B. UNE QUALITÉ D'APPRÉCIATION DE LA SITUATION RÉELLE DES JURIDICTIONS À AMÉLIORER

Les indicateurs de performance retenus dans le cadre de la LOLF devraient, en principe, permettre d'établir un diagnostic des réformes intervenues les années précédentes et de leurs conséquences sur le fonctionnement de l'institution judiciaire. En effet, leur fonction est de mesurer la qualité de la gestion des responsables de programme et la pertinence de la répartition des crédits décidée en loi de finances. S'ils servent à évaluer la performance de la gestion budgétaire, ils devraient aussi pouvoir alerter sur ses défaillances.

Or, en dépit des réserves exprimées, de manière récurrente, dans les précédents rapports pour avis, les difficultés de renseignement et de définition des indicateurs de performance ne semblent toujours pas avoir été réglées, même si quelques progrès sont intervenus.

Votre rapporteur pour avis donne toutefois acte au gouvernement qu'il n'a pu dans le délai ouvert depuis son arrivée aux responsabilités engager, cette année, la réforme attendue .

1. Des difficultés récurrentes de renseignement des indicateurs de performance
a) La performance des programmes « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature »

Les indicateurs de performance des trois programmes 101, 310 et 335 ne présentent pas de difficultés particulières.

Ceux des programmes « Accès au droit et à la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » ne connaissent pas de changement particulier.

Les indicateurs relatifs au programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » évoluent encore une fois cette année.

En effet, conformément aux orientations arrêtées au niveau gouvernemental, le programme procède à un ajustement de l'indicateur 1.1, désormais dénommé « Taux d'exécution des lois » et non plus « taux de publication des décrets d'application des lois » et présente un nouvel indicateur transversal d'efficience de la fonction achat qui calcule les diminutions de prix obtenues par l'acheteur par rapport au prix de référence.

Le programme a aussi revu les indicateurs de performance en matière informatique en mettant en place un indicateur relatif à la performance des projets informatiques. Ce nouvel indicateur remplace le « taux de déploiement de l'application Cassiopée dans les juridictions », dont le déploiement doit s'achever cette année.

b) La mesure encore incertaine de la performance du programme « Justice judiciaire »

Un seul indicateur et ses trois sous-indicateurs ont été modifiés dans le cadre du PLF 2013.

Il s'agit, dans l'objectif n°1 du programme « Rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables en matière civile », de l'indicateur 1.2, dont l'intitulé a été modifié ainsi : « Pourcentage des juridictions dépassant le délai moyen de traitement (cible) des procédures d'un mois et plus » au lieu de « Pourcentage des juridictions dépassant le délai seuil de traitement ».

Cette modification est pertinente, puisqu'elle permet de mesurer les disparités de performance par rapport à la performance moyenne de l'ensemble. Le délai à partir duquel les juridictions seront estimées en difficulté et devront bénéficier prioritairement d'actions correctives, est ainsi fixé à un mois au-delà du délai-cible 2015, ce qui correspond aux délais critiques suivants :

- 11,5 mois pour les cours d'appels (contre 14 mois auparavant) ;

- 7,9 mois pour les tribunaux de grande instance (contre 7,5 mois auparavant) ;

- 6 mois pour les tribunaux d'instance (contre 5,5 mois auparavant).

Votre rapporteur note toutefois que cette nouvelle référence entérine la dégradation constatée de certains délais de traitement des affaires civiles portées devant les juridictions de première instance.

Les difficultés de renseignement des indicateurs associés au programme 166, évoquées dans le précédent rapport pour avis, perdurent : l'activité des tribunaux d'instance est mal appréciée, faute de disposer à temps d'une information statistique définitive fiable, les réformes récemment mises en oeuvre ont perturbé l'enregistrement des données recueillies pour l'élaboration des indicateurs...

L'appréciation de l'activité pénale des tribunaux judiciaires continue quant à elle d'être fortement perturbée par le déploiement informatique de la nouvelle chaîne pénale, Cassiopée. Celle-ci devrait en principe homogénéiser et uniformiser l'enregistrement de la donnée pénale et donc son traitement statistique. En effet, jusqu'alors, celui-ci différait selon la chaîne pénale utilisée par la juridiction en raison de modes de comptage différents des affaires.

