B. LA CCEN : SYMBOLE DE L'APPROFONDISSEMENT DE LA CONCERTATION ET DU DIALOGUE ENTRE LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET L'ETAT
Face à ce constat, le groupe de travail présidé par M. Alain Lambert proposait la création d'une nouvelle commission. En effet, le rapport précité issu de ses travaux soulignait que « seuls les projets de décret à caractère financier sont soumis obligatoirement pour avis au Comité des Finances Locales. La consultation des collectivités locales, systématique ou par pouvoir d'évocation, au sein du CFL ou d'un organe ad hoc pourrait être mise en place : c'est l'idée de la création d'une commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) avancée par le ministère de l'intérieur ».
Mise en place le 25 septembre 2008, cette jeune commission a fait sensiblement évoluer les pratiques en imposant aux administrations productrices de normes la réalisation systématique d'études d'impact financier des projets de textes réglementaires concernant les collectivités territoriales.
1. La CCEN : une commission originale et nécessaire
a) Un large champ de compétences
Créée, dans ce contexte, en 2007 31 ( * ) , la CCEN est, à l'instar de la commission consultative d'évaluation des charges (CCEC) une formation restreinte du CFL. Elle se compose de vingt-deux membres, dont quinze représentants des élus locaux, désignés parmi les membres titulaires du CFL, et sept représentants de l'État. Elle comprend également en son sein des experts, conviés par le président en fonction de l'ordre du jour, afin que la commission soit une véritable instance de référence en matière d'évaluation financière préalable. Il s'agit, le plus souvent, de représentants du Secrétariat général du gouvernement ou des associations d'élus. Ils assistent aux séances mais ne disposent pas de voix délibérative.
La CCEN est dotée d'un large champ de compétences. Elle reçoit communication de tous les projets ou propositions de réglementation et de législation nationale ou communautaire créant ou modifiant des normes imposées aux collectivités et à leurs établissements. Ces textes sont accompagnés d'un rapport de présentation et d'une fiche d'impact financier faisant « apparaître les incidences financières directes ou indirectes des mesures proposées pour les collectivités territoriales ». La CCEN dispose alors d'un délai de cinq semaines, pouvant exceptionnellement être ramené à 72 heures sur demande du Premier ministre, pour rendre son avis sur le texte dont elle est saisie.
La commission peut également être consultée par le Gouvernement sur tout projet de loi ou d'amendement ayant un impact technique et financier sur les collectivités. Cette consultation est toutefois laissée à la discrétion du pouvoir exécutif.
Ainsi, selon la doctrine de la CCEN, les critères d'éligibilité d'un texte à la CCEN sont les suivants :
- mesure règlementaire ;
- mesure obligatoire, étant entendu qu'un texte de nature réglementaire revêt ipso facto un caractère obligatoire ;
- mesure qui concerne les collectivités territoriales, leurs groupements ou leurs établissements publics, de manière directe ou indirecte et non exclusive.
Ses avis, bien qu'obligatoires, ne sont pas des avis conformes : le Gouvernement peut donc s'abstenir d'en tenir compte.
Comme l'ont observé nos collègues Jacqueline Gourault et Didier Guillaume 32 ( * ) , la CCEN « est la première instance de cette nature dont le champ de compétence épouse une part significative de la production normative, sous le prisme de l'impact financier des normes pesant sur les collectivités . »
b) Un bilan largement positif
D'après le rapport d'activité de la CCEN pour l'année 2010, la commission a été saisie de 176 projets de texte réglementaire (118 décrets, 53 arrêtés et 5 ordonnances), soit une moyenne de 13,5 textes par séance. Au titre de l'année 2011 (jusqu'au 31 juillet 2011), selon les informations fournies à votre rapporteur, la CCEN s'est réunie à neuf reprises, a examiné 160 projets de textes réglementaires générant, pour les collectivités, pour 2011 :
- un coût avoisinant 393 millions d'euros ;
- des économies s'élevant à près de 13 millions d'euros ;
- des recettes potentielles évaluées à près de 114 millions d'euros.
Les avis rendus par la CCEN sont de quatre ordres : avis favorables, avis favorables avec recommandation, avis défavorables, avis défavorables avec recommandation. Depuis son installation en septembre 2008 jusqu'en décembre 2010, la CCEN n'a émis que 6 avis défavorables sur 405 avis rendus, soit une proportion de 1,5 % des avis émis. En 2010, seul un avis défavorable a été rendu concernant le décret relatif au fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNPE), les avis favorables représentant 92 % et les avis favorables avec recommandation 7 % des avis totaux. La grande proportion des avis favorables rendus par la CCEN ne doivent pas masquer la compétence pleine et entière exercée par la commission. Celle-ci n'hésite pas à assortir ses avis de recommandations ou d'observations qui s'avèrent, selon le rapport d'activité précité, dans une très large mesure, suivies d'effets par les ministères concernés.
