F. UN BUDGET « OPEX » SOUS-CALIBRÉ ?
1. Une dotation réduite à 450 millions d'euros conformément à la loi de programmation militaire, très en deçà des surcoûts des années passées
La LPM pour les années 2014 à 2019 retient un montant de 450 millions d'euros pour la dotation prévisionnelle destinée à financer les surcoûts des opérations extérieures (OPEX).
LES SURCOUTS OPEX Les surcoûts des OPEX correspondent aux dépenses supplémentaires engendrées par les opérations, par rapport à ce que les armées financent sur les crédits affectés à leurs activités courantes. Ils sont principalement liés aux frais de personnel. Rémunérations et cotisations sociales constituent, en effet, le premier poste de dépenses d'une Opération extérieure, loin devant les frais de fonctionnement, d'investissement ou d'intervention. Les OPEX se caractérisent également par un coût en matériel et en munitions. |
Pendant longtemps, ces surcoûts n'ont pas été inscrits en loi de finances initiale car ces dépenses étaient considérées comme un événement exceptionnel et imprévisible. La règle voulait qu'elles soient alors gagées par des annulations de crédits d'un montant équivalent en dépenses d'équipement.
Le principe de l'inscription en loi de finances du coût estimé des OPEX est une revendication ancienne du Parlement qui a trouvé une première application, certes symbolique, dans le budget 2003, lorsque 24 millions d'euros ont été provisionnés pour des opérations dont le coût réel s'est élevé, cette année-là, à environ 630 millions d'euros.
L'une des grandes avancées de la LPM 2009-2014, conformément au souhait du Parlement, était de prévoir un mécanisme de budgétisation intégrale des OPEX et d'interdire leur financement par annulation de crédits d'équipement.
La loi de programmation militaire 2009-2014 avait prévu d'en évaluer de manière plus réaliste les surcoûts en loi de finances initiale en prévoyant que « le montant de la provision au titre des surcoûts des opérations extérieures, porté à 510 millions d'euros en 2009, sera augmenté de 60 millions d'euros en 2010 puis de 60 millions d'euros en 2011 », soit au total 570 millions d'euros en 2010 et 630 millions d'euros en 2011, et en disposant que les éventuels dérapages par rapport à ces estimations seraient financés « par prélèvement sur la réserve de précaution interministérielle ».
Concrètement, depuis 2009, le financement résiduel éventuel des surcoûts OPEX ne pèse pas sur les crédits d'équipement de la Défense, qui bénéficie d'un abondement interministériel par décret d'avance et, le cas échéant, par la loi de finances rectificative de fin de gestion.
Cette disposition avait pour objet de mettre fin au financement du supplément de surcoût des OPEX par rapport aux montants inscrits en loi de finances initiale sous « enveloppe LPM », c'est à dire essentiellement par annulation de crédits d'équipement.
L'augmentation de la dotation s'est avérée toutefois insuffisante pour financer la totalité du surcoût des OPEX, comme le montre le tableau ci-après, qui fait apparaître des besoins de financements complémentaires à hauteur de 361 millions d'euros en 2009, 290 millions d'euros en 2010, 541 millions d'euros en 2011 et 243 millions en 2012. Pour 2013, 600 millions d'euros ont été demandés par le ministère de la défense pour financer un surcoût qui est le double de la dotation initiale.
Cette budgétisation, qui n'atteignait pas 4% du coût réel en 2003, s'est cependant approchée de la réalité à un rythme très lent (19% en 2005, 30% en 2006), pour plafonner à 66% en 2010, ce qui ne répond que très imparfaitement au principe de sincérité sur lequel devrait reposer la construction du Budget de la Nation.
Source : ministère de la défense, réponse au questionnaire sur la loi de programmation militaire
Sur le long terme, le coût moyen des opérations extérieures s'élevait à 511 millions d'euros par an en 2000-2001.
Au cours des années 2002-2006, les dépenses annuelles des OPEX ont atteint 624 millions d'euros en moyenne.
Les surcoûts liés aux opérations extérieures sont restés en moyenne de 961,5 millions d'euros par an sur la période 2009-2012.
On constate donc un décalage récurrent par rapport aux prévisions qui aurait pu conduire dans ces conditions à une réévaluation de la dotation initiale. Dans ce contexte, dans la lignée de l'article 5.3 du rapport annexé au projet de LPM pour les années 2014 à 2019, le projet de loi de finances pour 2014 retient un montant de seulement 450 millions d'euros pour la dotation prévisionnelle OPEX.
Compte tenu des risques géostratégiques actuels et au vu d'une exécution qui n'est jamais descendue en deçà de 528 millions d'euros sur les dix dernières années, une telle réduction risque d'entraîner un appel important à la solidarité interministérielle, voire, à l'autofinancement par le ministère de la défense.
Le rapport annexé à la loi de programmation militaire souligne que ce montant est cohérent avec la limitation de nos engagements, dans le modèle retenu par le Livre blanc, à une moyenne de trois théâtres importants.
Au regard des opérations en cours, cette limitation à 450 millions correspond dans la pratique à l'ensemble des opérations hors retrait d'Afghanistan et hors opérations au Mali.
Autrement dit, l'enveloppe correspondrait à une situation où il n'y a pas d'opérations extérieures nouvelles et où on ne laisse pas de troupes au Mali.
