B. DES MESURES D'ADAPTATION DU DROIT À LA PRATIQUE
1. La reconnaissance des « protocoles de remise » : une pratique qui a fait ses preuves pour améliorer la collecte des archives politiques
• Conformément à une proposition
formulée par M. Guy Braibant dans son rapport sur « Les
archives en France », l'
article 11
du projet de
loi
consacre une pratique qui s'est développée en
marge de la loi de 1979
, silencieuse et ambiguë quant à la
nature des archives des autorités politiques.
Ce rapport soulignait, dès son chapitre premier, la nécessité de clarifier le statut public de ces archives : « les archives produites par les autorités politiques (Président de la République, membres du Gouvernement ou exécutifs locaux) et par leurs cabinets dans l'exercice de leurs fonctions publiques ont un caractère public, au même titre que celles des responsables de l'administration, de l'armée et de la diplomatie. »
L'affirmation de ce caractère public n'allait pas toujours de soi, en raison du caractère souvent mixte - public et privé - des fonds d'archives des hommes politiques et de la difficulté à dissocier les documents, qu'ils relèvent de l'exercice d'une fonction publique ou d'une activité politique privée.
Le rapport Braibant suggérait de donner un fondement juridique aux « protocoles de remise » passés entre les autorités politiques et l'administration des archives : le projet de loi va dans ce sens , en reconnaissant la validité des protocoles antérieurement conclus et en donnant, à l'avenir, au Président de la République, au Premier ministre, aux ministres ainsi qu'aux membres de leur cabinet, la faculté de signer de tels accords.
• A cet égard, la
pratique a
devancé la loi afin de prendre en compte la spécificité de
ces archives politiques. Votre rapporteur pour avis se réjouit que le
projet de loi réduise ainsi la distance entre la pratique et le
droit
en clarifiant le statut de ces documents sensibles, selon une
approche équilibrée et pragmatique
,
qui a fait ses preuves et dont le
bilan est positif
.
En effet, le développement des « protocoles de remise », pratique initiée en 1974 par le Président de la République M. Valéry Giscard d'Estaing , poursuivie par les trois derniers présidents et étendue aux membres de leurs gouvernements, a permis de réaliser des progrès dans la collecte et le versement des archives des autorités politiques de l'Etat.
Depuis 1984, le secrétaire général du Gouvernement et le directeur de cabinet du Premier ministre adressent des instructions à tous les ministres prenant leurs fonctions, pour les inviter à déposer leurs archives aux Archives nationales, dans le cadre de protocoles de remise.
Tout en reconnaissant le caractère public des archives des autorités politiques, ces protocoles, conclus avec la direction des archives, les soumettent à un régime dérogatoire : la personnalité versante dispose d'une maîtrise totale de l'accès aux documents pendant un délai allant de 30 ans - soit le délai de droit commun - à 60 ans (pour les présidents de la République, à l'exception de M. Jacques Chirac, qui a fixé les délais prévus au code du patrimoine) ; elle peut y accéder sans aucune restriction ; toute autre communication, y compris à son successeur, est soumise à son autorisation écrite. A l'expiration du délai fixé, les documents entrent dans le droit commun des archives publiques.
Toutefois ces délais sont appréciés de façon souple : les demandes d'accès dérogatoire aux documents avant leur expiration sont, en pratique, quasiment toutes accordées, après un examen au cas par cas.
• Les échanges qui ont eu lieu au cours d'un
récent colloque organisé par l'Association des archivistes
français, sur les archives des hommes politiques contemporains
14
(
*
)
, ont souligné les
progrès parcourus pour sensibiliser les plus hauts responsables
politiques à l'intérêt de conserver leurs archives, eu
égard à l'augmentation des recherches d'histoire contemporaine.
Selon l'ancien Président de la République Valéry Giscard d'Estaing, dont l'inventaire des archives du septennat a été présenté le 30 novembre dernier et publié au sein d'un ouvrage 15 ( * ) , cette démarche est consubstantielle à l'écriture historique de la période.
Votre rapporteur pour avis souligne également combien les conservateurs du patrimoine responsables des missions des Archives nationales placées auprès du Premier ministre ou des membres du Gouvernement, ont contribué à ces évolutions, en instaurant un climat de confiance avec les membres des cabinets, notamment.
• Votre commission tient à relever, en outre,
le rôle complémentaire assuré par des
fondations
privées
pour la collecte et la sauvegarde d'archives d'hommes
politiques, même si ce rôle est quasiment marginal en France par
rapport à d'autres pays, comme les Etats-Unis.
Ainsi, des fondations ont été créées afin de conserver et de valoriser ce qui constitue une partie de la mémoire des anciens présidents de la République, telles que la Fondation de Gaulle, l'Association Georges Pompidou, l'Institut François Mitterrand. On peut également citer la Fondation Jean-Jaurès ou l'Institut Pierre Mendès-France.
Votre rapporteur pour avis souligne également la contribution du service d'archives contemporaines de la Fondation Nationale des Sciences Politiques , créé en 1973 sous l'impulsion de M. René Rémond.
Grâce à la notoriété de Sciences-Po et à sa proximité avec les hommes politiques qui en sont bien souvent diplômés, plus de 80 fonds , représentant environ 400 mètres linéaires, ont été recueillis par ce service, sous la forme de dons . La collection rassemble notamment le « fonds Michel Debré » (150 mètres linéaires, dont une majorité d'archives de type publique), des archives d'autres hommes politiques de premier plan (Léon Blum, Vincent Auriol), de serviteurs de l'Etat (Alain Savary, Paul Delouvrier), d'intellectuels (Jean Touchard, Gabriel Tarde) ou encore de mouvements politiques (le Parti Radical, le Mouvement républicain populaire - MRP -), etc.
