II. L'ÉVOLUTION DE LA POPULATION PÉNALE : VERS UNE STABILISATION ?
A. UN INFLÉCHISSEMENT DE TENDANCE
Au 1 er octobre 2009, le nombre des personnes écrouées détenues en métropole et outre mer s'élevait à 61.781 contre 63.185 au 1 er octobre 2008, soit une baisse de 2,2 % . Cette population se répartissait de la manière suivante :
- 15.602 prévenus (contre 16.738 au 1 er octobre 2008), soit 25,2 % ;
- 2.115 femmes (contre 2.211 au 1 er octobre 2008), soit 3,4 % ;
- 630 mineurs (contre 697 au 1 er octobre 2008), soit 1,1 %.
Au total, le nombre de personnes écrouées (effectif de personnes détenues auquel s'ajoute les personnes condamnées sous surveillance électronique ou en placement à l'extérieur) s'élevait à 66.307 (- 405 en un an, soit - 0,6 %) 6 ( * )
L'analyse de la composition de la population confirme trois caractéristiques :
- la baisse continue du nombre de prévenus. En outre, avec la possibilité introduite par la loi pénitentiaire de prévoir l 'assignation à résidence des personnes prévenues contrôlées par un bracelet électronique fixe ou mobile, le nombre de personnes prévenues détenues pourrait diminuer. Ce dispositif constitue une formule intermédiaire entre la détention provisoire et le contrôle judiciaire. Contrairement au régime retenu pour ce dernier, la durée de l'assignation serait intégralement déduite de la durée de la peine qui pourrait être prononcée (art. 137 à 142-13 du code de procédure pénale). Par ailleurs, l'évolution du nombre des personnes prévenues donnait lieu à des analyses approfondies dans le rapport de la commission de suivi de la détention provisoire qui, depuis la nomination de son président, M. Jean-Marie Delarue, en 2008, comme Contrôleur général des lieux de privation de liberté, semble ne plus s'être réunie. Votre rapporteur regrette vivement cette situation et forme le voeu que cette commission puisse poursuivre, comme par le passé, un travail très utile ;
- la forte prépondérance des courtes peines : parmi les personnes condamnées incarcérées, celles condamnées à une peine de moins d'un an représente 34,6 % de l'ensemble ; 27 % sont condamnées à des peines comprises entre 1 et 3 ans ; 10,1 % à des peines comprises entre 3 et 5 ans et 27,8 % à des peines d'une durée égale ou supérieure à 5 ans 7 ( * ) . La durée moyenne de détention (population moyenne de détenus rapportée aux entrées de détenus sur douze mois) tend cependant à progresser en 2008, s'établissant à 8,8 mois (contre 8,4 mois en 2007) ;
- les violences volontaires (23 % des personnes condamnées) prévalent depuis 2007 sur les viols ou autres agressions sexuelles (16,1 %). Suivent les infractions à la législation sur les stupéfiants (13,9 %), les vols qualifiés (10 %), les escroqueries et abus de confiance (7,8 %). Les homicides ou atteintes involontaires à l'intégrité de la personne représentent 5,7 %.
La réduction du nombre de personnes détenues
Au-delà de ces constantes, l'année 2009 est marquée par l'inversion de la tendance continue, observée depuis le début de la décennie, à l'augmentation du nombre de personnes détenues.
Il est encore difficile d'expliquer cette orientation qui paraît résulter de la réduction du nombre de mises sous écrou (22.763 au premier trimestre 2009 contre 23.760 au premier trimestre 2008) -même si cette tendance est partiellement compensée par un allongement de la durée de détention (8,9 mois au premier trimestre 2009 contre 8,3 mois au premier trimestre 2008)- ainsi que de l'augmentation du nombre d'aménagements de peine (13 % de la population écrouée au 1 er octobre 2009 contre 11 % au 1 er octobre 2008).
La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs n'a pas eu pour effet une augmentation du nombre d'incarcérations. D'une part, les peines plancher ne sont prononcées que dans la moitié des cas où elles pourraient être décidées. D'autre part, la peine plancher ne donne pas nécessairement lieu à une mise sous écrou (elle peut faire l'objet, selon les antécédents du condamné, d'un sursis total ou seulement partiel, d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un sursis avec obligation d'accomplir un travail d'intérêt général), d'autre part, même lorsqu'une peine d'emprisonnement ferme a été prononcée, celle-ci peut faire l'objet d'un aménagement (semi-liberté, placement extérieur ou placement sous surveillance électronique) dès lors que la peine est inférieure à un an.