Un scénario peu probable , ne serait-ce que parce que le Président de la République s'est engagé à laisser au Mali 1 000 hommes pour une durée indéterminée. On compte aujourd'hui 3 000 hommes sur le territoire malien et ce, jusqu'aux élections législatives en décembre.
En réalité, cette enveloppe suppose une réduction importante des autres OPEX à hauteur d'environ 1 500 hommes, soit par réduction des effectifs en Afghanistan bien sûr, au Mali dans des proportions qui sont encore à établir, sans doute au Kosovo ou ailleurs, soit par transformation d'OPEX en forces prépositionnées en Côte d'Ivoire ou au Tchad.
Il est vrai que la France a eu tendance ces dix dernières années à déclencher des OPEX sans les terminer, de sorte que le coût de chaque nouvelle opération est venu s'ajouter à celui des anciennes opérations.
Les difficultés que les Gouvernements successifs ont eues pour achever des opérations et rapatrier nos soldats expliquent la longévité de certaines opérations qui n'ont plus rien de temporaire.
Évolution du surcoût OPEX
Exécuté 2011 (1) |
Exécuté 2012 |
Prévu 2013 |
|
KOSOVO |
47 |
40 |
36 |
COTE D'IVOIRE |
64 |
63 |
65 |
AFGHANISTAN |
518 |
485 |
259 |
TCHAD |
97 |
115 |
107 |
LIBAN |
79 |
76 |
62 |
LIBYE |
368 |
||
MALI |
647 |
||
DJIBOUTI (Atalante) |
29 |
30 |
26 |
CENTRAFRIQUE |
22 |
||
Autres |
43 |
63 |
36 |
Total |
1 247 |
873 |
1 257 |
Source : ministère de la défense
C'est le cas de la FINUL au Liban, d'EPERVIER au Tchad, de LICORNE en Côte d'Ivoire.
Chaque cas a sa particularité, son histoire, sa raison d'être. Dans certains cas, la France est prisonnière d'une situation qu'elle ne maîtrise pas, dans d'autres, elle souhaite rester.
Dans le cas de la FINUL, on comprendrait difficilement que la France parte à un moment aussi délicat pour la stabilité du Liban et de la région. À Abidjan, la France s'apprête à signer un accord de défense qui confirme sa présence dans un pays où la situation sécuritaire n'est pas assurée. Au Tchad, l'opération EPERVIER envoyée pour sécuriser le pays face à la menace libyenne est aujourd'hui aux avant-postes du Sahel à un moment où une partie des terroristes chassés par l'opération SERVAL se sont réfugiés dans cette région.
Il reste que cette sédimentation a indéniablement un effet cumulatif sur le coût des OPEX.
Lors du débat sur la LPM, votre commission a émis des réserves sur cette estimation de 450 millions, dont le montant pourrait s'avérer insuffisant si se conjugue le maintien d'une situation précaire au Mali, qui exigera sans doute plus que 1 000 hommes début 2014, et la nécessité d'intervenir plus massivement en RCA en soutien de la MISCA (Mission internationale de soutien à la Centrafrique).
2. Un risque d'« autofinancement » des OPEX par le ministère de la défense pour l'instant écarté
Dans la précédente loi de programmation militaire, les surcoûts OPEX non budgétés étaient financés en interministériel.
Le rapport annexé à la loi de programmation en discussion (2014-2019) indiquait initialement qu'en gestion, « les surcoûts nets non couverts par cette dotation qui viendraient à être constatés sur le périmètre des opérations extérieures maintenues en 2014 seront financés sur le budget de la mission « Défense ». »
En revanche « les surcoûts nets (hors titre 5 et nets des remboursements des organisations internationales) non couverts par cette dotation qui résulteraient d'opérations nouvelles, de déploiements nouveaux ou de renforcements d'une opération existante en 2014 feront l'objet d'un financement interministériel. »
Ce dispositif qui visait à faire prendre en charge par le ministère de la défense une part croissante des dépenses d'OPEX apparaissait, en outre, particulièrement délicat à mettre en oeuvre en termes d'interprétation de ce qu'est un « renforcement ».
Le maintien de 1 000 hommes au Mali au-delà du 1 er janvier 2014 serait-il un renforcement couvert par un financement interministériel ? Le renforcement de la présence de nos forces spéciales dans le Sahel en 2012 avec l'opération « SABRE » aurait-il été considéré comme une « nouvelle opération » ? Sans doute pas, car personne n'imagine qu'il fasse l'objet d'une notification au ministère des finances.
Votre commission n'a pas souhaité remettre en cause le montant de la provision qui a fait l'objet d'un arbitrage d'ensemble sur la programmation, en cohérence avec la question des formats des armées, mais, constatant que, sur les dix dernières années, le montant moyen du surcoût OPEX est supérieur à 500 millions d'euros et, depuis 2009, au-dessus de 900 millions, elle a souhaité rétablir, dans le projet de loi de programmation militaire, un retour au mécanisme de financement antérieur par lequel, en gestion, « les surcoûts nets (hors titre 5 et nets des remboursements des organisations internationales) non couverts par cette dotation font l'objet d'un financement interministériel ».
Aussi bien, si les surcoûts OPEX venaient à dépasser, en 2014, l'enveloppe allouée de 450 millions d'euros, le ministère de la défense ne serait appelé à contribuer au surcoût non budgété qu'à hauteur de son prorata interministériel.