B. LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES : UN MOTEUR ESSENTIEL, DÉLAISSÉ JUSQU'À PRÉSENT

Les difficultés générées par la RéATE en termes de disparité de situation des agents au sein de mêmes services ont mis en lumière les faiblesses de la gestion des ressources humaines dans l'administration territoriale de l'État. Les rapports de MM. Rebière et Weiss et de la Cour des comptes ont mis en avant la nécessité d'une nouvelle approche dans ce domaine.

1. La lente convergence des conditions de travail dans les services réorganisés

La réorganisation des structures de l'administration territoriale consécutive à la RéATE a abouti à la réunion au sein de mêmes services des agents dont les statuts et conditions de travail sont parfois très différents . Ainsi, comme la Cour des comptes l'a relevé dans son rapport thématique sur l'organisation territoriale de l'État, au sein d'un même service déconcentré, certains agents doivent pointer, d'autres non ; certains disposent de tickets-restaurant, d'autres n'y ont pas droit ; les horaires et le nombre de jours de congés ne sont pas les mêmes ; l'action sociale (garderie, arbre de Noël, colonies de vacances) est toujours gérée par l'administration d'origine et non celle d'emploi 30 ( * ) . Le sentiment d'inégalité né de ces situations ne contribue pas à la création d'une synergie et d'une culture commune au sein des nouvelles structures territoriales. Cette difficulté n'a pas été anticipée lors de la conception de la RéATE : elle donne une raison supplémentaire aux agents de l'administration territoriale de penser que cette réforme s'est faite sans prendre en compte leurs conditions et leurs méthodes de travail.

Plus graves sont les inégalités de rémunération . Or les primes qui s'ajoutent au traitement des agents sont plus ou moins importantes selon les ministères, les corps, la fonction exercée, la spécificité des emplois... Une nouvelle fois, cette disparité pose d'importantes difficultés au sein de services dans lesquels ont été réunis des personnels dépendant à l'origine d'une administration centrale différente. La Cour des comptes a notamment pu relever des écarts de 20 à 30 % concernant les primes touchées par les agents d'un même service, et a aussi constaté que les responsables des directions interministérielles ne connaissaient généralement pas le montant de ces primes...

Au-delà du sentiment d'inégalité et de la difficulté à faire naître une culture commune au sein des nouvelles structures de l'administration territoriale, ces disparités constituent aussi un frein à la mobilité des agents.

La nécessité de mettre fin à ces disparités est telle que MM. Rebière et Weiss la place parmi les trois conditions de réussite de la stratégie d'organisation de l'administration territoriale qu'ils proposent. Ces derniers précisent que « certaines mesures sont attendues et depuis trop longtemps par les agents » 31 ( * ) , et préconisent des avancées rapides sur les points que sont l'harmonisation des primes, es tarifs de restauration et de l'action sociale et les régimes de temps de travail.

Le CIMAP du 17 juillet 2013 a traduit ses préoccupations dans deux de ses décisions. Compte tenu de l'importance de ce chantier pour le bon fonctionnement des services territoriaux et la motivation du personnel, votre rapporteur suivra avec une particulière attention les travaux engagés par ces dernières.

Extrait du relevé de décisions du CIMAP du 17 juillet 2013

Décision n°36 : Dans le cadre de ces orientations, une concertation sera engagée dès septembre avec les fédérations de fonctionnaires sur les conditions de leur mise en oeuvre et les modalités d'amélioration des conditions de travail des agents concernés. S'agissant plus particulièrement des directions départementales interministérielles, le comité technique des DDI sera étroitement associé à ces travaux.

Décision n° 37 : Le Gouvernement, en concertation avec les représentants des personnels, engagera à l'automne les travaux nécessaires pour favoriser le rapprochement des prestations d'action sociale et des régimes indemnitaires servis aux agents appartenant aux corps présents dans les directions départementales interministérielles.

2. La nécessaire mise en place d'une politique rénovée de gestion des ressources humaines
a) L'inadaptation de l'actuelle gestion des ressources humaines dans l'administration territoriale

Au-delà du problème majeur des inégalités de situations, le rapport thématique de la Cour des comptes publié en juillet dernier a pointé les divers freins à l'efficience de la gestion des ressources humaines dans l'administration territoriale.

En premier lieu, les effectifs de l'administration territoriale ne sont ni connus, ni suivis . « Ni le secrétariat général du gouvernement (SGG), ni le ministère de l'intérieur, ni la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), ni la direction du budget, c'est-à-dire les instances chargées du pilotage des ressources humaines, ne sont en mesure d'indiquer la répartition précise des agents sur le territoire, globalement comme entre les différents échelons territoriaux et selon leurs missions » 32 ( * ) . Ainsi par exemple, lorsque le ministre de l'intérieur demande aux préfets en 2010 33 ( * ) de procéder à un recensement des agents exerçant sous leur autorité, tous ne le font pas, et ceux qui répondent ne le font pas de la même manière, si bien que les données recueillies ne sont pas exploitables. Cette situation est d'autant plus problématique dans un contexte de restructuration des services et de réductions des effectifs : la méconnaissance des administrations centrales les empêche d'apprécier les conséquences des réformes qu'elles décident.