Le retournement de tendance observé en 2009 est-il durable ? Selon le professeur Pierre Victor Tournier, directeur de recherches au CNRS, une stabilisation de l'effectif de la population pénale semble aujourd'hui le scénario le plus vraisemblable. Il a rappelé, lors de son audition par votre rapporteur, que la France avait déjà connu des périodes de déflation carcérale -de 1996 à 2001 par exemple- sans qu'une analyse approfondie de ces reflux ait été conduite.
La mise en oeuvre des dispositions de la loi pénitentiaire relatives aux aménagements de peine devrait, en tout état de cause, jouer dans le sens d'une réduction du nombre de personnes détenues.
Une première conséquence : la diminution du taux de densité carcérale
Au 1 er octobre 2009, les établissements pénitentiaires disposaient de 53.764 places opérationnelles (50.936 au 1 er octobre 2008). Le taux d'occupation s'élevait ainsi à 114,9 % (contre 124 % au 1 er octobre 2008). Parmi les établissements pénitentiaires, 11 présentaient une densité supérieure ou égale à 200 % (15 en 2008) et 33 une densité comprise entre 150 % et 200 % (47 en 2008).
Le nombre de détenus en surnombre (10.778) a ainsi diminué de 20 % par rapport à l'an passé.
Comme l'indiquent les statistiques produites par le professeur Pierre-Victor Tournier, le taux de détention en France au 1 er septembre 2007 était de 99,3 pour 100.000 8 ( * ) , plus faible que le taux global de 122 pour 100.000 habitants dans l'ensemble des pays de l'Union européenne.
Par ailleurs, à la même date, la France connaissait un taux de densité carcérale de 120 pour 100 places , supérieur en revanche au taux moyen de densité carcérale à l'échelle européenne de l'ordre de 106 pour 100 places .
En l'absence de données plus récentes sur le taux moyen de densité carcérale en Europe, il n'est pas possible de savoir si la baisse de ce taux en France lui permet de se rapprocher de la moyenne européenne.
Cependant, le phénomène de surpopulation affecte encore beaucoup de maisons d'arrêt avec un taux d'occupation souvent supérieur à 130 % 9 ( * ) .
En outre, la capacité opérationnelle correspond au nombre de places d'un établissement et n'équivaut pas au nombre de cellules (par exemple une cellule dont la surface est comprise entre 11 m 2 et 14 m 2 compte pour deux places). Elle sous estime par conséquent le phénomène de densité carcérale.
La surpopulation, il convient de le rappeler de nouveau, constitue le principal facteur de dégradation des conditions de détention. Elle limite considérablement les activités proposées aux détenus et la faculté, en particulier, d'occuper un emploi.
Elle est facteur des violences qui sévissent trop souvent dans le milieu carcéral.
Elle pèse ainsi sur les conditions de travail des personnels de l'administration pénitentiaire dont les effectifs ne s'ajustent pas à l'évolution du nombre de personnes écrouées sur la base d'un ratio prédéterminé.
Au cours de ses visites, votre rapporteur a pu mesurer l'écart considérable des situations entre les maisons d'arrêt, les plus nombreuses, surpeuplées et celles, une minorité, dont le taux d'occupation restait satisfaisant.
Maison d'arrêt de Béthune (3 juillet 2009) A la date de la visite de votre rapporteur, la maison d'arrêt comptait 403 détenus pour 183 places (dont dix en semi-liberté). Quoique préoccupant, ce taux d'occupation reste en-deçà de certains pics observés par le passé où il avait atteint 277 %. Plusieurs des cellules de la maison d'arrêt (9,5 m 2 ) comportent trois lits. Votre rapporteur a visité l'une d'entre-elles et recueilli le témoignage des détenus. L'un d'entre-eux ne sortait plus depuis trois mois par crainte de faire l'objet de violences de la part des autres détenus. Un autre avait été victime d'un viol. Votre rapporteur a pu constater les conditions choquantes de promiscuité (toilettes séparés par un simple muret n'assurant aucune intimité, limitation à trois douches par semaine...). Selon les témoignages recueillis, il a également constaté qu'au-delà de 50 ans, les détenus n'avaient droit à aucune formation. D'une manière plus générale, l'offre de travail est très limitée et variable en fonction de la conjoncture : lors de la visite de votre rapporteur, vingt détenus seulement travaillaient. Maison d'arrêt d'Aurillac (26 octobre 2009) Comme l'a souligné M. Jacques Mézard lors des échanges de vues organisés à l'occasion de la visite de votre rapporteur, la prison d'Aurillac s'inscrit dans un contexte particulier. Implantée dans un département considéré comme le deuxième plus sûr de France, elle ne connait pas les tensions habituelles dans les maisons d'arrêt. La maison d'arrêt d'Aurillac est située au centre ville, dans un ensemble architectural comprenant le palais de justice et les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Elle a pour vocation d'accueillir les prévenus et les condamnés hommes dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à un an. Le quartier femmes existant à l'origine a été supprimé en 1975. Cependant, l'établissement est habilité à écrouer des femmes dans le cadre des placements sous surveillance électronique et des placements extérieurs. La maison d'arrêt présente une capacité théorique de 72 places (68 places pour la détention normale et 4 places pour la semi-liberté) depuis le 1 er avril 2008. 