CHAPITRE II - L'AVANCEMENT DES OPÉRATIONS D'ÉQUIPEMENT
I. DISSUASION
L'année 2010 marque un jalon très important dans le renouvellement des forces nucléaires , avec l'entrée en service du missile ASMP/A au profit de la composante aéroportée et celle du missile M 51, sur le 4 ème et dernier SNLE-NG, le Terrible, au sein de la composante océanique.
Le respect des échéances annoncées de longue date constitue avant tout une remarquable performance technique qui illustre la compétence des équipes impliquées au ministère de la défense, au Commissariat à l'énergie atomique et dans l'industrie. Elle doit également à la constance avec laquelle, année après année, les programmes liés à la dissuasion nucléaire ont bénéficié des financements nécessaires , à la hauteur prévue par les lois de programmation successives.
Alors que plusieurs évènements ont contribué à relancer, au plan international, le débat sur le nucléaire militaire, la France a eu l'occasion de réaffirmer sa doctrine, fondée sur la stricte suffisance . Elle peut s'appuyer pour cela sur des moyens dont la crédibilité à été confortée.
A. LA DISSUASION NUCLÉAIRE FRANÇAISE ET LE NOUVEL ENVIRONNEMENT STRATÉGIQUE INTERNATIONAL
Une succession de décisions nationales ou d'évènements internationaux ont fait de 2010 une année particulièrement riche pour le débat stratégique mondial. Vos rapporteurs croient utile de les détailler, même si elles n'ont pas de lien direct avec les enjeux budgétaires, car elles façonnent l'environnement dans lequel se situe la dissuasion nucléaire française.
L'année 2009 fut celle du discours de Prague (5 avril 2009), dans lequel le Président Obama exprimait sa vision d'un « monde sans armes nucléaires », tout en ajoutant ne sans doute pas pouvoir le connaître de son vivant.
Ce discours, beaucoup plus nuancé que le résumé qui en a été fait par la plupart des commentateurs, a redonné vigueur à la thématique de l'abolition des armes nucléaires. Après la Conférence d'examen du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), la signature du nouveau traité START par les Etats-Unis et la Russie puis la Nuclear Posture Review américaine, on voit bien cependant qu'aucune rupture majeure ne se dessine.
Aux yeux de vos rapporteurs, cette séquence internationale conforte plutôt la vision réaliste de la France, qui vise à progresser de front sur les trois piliers du TNP : la non-prolifération, le désarmement et le développement responsable du nucléaire civil.
On constate en effet aujourd'hui :
- que le nouveau traité START ne prévoit qu'une réduction assez limitée du nombre d'armes déployées par les Etats-Unis et la Russie sur une période de 7 ans, et qu'il n'emporte aucune obligation sur l'élimination des armes en réserve ou en attente de démantèlement ; l'approbation de ce traité par le Sénat américain n'est en outre toujours pas acquise ;
- que la perspective d'approbation, par ce même Sénat, du traité d'interdiction complète des essais nucléaires, n'est plus même évoquée, alors qu'il s'agissait d'un engagement du président Obama dans son discours de Prague ;
- que la Chine a refusé à New York tout engagement sur un moratoire sur la production de matières fissiles militaires, le Pakistan bloquant pour sa part l'ouverture des négociations sur un futur traité à ce sujet à la Conférence du désarmement ;
- qu'aucun progrès n'a été accompli sur les deux crises de prolifération, nord-coréenne et iranienne.
Dans ce contexte, et comme l'a souligné le rapport d'information présenté au nom de la commission par notre collègue Jean-Pierre Chevènement au début de l'année 1 ( * ) , la position française, fondée sur la stricte suffisance, conserve toute sa pertinence.
1. Le traité de désarmement américain-russe d'avril 2010
Signé à Prague le 8 avril 2010, le « nouveau traité START » (« New START Treaty »), conclu pour une durée de 10 ans, avec possibilité de renouvellement pour 5 ans supplémentaires, se substituera au traité « SORT », conclu en 2002 et qui devait normalement courir jusqu'en 2012.
Comme pour SORT, les limites fixées par le « nouveau START » ne concernent que les armes stratégiques déployées et excluent les armes en réserve, les armes en attente de démantèlement et les armes non-stratégiques.
