B. FAUT-IL RÉFORMER LES FORCES MOBILES ?

Au cours des cinq dernières années, les forces mobiles se sont modernisées pour s'adapter à la délinquance et développer leur polyvalence. Elles assument leur rôle de réserve générale des forces de sécurité intérieure aussi bien en ordre public qu'en sécurité générale.

Toutefois, alors que les discussions sur la future LOPPSI sont déjà lancées, les forces mobiles sont encore au coeur des débats, d'une part, sur leur juste dimensionnement et, d'autre part, sur les rapprochements entre gendarmerie mobile et CRS. Les forces mobiles doivent justifier leur coût réputé élevé au moment où les contraintes budgétaires vont peser également sur la gendarmerie et la police.

1. Bilan de la zonalisation

Dès 2005, année marquée par des événements exceptionnels sur le plan de l'ordre public, le dispositif de zonalisation a été fortement pertubé, le niveau central devant reprendre le contrôle de l'emploi de la majeure partie des forces mobiles.

L'année 2006 s'est inscrite dans la continuité de l'année 2005 avec le maintien puis l'augmentation du nombre d'unités engagées dans le cadre du plan national de lutte contre les violences urbaines.

Concernant les CRS, l'emploi des 60 compagnies de service général s'est élevé, pour l'année 2006, à une moyenne de 45,31 unités chaque jour, soit en nette augmentation par rapport aux années précédentes (2005 : 42,50 unités/jour, 2004 : 41,79 unités/jour, 2003 : 41,65 unités/jour). Ce niveau d'engagement est le plus élevé jamais constaté depuis la mise en place des statistiques relatives à l'emploi des CRS.

Cet accroissement de l'activité s'est concentré plus particulièrement sur la zone de défense de Paris. Les autres zones ont subi les conséquences de l'emploi intensif sur la région parisienne et ont vu leur part d'emploi diminuer, hormis la zone Nord.

Activité des compagnies républicaines de sécurité

répartition géographique

ZONES

2006

2005

2004

PARIS

42,78 %

35,54 %

28,50 %

NORD

8,11 %

6,96 %

7,25 %

OUEST

7.24 %

7,79 %

10,82 %

SUD-OUEST

12,28 %

12,64 %

13,33 %

SUD

16,54 %

19,94 %

20,15 %

SUD-EST

6,56 %

8,48 %

9,45 %

EST

6,49 %

8,65 %

10,50 %

Parmi les évènements ayant justifié cette mobilisation exceptionnelle, on citera, en particulier, les manifestations des lycéens contre la mise en place du CPE au premier trimestre 2006, la conférence interministérielle des ministres de l'intérieur de la Méditerranée occidentale à Nice, les services mis en place à l'occasion de la coupe du monde de football 2006 en Allemagne, l'expulsion des sans papiers à Cachan et surtout le maintien du plan de lutte contre les violences urbaines à un niveau de 25,5 unités/jour .

Ainsi pour l'année 2006, ce sont près de 13,67 unités/jour qui ont été quotidiennement prélevées des autres zones au profit de celle d'Île de France.

Il est évident que dans ces conditions, la doctrine d'emploi de la zonalisation a trouvé ses limites. Une décision centralisée s'est imposée de fait pour pouvoir répondre à la décision ministérielle d'un emploi aussi important.

Au total, sur 45,31 unités/jour employées quotidiennement en 2006, moins de 8 unités/jour l'ont été dans le cadre d'un emploi zonal.

De la même façon, l'objectif fixé de 20 escadrons de gendarmerie mobile (EGM) par jour en 2006 en emploi zonal n'a pu être tenu, en raison des charges qui pèsent en permanence sur la gendarmerie (l'outre-mer et les OPEX, le maintien de l'ordre, l'accroissement de la charge liée au fonctionnement des centres de rétention administratif).

Néanmoins, le principe de la zonalisation conserve sa pertinence en situation « normale » car il responsabilise les préfets de zones et engendre des économies (moins de frais de déplacement, d'IJAT...)

