C. UN EFFORT À CONFIRMER EN FAVEUR DU PATRIMOINE MONUMENTAL ET ARCHÉOLOGIQUE
L'état sanitaire préoccupant des monuments historiques appelle un effort soutenu auquel l'Etat doit prendre toute sa part, même si celui-ci repose également sur les propriétaires des monuments historiques, et en particulier sur les collectivités territoriales.
Le Gouvernement en a pris toute la mesure et a présenté en septembre 2003 un plan national pour le patrimoine, dont les recommandations ont inspiré de nombreuses dispositions législatives récentes.
Plus récemment, une communication en conseil des ministres du 13 septembre 2005 a tracé le bilan des premières réformes et défini un certain nombre de nouvelles orientations, au nombre desquelles figure une relance significative des travaux sur les monuments historiques, financée par un effort budgétaire auquel doit contribuer une partie des ressources dégagées par les privatisations.
Votre commission souhaite que les moyens financiers consacrés à cette politique en 2006 soient à la hauteur des engagements pris, et permettent aux chantiers de restauration et d'entretien des monuments historiques de retrouver une régularité et une visibilité qui leur a fait défaut dans la période récente.
1. Splendeurs et misères des monuments historiques
La France peut s'enorgueillir de posséder un patrimoine monumental exceptionnel, largement réparti sur l'ensemble de son territoire et qui témoigne des différentes étapes de sa longue histoire.
Ce patrimoine exceptionnel auquel nos concitoyens sont très attachés, comme en ont témoigné les douze millions de visiteurs qu'ont attirés cette année encore les Journées du patrimoine, contribue à façonner l'identité de notre pays.
Il constitue également un outil essentiel de développement économique ne serait-ce que par sa contribution à l'activité touristique de la France, qui, avec 75 millions de visiteurs annuels, est la première destination mondiale d'accueil.
Comme l'ont montré des études récentes, il fournit de l'activité à près de 600 entreprises qualifiées en restauration et produit un important effet de levier sur l'emploi, puisque, par delà les 10 000 emplois directs du secteur de la restauration, et les près de 44 000 emplois liés à son exploitation, la filière patrimoine s'élèverait à 346 000 emplois, soit 1,5 % de la population active occupée 2 ( * ) .
Mais ce patrimoine d'une extrême diversité est souvent dans un état sanitaire extrêmement préoccupant comme l'ont souligné de nombreux rapports, et notamment celui de la commission « patrimoine et décentralisation » présidée par M. Jean-Pierre Bady. Un document récent, élaboré en janvier 2003 par la Direction de l'architecture et du patrimoine estimait que sur les 15 000 monuments classés, 2 800, soit environ 20 %, seraient en péril. Les édifices en grande difficulté appartiennent pour leur majorité à des communes de moins de 2 000 habitants qui, à de rares exceptions près, ne disposent pas de ressources suffisantes pour financer, sans l'aide de l'Etat ou d'autres collectivités publiques, les investissements nécessaires. S'agissant des monuments appartenant à l'Etat, qui ne représentaient que 9 % du parc classé, moins de 10 % d'entre eux seraient en difficulté.
2. Une réforme largement engagée de l'encadrement législatif
Dans le prolongement des réflexions de la commission Bady et du plan pour le patrimoine de septembre 2003, le Gouvernement a engagé une réforme importante du cadre législatif et réglementaire de la politique du patrimoine.
Cette réforme a été marquée par la double volonté de mieux associer les collectivités territoriales à la conduite de la politique du patrimoine, et de moderniser le régime juridique des monuments historiques.