Le traité prévoit que le nombre d'armes stratégiques déployées par chaque partie sera ramené à 1 550 dans les 7 ans suivant son entrée en vigueur (donc pas avant 2018, compte tenu de la non ratification du traité à ce jour), alors que SORT retenait une fourchette de 1 700 à 2 200 armes fin 2012. La diminution supplémentaire de 2012 à 2018 est donc de 30 % par rapport à la limite haute et de 9 % par rapport à la limite basse fixée par SORT. Elle s'applique uniquement aux armes stratégiques déployées, et non au volume global de chacun des arsenaux (estimé à 9 400 armes nucléaires pour les Etats-Unis et à 13 000 pour la Russie), le traité ne comportant par ailleurs aucun engagement de diminution et de destruction des armes non déployées .
A la même échéance, le nombre de vecteurs (missiles balistiques intercontinentaux sol-sol ou mer-sol ; bombardiers lourds équipés pour des armes nucléaires) sera ramené à 800 maximum , dont 700 vecteurs déployés . A la date de juillet 2009, la Russie disposait de 809 vecteurs stratégiques déployés et les Etats-Unis de 1 188, dont moins de 900 effectivement dotés de têtes nucléaires. Les deux Etats se trouvent donc pratiquement déjà au niveau fixé par le traité.
Il est à noter que le traité retient un mode de comptabilisation particulier pour les armes nucléaires stratégiques des forces aériennes : chaque bombardier lourd comptera pour un vecteur et une seule arme stratégique déployée , bien qu'il y ait évidemment davantage d'armes nucléaires air-sol (bombes ou missiles de croisière nucléaires) que de bombardiers. Cette particularité, introduite semble-t-il à la demande de la Russie, a été justifiée par le fait que ces armes ne sont pas en permanence à bord des avions et que la composante aérienne ne constitue pas une menace de première frappe pour chacune des deux parties. Mais de ce fait, le nombre réel d'armes nucléaires opérationnelles devrait être supérieur à la limite retenue par le traité.
Comme START I, et à la différence de SORT, le « nouveau START » est assorti de mesures de vérification (inspections sur place, échanges de données, notifications réciproques des armements offensifs et des sites nucléaires). Les modalités pratiques de vérification font l'objet d'annexes techniques. La Russie paraît avoir obtenu, conformément à ses souhaits, un régime moins contraignant et intrusif que celui de START I.
Le traité ne comporte aucune disposition relative au déploiement des défenses anti-missiles ou à la conversion de missiles balistiques en armes conventionnelles pour des frappes de précision (projet américain de « Prompt Global Strike »).
L' impact quantitatif du « nouveau START » sur le volume des arsenaux nucléaires sera assez modeste . Son importance est avant tout politique. Il constitue la première traduction concrète du nouveau départ (« reset ») souhaité par l'administration Obama dans la relation américano-russe , après une longue période de contentieux et de défiance. Il pérennise jusqu'à la prochaine décennie le cadre stratégique bilatéral , assorti de mécanismes de transparence et de vérification . Un mois avant la Conférence d'examen du TNP, il représentait un signal politique des deux principales puissances nucléaires à l'adresse de la communauté internationale, sur leur volonté de poursuivre sur la voie du désarmement nucléaire.
Le « New START » doit désormais recevoir dans chacun des deux pays l' approbation parlementaire nécessaire à sa ratification puis son entrée en vigueur.
Au Sénat américain , la réunion de la majorité qualifiée (67 voix sur 100 sénateurs) implique nécessairement le soutien d'une partie des sénateurs républicains. Le traité a été approuvé par la commission des affaires étrangères au mois de septembre et le Président a indiqué souhaiter que le Sénat statue avant l'entrée en fonction du nouveau Congrès, en janvier 2011, dans lequel la majorité démocrate au Sénat se réduira à 51 sièges. Une telle issue n'est cependant pas acquise.
Le traité donne largement satisfaction à la Russie (préservation de la parité stratégique avec les Etats-Unis) et la commission des affaires étrangères de la Douma l'avait approuvé en juillet dernier. Des réserves ont toutefois été émises compte tenu des incertitudes sur la ratification par les Etats-Unis. A Russie pourrait également établir un lien entre la ratification et la question de la défense anti-missiles.
2. La « Nuclear Posture Review » américaine
Publiée le 6 avril 2010, deux jours avant la signature du nouveau traité START, la Nuclear Posture Review ne constitue une rupture ni sur le plan doctrinal , ni sur le plan du format des forces nucléaires américaines.