D'ailleurs, malgré un niveau exceptionnel d'emploi et un dispositif de zonalisation réduit à la marge, la tendance constatée en 2004 et 2005, concernant la réduction des temps de trajet et de préparation de mission consacrés par les unités, a été confirmée en 2006 avec une moyenne de 2,16 unités/jour. Elle était de 2,37 unités/jour en 2005.

Votre rapporteur estime qu'il faut prendre acte des limites de la zonalisation et faire porter l'effort de réduction des coûts sur l'hébergement des forces mobiles en déplacement. C'est le principal poste de dépense, les frais de transport n'étant pas très lourds. M. Philippe Laureau, directeur central des compagnies républicaines de sécurité, a indiqué que chaque jour, entre 10 et 15 unités étaient hébergées dans des structures hôtelières privées, faute de cantonnements suffisants. Le logement d'une unité revenant à environ 3.000 euros par jour, le budget de l'hébergement atteint 19 millions d'euros par an.

Une source d'économie pourrait consister à construire de nouveaux cantonnements, en particulier en Île de France qui concentre près de la moitié des interventions. L'Île de France compte seulement 12 cantonnements pour une moyenne de 20 compagnies y travaillant en permanence. En 2008, la situation devrait un peu s'améliorer avec la livraison du cantonnement de pont d'Orly.

Si le coût initial de la construction d'un cantonnement est important en investissement, son entretien courant sur un an équivaut à deux mois d'hébergement en hôtel.

Enfin, il conviendrait en loi de finances initiale de prévoir des crédits correspondant au niveau réel d'activité des forces mobiles. En effet, les prévisions de dépenses sont calculées sur la base de l'emploi de 40 unités par jour en moyenne. Or, le taux d'emploi est supérieur chaque année.

2. Le format des forces mobiles est-il trop important ?

Cette question peut sembler étonnante alors même que le taux d'emploi des forces mobiles n'a jamais été aussi élevé qu'en 2006.

Elle n'est pas nouvelle. Les grands mouvements sociaux, parfois violents, de l'après-guerre et des années 60 et 70, pour lesquels les forces mobiles ont été créées, sont moins nombreux. Cela pose légitimement le problème du maintien d'un format de force aussi important (près de 30.000 hommes).

Pour répondre à cette critique, les forces mobiles ont développé leur adaptabilité et leur polyvalence assumant leur rôle de réserve générale de la police et de la gendarmerie. La frontière ainsi que le débat entre ordre public et sécurité publique doivent également être dépassés, la gestion des violences urbaines relevant par bien des aspects des deux à la fois.

Moins qu'un débat budgétaire sur le juste format des forces mobiles, votre rapporteur estime que la réflexion devrait porter d'abord sur la juste utilisation des forces mobiles.

En premier lieu, votre rapporteur estime qu'il y a trop souvent une utilisation abusive des forces mobiles. Pour de petites manifestations sur la voie publique, le nombre d'hommes déployés est souvent excessif. Ce luxe de précaution a un coût.

Les seuils à partir desquels l'intervention des forces mobiles est requise devraient être mieux évalués. De la même façon, certains évènements exceptionnels donnent lieu à des dispositifs très, voire trop lourds. Le récent conseil des ministres en Corse a mobilisé 11 unités de CRS, deux étant seulement à demeure.

Une utilisation mieux proportionnée des forces mobiles supposerait également d'affiner le renseignement pour évaluer correctement le risque de violence ou de débordements.

En second lieu, les missions de garde statique ou de transfèrements pèsent beaucoup sur l'activité des forces mobiles. La gendarmerie mobile a par exemple la garde de l'ambassade des Etats-Unis et de celle d'Israël à Paris. Trois unités sont ainsi en permanence immobilisées. Trois escadrons sont également employés pour la protection et les transfèrements du palais de justice de Paris 10 ( * ) . Un peloton est également employé pour surveiller la résidence du premier ministre.

Le colonel Jean-Régis Véchambre a estimé que la mise en place de certains moyens techniques permettrait de réduire les effectifs ainsi déployés. Concernant la garde des ambassades, les unités devraient avoir accès sur place aux images de vidéosurveillance qui sont actuellement envoyés à la préfecture de police. De même, pour la surveillance de la résidence du premier ministre, l'installation de caméras ou de détecteurs permettrait là encore de réduire le dispositif humain.

