B. L'ABSENCE DE RÉSULTATS TANGIBLES : L'IMPOSSIBLE BILAN DE LA RGPP
1. Une régionalisation inopportune et inefficace
• La régionalisation de l'action de l'Etat au coeur de la RGPP
Considérant la région comme la « maille territoriale la plus adaptée à la programmation et à l'impulsion des stratégies de l'État », la RGPP a eu pour objectif principal, dès ses origines, de renforcer substantiellement les prérogatives du préfet de région afin d'assurer l'unité de l'action territoriale de l'État.
Ce renforcement a été consacré par un décret du 16 février 2010 15 ( * ) , qui vient notamment consacrer la prééminence des préfets de région face aux préfets de département, puis précisé par une circulaire du 13 décembre 2010.
Ainsi, aux termes du décret du 16 février 2010, le préfet de région :
- a autorité sur les préfets de département, sauf dans quelques matières où ceux-ci conservent une autorité exclusive (ordre public, contrôle de légalité, police des étrangers) ;
- est doté d'un droit d'évocation dans les matières où il a autorité sur les préfets de département. Ce droit permet au préfet de région de prendre des décisions en lieu et place des préfets des départements de la région concernée par la compétence évoquée ;
- élabore le projet d'action stratégique de l'État dans la région (PASE), qui devient le document unique de référence sur l'ensemble du territoire régional (voir infra ) ;
- est responsable de la répartition des crédits des budgets opérationnels de programme (BOP) entre actions et entre départements, ce qui doit lui permettre d'adapter au mieux les politiques publiques aux enjeux territoriaux ;
- est doté de compétences importantes en ce qui concerne les mutualisations (voir supra ) ;
- arrête, avec le préfet de département, un « schéma organisant la mutualisation des moyens entre les services de l'État » au niveau du département ; ce schéma doit être conforme aux orientations fixées par le schéma régional ;
- est consulté préalablement à toute proposition de nomination, d'affectation ou de mutation des chefs de service et des sous-préfets ;
- est le délégué territorial des établissements publics de l'État comportant un échelon régional.
Pour assurer ces missions, le préfet de région est assisté par un comité de l'administration régionale (CAR) ; chargés d'élaborer la stratégie de l'État en région, les CAR sont « consulté[s] sur l'utilisation de tous les crédits ouverts au profit des services de l'État en région » et sont composés des préfets de département, du recteur d'académie, du directeur général de l'ARS et des responsables des six nouvelles directions régionales.
Comme le soulignait M. Daniel Canepa, préfet de la région Île-de-France et président de l'Association du corps préfectoral, lors de son audition par votre rapporteur, il s'agit d'une véritable révolution culturelle qui fait du niveau régional le niveau de droit commun pour le pilotage local des politiques publiques , ainsi que l'échelon d'exécution des politiques nationales et communautaires.
Dans cette optique, succédant aux plans d'action stratégiques de l'État dans la région (PASER) et dans le département (PASED), un document stratégique unique à l'échelle régionale a été mis en place à compter de 2011 : le PASE.
