3. Des passerelles incertaines
Plus fondamentalement, votre rapporteure craint que ne s'instaure une sélection nouvelle au sein de la voie professionnelle, qui aurait pour but d'isoler en CAP les élèves les plus en difficulté. Plusieurs des acteurs rencontrés au cours des auditions ont décrit un mécanisme de cristallisation d'une voie professionnelle à deux étages : l'un réservé aux plus faibles qui, orientés vers le CAP, seraient aiguillés rapidement vers le monde du travail, l'autre réservé à ceux dont on estime a priori qu'ils réussiront à parvenir au baccalauréat, voire jusqu'au BTS .
Il serait particulièrement préjudiciable de restreindre d'emblée l'accès au baccalauréat en le réservant à une minorité à laquelle on ferait miroiter des perspectives intéressantes en termes de poursuite d'études et d'insertion professionnelle. Tant sur le plan de l'équité que de l'efficacité, la division de la voie professionnelle en deux couloirs étanches serait contreproductive . Elle risquerait en effet d'accroître les orientations par défaut en CAP, de consolider les inégalités sociales d'accès à l'éducation, de freiner l'élévation pourtant souhaitable du niveau général de qualification et d'échouer à prévenir les sorties précoces du système scolaire.
Au système très souple qui perdurait jusqu'à présent dans l'enseignement professionnel et qui permettait d'adapter le rythme de l'apprentissage à l'élève et de l'aider à prendre confiance en lui, étape par étape, la réforme actuelle substitue une structure plus rigide gouvernée par une logique binaire. Les anciennes premières années de BEP ouvraient des perspectives très importantes de purge du malaise scolaire accumulé par les jeunes au collège et de reconstruction d'un projet sur ces bases assainies.
Devant le risque de rigidification des parcours, la question des passerelles aussi bien internes à la voie professionnelle qu'externes, vers ou depuis les voies générales et technologiques gagne encore en acuité.
De fait, les interlocuteurs de votre rapporteure doutent de l'efficacité des passerelles entre le CAP et le bac professionnel, ne serait-ce que parce que les exigences de première professionnelle sont nettement supérieures . On sous-estime régulièrement le niveau d'exigence proprement scolaire du lycée professionnel, qui est un obstacle de poids pour de nombreux jeunes et la cause de la plupart des abandons en cours de formation. De plus, l'inadéquation entre l'offre de CAP et les spécialités de bac professionnel empêchera mécaniquement certaines réorientations.
Les contraintes fortes pesant sur les capacités d'accueil en seconde professionnelle, qu'ont relevées plusieurs des personnes auditionnées par votre rapporteure, laissent craindre qu'il ne soit également très difficile pour un jeune de changer de spécialité de bac professionnel en cours de formation . Les réorientations d'une seconde professionnelle vers une autre doivent pourtant rester ouvertes, surtout dans les premières années du nouveau baccalauréat en trois ans, pour donner corps au droit à l'erreur mis en avant par le Président de la République dans sa présentation de la réforme du lycée.
De même, quelles que soient les possibilités nominales de passerelles entre les voies professionnelle et technologique, force est de constater qu'elles ne sont utilisées ni dans un sens, ni dans l'autre. La mise en place de modules complémentaires serait nécessaire pour préparer la réorientation.
Enfin, il est regrettable qu'au lieu de passerelles, s'instaure plutôt une concurrence entre les baccalauréats professionnel et technologique, par exemple entre les sections de secrétariat/comptabilité de la voie professionnelle et la filière STT. Bien que la voie technologique soit explicitement destinée à la poursuite des études dans le supérieur et la voie professionnelle à l'insertion directe dans le monde du travail, le discours de revalorisation associé à la réforme a brouillé cette distinction dans l'esprit des familles et des élèves.