• Les mesures de décentralisation
La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales a prévu quatre mesures importantes en matière de patrimoine, qui vont prendre leur pleine portée dans les mois qui viennent grâce à la publication d'une série de décrets d'application en date du 20 juillet 2005 :
- elle a confié aux régions la responsabilité de l'inventaire général du patrimoine culturel : la mise à disposition des services des directions régionales des affaires culturelles qui exercent ces missions est en bonne voie ; six conventions sont signées avec les régions Alsace, Centre, Ile-de-France, Limousin, Lorraine et Haute-Normandie, et les transferts des services devraient être agréés conformément au calendrier prévu par la loi ;
- elle a offert aux collectivités territoriales la possibilité d'obtenir le transfert de la propriété de plus de 150 monuments historiques appartenant à l'Etat, monuments dont la liste a été publiée par le décret n° 205-836 du 20 juillet 2005 ; les collectivités intéressées disposent désormais d'un délai de 12 mois pour déposer leur candidature ;
- elle a offert aux régions, ou aux départements, la possibilité de se porter candidats pour gérer à titre expérimental, les crédits de restauration et d'entretien des monuments historiques ; les régions disposent ainsi d'un délai de six mois, depuis la publication du décret d'application n° 205-837 du 20 juillet 2005, pour déposer leur candidature ; à défaut, les départements pourront, dans les six mois suivants, se porter à leur tour candidats ; la région Alsace et le département d'Eure-et-Loir ont déjà exprimé leur intérêt ;
- elle a transféré aux départements les crédits que l'Etat consacrait au patrimoine rural non protégé ; ce transfert a été effectué par le projet de loi de finances pour 2005, à hauteur de 5,42 millions d'euros.
• La modernisation du régime des monuments historiques et des espaces protégés
La loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit a amorcé un important effort de modernisation du régime juridique des monuments historiques :
- elle a procédé à la ratification de la partie législative du code du patrimoine , publiée le 24 février 2004, qui permettra d'avoir une vue globale de l'ensemble des dispositions législatives concourant à la protection du patrimoine culturel, et notamment aux monuments historiques, sites et espaces protégés ;
- elle a autorisé le Gouvernement a prendre par ordonnances toute une série de dispositions relatives aux monuments historiques et aux espaces protégés ; ces deux textes - l'ordonnance n° 2005-864 du 28 juillet 2005 relative aux secteurs sauvegardés, et l'ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés - devraient être prochainement soumis au Parlement pour ratification.
3. La nécessité d'un effort budgétaire durable
Le plan national pour le patrimoine de septembre 2003 comportait, en outre, l'engagement d'un effort budgétaire en faveur du patrimoine historique.
• Le retour à la vérité des comptes opéré en 2003
La réalisation de cet effort financier s'est trouvé contrariée par la nécessité de réduire l'écart qui s'était créé, au cours des années précédentes, entre le niveau des dépenses effectivement engagées, et celui des crédits ouverts au sein d'un même exercice.
Cette politique de vérité des comptes était particulièrement indispensable dans la perspective de la prochaine entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances - LOLF - qui encadre très strictement les possibilités de reports des crédits d'une année sur l'autre et le limite à 3 %.
Elle s'est traduite, dès 2004 par le retour à un taux de consommation des crédits très satisfaisant - plus de 90 % - et par une résorption des reports excédentaires.
• Un exercice 2004 très contraint
Mais faute de pouvoir continuer à puiser, comme les années précédentes dans ces réserves confortables, le ministère de la culture s'est retrouvé dans une situation délicate pour honorer ses engagements.
Il n'a pu solder la quasi-totalité de ses engagements que grâce à des redéploiements opérés en cours d'année à hauteur de 22 millions d'euros, et grâce à l'ouverture de crédits supplémentaires votés en loi de finances rectificative. Si la continuité des chantiers en cours a pu être globalement assurée, il n'en demeure pas moins que la mise en oeuvre de la programmation de l'exercice 2004 a été fortement perturbée et que cette insuffisance des crédits de paiement a fortement entravé l'engagement de nouvelles opérations, malgré la disponibilité des autorisations de programme.
• Les difficultés rencontrées en 2005
Ces difficultés se sont aggravées au cours de l'exercice 2005, malgré une augmentation des crédits d'investissement, portés à 220,5 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2005. Ces dotations ont été complétées par 59 millions d'euros issus en partie de la loi de finances rectificative pour 2004, et du rattachement de 26 millions des fonds de concours, portant l'ensemble des crédits ouverts en 2005 à 305 millions d'euros.
Le ministère indique cependant que ces crédits de paiement n'ont permis de couvrir qu'environ 55 % des besoins des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) .
Il estime à 80 le nombre des chantiers qui ont dû être interrompus du fait de l'insuffisance de ces crédits . 17 de ces chantiers concernent des monuments appartenant à l'Etat comme les cathédrales d'Agen, de Bayonne, de Nevers, de Quimper, d'Auch, de Perpignan, de Rouen, de Saint-Claude, de Langres, de Lyon et de Saint-Dié, ou comme les châteaux d'Oiron, de Chaumont-sur-Loire, ou encore comme le monastère de la Grande Chartreuse ou la Villa Cavrois.