La NPR présente le terrorisme nucléaire comme le « danger le plus immédiat et le plus extrême » , l'autre grande menace résultant de la prolifération nucléaire . L' Iran et la Corée du Nord sont clairement désignés comme violant leurs obligations de non-prolifération. Selon le document, la prolifération nucléaire renforce l' obligation des Etats-Unis d'apporter des assurances de sécurité solides à leurs alliés et partenaires , faute de quoi ceux-ci seraient tentés de se doter de leurs propres capacités nucléaires, mettant en péril le TNP.
La garantie de la stabilité stratégique avec la Russie et la Chine constitue également une priorité. On peut remarquer que la Chine apparaît désormais, aux côtés de la Russie, comme un facteur majeur de la stratégie nucléaire américaine. Toutefois, les deux pays ne sont pas placés sur le même plan. La Russie reste le seul « pair » des Etats-Unis en termes de volume des forces nucléaires. Comme les Etats-Unis, elle a beaucoup réduit son arsenal, même si les deux pays conservent encore bien plus d'armes nucléaires que cela est nécessaire. Avec la Russie, l'objectif vise à maintenir un équilibre bilatéral stable et à éviter une dangereuse compétition nucléaire. En ce qui concerne la Chine , la NPR mentionne l'inquiétude que suscite, aux Etats-Unis et en Asie, la modernisation qualitative et quantitative de l'arsenal nucléaire chinois. Celui-ci reste encore limité, mais le manque de transparence entourant les programmes tout comme la doctrine et la stratégie suscite des interrogations sur les intentions stratégiques futures de la Chine.
S'agissant du rôle des armes nucléaires dans la doctrine de défense des Etats-Unis et de la politique « déclaratoire », la NPR écarte tout engagement de non-emploi en premier de l'arme nucléaire (« no first use ») et ne va pas jusqu'à considérer que l'arme nucléaire a pour seul objet de dissuader une attaque nucléaire (« sole purpose »), même si elle fait un pas en ce sens.
Les Etats-Unis adoptent une nouvelle formulation des assurances négatives de sécurité accordées aux Etas non nucléaires.
Les Etats-Unis n'utiliseront pas ou ne menaceront pas d'utiliser l'arme nucléaire contre des Etats non dotés d'armes nucléaires qui sont parties au TNP et qui sont en conformité avec leurs obligations de non-prolifération nucléaire .
Tout Etat éligible à ces assurances qui attaquerait les Etats-Unis ou un de leurs alliés avec des moyens chimiques ou biologiques serait néanmoins exposé à une « réponse militaire conventionnelle dévastatrice » . En outre, étant donné le potentiel catastrophique d'une attaque biologique et le rythme rapide d'évolution des biotechnologies, les Etats-Unis se réservent le droit de procéder à tout ajustement quant à cet engagement.
S'agissant des Etats non parties au TNP ou des Etats qui ont violé leurs engagements de non-prolifération (Iran, Corée du Nord), il reste un certain nombre de cas dans lesquels la dissuasion américaine s'exerce également vis-à-vis d'une menace conventionnelle, chimique ou biologique . De ce fait, les Etats-Unis ne peuvent à ce stade adopter une politique affirmant que l'arme nucléaire a pour seul objet de dissuader une attaque nucléaire contre eux-mêmes ou leurs alliés. Tel est bien cependant leur objectif à long terme, lorsque pourront être établies les conditions permettant l'adoption en toute sûreté d'une politique de « sole purpose ».
La NPR indique également que les Etats-Unis n'envisageront en tout état de cause l'usage de leurs armes nucléaires qu'en cas de circonstances extrêmes, pour défendre leurs intérêts vitaux ou leurs alliés et partenaires.
Les Etats-Unis se réservent ainsi une marge d'appréciation , non seulement vis-à-vis des évolutions à venir de la menace biologique , mais également à l'égard des Etats en infraction avec leurs obligations de non-prolifération.
Dans le cadre des plafonds qui ont été définis conjointement avec la Russie dans le cade du « nouveau START », la NPR apporte peu de changements quant à la structure des forces nucléaires américaines . Destinées à garantir une capacité de seconde frappe, celles-ci reposeront toujours sur trois composantes (terrestre, navale et aérienne), chacune étant supposée pouvoir compenser, si nécessaire, les problèmes technologiques ou les vulnérabilités opérationnelles qui affecteraient l'une d'entre elles.
