B. QUELLES MARGES DE MANoeUVRE ?
1. Une remise en cause des niches sociales véritablement inefficaces
Le Gouvernement a remis au Parlement, en application de l'article 13 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, un rapport d'évaluation de l'ensemble des niches fiscales et sociales en vigueur à la date de publication de la première loi de programmation des finances publiques (soit le 11 février 2009).
Ce rapport, appelé rapport « Guillaume », du nom de l'inspecteur des finances qui en a supervisé l'élaboration, attribue à chaque niche une note allant de 0 (la plus mauvaise) à 3 (la meilleure).
a) Les principaux enseignements du rapport « Guillaume »
De ce document, il ressort que les niches sociales sont proportionnellement jugées plus efficaces que les dépenses fiscales par le comité , puisque celles jugées peu ou pas efficaces correspondent à seulement un tiers du montant total (mais représentent 80 % des dispositifs). Les mesures peu ou pas efficaces (score de 0 ou 1) coûteraient environ 13 milliards d'euros.
Les principaux chiffres du « rapport Guillaume » relatifs aux niches sociales
Nombre de mesures |
Enjeux financiers |
|||
Nombre |
% |
Mns € |
% |
|
Mesures évaluées |
46 |
68 |
35 324 |
92 |
Mesures non évaluées |
22 |
32 |
2 894 |
8 |
Total |
68 |
100 |
38 218 |
100 |
Score 0 |
17 |
37 |
3 311 |
9 |
Score 1 |
20 |
43 |
9 519 |
27 |
Score 2 |
6 |
13 |
1 216 |
3 |
Score 3 |
3 |
7 |
21 278 |
60 |
Total |
46 |
100 |
35 324 |
100 |
Score 0 : mesure non efficace. Score de 3 : mesure efficiente (correctement ciblée, coût raisonnable au regard de l'efficacité, outil fiscal/social en lui-même efficient, mesure plus adaptée qu'une dépenses budgétaire ou qu'une mesure non financière).
Source : rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011
Cela vient du fait que les niches sociales correspondent pour les deux tiers de leur montant total aux allégements généraux de charges sur les bas salaires , qui coûtent environ 21 milliards d'euros en 2011 et, selon les études disponibles, permettent l'existence d'environ 800 000 emplois 4 ( * ) . S'il ne cite pas ce chiffre, le « rapport Guillaume » suggère implicitement un ordre de grandeur analogue 5 ( * ) . Ainsi, il donne à ces allégements généraux le score de 3, le plus élevé possible.
« Niches sociales » ayant obtenu un score de 0
(en millions d'euros)
Mesure |
Chiffrage |
Type de bénéficiaires |
Exploitants agricoles exerçant leur activité dans les DOM |
17 |
Employeurs seuls |
Création d'emploi en zones de revitalisation rurale (ZRR) ou de redynamisation urbaine |
18 |
Employeurs seuls |
Organismes d'intérêt général et association en ZRR |
61 |
Employeurs seuls |
Arbitres et juges sportifs |
34 |
Employeurs seuls |
Exonération pour les travailleurs indépendants en outre-mer |
122 |
Employeurs seuls |
Titres restaurant |
973 |
Employeurs et salariés |
Chèques vacances |
264 |
Employeurs et salariés |
Aide du comité d'entreprise ou de l'entreprise pour le financement d'activités de services à domicile |
87 |
Salariés seuls |
Indemnités versées dans certains cas de rupture du contrat de travail |
962 |
Employeurs et salariés |
Indemnités versées dans le cadre d'un accord GPEC |
0 |
Employeurs et salariés |
Indemnités versées en cas de rupture conventionnelle du contrat de travail |
203 |
Employeurs et salariés |
Exonération de CSG et de CRDS sur les rentes viagères et indemnités en capital servies aux victimes d'accidents du travail |
425 |
Salariés seuls |
Exonération à la CSG du CLCA et du COLCA |
nc |
Salariés seuls |
Exonération à la CSG de l'Allocation journalière de présence parentale |
nc |
Salariés seuls |
Exonérations de cotisations de sécurité sociale et taux réduit de CSG sur les indemnités journalières maladies allouées aux personnes atteintes d'une ALD |
nc |
Salariés seuls |
Taux réduits et absence de taux majorés pour la taxe sur les salaires pour l'outre-mer |
130 |
Employeurs seuls |
Vignette sociale : abattement de 75 % sur la cotisation sur les boissons alcooliques |
15 |
Employeurs seuls |
Source : rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011
Le tableau qui précède montre, en tous les cas, que le chantier de la réduction des niches sociales ne sera pas facile à conduire, compte tenu de la forte sensibilité des dispositions en cause . En toute hypothèse, les suppressions ou réductions de niches sociales doivent s'inscrire, dans le cadre de réformes en profondeur du financement de la sécurité sociale, de manière à accroître son rendement tout en renouant avec la justice fiscale.