Parmi les chantiers sur des monuments n'appartenant pas à l'Etat, ont également dû être interrompus ceux qui concernent l'ancienne cathédrale de Toul, l'ancien prieuré de la Charité-sur-Loire, l'église de Saint-Amand-en-Puisaye, l'abbatiale de Pontigny, l'église Saint-Savinien de Sens, l'église de Tannay, l'église de Perros-Guirec, le château de Tonquedec, la citadelle de Besançon, l'église Saint-Just à Arbois, l'église Saint-Pierre à Luxeuil, l'église Saint-Etienne à Lille, le beffroi de l'hôtel de ville de Douai, l'église Saint-Pierre à Aires-sur-la-Lys, l'église Saint-Eloi de Dunkerque, l'abbatiale Saint-Ouen et l'église Saint-Maclou à Rouen, l'abbatiale de Fécamp, l'église Notre-Dame de Louviers, les thermes de Sanxay, le château de Montmoreau, l'église de Parthenay, l'église de Thouars, l'église de Clermont ou l'abbatiale d'Abondance.
Au-delà de ces interruptions de chantiers, les lancements d'opérations nouvelles ont été très affectés par cette situation de pénurie : le ministère évaluait en juillet à plus de 170 le nombre de chantiers importants qui ont dû être différés faute de crédits de paiement suffisants, et ce, alors même que les autorisations de programme avaient été affectées, et, dans certains cas, les marchés attribués.
Nombre d'entreprises spécialisées se sont trouvé fragilisées, ce qui est d'autant plus grave qu'elles ont un personnel hautement qualifié et qu'elles ne peuvent pas compenser la perte des chantiers sur des monuments historiques par des chantiers classiques.
Cette situation a amené le ministre à décider des mesures de redéploiement à hauteur de 10 millions d'euros en fin d'année, de façon à alléger le poids des impayés et à relancer les chantiers les plus urgents.
Ces mesures devraient permettre de limiter à 38 millions d'euros les reports de charges en fin d'exercice 2005.
• Le projet de budget pour 2006 : une reprise subordonnée au rattachement du produit des privatisations
Les moyens financiers consacrés par le projet de budget pour 2006 à l'action « Patrimoine monumental et archéologique » s'élèvent à 287,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 262,9 millions d'euros en crédits de paiement. Ces derniers atteignent 415,8 millions d'euros si l'on y réintègre les crédits de personnels regroupés dans le troisième programme en vue de la mutualisation de leur gestion.
Comme il l'a fait précédemment pour les dotations de programme patrimoine, votre rapporteur vous proposera, pour disposer d'une base de comparaison pertinente des moyens financiers consacrés à l'action « patrimoine archéologique et monumental », de retrancher les crédits du titre 2 affectés par des changements de périmètre, et de se concentrer sur les dépenses de fonctionnement, d'investissement et d'intervention.
Les crédits de paiement afférents à ces dépenses s'élèvent à 245 millions d'euros dans le projet de budget pour 2006, contre plus de 241 millions d'euros en 2005, soit une progression de 1,4 % et les autorisations d'engagement sont ramenées de 273 millions d'euros à 270 millions d'euros , soit une contraction de 1 % .
La quasi-reconduction des crédits de paiement consacrés à cette action devrait, avec l'apport complémentaire de près de 29 millions d'euros attendus des privatisations , se transformer en une hausse de 13,4 % des moyens de paiement.
ÉVOLUTION DES MOYENS FINANCIERS DE LA POLITIQUE DU PATRIMOINE MONUMENTAL, HORS DÉPENSES DE PERSONNEL
(En millions d'euros)
Crédits de paiement |
Autorisations d'engagement |
|||||
LFI
|
PLF
|
Evolution
|
LFI
|
PLF
|
Evolution en % |
|
Titre 3 - Dépenses de fonctionnement |
27,8 |
29,6 |
+ 6,1 |
27,9 |
29,6 |
+ 6,1 |
Titre 5 - Dépenses d'investissement |
88,4 |
88,0 |
- 0,4 |
115,9 |
113,4 |
- 2,15 |
Titre 6 - Dépenses d'intervention |
125,4 |
127,6 |
+ 1,75 |
129 |
126,9 |
- 1,6 |
TOTAL |
241,6 |
245,2 |
+ 1,4 |
272,8 |
269,9 |
- 1 |
Dotation exceptionnelle |
28,9 |
|||||
TOTAL GLOBAL |
274,0 |
+ 13,4 |
Une appréciation juste des moyens dont disposera le ministère pour lancer de nouvelles opérations suppose toutefois de prendre en compte l'impasse de paiement en fin de gestion 2005, aggravée par un gel de 23,67 millions d'euros et que le ministère évalue à 38 millions d'euros .