S'agissant de la composante navale , il est envisagé de passer de 14 à 12 sous-marins de classe Ohio dans la deuxième moitié de la décennie. Cette décision n'affectera pas le nombre d'armes nucléaires déployées sur les SNLE. Les développements sont engagés pour réaliser une nouvelle génération de SNLE à l'horizon 2027. Pour la composante terrestre , les 450 missiles intercontinentaux sol-sol Minuteman III sont conservés mais ils seront équipés d'une seule tête nucléaire (alors qu'ils peuvent en porter jusqu'à trois). Cette décision aura un impact réduit, la quasi-totalité de ces missiles étant semble-t-il déjà dotés d'une tête unique, une cinquantaine seulement étant équipés de deux têtes nucléaires. Les premières études sur le renouvellement de cette composante seront prochainement lancées. Le rôle de la composante aérienne est rappelé, en complément des deux autres mais également pour l'exercice de la dissuasion élargie au profit des alliés et partenaires. Un programme de modernisation des B-2, représentant 1 milliard de dollars sur les 5 ans à venir, est lancé. Certains bombardiers B-52 seront reconvertis pour des missions de frappes conventionnelles à longue distance.
Les Etats-Unis maintiendront la posture d'alerte des trois composantes, la réduction de ce niveau d'alerte (« de-alerting ») apparaissant comme un facteur déstabilisant dans la mesure où elle pourrait inciter un adversaire à mener une attaque préventive.
S'agissant des armes nucléaires non-stratégiques , la NPR confirme qu'une double capacité - conventionnelle et nucléaire - sera développée sur le futur F-35 (JSF) , afin qu'il reprenne les missions actuellement assurées par les F-16. Les bombes nucléaires B-61 seront modernisées . Ces décisions ne préjugent pas des discussions engagées au sein de l'OTAN sur le devenir des armes nucléaires américaines en Europe, mais elles laissent toutes les options ouvertes. Le retrait des missiles de croisière Tomahawk à têtes nucléaires (100 missiles TLAM-N destinés à la flotte du Pacifique mais qui n'étaient semble-t-il plus déployés) est confirmé.
Rappelant l'objectif à long terme d'un monde sans armes nucléaires, la NPR précise que le Président a demandé à l'Administration d'étudier les conditions dans lesquelles pourraient intervenir de nouvelles réductions du niveau des forces nucléaires américaines , allant au-delà de celles prévues par le « nouveau START ». Dans cette perspective, trois paramètres devront être pris en compte. Premièrement, il faudra pouvoir continuer à renforcer la dissuasion vis-à-vis d'adversaires régionaux, à maintenir la stabilité stratégique avec la Russie et la Chine et à garantir les assurances données aux alliés et partenaires des Etats-Unis. Tout adversaire potentiel devra être convaincu que le coût d'une riposte serait inacceptable au regard des avantages d'une attaque éventuelle contre les Etats-Unis ou un de leurs alliés. Deuxièmement, il faudra accentuer les investissements consacrés au maintien en condition des armes nucléaires afin d'être moins dépendant des armes conservées en réserve à titre de précaution et de pouvoir en réduire le nombre. Troisièmement, toute réduction ultérieure du volume des forces nucléaires américaines sera étroitement liée à l'évolution de l'arsenal nucléaire de la Russie. Si une parité stricte ne paraît plus indispensable, des disparités trop accusées dans la taille des arsenaux américains et russes seraient un facteur d'instabilité.
La NPR indique que lorsque le « nouveau START » sera ratifié et entrera en vigueur, les Etats-Unis reprendront les discussions avec la Russie sur une nouvelle étape de réduction qui devra porter sur l'ensemble des armes nucléaires (y compris les armes en réserve et les armes tactiques), et non simplement les armes stratégiques déployées.
La NPR expose les principes guidant la gestion du stock d'armes nucléaires des Etats-Unis en insistant sur la nécessité d'accentuer les investissements dans la modernisation du complexe nucléaire militaire . En consacrant davantage de crédits aux programmes de maintien en condition des armes déployées, il sera possible de diminuer le stock d'armes en réserve actuellement conservées pour fournir des rechanges. La modernisation des infrastructures nucléaires est également indispensable pour traiter « plusieurs milliers de têtes nucléaires » qui attendent d'être démantelées. En tout état de cause, il faudra plus d'une décennie pour les éliminer.