b) La remise en cause paradoxale par le Gouvernement des niches sociales les plus efficaces : l'exemple des complémentaires santé
Il est néanmoins intéressant, dès à présent, de regarder quelle appréciation porte ce rapport sur les niches sociales remises en causes en 2011 et en 2012 par le Gouvernement.
Comme l'a souligné notre collègue Nicole Bricq, rapporteure générale, dans son rapport sur les prélèvements obligatoires, le Gouvernement cible paradoxalement les dispositifs jugés très efficaces par le « rapport Guillaume » , comme en témoigne le doublement de la taxe sur les complémentaires santé qui avait obtenu un score de 3 par le comité d'évaluation.
Votre rapporteur pour avis, opposé à ce choix, vous propose de revenir sur cette disposition et de « gager » cette mesure, pour moitié, par une hausse de 3 points du forfait social et, pour l'autre, par une hausse de 0,5 point des prélèvements sociaux sur les revenus du capital.
Il vous proposera, en outre, la révision d'une des mesures les plus coûteuses et sans fondement, les exonérations fiscales et sociales sur les heures supplémentaires, votées dans le cadre de la loi « Tepa » d'août 2007, qui représentent un coût total de 4,9 milliards d'euros.
Votre rapporteur pour avis reviendra sur ces deux dispositifs dans la suite du présent rapport.
2. Des chantiers de réformes qui devront être ré-ouverts ou abordés
Du côté des dépenses, trois chantiers devront sans doute être ouverts ou ré-ouverts : la réforme des retraites, celle du financement de l'assurance maladie et celle de la dépendance.
a) La réforme des retraites, un financement non assuré
Dans son dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes estime que l'impact de la réforme sur le solde de l'ensemble des régimes de retraite a été surévalué par le Gouvernement, reprenant, par là même, l'ensemble des observations formulées par le rapporteur pour avis de la commission des finances.
• Selon la Cour, la présentation qui a
été faite de la réforme par le Gouvernement inclut, tout
d'abord,
deux composantes qui peuvent difficilement être retenues
pour apprécier l'impact de la réforme sur les finances
publiques
:
- « La première, intitulée « Effort de l'Etat en faveur de ses fonctionnaires » et qui représente 15 milliards d'euros chaque année, correspond de manière purement conventionnelle à l'augmentation de la contribution du budget général au compte d'affectation spéciale des pensions de 2000 à 2010 » ;
- « La deuxième, qui consiste en un basculement de cotisations versées à l'Unedic vers des cotisations de retraite (c'est-à-dire qui revient à gager des augmentations de cotisations retraites par une diminution des cotisations chômage), est envisageable mais encore hypothétique. Les partenaires sociaux se sont accordés en mars 2011 sur le principe d'une baisse des cotisations de chômage, mais son ampleur est indéterminée et elle est soumise à une double condition relative aux évolutions du solde annuel et de l'endettement de l'Unedic . »
• Par ailleurs, la Cour insiste fortement, comme la
commission des finances, sur
l'optimisme des hypothèses
prises
en compte. Ces projections s'appuyaient sur le scénario
économique intermédiaire du Conseil d'orientation pour les
retraites (COR), caractérisé par une baisse du taux de
chômage jusqu'à 4,5 % en 2024.
