III. LA FRANCOPHONIE COMME SUJET DE POLITIQUE INTERNATIONALE
A. LE FRANÇAIS DANS LES INSTANCES INTERNATIONALES : AGIR AVEC NOS PARTENAIRES
1. Une langue officielle menacée ?
Dans la synthèse sur la langue française dans le monde, parue en 2010, l'OIF estime, à juste titre, que la qualité internationale d'une langue se mesure, certes à son nombre de locuteurs, mais également à sa présence dans les enceintes internationales officielles, ainsi que dans les rassemblements mondiaux.
Elle rappelle à cet égard que « pour observer la place du français dans les organisations internationales et aux Jeux olympiques, la Francophonie dispose désormais d'instruments de mesure : d'une part le Document de suivi du vade-mecum relatif à l'usage de la langue française dans les organisations internationales, d'autre part les rapports des Grands Témoins de la Francophonie pour les Jeux Olympiques. Il en ressort, surtout pour ce qui concerne les organisations internationales, un double constat : une prise de conscience croissante de la nécessité de contrer, par des mesures volontaristes la tendance au monolinguisme et la domination tout aussi croissante d'un idiome qu'on pourrait qualifier d'«anglomorphe ». En effet, issu de l'anglo-américain, il se limite néanmoins, au mieux à un corpus spécifique assez réduit, au pire à des formes franchement incorrectes que les professionnels de la traduction et de l'interprétation ont de plus en plus de mal à exploiter. S'agissant des Jeux olympiques, les évolutions constatées depuis 2006 apparaissent à la fois moins défavorables au français et plus susceptibles d'être influencées, à court et moyen termes, par la mise en oeuvre de dispositifs adaptés et de règles à suivre ».
La réalité de l'usage du français dans les organisations internationales et européennes, où il a pourtant statut de langue officielle, rappelée par notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam dans une question écrite à la ministre déléguée chargée de la francophonie 3 ( * ) , est à n'en pas douter source d'inquiétudes.
Ainsi, l'office statistique européen Eurostat ne publie plus ses résultats qu'en anglais, l'Office européen des brevets, par le biais du protocole de Londres, tente d'imposer l'anglais comme langue scientifique et technique et de nombreux documents de travail européens à destination de l'État français sont rédigés en anglais.
L'association des fonctionnaires francophones des organisations internationales a d'ailleurs déposé plainte, le 18 octobre dernier, contre la Commission européenne, en raison de l'absence de traduction prévue dans le cadre de l'appel à candidatures pour la mise en place d'une plateforme de lutte contre la fraude fiscale.
L'administration française n'est pas en reste : en janvier 2012, l'Agence française de développement (AFD) a émis un appel à projets en vue de l'organisation d'une conférence à Paris et exigeait, de la part des soumissionnaires français, des réponses exclusivement en anglais. La France a également renoncé d'elle-même au français comme langue de travail au sein de l'Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA).
En outre, aux Nations-Unies, la maîtrise de l'anglais est exigée dans 87 % des recrutements, tandis que celle du français l'est dans moins de 7 % des cas : cette dérive a d'ailleurs été dénoncée en 2011 par le corps commun d'inspection de l'ONU.
La France n'assiste pas, immobile, à une telle évolution mais, force est de constater qu'elle ne l'enraye guère à ce jour.
Votre rapporteur pour avis salue toutefois l'initiative prise le 17 octobre 2012 par Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée de la francophonie, qui a présenté un plan de relance pour la francophonie articulé autour de quatre axes : engager un nouvel élan en faveur de l'enseignement du français, accentuer le rayonnement de la francophonie dans le monde, promouvoir la francophonie en France et défendre la francophonie du droit des femmes.
Malgré une faible visibilité, plusieurs actions ont d'ores et déjà été mises en oeuvre, notamment en faveur de la diffusion à l'international de livres en français. Concernant le droit des femmes, le premier forum des femmes francophones s'est réuni le 20 mars 2013. En outre, sur proposition de la France, l'inscription des droits des femmes dans les statuts de l'OIF sera à l'ordre du jour du sommet de Dakar en 2014.
Il est également fort positif que l'emploi de la langue française dans l'ensemble des outils de communication publique et par les fonctionnaires français dans le cadre des relations internationales ait fait l'objet d'une circulaire du Premier ministre en date du 25 avril 2013. Il y est notamment précisé que l'usage d'une langue tierce ne doit se faire « qu'en ultime recours » . Les diplomates et autres hauts-fonctionnaires français ont en effet un devoir d'exemplarité en la matière.
Plus largement, votre rapporteur pour avis estime urgent que les pouvoirs publics prennent toute la mesure du devoir de la France en matière de francophonie, y compris sur son propre territoire. À cet égard , la journée du 20 mars pourrait se voir plus généreusement célébrée , notamment dans les communes. En outre, il pourrait être judicieux que le ministère des affaires étrangères se mobile en faveur d'un rendez-vous annuel tel qu'il existait par le passé, de l'ensemble des acteurs de la francophonie et du réseau culturel.