La NPR confirme que les Etats-Unis n'entendent plus mener d' essais nucléaires (un moratoire est appliqué depuis 1992) et que le processus de ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) 2 ( * ) sera poursuivi, comme l'avait annoncé le Président Obama à Prague l'an dernier. Force est toutefois de constater que l'examen du « nouveau START » a pris du retard et que l'issue de la démarche reste toujours incertaine. Dans ces conditions, et compte tenu du rétrécissement de la majorité démocrate au Sénat, on peut réellement se demander si l'Administration pourra vraiment engager un jour le processus de ratification du TICE.
La NPR affirme que les Etats-Unis ne développeront pas de nouvelles armes nucléaires (la mise au point d'armes nouvelles supposerait certainement la reprise des essais). La prolongation des armes actuelles (« Life Extension Programs ») fera l'objet de mesures au cas par cas, selon le type de têtes nucléaires concernées. La préférence sera donnée à la « remise à neuf » (« refurbishment ») ou au réemploi de composants nucléaires provenant des différents types d'armes actuelles. Le remplacement de composants nucléaires n'est pas exclu, mais il sera envisagé en dernier ressort et supposera l'approbation du Congrès. Les programmes de prolongation ne feront appel qu'à des composants nucléaires correspondant à des formules déjà testées par le passé. Ils ne viseront pas à obtenir des capacités militaires nouvelles, ni à répondre à de nouveaux types de mission.
En matière de communication publique, l'Administration a mis l'accent sur cet engagement de ne pas développer d'armes nouvelles, mais il n'y a pas véritablement sur ce point de changement par rapport à situation antérieure. On voit d'une part que la notion d'arme nouvelle signifie « arme dotée de nouvelles capacités ou répondant à de nouvelles missions », mais qu'elle laisse une marge pour refabriquer des armes à partir de composants existants ou nouveaux. D'autre part, il était déjà acquis sous l'administration précédente qu'aucun besoin militaire ne justifiait la mise au point d'une nouvelle formule d'arme nucléaire (aucun programme d'arme nucléaire « anti-bunker » de faible énergie n'a été entrepris ou envisagé, bien qu'il y soit régulièrement fait référence dans la presse).
Au-delà des mesures à court terme, la NPR récapitule les orientations à long terme de la politique américaine. Elles visent à maintenir un arsenal nucléaire sûr et efficace tant que les armes nucléaires existeront, tout en poursuivant la diminution du nombre d'armes. Le processus de désarmement bilatéral avec la Russie est l'élément principal de cette évolution. La recherche d'un cadre stratégique plus stable et plus transparent avec la Chine est aussi une préoccupation notable. L'éventualité d'un processus multilatéral impliquant les autres Etats nucléaires est à peine mentionnée, à la fois au titre des mesures de transparence et de la réduction des arsenaux.
En toute fin de document, la NPR indique que l'élimination complète des armes nucléaires est l'objectif à long terme de la politique américaine . Il souligne toutefois qu'à ce stade, il n'est pas possible de déterminer quand cet objectif pourra être atteint . Le document considère que les conditions qui permettraient aux Etats-Unis et aux autres Etats, à un stade ultime, de renoncer à leurs armes nucléaires sans accroître les risques d'instabilité et d'insécurité internationales apparaissent très exigeantes : régler les conflits régionaux qui conduisent certains Etats à conserver ou à vouloir acquérir des armes nucléaires ; réussir à stopper la prolifération nucléaire ; obtenir une plus grande transparence sur les programmes et capacités de pays « préoccupants » ; mettre en place des méthodes et des technologies de vérification permettant de détecter les violations des engagements de non-prolifération et disposer de mesures suffisamment fortes et crédibles pour dissuader de telles violations. Ces conditions ne sont clairement pas réunies aujourd'hui, mais les Etats-Unis s'engagent à oeuvrer activement en ce sens.
3. Les résultats de la conférence d'examen du TNP
La huitième conférence quinquennale d'examen du TNP a rassemblé 172 Etats à New York du 3 au 28 mai 2010.