Dans ces conditions, et même si, comme il le souhaite, le produit des privatisations vient compléter le montant des crédits budgétaires, les conditions dans lesquelles sera réalisé l'exercice 2006 risquent d'être tout juste satisfaisantes.
Le ministère note qu'en 2003 et 2004, les aléas de gestion liés au contexte budgétaire ont contraint le ministère à privilégier les travaux de restauration pour faire face aux situations prioritaires. Ainsi, alors que les crédits consacrés à la restauration passaient de 230 millions d'euros en exécution 2003 à 274 millions d'euros en 2005, les crédits consacrés à la conservation préventive ne progressaient que de 27,3 à 31 millions d'euros. Le ministère souhaite à l'avenir mieux définir la ligne de partage entre dépenses de restauration et dépenses strictement « préventives » au bénéfice de ces dernières. Il se fixe pour objectif, avec l'indicateur n° 3 de faire passer la proportion de celles-ci de 11,3 % en 2004 et 2005 à 12 % en 2006 et 13,5 % en 2007. Votre rapporteur ne peut que souhaiter la réalisation de cet objectif qui témoignerait de l'amélioration de la visibilité en matière de programmation des travaux.
4. Les opérations envisagées pour 2006
• Les monuments appartenant à l'Etat
La poursuite de la restauration des 86 cathédrales de France demeure une des grandes priorités du ministère.
Celui-ci envisage pour l'année prochaine l'achèvement de la restauration de l'élévation nord de la cathédrale de Strasbourg , et la poursuite des travaux portant sur sa flèche. Il devrait également lancer la première tranche de la restauration du portail nord de la cathédrale de Reims , et poursuivre la consolidation de la cathédrale de Beauvais . Parmi les autres chantiers projetés figurent : la restauration de la face nord et de la tour nord-ouest de la cathédrale Notre-Dame de Paris , la troisième et dernière tranche de la restauration du choeur et des terrasses de la cathédrale de Limoges et la poursuite des programmes généraux de restauration des cathédrales d'Amiens et de Marseille.
Parmi les autres programmes envisagés figurent la restauration du clos et du couvent de la villa Cavrois , oeuvre de Mallet-Stevens, à Croix dans le Nord, acquise par l'Etat en 2001 ; l'achèvement de la restauration des casemates entourant le donjon de Vincennes , la poursuite de la restauration générale du domaine de Versailles et de celle des remparts du Mont-Saint-Michel , accompagnant le grand projet de rétablissement du caractère maritime de la baie. Des travaux sont également envisagés sur le Panthéon à Paris.
• Les monuments n'appartenant pas à l'Etat
Les crédits destinés à la restauration des monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat continueront en 2006 à être consacrés en priorité au traitement des urgences sanitaires, et à la poursuite des opérations déjà engagées, au nombre desquelles figurent la reconstruction du rempart effondré du château de Saumur , la restauration du grand théâtre de Bordeaux , ou celle du château de Lunéville ou encore les opérations réalisées sur le théâtre du Puy-en-Velay , l'ancien collège des Bernardins à Paris, le parc de Méréville , la tour abbatiale de Saint-Amand-les-Eaux dans le Nord-Pas-de-Calais, la flèche de l'église Saint-Maclou à Rouen , l'église Saint-Jacques de Dieppe , le château neuf de Laval , le château des Ducs à Nantes , le château de Dampierre-sur-Boutonne , l'enceinte castrale du château de Falaise , l'ancienne cathédrale de Laon , le Palais des Papes d' Avignon , ainsi que le programme relatif au patrimoine de la ville de Nancy , et le plan pour le patrimoine antique de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur avec notamment la restauration de l' amphithéâtre d'Arles .
Un effort exceptionnel sera en outre consacré à deux opérations d'envergure, débutées en 2005, et qui intéressent le patrimoine de la ville de Paris : la restauration de la tour nord de l'église Saint-Sulpice et celle de la Tour Saint-Jacques .
* 2 X. Greffe « La valorisation économique du patrimoine » - La documentation française - Août 2003.