Les caractéristiques des PASE Les PASE sont [...] des documents stratégiques uniques à l'échelle régionale, conformément au nouveau cadre d'action de l'Etat territorial. Ils ont vocation à proposer les adaptations des principales politiques nationales et européennes aux enjeux territoriaux. Ils s'inscrivent ainsi dans la clarification des responsabilités entre les échelons d'administration recherchée par la RéATE : la conception des politiques et la définition des orientations par les administrations centrales, leur déclinaison territoriale par le niveau régional sous l'autorité du préfet de région qui s'appuie sur le Comité de l'Administration Régionale et leur mise en oeuvre opérationnelle par un niveau départemental désormais largement interministériel. Le PASE est un document d'initiative locale, élaboré dans la collégialité du CAR par le préfet de région. Il est bien dans l'esprit de la RéATE de confier aux échelons déconcentrés des marges d'initiative pour coordonner les politiques ministérielles et renforcer leur adaptation aux priorités du territoire régional. Les PASE sont par ailleurs des documents opérationnels par la recherche systématique de correspondances avec les instruments financiers et les objectifs des BOP régionaux et nationaux, du contrat de projets Etat - régions et des programmes européen. La liste des politiques publiques développées par le PASE n'a pas vocation à être exhaustive. A la différence des anciens PASER et PASED, le PASE doit cibler un nombre limité d'orientations prioritaires dans des domaines qui ont une dimension interministérielle forte ou une résonnance particulière dans la région. Seul le volet « modernisation de l'Etat » fait partie des figures imposées. Ce volet du PASE recouvre l'accompagnement et la mise en oeuvre de la RGPP, l'amélioration de la qualité de services aux usagers et l'optimisation de la dépense de l'Etat. Il sera plus particulièrement analysé par le secrétariat général du ministère de l'intérieur en lien avec le SGG, et rapporté en interministériel. L'instruction des PASE comprend un « contrôle de cohérence » destiné à s'assurer que les priorités territoriales prennent en compte les orientations nationales dans les domaines retenus. Les PASE couvrent la période 2011-2014 en concordance avec la seconde phase des contrats de projets et des programmes européens pour la période 2007-2013. Le calendrier d'approbation des PASE est le suivant : - phase 1 (30 juin 2011) : Transmission des PASE au SGG, au MIOMCTI et à la DATAR et diffusion par celle-ci aux différents ministères ; - phase 2 (3 ième trimestre 2011 ) : Examen des 22 PASE métropolitains en GESPER (Groupe d'étude et de suivi des contrats de projets Etat-régions, formation interministérielle en formation adaptée), sous l'égide de la DATAR ; - phase 3 (septembre-octobre 2011) : Examen des 22 PASE par le comité des secrétaires généraux ; - phase 4 (octobre 2011) : Notification à chaque préfet de région, en retour, des observations du comité des secrétaires généraux. Une fois ainsi validés, les PASE sont accessibles sur les sites internet des préfectures pour l'information des usagers et des administrations de l'Etat et seront rendus publics, notamment auprès des élus locaux et des médias. |
Source : réponse au questionnaire budgétaire établi par votre rapporteur.
La régionalisation de l'action de l'Etat ne va toutefois pas sans poser de problèmes.
• Une réforme discutable sur le fond et peu efficace sur le terrain
En effet, comme le rapport pour avis de votre commission des lois le relevait dès la fin de l'année dernière, « le renforcement des préfets de région est balbutiant » et « la montée en puissance de l'échelon régional ne semble pas être advenue dans les faits » 16 ( * ) .
Votre commission observe tout d'abord que le pouvoir d'évocation du préfet de région demeure peu utilisé en pratique. Depuis deux ans, seuls dix préfets l'ont utilisé, dans des domaines hétéroclites et qui semblent parfois peu stratégiques .
Selon les informations communiquées à votre rapporteur par le ministère de l'intérieur, il s'agit des matières suivantes :
- délivrance des permis de construire pour les éoliennes ou les aérogénérateurs ;
- élaboration des listes locales d'activités devant être soumises à analyse d'incidence sur les zones Natura 2000 ;
- fixation des règles relatives aux déclarations de surface et des règles relatives aux bonnes conditions environnementales pour la Corse ;
- décisions relatives à la suspension de l'exercice de la chasse en cas de gel prolongé de certains oiseaux de passage et du gibier d'eau ;
- fixation des tarifs régionaux des prophylaxies effectuées pour le compte de l'État par les vétérinaires sanitaires.
Dans ce contexte, on peut s'interroger sur l'utilité et sur la portée réelles du « droit d'évocation », qui ne semble pas avoir permis l'unification des politiques menées à l'échelle de la région dans des domaines à fort enjeu, mais qui paraît davantage avoir été un instrument de démembrement des prérogatives des préfets de département .
De même, un rapport public thématique de la Cour des comptes de novembre 2011, consacré à la mise en oeuvre de la LOLF, a pointé les limites des prérogatives budgétaires du préfet de région : la Cour affirme ainsi qu'« en pratique, l'implication du préfet de région [dans les discussions de cadrage budgétaire] relève actuellement davantage d'une démarche volontariste que d'un processus naturel. Il doit donner un avis sur les budgets opérationnels de programme (BOP) présentés devant le comité de l'administration régionale qu'il préside. Mais tous les budgets opérationnels de programme ne lui sont pas présentés ».
Sur le fond, la Cour constate que « les avis transmis par les préfets de région sont trop peu suivis d'effet » et que, aux dires mêmes du ministère de l'intérieur, « la plupart des avis des préfets, lorsqu'ils sont défavorables, ne sont pas pris en compte par les responsables de programme ».