A la différence de la conférence de 2005, qui s'était soldée par un échec, elle est parvenue à adopter par consensus, un document final comportant notamment des plans d'action sur les trois volets du traité , le désarmement nucléaire, la non-prolifération nucléaire et la promotion des usages civils de l'énergie nucléaire, ainsi que sur le Moyen-Orient.
Ce résultat était loin d'être acquis. Il conforte le TNP, instrument irremplaçable pour la sécurité et la stabilité internationales.
Sur la non-prolifération, le document final appuie l'action de l'AIEA et les instruments dont elle dispose pour faire respecter le TNP, à savoir les accords de garanties et le protocole additionnel, qui prévoit des pouvoirs d'inspection renforcés. Les conclusions adoptées l'ont été sous forme de recommandations plus que d'obligations, du fait notamment des réticences des pays non-alignés. La situation de l'Iran, membre du TNP, n'est pas spécifiquement mentionnée. Néanmoins, le document final souligne la nécessité du plein respect des obligations de non-prolifération et de résoudre les cas de non-respect. Il encourage l'application universelle du protocole additionnel aux accords de garanties.
Sur le volet désarmement, il reprend les priorités de la France, à savoir la poursuite du processus de désarmement américano-russe, l'entrée en vigueur du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), et la négociation du traité interdisant la production de matières fissiles pour les armes ( cut-off treaty ). En revanche, la Chine a fait obstacle à la demande d'un moratoire sur la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Il insiste également sur la nécessité de mesures de transparence.
Le document final comprend en outre plusieurs actions pour promouvoir le développement responsable du nucléaire civil, dans la continuité de la conférence que la France avait organisée début mars à Paris sur ce thème.
Le plan d'action sur le Moyen-Orient appelle notamment Israël à adhérer au TNP et à placer toutes ses installations nucléaires sous garanties de l'AIEA. Il prévoit également la tenue en 2012 d'une conférence sur le Moyen-Orient, sous l'égide du Secrétaire général des Nations unies et des pays dépositaires du TNP (Etats-Unis, Russie, Royaume Uni), destinée à discuter de la mise en oeuvre de la résolution adoptée en 1995 par les Etats parties au TNP visant à instaurer une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient. Toutefois, Israël a d'ores et déjà indiqué qu'il ne prendrait pas part à la mise en oeuvre du plan sur le Moyen-Orient.
4. Le débat nucléaire à l'OTAN
La question du rôle de la dissuasion nucléaire dans la stratégie de l'Alliance atlantique a donné lieu à débat dans le cadre de la préparation du nouveau concept stratégique , qui doit être adopté de manière imminente à Lisbonne, lors du sommet des 19 et 20 novembre.
Le rapport préparatoire remis au secrétaire général le 17 mai 2010 par le groupe d'experts réuni autour de Mme Madeleine Albright plaide sur ce point en faveur du statu quo, en estimant que « tant que les armes nucléaires continueront d'être une réalité dans les relations internationales, l'Alliance devrait conserver une composante nucléaire dans sa stratégie de dissuasion, au niveau minimum requis par l'environnement de sécurité du moment ». Il estime également que « dans les conditions de sécurité actuelles, le maintien de certains systèmes américains déployés à l'avant sur le sol européen renforce le principe de la dissuasion nucléaire et de la défense collective élargies ».
Fin février, cinq Etats alliés (Allemagne, Belgique, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas) avaient appelé au retrait des armes nucléaires américaines stationnées en Europe (trois de ces pays - Allemagne, Belgique et Pays-Bas - accueillent des armes nucléaires américaines ; c'est également le cas de l'Italie et de la Turquie qui ne sont pas joints à la démarche)
L'Allemagne, et notamment son ministre des affaires étrangères, souhaite surtout que dans le concept stratégique, un lien soit effectué entre dissuasion nucléaire et défense anti-missile, en présentant cette dernière comme un moyen de réduire le rôle de la dissuasion nucléaire dans la stratégie de l'Alliance.
A l'occasion de la visite à Paris du Secrétaire général de l'OTAN le 15 octobre dernier, la Présidence de la République a apporté dans un communiqué les précisions suivantes : « Le Président et M. Rasmussen ont estimé qu'aussi longtemps qu'il existera des armes nucléaires, l'Alliance atlantique restera une alliance nucléaire. Le chef de l'Etat a confirmé que les forces nucléaires françaises, indépendantes et qui ont leur rôle de dissuasion propre, continueront de contribuer à la dissuasion globale et à la sécurité des Alliés. ... Comme l'a souligné M. Rasmussen, la défense anti-missile se conçoit comme un complément à la dissuasion nucléaire et non comme un substitut ».