Ces fondations ont permis de sauvegarder et de valoriser des fonds, notamment privés, que les services publics d'archives n'auraient eu parfois ni la place ni les moyens de collecter. Il convient néanmoins de veiller à assurer un égal accès à l'ensemble des chercheurs ou citoyens à ces centres d'archives .
2. L'encadrement du recours à des sociétés privées d'archivage : un principe réaliste face à une production massive d'archives
Le projet de loi ( article 3 ) prend acte d'une autre pratique qui s'est développée ces vingt dernières années : l'externalisation, par les administrations publiques, des fonctions d'archivage.
Rappelons que, tous secteurs confondus, le marché de l'archivage est apparu en France à la fin des années 1960, alors qu'il occupait déjà une place importante aux Etats-Unis, où les Records and Information Management Services (RIMS) conservent près de 60 % des archives produites. En France, seuls 20 à 25 % des volumes d'archives des entreprises sont externalisés, et de l'ordre de 10 % pour le secteur public (notamment les hôpitaux). Toutefois, le marché, que se partagent une trentaine d'acteurs, progresse de plus de 10 % par an depuis dix ans. Il est évalué à 160 millions d'euros.
Plusieurs facteurs ont conduit les administrations à avoir recours à des prestataires extérieurs :
- le manque de place pour stocker un volume croissant d'archives ; comme l'a indiqué le directeur d'une société d'archivage entendu par votre rapporteur pour avis, un mètre cube de documents (soit 50 à 60 000 feuilles de papier), occupant quasiment trois mètres carrés dans une administration, est conservé dans son entreprise pour 300 à 400 euros par an ;
- la nécessité, en parallèle, de conserver des archives dites intermédiaires plus longtemps, dans un contexte de judiciarisation croissante ; on peut également penser aux universités, qui devront conserver dans la durée les dossiers d'étudiants, avec la mise en place du système « LMD » ;
- le manque de moyens humains à consacrer à ces fonctions.
De fait, la conservation des archives courantes ou intermédiaires, dont les administrations productrices sont responsables de la gestion, se fait souvent dans de très mauvaises conditions, faute de place et de moyens. Un encombrement des locaux pourrait en effet conduire les services à des destructions abusives d'archives.
Le projet de loi fait donc preuve de réalisme en autorisant la possibilité d'externaliser cette fonction dans sa dimension logistique, reconnaissant ainsi le professionnalisme des prestataires en archivage.
Deux graves sinistres, au Havre et dans la Somme, ont toutefois plaidé pour un contrôle renforcé du recours à cette pratique et pour son encadrement juridique. Il convient toutefois de veiller à ce que cette externalisation ne conduise pas à déresponsabiliser les administrations productrices, alors que leur implication en amont est fondamentale pour déterminer les critères de collecte, de tri et de conservation des archives.
3. La direction des services départementaux d'archives par des conservateurs du patrimoine de l'Etat
Dans son article 4 , le projet de loi précise que les directeurs des services départementaux d'archives sont choisis au sein du corps des conservateurs ou conservateurs généraux du patrimoine de l'Etat.
Cette affirmation valide la pratique, puisque tel est en effet le cas actuellement dans la quasi totalité des archives départementales. Cela tient au caractère « hybride » de ces services, tenus de recevoir, outre les archives strictement départementales, celles des services déconcentrés de l'Etat (qui représentent quelques 80 % des fonds), celles des communes de moins de 2 000 habitants ainsi que les minutes notariales...
La situation des archives départementales, qui manque ainsi de lisibilité, illustre les limites et ambigüités de la décentralisation appliquée au domaine des archives.
Aussi, la mise à disposition de personnels par l'Etat est, en dehors d'aides à l'investissement, la seule contrepartie à ces obligations imposées par la loi aux services départementaux. Par ailleurs, il revient au directeur du centre départemental d'archives d'assurer, au nom du préfet et pour le compte de l'Etat, le contrôle scientifique et technique sur l'ensemble des archives du département, y compris des archives communales, ce qui représente une charge très lourde. Or, comme le directeur des archives de Seine-Maritime l'a fait observer à votre rapporteur pour avis, il y a un décalage entre le nombre de postes théoriques et les effectifs budgétaires réels, ce qui crée une difficulté pour les pourvoir, surtout dans les départements les moins attractifs.
C'est pourquoi votre rapporteur insiste pour que la disposition ainsi prévue par le projet de loi s'accompagne du développement de passerelles , permettant à des conservateurs territoriaux ou à des titulaires d'un diplôme universitaire d'archiviste d'intégrer le corps des conservateurs de l'Etat.
LES FORMATIONS DES ARCHIVISTES ET CONSERVATEURS
Leur formation est assurée par l' Institut national du patrimoine , dont le concours est notamment ouvert aux élèves diplômés de l'Ecole des Chartes (créée en 1821). L'INP forme chaque année de 5 à 10 futurs conservateurs du patrimoine dans la spécialité « archives » (2 postes seulement ont été ouverts en 2007, 9 sont prévus pour 2008).
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Au-delà, votre rapporteur pour avis proposera un amendement visant à combler un « vide juridique », concernant les archives des établissements publics locaux de coopération intercommunale (EPCI) . Le développement de ces structures et l'élargissement de leurs compétences impose de fixer un cadre pour la conservation de leurs archives. Certaines agglomérations, comme celle d'Elbeuf, ont déjà pris cette orientation.
* 14 Actes du colloque « Action, mémoire et histoire. Les archives des hommes politiques contemporains », organisé par l'Association des archivistes français (AAF), les 20 et 21 octobre 2006, au Palais du Luxembourg.
* 15 « Archives de la présidence de la République. Valéry Giscard d'Estaing », Pascal Geneste, 2007 ; notons que ces archives représentent 600 mètres linéaires.