Toutefois, la mise en place de Cassiopée entraîne une sous-évaluation des affaires comptabilisées, du fait :

- de difficultés de reprise des données l'année où se déroule le déploiement ;

- de saisies incomplètes, par les personnels concernés qui peinent, en dépit de la formation qu'ils ont reçus, à maîtriser immédiatement la technicité de l'outil mis à leur disposition. Des fiches de saisies ont été rédigées pour remédier à cette difficulté et contribueraient à une nette amélioration de la situation ;

- de règles de calcul dans l'infocentre qui doivent faire l'objet d'un nouveau paramétrage afin de mieux prendre en compte les périmètres d'activité.

La Chancellerie estime que ces difficultés perdureront au-delà de l'achèvement du déploiement de Cassiopée, qui devrait normalement intervenir en 2013, au moins jusqu'en 2014, dans la mesure où un délai d'environ dix huit mois est nécessaire pour constater une amélioration qualitative des données restituées par l'infocentre Cassiopée.

Ces difficultés de renseignement des indicateurs d'activité pénale se manifestent par une baisse sensible des statistiques d'activité des juridictions, au regard des années antérieures : les ratios de nombre d'affaires traitées par magistrat du parquet, qui diminuent significativement depuis 2010, sans que l'on puisse en apprécier la cause (moins d'affaires entrantes, des saisies erronées, un nouveau mode de comptage...).

Interrogés sur ce point par votre rapporteur pour avis, les services du ministère de la justice ont estimé que cette situation se régularisera dès qu'il sera possible de disposer de données sur trois années consécutives, avec des modes de comptage identiques. Le calendrier de déploiement de Cassiopée renvoie donc le règlement définitif de ces difficultés, à l'année 2016, pour les juridictions les plus importantes, qui auront été équipées les dernières.

La persistance des difficultés de renseignement des indicateurs de performance du programme 166 conduisent votre rapporteur pour avis à renouveler ses observations sur le risque d'un pilotage aveugle des réformes l'institution judiciaire.

2. Des défauts de conception de certains indicateurs auxquels il devrait être prochainement porté remède

Le précédent rapport pour avis avait relevé que certains indicateurs étaient mal conçus, et que la perception de l'activité des juridictions s'en trouvait faussée.

Interrogé par votre rapporteur sur ce sujet, le ministère de la justice a partagé ce diagnostic et indiqué avoir engagé une réflexion pour remédier aux principales insuffisances relevées.


Des indicateurs imprécis, qui pourraient être affinés

L'imprécision des indicateurs avait notamment été mise en avant, s'agissant de l'indicateur emblématique du programme « Justice judiciaire », sur le délai moyen de traitement des procédures par type de juridiction.

Cet indicateur ne distingue pas selon la nature des procédures et amalgame procédure ordinaire et procédure de référé ou d'urgence. Or celles-ci représentent une part non négligeable du contentieux judiciaire : 27 % de l'activité civile des tribunaux de grande instance et 11,7 % de celle des tribunaux d'instance 15 ( * ) .

Ce faisant, le relevé statistique souffre d'un biais, préjudiciable à la bonne évaluation de l'activité judiciaire : ainsi la réforme de l'hospitalisation d'urgence, qui multiplie les interventions du juge des libertés et de la détention améliore optiquement le délai moyen de traitement des affaires, parce qu'un nombre important de procédures courtes s'ajoute au total, alors qu'en réalité, les juges accaparés par ces procédures d'urgence ont moins de temps à consacrer au traitement des autres affaires ordinaires. Le délai moyen global de traitement progresse, dissimulant que le délai moyen de traitement pour les affaires ordinaires empire.

La plupart des indicateurs de performance de la justice pénale tombent sous la même critique : l'indicateur 2.1 relatif au délai moyen de traitement des procédures pénales ne distingue pas entre les différents modes de poursuite (information judiciaire, comparution immédiate...) et l'indicateur 2. 5 sur le nombre d'affaires traitées par un magistrat du siège amalgame jugements correctionnels, ordonnances pénales, compositions pénales et comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, toutes procédures qui se distinguent par des durées moyennes de traitement très différentes.

Votre rapporteur pour avis avait suggéré qu'il soit remédié à cette imprécision, par la création d'un second indicateur associé au premier, qui porte sur le délai moyen constaté pour les affaires ordinaires - solution qui ne faisait jamais que reprendre celle qui a cours, depuis plusieurs années déjà, pour le programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Contrôle et conseil de l'État ».

Interrogée sur ce point par votre rapporteur, la Chancellerie a reconnu l'insuffisance des indicateurs en matière civile et pénale.

Elle a indiqué que, depuis 2010, l'activité civile des juridictions judiciaire était déjà appréciée à travers un indicateur de délai de procédure « hors référé », qui n'était utilisé que dans le cadre des dialogues de gestion.