La France n'est pas directement concernée par la question du stationnement de certaines armes nucléaires américaines en Europe. En revanche, c'est à juste titre qu'elle souligne la place de la stratégie de dissuasion dans le futur concept stratégique. Tout signal en sens inverse ne serait pas en phase avec la réalité de l'environnement international actuel.
5. La dissuasion britannique après la « Strategic defence review » et le lancement d'une coopération avec la France sur la simulation
Dans la Strategic Defence Review publiée le 19 octobre dernier, le Royaume-Uni réaffirme sa doctrine de « dissuasion minimale » , très proche de la notion de « stricte suffisance » retenue par la France.
Cette dissuasion nucléaire minimale efficace répond à la nécessité d'un moyen ultime pour dissuader les menaces les plus extrêmes.
Le Royaume-Uni considère qu'il ne peut écarter la possibilité de voir ressurgir une menace nucléaire majeure et directe à son encontre. Il constate le maintien d'arsenaux nucléaires conséquents dans le monde et le risque d'une poursuite de la prolifération nucléaire, le nombre d'Etats possesseurs de l'arme nucléaire étant susceptible d'augmenter. De même, il souligne le risque que certains Etats soutiennent le terrorisme nucléaire. Le Royaume-Uni considère qu'il faut empêcher de tels Etats de menacer sa sécurité nationale ou de vouloir le dissuader ou dissuader la communauté internationale d'intervenir au profit de la sécurité régionale ou globale.
La Strategic Defence Review souligne également la contribution de la dissuasion nucléaire britannique dans le cadre de l'OTAN, au profit de la sécurité euro-atlantique.
En ce qui concerne sa doctrine , le Royaume-Uni rappelle qu'il a toujours considéré l'usage de ses armes nucléaires dans des circonstances extrêmes de légitime défense, y compris de défense de ses alliés de l'OTAN, et qu'il entend maintenir l'ambiguïté sur les circonstances, les modalités et l'étendue de l'usage qu'il pourrait faire de ses armes.
Le Royaume-Uni indique pouvoir donner l'assurance qu'il n'utilisera pas ou ne menacera pas d'utiliser ses armes nucléaires contre un Etat non-nucléaire partie au TNP, dès lors que cet Etat n'est pas en violation de ses obligations de non-prolifération. Comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni se réserve en outre le droit de reconsidérer ces assurances en fonction du développement de la menace chimique et biologique.
En ce qui concerne le format des forces nucléaires britanniques , qui repose sur une composante unique, la composante sous-marine, il faut retenir trois décisions importantes :
- les sous-marins actuels de classe Vanguard seront prolongés ; ce n'est qu'en 2016 que sera décidé si la prochaine génération, dont le premier exemplaire entrera en service en 2028, comptera quatre ou trois SNLE ;
- ces futurs sous-marins seront conçus pour n'emporter que 8 missiles , au lieu de 16 sur les Vanguard ; d'ores et déjà, le nombre de missiles Trident opérationnels sur les Vanguard sera ramené à 8 au maximum ;
- le volume total de l'arsenal nucléaire britannique , qui se situait sous un plafond de 225 têtes nucléaires selon les indications données en mai dernier, sera ramené à 180 têtes maximum ; le nombre de têtes nucléaires opérationnelles sera réduit de 160 à 120 et il n'y aura pas plus de 40 têtes nucléaires par SNLE.
Les Britanniques s'orientent donc vers une nouvelle réduction du format de leurs forces nucléaires.
Dans le même temps le Royaume-Uni a signé avec la France à Londres, le 2 novembre, un important traité relatif à des « installations radiographiques et hydrodynamiques communes » .
Le contenu et les modalités de cette coopération, qui porte sur les installations expérimentales dédiées à l'étude du fonctionnement non nucléaire des armes, est détaillé ci-après, dans la partie du rapport consacrée à l'avancement des programmes nucléaires français, et plus précisément le programme de simulation.
Les incidences financières de cette coopération ne seront pas immédiates, mais, à terme, elles ne seront pas négligeables.