En troisième lieu, il conviendrait de mieux évaluer l'apport spécifique des forces mobiles en matière de sécurité publique. Les premiers résultats montrent une baisse de la délinquance et une hausse des interpellations dans les secteurs bénéficiant de l'apport de forces mobiles en sécurisation. Mais un tel résultat n'est pas surprenant. Il est normal que des effectifs supplémentaires fassent baisser la délinquance. En réalité, il faudrait déterminer si la contribution des personnels des forces mobiles à la sécurisation est équivalente à celle d'un nombre identique d'agents ordinaires de sécurité publique. En dépit des indicateurs et des données déjà fournies, le rapport coût-efficacité reste à déterminer. Sans doute y a-t-il là un levier fort d'amélioration de la performance dans les années à venir.

Plusieurs réformes sont d'ores et déjà en cours d'étude par la direction générale de la police nationale et, dans une moindre mesure, par la direction générale de la gendarmerie nationale.

Comme l'a indiqué Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales lors de son audition par la commission des lois, les premières conclusions proposent la création d'une vingtaine de compagnies d'intervention à compétence zonale .

Ces compagnies ne seraient pas des forces mobiles, mais des unités dépendant de la direction centrale de la sécurité publique.

Il existe déjà des compagnies départementales d'intervention. Leurs effectifs totaux sont de 2.000 hommes environ. Il s'agit d'unités de sécurité publique intervenant en renfort ponctuel des services de sécurité publique locaux, notamment pour le maintien de l'ordre public de basse intensité. Le projet à l'étude les placerait donc au niveau de la zone et relèverait leurs effectifs.

Ces unités de renfort polyvalentes seraient également chargées d'apporter un appui aux effectifs locaux de sécurité publique dans les domaines de l'anti-criminalité, de l'activité judiciaire et de la lutte contre les violences urbaines. Elles présenteraient l'avantage, par rapport aux forces mobiles, de mieux connaître leurs périmètres géographiques d'emploi, d'être plus facilement mobilisables et d'obéir à des règles d'emploi plus souples. Au lieu d'envoyer une unité entière de gendarmes mobiles, un ou deux pelotons peuvent parfois suffire.

Toutefois, les modalités exactes de cette réforme et son calendrier ne sont pas encore arrêtés.

Mme Michèle Alliot-Marie a confirmé que l'évaluation des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif pourrait aboutir à prélever des personnels des CRS.

M. Philippe Laureau a indiqué à votre rapporteur que dans une telle hypothèse la solution préférable consisterait à réduire le nombre d'hommes par compagnie plutôt que de réduire le nombre de compagnies. Toutes les compagnies pourraient être ramenées à quatre sections, 11 comptant actuellement 6 sections. En outre, alors qu'une compagnie de quatre sections compte 150 hommes, cet effectif pourrait être ramené à 140. Au total, la réduction d'effectif atteindrait 1.200 hommes.

Cette solution aurait pour avantage de ne pas briser le maillage territorial.

Une réflexion est également engagée sur la territorialisation de plusieurs escadrons de gendarmerie mobile (ils n'interviendraient que sur un territoire donné). Toutefois, un préalable serait la réduction des gardes statiques ou des missions outre-mer par les gendarmes mobiles afin de dégager des marges de manoeuvre (voir ci-dessous).

3. Un rapprochement entre CRS et gendarmes mobiles encore insuffisant

a) Des différences de fonctionnement et de tactique

La coordination nationale des forces mobiles est opérée au ministère de l'intérieur par l'unité de coordination des forces mobiles (UCFM) en liaison avec la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité et la direction générale de la gendarmerie nationale.

