III. LA BAISSE DU COÛT DU TRAVAIL PEU QUALIFIÉ DEMEURE UN DES AXES PRIVILÉGIÉS DE LA POLITIQUE DE L'EMPLOI

Au sein du programme « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi », l'action consacrée au « Développement de l'emploi » rassemble 1,5 milliard d'euros de crédits de paiement, en hausse de 25 % par rapport à 2008. Ces crédits sont consacrés à la compensation à la sécurité sociale des exonérations « ciblées » de cotisations sociales et permettent de financer les aides accordées à certains secteurs.

Ils ne représentent cependant qu'une petite partie de l'effort réellement consenti par l'Etat pour le développement de l'emploi. Depuis 2006, en effet, les pertes de recettes subies par la sécurité sociale du fait de l'allégement général de cotisations sociales, qui devraient atteindre 23,4 milliards d'euros en 2009, sont compensées par l'affectation d'un panier de recettes fiscales, et non plus par une dotation budgétaire. L'effort considérable consenti par l'Etat n'apparaît donc plus dans les crédits de la mission. Il en va de même pour les pertes de recettes résultant de l'exonération sur les heures supplémentaires, instituée l'an dernier par la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (Tepa), évaluées à 3 milliards d'euros en 2008.

A. LE DÉBAT SUR L'EFFICACITÉ DES ALLÉGEMENTS DE CHARGES EN MATIÈRE DE CRÉATION D'EMPLOIS

1. L'allégement général de cotisations

Votre commission souhaite verser quelques éléments au débat récurrent sur l'efficacité des allégements de charges comme instrument de la politique de l'emploi. Elle constate que la Cour des comptes leur porte un jugement très critique et que cette appréciation est partagée par le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat, Serge Dassault.

Dans son dernier rapport consacré à la sécurité sociale, la Cour des comptes a renouvelé les critiques qu'elle avait déjà formulées en 2006 au sujet de l'efficacité des allégements de charges ciblés sur les bas salaires.

Elle souligne que les entreprises qui bénéficient le plus des allégements sont dans le secteur tertiaire et très peu dans l'industrie (l'industrie manufacturière représentant 15 % seulement du coût total des exonérations). Le montant des exonérations, rapporté à la masse salariale, est plus élevé dans des secteurs comme le commerce de détail, les hôtels-restaurants, la construction ou l'intérim, que dans le secteur automobile. De plus, les principaux secteurs bénéficiaires ne sont pas soumis à un risque de délocalisation, dans la mesure où ils ne sont pas exposés à la concurrence internationale.

La Cour constate également une forte concentration des exonérations sur les entreprises de moins de vingt salariés (qui représentent 40 % du coût) et sur les salaires compris entre 1 et 1,3 Smic (étant rappelé que les allégements sont maximaux au niveau du Smic et s'annulent pour un salaire égal à 1,6 Smic).

Pour ces raisons, la Cour recommande soit de réserver les exonérations aux petites entreprises de moins de vingt salariés, soit de réduire la plage à 1,3 ou 1,4 Smic, ces deux mesures étant relativement équivalentes, bien que la seconde soit de mise en oeuvre plus facile.

Le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat porte lui aussi un jugement critique sur les allégements de charges, dont il estime que l'efficacité sur l'emploi n'est pas établie et mériterait d'être mieux évaluée.

Votre commission des affaires sociales, elle-même, a déposé, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, un amendement tendant à restreindre le champ des exonérations aux entreprises de moins de cinquante salariés. Votre commission avait cependant clairement indiqué qu'il s'agissait surtout pour elle d'ouvrir le débat et de rechercher de nouvelles recettes pour la sécurité sociale, l'économie attendue étant de l'ordre de 7 milliards d'euros.

Votre rapporteur pour avis estime que le souci légitime de trouver de nouvelles recettes pour équilibrer les comptes sociaux doit cependant être mis en balance avec les destructions d'emplois peu qualifiés que ne manqueraient pas de provoquer de telles mesures.

Il est à craindre en effet que les « effets d'aubaine » dénoncés par la Cour des comptes soient quelque peu surestimés.

Il n'est d'abord guère surprenant de constater que des secteurs comme les hôtels-cafés-restaurants ou le commerce de détail bénéficient plus largement que d'autres des allégements de charges sur les bas salaires, dans la mesure où ces secteurs se caractérisent par la proportion particulièrement élevée de leurs salariés qui sont rémunérés autour du Smic.