Ce traité comporte surtout une évidente dimension politique .
La coopération sur la simulation, comme celle prévue par la déclaration de Londres sur des équipements et des technologies pour les sous-marins nucléaires, sont les signes d'un haut degré de confiance entre les deux pays et touchent aux aspects les plus stratégiques de notre politique de défense.
Dans le préambule du traité, nos deux pays soulignent « l'importance de la dissuasion nucléaire, qui est un élément-clé de leurs stratégies de défense nationales et alliées », et ils réaffirment « qu'ils n'envisagent pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l'une des parties pourraient être menacés sans que ceux de l'autre le soient aussi ».
La France et le Royaume-Uni se disent déterminés à maintenir « une capacité nucléaire minimale crédible, cohérente avec le contexte stratégique et de sécurité de leurs engagements en vertu de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord ».
Ils considèrent que leurs forces nucléaires « contribuent à la sécurité de l'Europe dans leur ensemble ».
6. La dissuasion demeure un fondement essentiel de la stratégie de la France dans un cadre de stricte suffisance
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale réaffirme que « la dissuasion nucléaire demeure un fondement essentiel de la stratégie de la France » .
Dans un environnement international marqué par la permanence d'arsenaux nucléaires considérables, et l'accroissement de certains autres, mais aussi par la prolifération des armes nucléaires, biologiques, chimiques ainsi que des missiles balistiques et de croisière, la dissuasion vise à garantir « qu'en toutes circonstances, la France, son territoire, son peuple, ses institutions républicaines soient à l'abri d'une agression ou de chantages les mettant directement en péril ».
Dans son discours de Cherbourg du 21 mars 2008, le Président Nicolas Sarkozy a rappelé que notre doctrine, strictement défensive, vise à dissuader toute mise en cause de nos intérêts vitaux par un Etat qui s'exposerait alors à des dommages inacceptables visant en priorité ses centres de pouvoir. Elle intègre également la possibilité d'un avertissement nucléaire destiné à marquer notre détermination et à rétablir la dissuasion, au cas où un adversaire potentiel se méprendrait sur la délimitation de nos intérêts vitaux ou sur notre détermination à les sauvegarder.
Les forces nucléaires françaises sont dimensionnées en accord avec le principe de stricte suffisance. Au cours des vingt dernières années, et au vu des évolutions du contexte stratégique, leur format a été notablement réduit.
Vos rapporteurs souhaitent ici mentionner quelques unes des conclusions adoptées par la commission au début de l'année, dans le cadre du rapport d'information précité de M. Jean-Pierre Chevènement :
« Ayant démantelé ses sites d'essais nucléaires et ses usines de production de matières fissiles militaires, réduit de moitié le nombre de ses armes nucléaires et annoncé de manière transparente le niveau actuel de ses forces nucléaires, la France a réalisé un effort sans équivalent parmi les cinq Etats dotés d'armes nucléaires pour remplir les obligations qui lui incombent en vertu de l'article VI du TNP.
« Dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, qui a conduit à des réductions unilatérales successives, les forces nucléaires françaises ne peuvent être prises en compte, à ce stade, dans aucun processus de négociation multilatérale de désarmement nucléaire.
« À l'occasion du débat sur le concept stratégique de l'OTAN, la France doit sensibiliser ses alliés à l'intérêt de maintenir un principe de dissuasion nucléaire en Europe tant que ses voisins n'ont pas renoncé à leurs armements nucléaires. Une « Europe sans armes nucléaires » créerait un vide stratégique étant donné que la Russie, puissance eurasiatique, conserve un arsenal très important, tout comme les Etats-Unis, et que le Moyen-Orient n'est pas une zone dénucléarisée. Par ailleurs, la France devrait s'efforcer de convaincre ses partenaires européens de l'OTAN de ne pas « lâcher la proie pour l'ombre » en abandonnant le principe de la dissuasion nucléaire au profit d'une protection aléatoire du territoire européen par un système de défense antimissile balistique ».
* 1 « Désramement, non-prolifération nucléaires, sécurité de la France » - Rapport d'information n° 332 du 24 février 2010 de M. Jean-Pierre Chevènement (http://www.senat.fr/notice-rapport/2009/r09-332-notice.html).
* 2 Saisi une première fois de la ratification du TICE en 1999, le Sénat américain avait émis un vote négatif.