II. LES INCERTITUDES CRÉÉES PAR LA PROGRESSION PRÉVISIBLE DU CONTENTIEUX

A. DES JURIDICTIONS SOUMISES À UNE FORTE PROGRESSION DU CONTENTIEUX

Ainsi que l'a récemment rappelé M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, « l'augmentation du contentieux est une constante de la juridiction administrative depuis ses origines. Mais elle a pris, au cours des dernières décennies, une ampleur considérable [...] : 20 000 requêtes avaient été enregistrées en 1970 ; plus de 172 000 l'ont été en 2009. Depuis une quarantaine d'années, le contentieux administratif augmente en moyenne de 6 % par an et il double presque tous les dix ans » 4 ( * ) .

Cette inflation constante du contentieux administratif a justifié les importants efforts budgétaires engagés pour créer de nouvelles juridictions et augmenter les effectifs de magistrats et de personnels.

Votre rapporteur observe que ces efforts, et l'engagement des magistrats, greffiers et personnels, ont payé et permettent aujourd'hui à la justice administrative de présenter des délais de traitement acceptables.

1. Le maintien d'un niveau convenable de traitement des affaires en dépit d'une progression continue du contentieux

• Devant le Conseil d'État

La progression du contentieux porté devant le Conseil d'État est allée de pair avec son recentrage sur son activité de juge de cassation.

Ainsi, alors que, de 2006 à 2009, le nombre d'affaires enregistrées, en données brutes, semblait stabilisé au dessus de 11 000 affaires par an, l'année 2010 a enregistré une baisse significative des entrées (- 9,6 %) en raison, principalement, du transfert de certaines compétences de premier et dernier ressort du Conseil d'État aux tribunaux administratifs, comme le transfert au tribunal administratif de Nantes à compter du 1 er avril 2010 du contentieux des affaires de refus de visa d'entrée en France 5 ( * ) .

Cette baisse relative du contentieux n'a été que faiblement affectée par l'entrée en vigueur au 1 er mars du décret n° 2010-148 du 16 février 2010 relatif à la question prioritaire de constitutionnalité. Ce nouveau droit ouvert aux justiciables a induit l'enregistrement, d'une part, de 98 dossiers transmis par les juridictions administratives et, d'autre part, de 158 mémoires présentés directement devant le Conseil d'État qui, se rattachant à une instance déjà en cours, ne sont pas pris en compte dans les statistiques des entrées.

Activité du Conseil d'État de 2000 à 2010

Conseil d'État

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Affaires enregistrées (données brutes)

12 800

12 793

11 471

10 213

12 868

12 572

11 578

11 745

11 840

11361

10 268

Affaires enregistrées (données nettes)

12 274

12 642

11 281

9 905

12 074

11 196

10 271

9 627

10 250

9 744

9 374

Décisions rendues
(données nettes) 6 ( * )

12 236

12 553

11 402

11 135

11 001

11 270

11 242

9 973

10 304

10 059

10 105

Affaires jugées
(données nettes)

12 159

12 480

11 323

11 071

10 298

11 222

11 198

9 929

10 270

9 986

9 942

Affaires en stock
(données nettes)

10 159

10 227

10 190

8 993

10 122

10 089

8 567

8 201

8 149

7916

7284

Affaires par magistrat (données nettes)

ND

ND

ND

69

69

70

80

85

86

83

80

Délai prévisible moyen
des affaires en stock

1 an et 5 jours

9 mois et 19 jours

10 mois

9 mois et 15 jours

9 mois et 15 jours

9 mois

Délai prévisible moyen de jugement (y compris RAF 7 ( * ) )

10 mois

10 mois

11 mois

10 mois

11 mois

11 mois

9 mois

10 mois

9 mois et 15 jours

9 mois et 15 jours

9 mois

Délai moyen de jugement constaté pour les affaires « ordinaires »

18 mois

17 mois

18 mois

19 mois

17 mois

17 mois

18 mois

17 mois

18 mois et 18 jours

18 mois et 9 jours


17 mois

Source : secrétariat général du Conseil d'État

Le stock des affaires en instance a fortement baissé en cinq ans 8 ( * ) et a encore été réduit de 8 % fin 2010, il s'établit ainsi à moins de 7 300 affaires. Par ailleurs, ce stock a été assaini, en effet, la part des affaires très anciennes ne cesse de diminuer.

Au 31 décembre 2010, seulement 19 dossiers avaient une ancienneté de plus de quatre ans, contre 114 au 31 décembre 2005.

Le délai prévisible moyen des affaires en stock et le délai moyen de jugement constaté pour les affaires « ordinaires » ont été réduits sensiblement de 15 jours entre 2009 et 2010.

• Devant les cours administratives d'appel

Le nombre d'affaires nouvelles portées chaque année devant les cours administratives d'appel a augmenté, en données nettes, de 60,52% entre 2000 et 2010, avec un pic en 2005 en raison du transfert de l'appel du contentieux des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière du Conseil d'État vers les cours.