En outre, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est très peu développée dans l'administration déconcentrée. C'est ce que notent les responsables des plates-formes régionales des ressources humaines 34 ( * ) . Ces plates-formes se heurtent à trois difficultés majeures dans l'exercice de leur mission : la difficulté de connaître les effectifs, mais aussi l'approche de la gestion des ressources humaines essentiellement verticale, qui empêche largement les réflexions au niveau local, et le mode de gestion des effectifs, supprimés en fonction des contraintes budgétaires sans réflexion globale et anticipée sur le fonctionnement des services concernés.

La Cour des comptes relève également l'inadaptation des règles et pratiques de gestion encadrant des ressources humaines . La place centrale de la commission administrative paritaire (CAP), qui ne se réunit en principe que deux fois par an, dans les procédures de mutation constitue un frein important pour la mobilité du personnel au sein de l'administration territoriale. Lorsque dans certains cas, le comité technique doit en outre intervenir, la procédure de mutation est d'autant plus longue et compliquée. Dans ce contexte, il est difficile de gérer les ressources humaines au niveau local, et notamment de combler les sous-effectifs pénalisant le bon fonctionnement voire la continuité du service.

La gestion des ressources humaines dans les services déconcentrés doit donc évoluer vers plus de souplesse et d'anticipation. La prise en compte des compétences spécifiques est aussi un enjeu majeur de l'amélioration de cette gestion.

b) La nécessité de centrer la nouvelle approche de gestion des ressources humaines sur les compétences

Le manque de personnel aux « compétences rares », nécessaires aux services déconcentrés pour l'exercice de leurs missions, a fréquemment été mis en avant par les personnes entendues par MM. Rebière et Weiss dans le cadre de la préparation de leur rapport. Ces compétences spécifiques se retrouveraient en effet de plus en plus au sein des administrations centrales ou des collectivités territoriales, empêchant les services de l'administration territoriale de l'État d'une part de participer de manière active aux projets des collectivités locales, d'autre part de remplir efficacement leurs missions de contrôle.

Afin de conserver et développer ces compétences rares, MM. Rebière et Weiss proposent l'élaboration « de référentiels professionnels énumérant les compétences attendues des agents de l'État dans les métiers qu'ils ont vocation à occuper », en partant du répertoire interministériel des ministères déjà existant. La mise à jour de ce répertoire, piloté par le SGMAP appuyé par la DGAFP, pourrait à terme permettre deux évolutions bénéfiques à la gestion des ressources humaines dans l'administration territoriale de l'État :

- l' émergence d'un vivier d'experts-fonctionnaires , dont les parcours professionnels seraient gérés de manière adaptée ;

- la mise en place de dispositifs de validation des compétences préalables à la nomination dans certains postes de responsabilité.

Ces évolutions sont cependant conditionnées selon MM. Rebière et Weiss à la révision « radicale » des programmes de formations des cadres de l'administration territoriale, en particulier dans le domaine du management public .

Toujours afin d'utiliser et de répartir au mieux les compétences au sein de l'administration déconcentrée, la Cour des comptes propose dans son rapport thématique de mutualiser certaines spécialités au niveau inter-départemental ou inter-régional 35 ( * ) . En effet, le mode de gestion actuel des ressources humaines conduit à remettre en cause l'existence de certaines structures déconcentrées du fait de leur trop petite taille, sans que soit prise en compte la spécialité des compétences exercées en leur sein. Les collectivités territoriales ont déjà expérimenté avec succès de telles mutualisations.

Le CIMAP du 17 juillet 2013 a fait la synthèse, dans sa décision n° 34, des mesures destinées à optimiser la gestion des compétences spécifiques.

Extrait du relevé de décisions du CIMAP du 17 juillet 2013

Décision n°34 : Dans certains domaines de politiques publiques, qui exigent des compétences rares, il est nécessaire de rechercher des coordinations géographiques plus larges créant les conditions d'un exercice interdépartemental des compétences. À cet égard, les textes législatifs et règlementaires qui font obstacle à cet objectif seront adaptés pour faciliter, en toute sécurité juridique, ces évolutions.

Étant donné la situation des effectifs de certaines directions départementales interministérielles, une meilleure mutualisation des compétences et des effectifs et un dispositif de pilotage plus efficace doivent être mis en place. Il s'agit de mieux organiser la mise en oeuvre des missions dans un cadre régional et interdépartemental.

Cette approche rénovée de la gestion des ressources humaines dans l'administration territoriale implique un véritable bouleversement dans la culture de cette dernière. Votre rapporteur souhaite vivement que cette nouvelle approche soit présente à l'esprit tant des administrations centrales que des cadres territoriaux, afin qu'elle soit rapidement et pleinement mise en application.


* 30 Rapport de la Cour des comptes précité, p. 178.

* 31 Rapport précité, p. 59.

* 32 Rapport thématique de la Cour des comptes sur l'organisation territoriale de l'État, p. 165.

* 33 Décret n° 2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements.

* 34 Créées en 2009 en vue d'accompagner les services déconcentrés dans la mise en place de la RéATE, et de mutualiser au niveau territorial les compétences en matière de ressources humaines.

* 35 Rapport thématique « L'organisation territoriale de l'État », p. 215.

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