Par ailleurs, en application des dispositions de l'article R. 1213-4 du CGCT, le président ou un des vice-présidents de la CCEN a usé en 2010, à 12 reprises, et entre janvier et juillet 2011, à 11 reprises, du pouvoir de reconduire le délai de cinq semaines dont dispose la CCEN pour se prononcer, les débats ayant mis en évidence la nécessité d'obtenir des éléments d'information supplémentaires ou ayant permis aux élus d'exprimer des réserves susceptibles d'être levées à l'issue d'une phase de concertation complémentaire. Au cours du premier semestre 2011, seuls six textes ont reçu un avis défavorable, dont quatre ont donné lieu à une nouvelle présentation des textes après modification, accueillis par un avis favorable de la CCEN. La proportion des avis défavorables émis entre septembre 2008 et juillet 2011 ne représente que 1,4 % du total des avis émis. La CCEN n'hésite pas à assortir ses avis de recommandations ou d'observations d'ordre général qui s'avèrent, dans une très large mesure, suivies d'effets par les ministères porteurs.
Votre rapporteur se félicite des progrès rapides réalisés par la CCEN à peine trois ans après sa mise en place. Il note avec satisfaction que la commission a permis de faire émerger une nouvelle culture de l'évaluation financière au niveau central. Désormais, les coûts potentiels d'une mesure sur les collectivités territoriales sont mieux pris en compte et mieux quantifiés. Plus largement, la création de la CCEN a eu un effet régulateur sur les administrations centrales et a apaisé leur « réflexe prescriptif ». Elles sont ainsi incitées à prendre des normes plus efficaces mais moins nombreuses.
2. Le nécessaire renforcement de la CCEN
La CCEN pourrait prochainement être amenée à intensifier son activité en étendant son activité au stock de normes, représentant environ 400 000 textes anciens opposables aux collectivités territoriales.
C'est ce que propose notamment notre collègue Claude Belot 33 ( * ) , qui souhaite soumettre, sans délai, à la CCEN, une « démarche pragmatique de toilettage des normes existantes », ce qui, concrètement, consisterait à :
- dresser sans tarder l'inventaire des normes adoptées avant sa mise en place mais qui, en raison d'une entrée en vigueur reportée, ne sont pas encore applicables ;
- soumettre ces normes à son examen pour lui permettre de se prononcer sur leur impact pour les collectivités.
Votre rapporteur soutient sans réserve cette proposition et estime par ailleurs qu'elle pourrait être complétée par une autre proposition également avancée par notre collègue Claude Belot : celle de rendre la saisine de la CCEN obligatoire sur toute proposition de loi ou d'amendement du Gouvernement concernant les collectivités territoriales. L'application de cette disposition permettrait de renforcer le pouvoir de la CCEN sur une part non négligeable de sources de l'activité normative que subissent les collectivités territoriales.
Par ailleurs, l'article 2 de la proposition de loi de M. Éric Doligé 34 ( * ) propose d'élargir la composition de la commission afin de lui permettre d'accueillir des personnalités qualifiées, dont la nomination devrait être soumise pour avis au CFL. Il lui confie également le soin de procéder régulièrement, en sériant les domaines, à une revue du « stock des normes », en recensant et en évaluant les évolutions législatives et réglementaires intervenues dans les cinq années précédentes, et en proposant les simplifications ou suppressions jugées nécessaires. Le Gouvernement aurait l'obligation d'indiquer dans un délai de six mois, les suites qu'il entend donner à ces propositions. Enfin, cet article propose l'obligation de soumettre à la CCEN les règlements fédéraux pris par les fédérations sportives dans le cadre du pouvoir réglementaire qui leur est conféré.
* 31 Article 97 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007, codifié aux articles L. 1211-4-2 et R. 1213-1 et suivants du CGCT.
* 32 Rapport d'information n° 272 (2010-2011) fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, « Rénover le dialogue entre l'État et les collectivités territoriales : une nécessité pour une démocratie apaisée », de Mme Jacqueline Gourault et M. Didier Guillaume.
* 33 Rapport d'information n° 317 (2010-2011) fait au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, « La maladie de la norme », de M. Claude Belot.
* 34 Proposition de loi n° 779 (2010-2011) de simplification des normes applicables aux collectivités locales, déposée au Sénat le 4 août 2011.