La Cour énonce plusieurs facteurs susceptibles de modifier substantiellement les prévisions relatives à l'état des comptes des régimes de retraite à l'horizon 2020 présentées par le Gouvernement :
- elle note que le COR estimait à 3,8 milliards le besoin de financement supplémentaire des régimes de retraite en 2020 dans son scénario le plus défavorable (avec un taux de chômage de 7 % à long terme) ;
- elle relève que l'ARRCO et l'AGIRC ont réalisé de nouvelles projections de leurs soldes techniques à la fin de 2010, dont il ressort que, pour un même scénario économique que celui du Gouvernement, le solde des régimes supplémentaires pourrait être dégradé de 2,5 milliards en 2020 ;
- elle souligne que l'INSEE a présenté de nouvelles projections démographiques à la fin de 2010 où la population française est un peu plus nombreuse en 2020. L'écart par rapport aux projections antérieures utilisées par le COR étant plus important pour la population de soixante-cinq ans et plus que pour la population de vingt à soixante-quatre ans, le déficit des régimes de retrait serait aggravé de 3,5 milliards en 2020.
•
Même sans remettre en cause les
hypothèses macro-économiques retenues par le Gouvernement, il est
à rappeler qu'en tout état de cause l'équilibre financier
annoncé pour 2008 ne pourra être, au mieux que ponctuel
.
A partir de 2020, la question du financement de notre système de
retraite par répartition devrait à nouveau se poser car les
besoins de financement devraient sensiblement augmenter. Si l'on reprend les
hypothèses du COR, les besoins de financement annuels
s'élèveraient en 2030 à 70,3 milliards d'euros, soit
une progression de 56,2 % par rapport à 2020, contre 39,3 % entre 2010
et 2020.
Ceci semble d'autant plus vraisemblable que certaines marges de manoeuvre ont d'ores et déjà été préemptées :
- afin de refinancer les déficits cumulés de la branche vieillesse durant la prochaine décennie, il est prévu de liquider progressivement les actifs du Fonds de réserve des retraites à compter de 2012. Or ce fonds devait permettre initialement de lisser les déficits du système de retraite à partir de 2020 ;
- l'augmentation de la durée de cotisation semble également limitée compte tenu de l'entrée de plus en plus tardive des jeunes sur le marché du travail.
•
Enfin, comme l'avait également
souligné la commission des finances, la réforme des retraites
provoque des « dépenses connexes ».
La Cour observe
que le recul de l'âge minimal de départ en retraite pourrait avoir
un impact sur des dépenses sociales autres que les retraites :
allocations de chômage, revenu de solidarité active, pensions
d'invalidité... Le seul impact sur l'UNEDIC a été
évalué à 0,4 milliard.
• Votre rapporteur pour avis note, en outre, que
bien que présentant la réforme des retraites comme
entièrement financée, le Gouvernement propose des mesures
nouvelles à destination de la CNAV à hauteur de 949 millions
d'euros pour 2012
, ce qui peut laisser perplexe quant au bouclage
financier de la réforme :
- affectation de la moitié du produit de la hausse des prélèvements sociaux sur les revenus du capital ;
- réforme du régime d'imposition des plus-values immobilières.
b) L'assurance maladie, l'absence de réforme de fond de son financement
S'agissant de l'assurance maladie, celle-ci est destinataire, comme cela a été indiqué précédemment, de près des deux-tiers des mesures de recettes pour l'année prochaine, ce qui témoigne des difficultés auxquelles doit faire face cette branche.
