C. LA POURSUITE DE LA RÉFORME DE LA JURICITION ADMINISTRATIVE ET L'INTÉGRATION DE LA COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE
1. La poursuite de la réforme de la justice administrative
• Du commissaire du Gouvernement au rapporteur public
Le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions a modifié le code de justice administrative, afin :
- d'améliorer les conditions du déroulement de la procédure contradictoire devant la justice administrative ;
- de lever toute ambiguïté sur le rôle du commissaire du gouvernement.
Le rôle du commissaire du gouvernement, qui a pris le nom de rapporteur public , consiste à exposer les questions que l'affaire présente à juger et à faire connaître, en formulant en toute indépendance ses conclusions, d'une part, une appréciation impartiale sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables, et d'autre part son opinion sur les solutions qu'appelle le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient.
L'appellation séculaire de « commissaire du gouvernement » est abandonnée au profit de « rapporteur public », un titre qui ne laisse plus planer d'ambiguïté sur le rôle qu'il joue dans la procédure. Le rapporteur public est en effet un membre de la juridiction (et non une personnalité extérieure) qui procède à une étude approfondie du dossier, tout comme le rapporteur. Mais dès lors qu'il rend publique la parole sur la solution que doit recevoir la requête, il ne peut participer au délibéré : si le rapporteur public siégeait après s'être publiquement exprimé sur la solution du litige, l'impartialité de la formation de jugement pourrait être contestée.
Le décret du 7 janvier 2009 prévoit en outre la communication du sens des conclusions du rapporteur public aux parties et à leurs conseils en temps utile, avant l'audience.
Il autorise les parties à reprendre la parole après les conclusions du rapporteur public pour de brèves observations. Après une procédure contradictoire qui est essentiellement écrite, cette possibilité permet aux parties de porter immédiatement et oralement à la connaissance du juge les observations que suscitent les conclusions du rapporteur public, là où elles ne pouvaient le faire jusqu'à présent que par le biais d'une « note en délibéré ».
• Le rejet de la réforme du code de justice administrative par ordonnance
Le Gouvernement avait souhaité insérer dans le projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, lors don examen à l'Assemblée nationale en juin 2009, une disposition l'habilitant à procéder par ordonnance à la réforme du code de justice administrative 26 ( * ) . Cette disposition a ensuite été supprimée par la commission mixte paritaire, qui a considéré qu'une réforme du statut des magistrats administratifs ne devait pas être renvoyée à une ordonnance de l'article 38 de la Constitution 27 ( * ) .
Cette réforme devra donc être examinée par le Parlement sous la forme d'un projet de loi. Elle a pour objet de modifier les dispositions régissant le statut des membres du Conseil d'État ainsi que celui des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et d'adapter les règles d'organisation et de fonctionnement du Conseil d'État ainsi que celles relatives aux attributions, à l'organisation et au fonctionnement des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, afin de :
- confier des fonctions contentieuses à des conseillers d'État en service extraordinaire et déterminer les conditions de leur recrutement, de leur rémunération et de la cessation de leurs fonctions ;
- modifier la durée des fonctions des conseillers d'État en service extraordinaire ;
- créer des fonctions de maître des requêtes en service extraordinaire et déterminer les conditions de leur recrutement, de leur rémunération et de la cessation de leurs fonctions ;
-aménager les conditions dans lesquelles peuvent être nommés au Conseil d'État des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et déterminer les conditions de nomination au tour extérieur pour le grade de maître des requêtes ;
- préciser les conditions garantissant l'inamovibilité des membres du Conseil d'État dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles ;
- réformer les dispositions relatives à la discipline des membres du Conseil d'État ;
- compléter la liste des membres du Conseil d'État habilités à régler certains litiges par ordonnance ;
- consacrer la qualité de magistrat des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
- aménager les dispositions relatives au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et celles relatives au recrutement par voie de concours spécial ainsi qu'au tour extérieur des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
- limiter la durée, dans la même juridiction, de l'exercice des fonctions de chef de juridiction, fixer les conditions de leur maintien en activité au-delà de la limite d'âge et subordonner l'affectation en cour administrative d'appel à des conditions d'expérience professionnelle.
Ainsi, il est envisagé de renforcer le statut des magistrats administratifs, tout en affirmant encore plus l'unité de la juridiction administrative :
- statutairement, il est proposé que le code de la justice administrative explicite la qualité de magistrat, dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles, des membres du corps des TA et CAA ainsi que, corrélativement, le principe de leur inamovibilité ;
- sur le terrain de la déontologie, un recueil de règles communes à l'ensemble des membres de la juridiction administrative devrait être publié. Au-delà de la déclaration de principe, ce recueil énoncera de façon synthétique les règles de comportement à adopter face à certaines questions difficiles : déport et prévention des conflits d'intérêt, activités extérieures, activités politiques et devoir de réserve, secret du délibéré et obligations professionnelles... Le suivi en sera assuré par un collège de déontologie compétent pour l'ensemble de la juridiction administrative et comportant trois membres, dont une personnalité extérieure ;
- le renforcement substantiel du nombre de membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel pouvant être nommés maître des requêtes ou conseiller d'Etat au tour extérieur confortera l'unité de la juridiction administrative.
A ces mesures doivent s'ajouter l'évolution des modes de sélection des chefs de juridiction (liste d'aptitude désormais distincte de celle des présidents de chambre en cour administrative d'appel), de la formation offerte à ceux-ci, et la limitation à sept ans de la durée d'exercice des fonctions de chef de juridiction dans un même poste.
