janvier 2008, soit une progression de près de 50 % de cette réponse pénale en cinq ans et demi .


* 28 « Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Annie Kensey, Abdelmalik Benaouda, Cahier d'études pénitentiaires et criminologiques, mai 2011, n°36.

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