Dans son rapport précité, la Cour des comptes insiste sur la nécessité d'une réforme du financement de l'assurance maladie dont les déficits ne pourront pas être réduits par la seule maîtrise des dépenses :
« L'analyse des risques à l'horizon 2020 a mis en évidence que même si la croissance effective de la dépense se limite bien à 2,8 % l'an, la réduction du déficit de l'assurance maladie ne sera que très lente. Le déficit ne disparaitrait qu'en 2027 si la masse salariale progressait au rythme moyen constaté au cours des douze dernières années et en 2018 dans l'hypothèse, optimiste, où elle atteindrait 4,3 % l'an. La maîtrise future de la dépense ne suffisant pas à corriger rapidement le déficit « en base », la question du financement de l'assurance maladie, éludée dans les faits depuis la crise de 2008, devra donc rapidement être mise en débat et tranchée. Si tel n'était pas le cas, la France, à la différence par exemple de l'Allemagne qui n'accepte aucun déficit durable en ce domaine, se placerait durablement dans la situation de reporter, à travers l'accumulation des déficits, la charge des dépenses de soins courants sur les générations futures. L'année 2014, qui suit celle au cours de laquelle le redressement global des finances publiques doit être réalisé selon le programme de stabilité, devrait voir la disparition de ce déficit spécifique que rien, hors circonstances économiques exceptionnelles, ne justifie . »
c) La dépendance, une réforme reportée
Enfin, un autre chantier, jusqu'ici reporté, devra être abordé, celui de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.
En février dernier, le Président de la République a lancé le débat national sur la dépendance. Quatre groupes de travail ont été créés à cette occasion, chargés de formuler des constats et des propositions sur les principaux enjeux de la réforme à venir :
- société et vieillissement ;
- enjeux démographiques et financiers de la dépendance ;
- accueil et accompagnement des personnes âgées ;
- stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées.
Les groupes de travail ont remis leurs rapports le 21 juin dernier. Ces travaux fournissent des indications utiles sur les efforts financiers qui devront être accomplis pour assurer dans de bonnes conditions la prise en charge des personnes en perte d'autonomie.
Pour le groupe de travail chargé de réfléchir aux modalités de couverture financière de la dépendance des personnes âgées, les surcoûts de la dépendance peuvent être estimés à près de 34 milliards d'euros ; ils sont couverts à environ 70 % par la puissance publique (24 milliards d'euros), le reste demeurant à la charge des familles.
Compte tenu du contexte macro-économique actuel, le Gouvernement ne propose pas de réforme de la prise en charge de la dépendance cet automne.
* 4 Ce chiffre de 800 000 emplois ressort de la quinzaine d'études qui ont été faites sur le sujet en France, comme le montre un article publié en janvier 2006 par M. Yannick L'Horty (« Dix ans d'évaluation des exonérations sur les bas salaires », in « Connaissance de l'emploi », n° 24, janvier 2006). Il est également mentionné par le Conseil des prélèvements obligatoires dans son étude relative aux « Prélèvements obligatoires dans une économie globalisée », demandée par la commission des finances en application de l'article L. 351-3 du code des juridictions financières, qui lui a été remise le 7 octobre 2009.
* 5 S'interrogeant sur « l'effet sur l'emploi d'une suppression totale des allégements aujourd'hui », le « rapport Guillaume » indique : « A titre indicatif, un ordre de grandeur peut (...) être donné par l'estimation de Crépon-Desplatz (2001), qui retenait pour fourchette basse un effet emploi des allégements Juppé de 300 000 emplois créés ou sauvegardés, pour un coût annuel de 6,4 milliards d'euros en 1997-1998 (soit 9,4 milliards d'euros en actualisant en 2009 sous l'hypothèse d'une évolution homogène de salaires sur la période). On rappelle qu'en 2009, les allégements Fillon représentent une enveloppe de 22,2 milliards d'euros ». Le « rapport Guillaume » suggère donc implicitement un impact de 22,2 / 9,4 ( 300 000 700 000 emplois).