Ensuite, l'argument selon lequel ces secteurs seraient protégés de la concurrence internationale n'est pas vraiment pertinent. Les allégements de charges n'ont pas vocation à rendre les entreprises françaises compétitives par rapport à celles qui produisent dans des pays à bas salaires : ils ont pour objectif de favoriser la création d'emplois dans les secteurs où celle-ci est sensible au coût du travail peu qualifié, ce qui est le cas de ces activités de services où la productivité du travail est généralement assez faible.

Il faut rappeler d'ailleurs que l'écart entre la France et les pays les plus performants en matière de créations d'emplois, les Etat-Unis par exemple, s'explique presque entièrement par le niveau des créations d'emploi dans le secteur des services, notamment les hôtels-cafés-restaurants, le commerce et les services à la personne 8 ( * ) .

En conséquence, la mise en oeuvre de l'une ou l'autre des préconisations de la Cour des comptes présenterait de sérieux inconvénients sur le plan économique.

La limitation des exonérations aux seules entreprises de moins de vingt salariés créerait un « effet de seuil » probablement insurmontable pour un grand nombre de petites entreprises. Elle exercerait un effet puissamment dissuasif à l'embauche du vingt et unième salarié, puisque le dépassement de ce seuil entraînerait une augmentation considérable de la masse salariale de l'entreprise. Or, il convient de rappeler que ce ne sont pas tant les petites entreprises que les petites entreprises qui grandissent qui sont créatrices d'emplois.

La limitation des exonérations aux salaires compris entre 1 et 1,3 Smic aurait, quant à elle, pour effet d'aggraver le phénomène de « trappe à bas salaire » : dans la mesure où les allégements diminuent quand le salaire s'accroît, les employeurs ne sont guère incités à augmenter la rémunération de leurs salariés ; c'est pour atténuer cet effet que les allégements de charges baissent de manière très progressive et ne s'annulent que pour un niveau de salaire relativement élevé, fixé actuellement à 1,6 Smic. Ramener ce plafond à 1,3 Smic irait donc à l'encontre de cet objectif.

Au total, les propositions de la Cour des comptes aboutiraient surtout à majorer de plusieurs milliards les prélèvements sur les entreprises, avec un effet négatif certain sur l'emploi. Votre rapporteur pour avis constate d'ailleurs que le secrétaire d'Etat à l'emploi, Laurent Wauquiez, partage cette analyse. Auditionné par l'Assemblée nationale, il a fait la déclaration suivante :

« Je le dis clairement : je ne suis pas d'accord avec l'évaluation de la Cour des comptes. En tant qu'élu, je mesure les effets du dispositif sur le terrain. De plus, le raisonnement de la Cour est contradictoire. En effet 90 % des allégements de charge portent sur des salaires compris entre 1 et 1,35 Smic : notre discussion ne concerne donc au mieux que 5 % des allégements de charges. Cela vaut-il qu'on envoie aux entreprises le signal que les allégements de charges dont elles bénéficient quand elles embauchent peuvent être remis en cause du jour au lendemain, et cela dans une période de crise ?

« Deuxième contradiction, si on craint la trappe à bas salaires, il ne faut pas concentrer les allégements sur les salaires compris entre 1 et 1,35 Smic, mais aménager au contraire au dispositif un effet de sortie « en sifflet ».

« Je sais, pour débattre régulièrement de ce sujet avec votre commission, que vous n'avez pas de conviction arrêtée sur la question. Pour ma part, je ne suis pas du tout favorable, et d'autant moins dans la période actuelle, à la remise en cause d'un outil de notre politique de l'emploi qui a des résultats non négligeables. » 9 ( * )

Enfin, votre rapporteur pour avis doit rappeler que les évaluations de l'effet des allégements de charges sur l'emploi existent et sont même assez nombreuses. Un rapport d'information récent de l'Assemblée nationale 10 ( * ) présente les estimations relatives au nombre d'emplois créés ou sauvegardés grâce aux allégements de charges : ce sont probablement 800 000 emplois qui disparaîtraient en l'absence de ces allégements.

* 8 Le rapport de Pierre Cahuc et Michèle Debonneuil établi en 2004 pour le conseil d'analyse économique, « Productivité et emploi dans le tertiaire », le démontre mais des travaux antérieurs avaient déjà abouti à la même conclusion.

* 9 Cf. compte-rendu de l`audition du ministre par les commissions des finances et des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, le mercredi 5 novembre 2008.

* 10 Cf. rapport d'information de l'Assemblée nationale n° 1001 (XIII e législature), présenté par Yves Bur au nom de la mission d'information commune sur les exonérations de cotisations sociales.

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