L'année 2010 se signale toutefois par une diminution de 2,32 % par rapport à 2009 du nombre d'affaires nouvelles. Cette diminution, la première depuis 2005, est la conséquence du recul du contentieux des étrangers de 11,37 % : après avoir atteint un sommet en 2008, à la suite du nouveau régime contentieux des obligations de quitter le territoire française mis en place par le décret n° 2006-708 du 23 décembre 2006, le taux d'appel contre les décisions des tribunaux a progressivement diminué en 2009 et 2010.

Le nombre d'affaires traitées dans les cours administratives d'appel a lui aussi progressé significativement.

Alors qu'il s'élevait, en 2000, à 13 110 affaires en données nettes, il s'est établi à 27 784 en 2010, soit une progression de 112 %.

Il a en revanche diminué en 2010 de 1,48 % par rapport à 2009. Cette dernière évolution s'explique essentiellement par la diminution de l'effectif réel moyen (ERM), qui tient moins à celle des effectifs de magistrats en appel qu'à la plus grande consommation de jours de compte épargne temps.

Activité des cours administratives d'appel de 2000 à 2010

CAA

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Entrées

16 540

15 375

15 267

15 640

14 347

20 208

21 083

26 554

27 802

28 059

27 408

Sorties

12 906

12 928

14 281

16 700

19 829

23 553

25 890

25 716

27 235

28 202

27 784

Stocks

37 723

40 073

40 968

40 058

35 031

31 861

27 153

28 062

25 825

28 814

28 831

% affaires en instance de + de 2 ans

34,3%

38,2%

43,8%

45,1%

42,8%

31,1%

19,9%

9,9%

7,0%

5,1%

4,9%

DPM de jugement

2a 11m 2j

3a 1m 6j

2a 10m 17j

2a 4m 24j

1a 9m 6j

1a 4m 7j

1a 0m 18j

1a 1m 3j

1a 0m 21j

1a 0m 8j

1a 0m 14j

Délai moyen constaté

1a 5m 11j

1a 2m 8j

1a 1m 24j

1a 1m 16j

Délai moyen constaté des affaires ordinaires

1a 9m 12j

1a 4m 25j

1a 3m 22j

1a 3m 5j

Effectif réel moyen

141,88

154,44

163,05

180,46

205,55

239,98

248,26

242,83

249,31

244,71

242,68

Nbre affaires / magistrat

90,96

83,71

87,59

92,54

96,47

98,15

104,28

105,9

109,24

115,42

114,49

Source : secrétariat général du Conseil d'État.

L'augmentation plus rapide du nombre d'affaires traitées que celui du nombre d'affaires nouvelles a contribué à l'assainissement du stock d'affaires en souffrance. Ainsi, le nombre d'affaires de plus de 2 ans, qui ne représentent plus que 4,9 % du total a diminué de 5,3 % par rapport à 2009.

Le délai prévisible moyen de jugement a très légèrement augmenté en 2010 (+6 jours), pour s'établir à 12 mois et 14 jours.

Le délai de jugement constaté, quant à lui, continue de décroître pour s'établir à 1 an 1 mois 13 jours en 2010. Si l'on retire les affaires de référé, ce délai atteint 1 an 1 mois 16 jours. Et si l'on retire aussi les affaires réglées par ordonnance (soit « le délai moyen constaté pour les affaires ordinaires »), il s'élève à 1 an 3 mois et 5 jours.

• Devant les tribunaux administratifs

Entre 2000 et 2010, le nombre d'affaires enregistrées devant les tribunaux administratifs a progressé de presque 55 %.

En 2010, 175 377 affaires nouvelles ont été enregistrées devant les tribunaux administratifs, ce qui représente une augmentation de +1,85 % par rapport à l'année 2009. Cette hausse devrait se poursuivre en 2011. En effet, les six premiers mois de l'année 2011 se caractérisent par une progression des affaires enregistrées dans les tribunaux administratifs de l'ordre de 5,6 %, en données nettes, par rapport au premier semestre 2010.

Cette augmentation du contentieux depuis 2000 recouvre des évolutions contrastées selon les matières. De 2000 à 2010, les contentieux qui ont connu la plus forte hausse sont ceux de la police avec une évolution de 195,85%, des étrangers qui progressent de 128,75% ainsi que le contentieux du logement, qui a progressé de 266,67% en raison notamment de la mise en oeuvre du droit au logement opposable (DALO).

Sur la même période, le nombre d'affaires traitées a augmenté de près de 59 %. Il est passé en volume de presque 118 000 à 187 000 affaires. L'année 2010 se signale par une quasi-stabilité (-0,09 %) par rapport à 2009.