S'agissant de l'activité pénale, elle a souligné que des améliorations pourraient être envisagées, une fois la nouvelle chaîne pénale Cassiopée et l'infocentre associé déployés, parce qu'il sera alors possible, contrairement à aujourd'hui, de calculer le délai moyen de chaque procédure.


• Des pans de l'activité judiciaire exclus de la mesure

Cette année encore, aucune évaluation de l'activité civile des parquets n'est portée au projet annuel de performance (PAP).

Celle-ci représente pourtant une part non négligeable de leur activité, qu'il s'agisse, par exemple, de l'état des personnes, de la filiation, de la protection juridique des majeurs ou encore du contrôle des décisions des juridictions commerciales.

Ainsi, le Parlement n'est pas en mesure d'apprécier si les résultats obtenus dans le champ pénal par les parquetiers l'ont été au détriment des autres interventions du ministère public.

En réponse à l'observation ainsi formulée par votre rapporteur pour avis, le ministère de la justice a indiqué que, cette année, pour la première fois, l'activité civile des parquets sera mesurée dans le cadre des dialogues de gestion. Cependant, cette évaluation n'est encore qu'expérimentale et repose sur des enquêtes déclaratives. Son intégration dans les documents budgétaires soumis au Parlement ne pourra intervenir qu'après une période de test destinée à vérifier sa stabilité et sa fiabilité.


• Une appréciation insuffisamment qualitative

Le précédent rapport pour avis avait relevé qu'en matière civile comme en matière pénale, le premier objectif assigné aux juridictions du programme 166 était de « rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables ». Toutefois, la qualité annoncée n'est mesurée qu'à travers deux indicateurs, le taux de cassation des affaires civiles et celui de rejet par le casier judiciaire national, qui ne rendent compte que des éventuelles erreurs de droit commises par les magistrats.

Restent hors du champ des indicateurs l'écoute du juge ou la pertinence de son appréciation, l'adéquation de la décision à la demande de justice, le règlement non contentieux du conflit, toutes qualités qui contribuent largement au succès de l'intervention judiciaire.

Les ratios de performance qui mesurent le nombre d'affaires traitées par un magistrat fournissent une illustration de cette lacune, puisqu'ils ne distinguent pas entre les procédures dont la charge de travail est différente pour les magistrats (par exemple entre un jugement traditionnel en audience et une comparution en reconnaissance préalable de culpabilité).

La Chancellerie apporte une première réponse à cette insuffisance dans le cadre des dialogues de gestion. En effet, les ratios de performance y sont calculés en appliquant des coefficients de pondération aussi bien au civil (pondération sur les référés, ordonnances sur requêtes, procédures d'urgence) qu'au pénal (pondération des compositions pénales, CRPC et ordonnances pénales).

Votre rapporteur pour avis est consciente des difficultés de l'appréhension statistique de la qualité de la justice, dont la mesure ne répond pas forcément aux exigences traditionnelles des indicateurs de la LOLF : facilité de recueil, de calcul et d'interprétation.

Toutefois, elle réitère ses observations : parfois le temps passé sur un dossier est ce qui épargne, à l'avenir, la survenue de nouveaux contentieux ou de difficultés d'exécution qui conduiront à une nouvelle saisine du juge.

Le dévouement et la qualité des magistrats et fonctionnaires de la justice comptent pour beaucoup dans le bon déroulement de la justice, suppléant souvent au défaut des moyens. Ne pas en rendre compte dans la mesure de l'activité judiciaire prive d'une correcte appréciation des principaux ressorts du bon fonctionnement de l'institution judiciaire.


•  Une réflexion engagée sur l'évolution des indicateurs du programme « Justice judiciaire »

En réponse aux observations de votre rapporteur pour avis, le ministère de la justice a indiqué qu'un groupe de travail sur l'évolution de l'ensemble des indicateurs du programme 166 devrait être lancé au début de l'année 2013 afin de passer en revue chaque indicateur au crible d'une lecture critique et faire des propositions argumentées, qui seront discutées avec la direction du budget.

Il pourra s'agir de modifications de périmètre ou de modalités de calcul, de suppressions des indicateurs jamais renseignés ou obsolètes, ou de l'introduction de nouveaux indicateurs en fonction des nouveaux périmètres offrant des données disponibles, comme l'exécution et l'application des peines ou les champs d'activité des parquets.


* 15 Respectivement, 254 000 procédures particulières ou de référés pour 690 000 procédures ordinaires pour les TGI et 75 800 pour 570 000 pour les tribunaux d'instance selon les chiffres de l'annuaire statistique de la justice pour 2009-2010.

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