L'instruction du 30 octobre 2002 commune à l'emploi des forces mobiles de la police nationale et de la gendarmerie nationale traite également de la compétence de chaque force :

- en mission de sécurité générale, les CRS interviennent dans la zone de compétence police et les escadrons de gendarmerie dans la zone de compétence de la gendarmerie nationale, sans préjudice de l'application de mesures exceptionnelles (plan Vigipirate, plan ORSEC...) ;

- de même, lorsque la situation le justifie, ces forces sont employées dans des missions ponctuelles de maintien de l'ordre public indifféremment dans les deux zones de compétence.

Toutefois, le principe reste que chaque force intervienne dans sa zone de compétence.

Au niveau tactique, quelques différences sont également notables. Les gendarmes mobiles auraient un peu moins développé les tactiques mobiles par petits groupes.

Ces différences sont peu justifiables en matière d'ordre public ou de lutte contre les violences urbaines. Les CRS et les gendarmes mobiles devraient pouvoir intervenir plus facilement en zone police ou gendarmerie.

Certaines spécialisations pèsent également lourdement sur l'organisation de ces forces. Ainsi, seule la gendarmerie mobile opère en outre-mer. Aucun EGM n'est basé sur place 11 ( * ) . Les unités se relaient par rotation tous les trois à quatre mois. En comptant les OPEX, cela oblige à faire tourner tous les EGM, au nombre de 128, tous les 15 à 18 mois, soit en outre-mer, soit en OPEX.

Le colonel Jean-Régis Véchambre, directeur de la sous-direction Défense et ordre public de la direction générale de la gendarmerie nationale, a indiqué que cette contrainte pesait très lourdement sur l'organisation de la gendarmerie mobile et contraignait à maintenir au moins 115 EGM. La réduction du format de la gendarmerie mobile ou la territorialisation de certaines unités ne pourrait donc pas aller trop loin, à moins par exemple d'étendre aux CRS les missions outre-mer. Cela introduirait une souplesse dans la gestion du « turn-over » des unités.

Les différences tactiques ou d'emploi, si elles occasionnent des surcoûts importants, doivent répondre à de vrais impératifs opérationnels.

Les forces mobiles sont certainement l'un des domaines où le rapprochement police-gendarmerie pourrait être plus étroit, notamment dans le domaine des matériels, voire des cantonnements.

b) Quelques exemples de mutualisation

Au niveau des matériels, quelques projets sont en cours.

Dans le domaine des véhicules, seul un véhicule a fait l'objet d'un marché commun police/gendarmerie/douanes. Il s'agit des motocyclettes sérigraphiées YAMAHA 1300 FJR.

Dans le domaine de l'armement, trois armes sont actuellement en dotation au sein des unités des compagnies républicaines de sécurité ainsi que des escadrons de gendarmerie mobile :

- le pistolet SIG SAUER SP 2022 ;

- le fusil léger de précision TIKKA T3 ;

- le lanceur de grenades Cougar.

Concernant les matériels de protection, l'élaboration d'un casque de maintien de l'ordre de 3ème génération a fait l'objet d'une définition commune avec la police nationale. Avant la fin de l'année 2007, les différents prototypes seront testés. En outre, les EGM seront équipés de boucliers de maintien de l'ordre déjà en dotation dans les unités CRS.

Dans le domaine de l'habillement, aucun rapprochement n'est en cours.

Au total, la mutualisation des moyens matériels est assez faible alors même que les situations rencontrées et les techniques d'intervention sont très proches, voire identiques.

Ce constat vaut également pour la formation. La gendarmerie mobile serait prête à mutualiser son centre de formation de Saint-Astier (Dordogne) moyennant une extension du site actuel. La police nationale pourrait ainsi économiser la construction d'un site à Oissel (Seine maritime).

* 10 Selon les projets en cours d'étude de déménagement du Tribunal de grande instance de Paris sur un nouveau site, il faudrait 1,5 EGM supplémentaire pour assurer les mêmes missions. Votre rapporteur estime que ce n'est pas admissible et que la conception des nouveaux locaux devrait mieux prendre en considération les problématiques de sécurité pour éviter l'accroissement de cette charge.

* 11 Il revient moins cher d'envoyer à période régulière des EGM que d'implanter des EGM sur place en permanence. Le régime salarial ne serait pas le même en particulier. Le surcoût estimé serait de 50 millions d'euros.

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