2. La nécessité d'un front commun
La France, si elle demeure, historiquement et financièrement, l'élément moteur de la francophonie, ne peut agir seule sur la scène internationale afin d'assurer la difficile promotion de la langue française face à l'offensive de l'anglais.
Sans négliger le rôle joué par les autres opérateurs, votre rapporteur pour avis estime que l'OIF doit, plus que jamais, constituer le fer de lance de ce noble combat en faveur du français que Claude Hagège, dans son Dictionnaire amoureux des langues , qualifie de « langue menacée ». L'organisation a d'ailleurs bien conscience des enjeux, elle qui, par la voix de son secrétaire général Abou Diouf, estimait que les francophones devaient se comporter en « indignés linguistiques », à l'occasion de l'ouverture du premier forum mondial sur la langue française qui s'est tenu à Québec en juillet 2012.
Il est, à cet égard, à souhaiter que la France, peu active lors de ce premier forum, prenne toute sa part à celui qui se tiendra à Liège en 2015.
L'OIF regroupe cinquante-sept États et gouvernements membres, ainsi que vingt observateurs répartis sur les cinq continents, rassemblés autour du partage de la langue française et des valeurs qu'elle véhicule.
L'action de l'OIF s'inscrit dans le cadre d'un plan stratégique qui lui fixe quatre missions prioritaires :
- promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique ;
- promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l'Homme ;
- appuyer l'éducation, la formation, l'enseignement supérieur et la recherche ;
- développer la coopération au service du développement durable et de la solidarité.
S'appuyant sur les textes fondamentaux adoptés dans le cadre des sommets successifs, la francophonie multilatérale a notamment pour mission de veiller au respect de la démocratie et des droits de l'Homme dans l'espace francophone . Sur décision du conseil permanent de la Francophonie, quatre États membres sont d'ailleurs actuellement suspendus : Madagascar, le Mali, la Guinée-Bissau et la République centrafricaine.
Par ailleurs, sous l'impulsion de son secrétaire général, l'organisation a renforcé ses appuis d'intermédiation politique et d'aide à la sortie de crise. Elle a développé notamment des compétences internationalement reconnues en matière d'accompagnement de processus électoraux et est impliquée, à ce titre, dans la préparation des élections à Madagascar et en Guinée.
La programmation quadriennale de l'OIF, adoptée lors de la conférence ministérielle de décembre 2009, a mis l'accent sur deux orientations essentielles : la mission politique de la francophonie et les outils novateurs de promotion du français . Il s'agit de développer les contenus francophones, très minoritaires, sur Internet. L'OIF assiste, à cet effet, les États membres à créer leurs propres sites institutionnels en français mais lutte également pour que les supports prévoient, par exemple, un alphabet avec accents. Un programme « Afripedia » et un portail francophone devraient prochainement être lancés, ainsi qu'une plateforme de formation linguistique sur Internet ou via les applications disponibles sur smartphones .
Le sommet de Kinshasa, en octobre 2012, s'est attaché, pour sa part, aux « enjeux environnementaux et économiques dans la mondialisation », dans le prolongement de la conférence de Rio+20.
L'un des débats qui agite l'OIF concerne l'opportunité de son ouverture progressive à des pays qui n'ont qu'un rapport lointain avec la francophonie , c'est à dire dont le français n'est pas la langue officielle et n'est maîtrisé que par une proportion de la population inférieure à 20 %. On citera, à cet égard, l'exemple récent du Qatar, autrefois seulement observateur et désormais membre associé, ou celui de l'Uruguay. Cette évolution pose un problème de sens pour une communauté regroupée autour d'une langue commune.
Certes, de nouveaux entrants sont synonymes de contributions financières supplémentaires -la compagnie aérienne Qatar Airways a ainsi contribué au financement du forum de juillet 2012 à Québec-, mais il semble à votre rapporteur pour avis qu'il conviendrait utilement de recentrer l'organisation sur une stratégie d'approfondissement , à l'heure où les menaces qui pèsent sur le français nécessitent une solidarité forte entre des pays partageant des intérêts communs, préférable à une dilution sans fin.
Afin de renforcer son efficacité, l'OIF gagnerait également à poursuivre encore ses efforts en matière de diminution de ses dépenses de fonctionnement , qui ont représenté jusqu'à 44 % de son budget, au profit des dépenses de programmation. Il conviendra également, pour l'organisation, de régler définitivement la question de la gestion des arriérés de payement de certains membres peu scrupuleux. Un groupe de travail a été mis en place afin d'élaborer un calendrier de mesures visant à pénaliser, de façon échelonnée, les membres qui tarderaient à verser leurs contributions : suppression de manifestations francophones sur financements multilatéraux dans le pays concerné ou encore interdiction de prise de parole lors des sommets de la Francophonie, sans conclusion effective à ce jour.
* 3 Question écrite n° 05068 publiée dans le JO Sénat du 28/02/2013 - Réponse du ministère chargé de la francophonie publiée dans le JO Sénat du 21/03/2013.