22 cellules sur 33 comportent deux places (13 m 2 ). La maison d'arrêt présente plusieurs caractéristiques remarquables par rapport au plus grand nombre des établissements du même type visités par votre rapporteur. En premier lieu, elle accueille en moyenne 55 détenus et ne connait pas réellement de problème de surpopulation contrairement à la maison d'arrêt de Clermont-Ferrand (dans laquelle se trouve des dortoirs abritant plus d'une dizaine de personnes) pour laquelle elle constitue d'ailleurs un établissement de « désencombrement » (sur les 155 entrants du 01/01/2009 au 01/10/2009, 53 sont des transferts). La maison d'arrêt accueille aujourd'hui une grande majorité de personnes condamnées (à la date de la visite de votre rapporteur, elle ne comptait que 5 prévenus) -le pôle de l'instruction ayant été établi à Clermont-Ferrand. Ce taux de densité carcérale explique pour une large part le climat apaisé qui semble prévaloir en détention. La grande majorité des détenus qui le demande est en mesure d'exercer une activité soit au service général soit en atelier. En outre, la taille de la structure permet, comme l'a expliqué le représentant de l'éducation nationale à votre rapporteur, de conduire un véritable travail de sensibilisation auprès des détenus dont témoigne le fait qu'une quarantaine d'entre eux sont inscrits aux trois groupes de travail organisés en fonction du niveau. La mise en oeuvre des règles pénitentiaires européennes s'est traduite par la séparation effective des prévenus et des condamnés depuis 2008, ainsi que par l'accès au téléphone. En second lieu, l'établissement fait l'objet d'un effort de maintenance régulier (estimé à 250.000 euros par an en moyenne, à comparer au budget de 10 millions d'euros dont dispose la direction interrégionale pour ce poste). L'ensemble des cellules dispose d'un coin toilettes cloisonné, d'un système d'interphonie, et de fenêtres à double vitrage. En outre, elles sont toutes équipées d'un réfrigérateur et d'une télévision. Les principaux travaux envisagés concernent actuellement la réfection de la porte d'accès à l'établissement (investissement évalué à 650.000 euros) et le changement d'emplacement des ateliers afin de gagner en espace et accessibilité. Signe de l'atmosphère particulière de cet établissement, le médecin de l'UCSA a indiqué que la maison d'arrêt n'avait déploré aucun suicide depuis 35 ans. Il a souligné la coordination excellente entre les services de soins et les personnels de surveillance. Il a noté également que la proximité du Samu, capable d'intervenir en moins de deux minutes dans l'établissement, constituait aussi un avantage certain dont un grand nombre d'établissements pénitentiaires étaient dépourvus. La principale difficulté de l'établissement tenait au fonctionnement du service de nuit actuellement assuré par deux gardiens, ce qui ne correspond ni aux exigences réglementaires concernant les maisons d'arrêt à petit effectif (la circulaire du 4 septembre 2008 précise que : « la présence de trois agents en service de nuit est indispensable : un agent portier, un agent rondier et un agent de piquet . ») ni au protocole d'accord du 11 mai 2009, signé avec plusieurs syndicats des personnels de l'administration pénitentiaire, qui prévoit en son troisième point, que « l es plus petits établissements, dans lesquels le service de nuit n'est assuré que par trois surveillants depuis 1995, seront progressivement renforcés afin que le service de nuit soit assuré par quatre agents ». Comme l'avait relevé notre collègue, M. Jacques Mézard dans une question orale sans débat en septembre dernier, « cette situation pose très clairement de réels problèmes de sécurité, que ce soit en cas de bagarre, d'agression sexuelle, de mise à feu, de tentative de suicide, et également en cas de problème de santé ». Dans sa réponse, le secrétaire d'Etat à la Justice, M. Jean-Marie Bockel, a indiqué que trois surveillants seraient affectés à l'établissement à l'occasion des prochaines