Activité des tribunaux administratifs de 2000 à 2010

TA

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Entrées

113 059

123 354

112 703

128 422

149 008

156 994

166 785

170 014

176 313

172 195

175 377

Sorties

118 991

120 773

118 915

127 035

137 189

155 562

164 342

175 011

183 811

187 236

187 061

Stocks

201 534

203 303

196 068

197 913

209 439

210 043

211 990

206 676

198 791

184 623

173 246

% affaires en instance de + de 2 ans

35,7%

34,4%

34,1%

32,8%

29,1%

21,0%

23,7%

23,4%

24,7%

22,1%

17,5%

DPM de jugement

1a 8m 10j

1a 8m 9j

1a 7m 27j

1a 6m 21j

1a 6m 10j

1a 4m 6j

1a 3m 14j

1a 2m 5j

1a 0m 29j

11m 25j

11m 3j

Délai moyen constaté

1a 3m 9j

1a 2m 22j

1a 3m 2j

1a 2m 17j

Délai moyen constaté des affaires ordinaires

2a 2m 16j

2a 3m 15j

2a 2m 27j

2a 2m 15j

Effectif réel moyen

539,18

544,63

566,87

571,04

572,11

596,15

637,15

667,59

666,86

677,57

696,05

Nbre affaires / magistrat

219,64

221,07

208,99

222,46

239,79

260,94

257,93

262,29

275,03

276,33

268,75

Source : secrétariat général du Conseil d'État.

Le nombre d'affaires en instance diminue par rapport à 2009 de 6,2 % à un peu plus de 173 000 dossiers.

En 2010, cette réduction des stocks se double d'un rajeunissement puisque le volume d'affaires enregistrées depuis plus de 2 ans diminue de plus de 26 % par rapport à 2009. Au nombre de 30 043, ces affaires représentent désormais 17,5 % du total des affaires en stock contre 22,1 % en 2009 et 35,7 % dix ans auparavant.

Le délai prévisible moyen de jugement continue à diminuer : il s'établit, au 31 décembre 2010, à 11 mois et 3 jours, soit une réduction de 22 jours par rapport à 2009.

Le délai de jugement constaté diminue de 15 jours par rapport à 2009 et s'établit à 1 an 2 mois 17 jours en 2010.

Pour les affaires ordinaires, ce délai renoue avec le minimum atteint en 2007, à 2 ans 2 mois 15 jours, soit une réduction de 12 jours par rapport à 2009.

Votre rapporteur observe que ce dernier résultat manifeste la difficulté que rencontrent les tribunaux administratifs, de plus en plus sollicités par des contentieux courts qui se multiplient, à traiter les affaires ordinaires .

De tels points de résistance n'invalident pas les notables progrès enregistrés en matière de délais de traitement des affaires dont sont saisis les juges administratifs. Toutefois ils signalent la pression qu'exerce, sur les juridictions, certains contentieux en forte croissance.

Délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock
au sein des juridictions administratives
(en nombre de jours)

Source : secrétariat général du Conseil d'État.

2. Une évolution inégale du contentieux selon les matières

Votre rapporteur observe que les différentes réformes intervenues les dernières années ont moins affecté le Conseil d'État, dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle, que les tribunaux et les cours. En effet, le Conseil demeure la seule juridiction administrative dont le contentieux s'est sensiblement réduit.

Devant les tribunaux administratifs, comme devant les cours, les contentieux les plus inflationnistes sur les 5 dernières années (2006-2010), en volume et en pourcentage de progression, sont le contentieux des étrangers et celui de la police.

Le nombre de requêtes concernant le contentieux des étrangers devant les tribunaux administratif est passé de 43 684 en 2006 à 45 256 en 2010, soit une progression d'environ 4%. Ce contentieux, qui a connu une légère baisse en 2008 et 2009, représente à peu près 26% du volume total des entrées.

Devant les cours, le nombre de requêtes est passé de 7 760 en 2006 à 11 035 en 2010, soit une progression de 42%, sans commune mesure avec la progression globale de l'ensemble des autres affaires enregistrées devant ce niveau de juridiction durant la même période. Cette progression trouve, en grande partie, son origine dans l'introduction, en 2007, du contentieux de refus de titre assorti d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui s'est traduit par un accroissement exceptionnel du taux d'appel du contentieux des titres et refus de visas de séjours qui est passé de 11 % en 2006 à 28 % en 2010.

Le nombre de requêtes concernant le contentieux de la police est passé, devant les tribunaux administratifs, de 19 984 en 2006 à 18 828 en 2010. Malgré une baisse de l'ordre de 16 % ces 2 dernières années, ce contentieux représente 11% du volume total des entrées.

Comme devant les cours administratives d'appel, le contentieux lié au retrait de points du permis de conduire explique, en grande partie, cette évolution.

Il convient, par ailleurs, de noter la progression significative du contentieux du logement : + 34 % depuis 2008, soit plus de 10 640 affaires, qui constituent 6 % du contentieux total en 2010. Il s'agit de la traduction immédiate de la montée en puissance du contentieux du droit au logement opposable (DALO), qui a représenté près de 7 600 affaires nouvelles en 2010.


* 4 Allocution de clôture au colloque organisé le 24 novembre 2010, RFDA, n°4, 2011, p. 684.

* 5 Ce transfert a été organisé par le décret n° 2010-164 du 22 février 2010.

* 6 Y compris les décisions qui ne règlent pas définitivement un dossier (notamment les décisions relatives aux questions prioritaires de constitutionnalité).

* 7 Reconduite à la frontière (RAF).

* 8 Le Conseil d'État explique l'importante baisse du nombre d'affaires jugées en 2007 par la diminution sensible de ses effectifs à la suite d'importants mouvements de sortie de ses membres, après les élections présidentielles et législatives.

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