4. Les questions du maillage culturel de la France et des politiques culturelles à l'échelle territoriale
La question du maillage culturel de notre territoire est posée. Certes, il est exceptionnel et notre pays a réussi l'aménagement culturel de son territoire ; grâce à cela, nous avons beaucoup élargi les publics depuis vingt ou trente ans ; mais ce formidable élan décentralisateur est-il achevé ? Il y a sans doute encore quelques « trous ». Votre commission n'est cependant pas favorable à une multiplication excessive des structures. Ainsi, par exemple, il convient de bien réfléchir et d'assurer la complémentarité des lieux dans le secteur de la musique. Il semble que la concurrence l'emporte parfois. En outre, il faut avoir à l'esprit que plus le nombre d'acteurs augmente, plus s'accroît aussi le risque de voir les subventions de chacun diminuer, les financements n'étant pas extensibles.
Il s'agit de trouver un équilibre entre Paris et les autres régions. Il faut donc développer une approche globale de la politique culturelle du territoire, au-delà d'une logique d'équipement.
Signalons deux rapports de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) qui ont tenté de faire le bilan des politiques culturelles à l'échelle territoriale :
- l'un, de juillet 2010, sur les failles dans l'aménagement culturel du territoire ;
- l'autre, remis en octobre 2010 par M. Jérôme Bouët, sur le renouvellement des relations partenariales entre l'État et les collectivités territoriales dans le domaine des politiques culturelles, dont les principales préconisations sont annexées au présent rapport.
Les « failles territoriales » constatées aujourd'hui affectent principalement, et de manière plus ou moins aiguë, les quartiers défavorisés de certaines agglomérations, ainsi que les zones rurales isolées, voire touchées par l'exode lié à l'absence ou à la disparition d'activités économiques. Mais de plus en plus, les collectivités territoriales, avec le soutien du ministère de la culture et de la communication à travers les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), ont initié ou encouragé des initiatives qui permettent à ces zones de bénéficier de la diffusion artistique grâce, en particulier, à l'itinérance et à la présence d'artistes. Ceci étant, comme l'a relevé le premier des rapports précités de l'IGAC : « les lieux d'accueil sont indispensables pour amplifier les pratiques itinérantes et favoriser les échanges en réseau » ; à ce titre, il évoque les maisons de quartiers et foyers ruraux. Il relève néanmoins que « la complexité des enjeux sectoriels du ministère se prête mal à la transversalité et à la conception de démarches intégrées. » Votre rapporteure partage cette analyse .
Quant à M. Jérôme Bouët, auditionné par notre groupe de travail, il conclut que « les mesures préconisées peuvent paraitre techniques mais elles sont destinées à faire évoluer le partenariat dans le sens d'une plus grande prise en considération de l'action des collectivités territoriales dans le domaine culturel. Il ne s'agit pas d'un plan de retrait de l'État qui voudrait transférer ses obligations. Ces propositions s'inscrivent au contraire dans l'option politique d'une intervention forte de l'État. Mais elles tiennent compte d'une réalité, la formidable montée en puissance des collectivités, l'importance des moyens qu'elles consacrent à la culture, leur créativité, leur capacité à relier la culture à d'autres enjeux économiques et sociaux. Le ministère de la culture ne doit bien entendu pas renoncer à la politique de l'offre qui est sa raison d'être. Mais il doit en même temps saisir toutes les opportunités d'élargir sa relation avec la population. Il a la chance de disposer d'un réseau maintenu de services propres sur l'ensemble du pays (il n'y a plus qu'un tout petit nombre de ministères dans ce cas). Il doit faire de l'utilisation au mieux de ce réseau l'un de ses premiers objectifs, considérer que le territoire est un enjeu politique majeur et favoriser le développement des responsabilités culturelles des collectivités territoriales.
Ces démarches sont confortées par les politiques menées sur le terrain en direction des publics spécifiques, notamment dans le cadre de dispositifs interministériels, ou par les collectivités territoriales elles-mêmes. Ces secteurs bénéficient de la mobilisation croissante des institutions labellisées dont les contrats d'objectifs comportent de plus en plus des volets d'action en direction spécifiquement des publics. »
Une large part des propositions de M. Jérôme Bouët concernent le fonctionnement du ministère de la culture dans ses rapports avec les collectivités, avec, en creux, la mise en lumière de carences à combler : « Ce qui paraît manquer aujourd'hui c'est un cadre de réflexion et d'impulsion qui implique davantage les directions générales. » D'où l'idée de faire préparer le travail du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel ( CCTDC ) par un « conseil miroir », servant aussi à diffuser une culture territoriale dans les directions centrales. Rappelons que ce Conseil a été réactivé en février 2008, ce dont votre commission se réjouit ; il se voit ainsi pleinement reconnu comme instance de dialogue.
Pour la conduite des politiques culturelles, M. Jérôme Bouët préconise un « co-pilotage » entre État et grandes collectivités. La démarche serait progressive, commençant par le partage d'expertise, pour aller jusqu'à des « décisions conjointes », en passant par la mise en place d'un « guichet unique ». Cependant, le Syndicat national des scènes publiques (SNSP) a fait part à votre rapporteure de sa crainte qu'un tel co-pilotage conduise à « privilégier les actions de dimension « nationale » au détriment des actions plus « régionales » ; ce qui, à terme, pourrait poser des difficultés de financement des actions plus modestes, voire leur disparition. » Les futurs schémas d'organisation des compétences et de mutualisation des services devraient préciser les modalités d'organisation de cette coopération territoriale.
Si ce rapport permet d'approfondir les réflexions sur ces sujets majeurs, votre rapporteure partage l'opinion exprimée par Mme Karine Gloanec-Maurin, ex-présidente de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) : « les élus doivent rester très vigilants sur certains risques, comme l'affaiblissement de l'équité territoriale, ou le retrait de l'État de certaines décisions. »
Votre rapporteure réaffirme que les collectivités ne pourront assumer seules ces missions et souligne le nécessaire engagement de l'État.
Par ailleurs, le rapport confié à M. Jean-Jacques de Peretti vient d'être publié. Il est justement destiné à clarifier les modalités d'élaboration des schémas d'organisation des compétences et de mutualisation des services, prévus par la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales.
Parmi les propositions des rapports précités, voici celles qui concernent plus particulièrement les secteurs de la création relevant du présent programme 131 :
- expérimenter des formules de copilotage des aides à la création ;
- donner la priorité à l'itinérance artistique et à la diffusion hors les murs dans les territoires défavorisés, par l'intermédiaire de redéploiements budgétaires, d'appels à projets relatifs aux mesures nouvelles et lors du renouvellement des contrats d'objectifs passés avec les partenaires ;
- soutenir les réseaux de salles de cinéma et les encourager à diversifier leur programmation en y intégrant des captations de spectacle vivant en partenariat avec les institutions culturelles ;
- contribuer au renforcement des dispositifs de médiation culturelle locale dans les zones défavorisées.