opérations de mobilité. Néanmoins, ce renforcement ne devrait intervenir qu'au mois de mai de l'année prochaine, ce qui, dans l'intervalle, continue de placer les personnels dans une situation délicate. Votre rapporteur est convaincu au terme de cette visite que : - la taille de l'établissement constitue l'échelle la plus adaptée pour permettre la prise en charge des personnes détenues (à la condition, évidemment, que la structure ne connaisse pas de suroccupation) ; - la présence de la maison d'arrêt à Aurillac permet, dans un département confronté au problème de la désertification, de garantir le maintien des liens familiaux, facteur important de la réinsertion. Le maillage territorial de l'administration pénitentiaire doit prendre en compte cette exigence et à cet égard la pérennité de la structure doit être assurée. Enfin, la qualité de la direction et de l'encadrement constituent des éléments déterminants dans le bon fonctionnement d'un établissement pénitentiaire. L'exemple d'Aurillac le démontre. Maison d'arrêt pour femmes de Versailles (6 novembre 2009) La maison d'arrêt de Versailles, si elle compte 120 places de semi-liberté pour hommes, occupées aux deux tiers, a surtout vocation à accueillir des femmes détenues. Elle dispose à cette fin de 30 cellules pour, à la date de la visite de votre rapporteur, 70 femmes détenues. L'établissement souffre des handicaps traditionnels des maisons d'arrêt les plus anciennes. D'une part, il comporte huit cellules de six lits chacune avec tous les inconvénients qu'une telle promiscuité peut générer. D'autre part, faute de moyens suffisants, l'infrastructure s'est dégradée. A titre d'exemple, le calcaire accumulé dans la tuyauterie entraîne de nombreux dysfonctionnements des douches, tantôt glacées, tantôt brulantes. La rénovation de ces canalisations impliquerait un budget de 50.000 euros, à comparer aux 40.000 euros qui ont déjà été dépensés au fil du temps pour des réparations de fortune. L'effectif de la maison d'arrêt compte 60 ETP mais à un instant donné, en journée, la maison d'arrêt femmes ne compte que cinq à six surveillants auxquels s'ajoutent deux personnels aux postes de surveillance et dix personnels dans les services administratifs. Les ateliers situés aux étages présentent des capacités limitées. Ils permettent néanmoins à une trentaine de personnes de travailler, ce qui correspond à un taux d'activité rémunéré plutôt satisfaisant au regard de la moyenne des maisons d'arrêt. Une vingtaine de détenues est en attente d'un travail au sein de l'établissement. Comme pour la maison d'arrêt d'Aurillac, les conditions de fonctionnement de l'établissement sont caractérisées par un empirisme certain. Ainsi la cuisine est assurée par des femmes détenues qui, malgré leur absence de formation, assurent les repas, non seulement de la détention femmes, mais aussi de la totalité des quartiers semi-liberté. La taille de l'établissement reste néanmoins un cadre propice aux expérimentations, dès lors que le personnel d'encadrement fait preuve d'initiative. Ainsi, l'établissement a totalement rénové le système de « cantine » en partenariat avec une grande surface. Ce système a permis tout à la fois une baisse des tarifs (d'autant plus que l'établissement ne prend aucune commission sur les produits cantinés) et la multiplication du nombre de produits cantinables. Il s'est accompagné de la dotation d'un réfrigérateur gratuit dans chaque cellule. Ces mesures contribuent pour une part non négligeable à l'amélioration des conditions de détention. |
La stabilisation, certes à un niveau élevé, du nombre de personnes détenues témoigne que l'augmentation de la population pénale ne constitue pas une tendance irréversible. Elle donne raison aux positions prises par le Parlement lors de l'examen de la loi pénitentiaire en faveur de l' encellulement individuel . Ce principe, grâce à l'augmentation des capacités opérationnelles, ne devrait plus rester hors d'atteinte.
* 6 3.984 condamnés placés sous surveillance électronique -+ 31 %- et 542 condamnés en placement à l'extérieur -+ 12 %-.
* 7 Au sein de cette dernière catégorie, la composition est la suivante : de 5 ans à moins de 10 ans : 2,7 % ; de 10 ans à moins de 20 ans : 71,1 % ; de 20 ans à moins de 30 ans : 19,9 % ; perpétuité : 6,3 %.
* 8 95,4 si on exclut les personnes condamnées sous écrou mais non détenues en raison d'un aménagement de peine.
* 9 Centres de détention et maisons centrales bénéficient en pratique d'un numerus clausus justifié par le fait qu'il ne serait pas admissible de maintenir des détenus pour de longues durées dans des conditions de surpopulation et de promiscuité.