En second lieu, votre commission des lois s'était également inquiétée du fonctionnement des organes collégiaux de pilotage de l'administration de l'État au niveau régional. Rappelons à cet égard qu'un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) 17 ( * ) avait établi que les CAR ne parvenaient pas à remplir leur rôle de définition de la stratégie régionale 18 ( * ) et que les « pré-CAR » (qui réunissent les secrétaires généraux des préfectures et les directeurs régionaux afin de préparer les réunions du CAR) ne contribuaient pas à mieux assurer la répartition des crédits 19 ( * ) . En résumé, « le pilotage bilatéral tend à se substituer aux instances collégiales, ce qui ne facilite pas la transparence des informations du niveau départemental et limite l'appropriation par chaque unité opérationnelle de la contrainte collective ».
Le même rapport établissait -ce qui est certainement encore plus problématique- que la régionalisation de l'action de l'État ne faisait pas l'unanimité sur le terrain puisque, pour reprendre les termes employés par l'IGA, « certains préfets de département pointent les difficultés de mise en place d'une stratégie régionale qui soit autre chose qu'une agrégation des objectifs départementaux [et] ils estiment qu'il leur revient au premier chef de fixer les objectifs de performance au niveau départemental, en fonction des contraintes locales ».
Les réponses au questionnaire budgétaire établi par votre rapporteur font apparaître que le gouvernement n'a pas tenu compte des remarques de l'IGA et qu'aucune action n'a été entreprise pour résoudre ces difficultés.
Votre rapporteur s'associe à l'effort de renforcement du préfet de région et estime que cette mesure permet de développer une vision stratégique et de donner une « taille critique » aux enveloppes budgétaires gérées par les services déconcentrés. À l'inverse, votre commission non seulement constate que ce renforcement ne s'est toujours pas réalisé sur le terrain, mais surtout juge que les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la réforme témoignent du manque d'opportunité de celle-ci : les préfets de région risquent en effet d'être insuffisamment proches des usagers (citoyens et élus locaux) et de ne pas disposer du temps nécessaire pour connaître finement les territoires qui composent la région et pour en saisir les caractéristiques, les atouts et les faiblesses ; ils ne pourront donc que difficilement être capables d'assurer le rôle d'animation que la RGPP entendait leur confier.
Par ailleurs, force est de constater que la régionalisation de l'action de l'État s'accompagne fréquemment, en pratique, d'une remontée d'effectifs de la préfecture de département vers la préfecture de région, ce mouvement étant amplifié par les responsabilités données aux préfets de région, chargés de conduire les mutualisations dans l'ensemble des services déconcentrés qui relèvent de leur autorité : les services départementaux -qui sont pourtant des services de proximité indispensables au maillage territorial du réseau des préfectures- se voient ainsi retirer, peu à peu, l'ensemble de leurs moyens humains. Cette mesure est contraire à la logique même du service public, qui devrait imposer de donner à tous un accès aisé et équivalent aux services déconcentrés ; à rebours de cet objectif, la régionalisation lèse les élus (surtout ceux des petites communes) et les habitants des départements éloignés du chef-lieu de la région, qui sont les laissés-pour-compte de la RGPP.
2. L'impossibilité de quantifier les gains issus des mutualisations
Votre rapporteur s'associe pleinement à l'effort mené par les services déconcentrés pour mutualiser leurs moyens et, ainsi, faire des économies nécessaires dans une période budgétaire très contrainte et renforcer l'expertise et la polyvalence des personnels en les poussant à sortir d'un cadre strictement ministériel, au demeurant inadapté aux missions des préfectures et des sous-préfectures. Comme le souligne le ministère de l'intérieur, au-delà des gains immédiats, c'est un véritable changement d'état d'esprit que les mutualisations visent à produire.