• Le projet de dispense de conclusions du rapporteur public
Afin d'accélérer le traitement de certains contentieux répétitifs, le Conseil d'État envisage de permettre, dans certaines matières, au rapporteur public de se dispenser de prononcer ses conclusions à l'audience .
Cette réforme suppose l'adoption d'une mesure législative. La réflexion se poursuit néanmoins sur la détermination des matières concernées par cette réforme, qui devront faire l'objet d'une définition réglementaire. Cette réflexion pourrait conduire à revisiter les matières qui, aujourd'hui, relèvent de la compétence d'un juge statuant seul après conclusion du rapporteur public, pour les confier à une formation collégiale sans conclusion du rapporteur public.
Ce projet suscite de vives inquiétudes de la part des syndicats. Ainsi, M. Robert Le Goff, président du syndicat de la juridiction administrative, a indiqué à votre rapporteur que, pour tenir compte des objections formulées par ce syndicat et par l'Union syndicale des magistrats administratifs, le projet consisterait à permettre au rapporteur public, dans des contentieux comme celui du permis de conduire ou celui des étrangers, de demander à être dispensé de conclusions pour certaines affaires, la décision appartenant alors au président de la formation.
Votre rapporteur estime qu'un tel dispositif doit faire l'objet d'une réflexion approfondie, afin d'éviter toute rupture d'égalité dans le traitement des contentieux et souligne que la commission des lois aura à en examiner le volet législatif.
• La répartition des contentieux entre le Conseil d'État et les tribunaux administratifs
Un projet de décret réunissant plusieurs séries de modifications du code de justice administrative est en cours d'examen et devrait entrer en application au début de l'année 2010.
Ce projet vise en premier lieu à réformer le partage des compétences entre les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat, dont la vocation première, en matière juridictionnelle, est d'être une juridiction suprême, saisie principalement en dernier ressort, par la voie de la cassation, et ne connaissant en premier ressort que d'affaires de portée nationale, les tribunaux administratifs étant, pour toutes les autres affaires, les juges de droit commun en premier ressort.
Il tend à rénover la procédure en matière d'expertise, qu'il réglemente de manière beaucoup plus précise.
Il ajoute également quelques mesures destinées à accélérer l'instruction des affaires et à éviter que les instances ne soient bloquées par l'inertie d'une partie ou d'un expert.
• Une politique de recrutement dynamique
Afin de compléter les créations d'emplois et d'assurer au mieux les missions qui lui sont confiées, le Conseil d'Etat a développé une politique d'accueil en détachement de fonctionnaires expérimentés, recrutés pour exercer des fonctions de rapporteur.
Des perspectives d'intégration pour certains de ces fonctionnaires, qui devraient prendre le nom de « maître des requêtes en service extraordinaire », sont actuellement à l'étude. Grâce à cette politique, l'effectif des membres en activité au Conseil d'Etat (y compris les fonctionnaires en détachement) est passé de 198 au 31 décembre 2007, à 214 à la fin 2009.
D'importants recrutements, dans les années qui viennent, devront être réalisés pour faire face aux départs à la retraite et pourvoir les nouveaux postes créés. Dès lors que la voie de recrutement statutaire de référence (E.N.A.) demeure insuffisante pour répondre à ces besoins, les mesures suivantes ont été d'ores et déjà prises :
- l'augmentation du nombre de recrutements possibles par la voie du tour extérieur, au grade de conseiller ; modification des conditions requises pour le tour extérieur au grade de premier conseiller, afin d'élargir le vivier (loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique) ;
- la modification des conditions requises pour être détaché dans le corps des TACAA (loi de modernisation de la fonction publique), là aussi en vue d'élargir le vivier de recrutement (notamment par l'ouverture du corps aux directeurs d'hôpitaux). On peut d'ores et déjà constater les fruits de cette politique, les demandes de détachement n'ayant jamais été aussi nombreuses, trente recrutements ayant été effectués sur cette base en 2009, chiffre jamais atteint jusqu'alors.
- la possibilité d'organiser un concours de recrutement complémentaire annuel jusqu'en 2015 (prorogation du concours prévue, en dernier lieu, par la loi de modernisation de la fonction publique), abaissement de l'âge requis pour passer ce concours afin d'élargir le vivier de recrutement (LOPJ). A cet égard, le derniers concours (2009) a permis le recrutement de 40 nouveaux magistrats, qui ont débuté leur stage de formation le 1er octobre 2009.
- pérennisation de la possibilité pour les membres du corps de se maintenir en surnombre au-delà de la limite d'âge pendant une durée de 3 ans (LOPJ).
D'autres mesures visant à pérenniser le concours de recrutement complémentaire et à renforcer son attractivité tant pour les étudiants que pour les fonctionnaires disposant d'une certaine expérience professionnelle, sont en cours d'études (nécessité de distinguer un concours externe et un concours interne, nature des épreuves, modification du calendrier). Une réflexion est également menée quant à l'opportunité de permettre à des juristes non fonctionnaires de se présenter au tour extérieur.
* 26 Voir le rapport supplémentaire fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi (n° 845), adopté par le sénat, après déclaration d'urgence, relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, par M. Jacques Alain Bénisti, n° 1766, 17 juin 2009.
* 27 Voir le rapport n° 550 (2008-2009) de MM. Hugues Portelli, sénateur et Jacques-Alain Benisti, député, fait au nom de la commission mixte paritaire, déposé le 8 juillet 2009.