Il lui apparaît que les mutualisations sont un gage d'amélioration de la qualité du service ; à titre illustratif, il tient à en citer deux exemples qui lui ont été rapportés par le ministère de l'intérieur :
- en Charente, un bureau de l'immobilier et de la logistique unique a été mis en place, en janvier 2010, au sein de la préfecture et avec les deux DDI, ce qui a permis aux services contributeurs de dégager sur l'année une économie de 25 000 euros, hors dépenses de personnel, et de 105 000 euros en emplois (sur le titre II). S'y ajoutent des gains non financiers que constituent la rationalisation des circuits du courrier, l'optimisation du pilotage de la fonction immobilière ;
- en Dordogne, depuis janvier 2010, la mise en place d'un bureau du courrier interministériel -mutualisant la fonction courrier pour la préfecture et les deux DDI- a permis de réaliser une économie de 33 % (53 000 euros environ) par rapport au budget prévisionnel et une économie substantielle par rapport à l'année antérieure.
Cependant , votre commission considère que les mutualisations posent question.
En effet, le ministère de l'intérieur ne parvient pas à chiffrer les gains financiers produits par les mutualisations à ce jour, ni les gains attendus à l'avenir. Cette absence de chiffrage est d'autant plus inquiétante qu'une vaste vague de mutualisations nouvelles doit être mise en oeuvre au cours de l'année 2012 : or, comment justifier l'amplification d'un mouvement dont les résultats ne sont toujours pas connus, plus de deux ans après son lancement ?
Selon votre commission, les mutualisations fonctionnent aujourd'hui comme une « boîte noire » ayant pour principale vocation de justifier les suppressions d'effectifs et la diminution des crédits attribués aux services déconcentrés (ces suppressions et cette diminution intervenant d'ailleurs avant même que des gains de productivité aient pu être réalisés et constatés), comme le soulignait déjà notre collègue Alain Anziani dans son rapport pour avis sur la mission « AGTE » pour le PLF pour 2011.
À cet égard, le programme « Administration territoriale » a connu une perte d'ETPT particulièrement importante depuis le début de la RGPP. Au PLF pour 2012, le plafond d'emplois est de 27 809 ETPT : ceci correspond à une suppression de 453 postes par rapport à 2011, mais surtout à une perte de 2 560 postes depuis 2009. Le programme a donc perdu 8,4 % de ses effectifs sur quatre exercices budgétaires.
Une diminution aussi rapide et aussi importante des moyens humains ne peut pas, selon votre commission, se faire sans que soit remis en cause le niveau du service rendu aux usagers et les conditions de travail des agents : comme l'année passée, elle appelle donc le gouvernement à mettre un terme aux suppressions de poste dans les services préfectoraux, qui ont déjà largement contribué à l'effort de redressement des comptes publics.
3. Le sort toujours incertain des sous-préfectures
Enfin, votre commission observe que la question des sous-préfectures n'a toujours pas été résolue par le ministère de l'intérieur.
En effet, bien que le ministère estime nécessaire de maintenir en l'état le réseau des sous-préfectures (c'est-à-dire de n'en supprimer aucune dans un avenir proche), les réformes engagées depuis quelques années sont laissées en l'état et ne connaissent aucune évolution : tel est le cas pour le remplacement des sous-préfets par des conseillers d'administration, qui a finalement eu lieu dans trois arrondissements (à comparer aux quinze initialement envisagés) et pour la création d'une « Maison de l'État » en lieu et place de la sous-préfecture de Boulogne-Billancourt (création qui, bien qu'annoncée depuis plusieurs années, est sans cesse repoussée).
Votre commission estime que ces réformes « au coup par coup » ne sont pas de nature à valoriser les sous-préfectures en tant que services de proximité pour les citoyens et pour les élus locaux ; elle appelle donc le gouvernement à mettre en place une stratégie concertée et cohérente de gestion des sous-préfectures.
* 15 Décret n° 2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets.
* 16 Rapport précité de M. Alain Anziani sur le PLF pour 2011.
* 17 Rapport n° 10-028-01 relatif à l'évaluation de la régionalisation des BOP « Administration territoriale ».
* 18 Selon l'IGA, les CAR fonctionnent comme « un lieu de consensus, qui a vocation à valider les arbitrages et initiatives du préfet de région », si bien que « la remontée des débats à ce niveau est perçue, légitimement, comme un dysfonctionnement des niveaux antérieurs de concertation ».
* 19 Plus précisément, les pré-CAR n'ont pas été « le lieu de définition d'une démarche concertée d'allocation des ressources » qu'ils auraient dû être dans la mise en oeuvre de la RGPP, et n'ont pas contribué à la définition d'une méthode d'allocation des crédits partagée entre tous les préfets de département et le préfet de région.