B. LES RÉACTIONS DES PRINCIPAUX ACTEURS
1. Les pays du G10 et du groupe de Cairns
Les pays du G10 ont accueilli avec une grande prudence un accord dont les incidences concrètes sur leur économie dépendront en partie des négociations ultérieures.
Les pays du groupe de Cairns , en délicatesse avec l'OMC du fait de l'utilisation de pratiques génératrices de distorsions de concurrence, ont affiché la même prudence . Le principe d'une libéralisation accrue des marchés agricoles au plan international acté dans cet accord devrait cependant leur être plutôt favorable, s'agissant de pays exportateurs de produits agricoles disposant d'avantages comparatifs importants. Cependant, cet effet avantageux devra être analysé au regard de l'obligation qu'auront à terme ces pays de supprimer les divers modes plus ou moins masqués de soutien aux exportations qu'ils mettent en oeuvre au profit de leurs entreprises.
2. Les pays du G20
Les pays du G20, qui ont négocié l'accord final avec les Etats-Unis et l'Union européenne par l'intermédiaire du Brésil et de l'Inde, l'ont accueilli très favorablement , américains et européens s'engageant à démanteler progressivement les barrières à l'exportation en matière agricole. Il semble qu'ils constituent les vrais gagnants de ce nouvel accord, qui devrait leur permettre d'écouler plus facilement sur les marchés mondiaux des produits extrêmement concurrentiels.
3. Les pays du G90
Les pays en développement du G90 avaient menacé de bloquer les négociations si leurs demandes tendant à l'élimination des subventions à l'exportation et la prise d'engagements sur le dossier du coton n'étaient pas entendues. Ils n'ont finalement obtenu aucun engagement concret , si ce n'est un consensus pour que la question du coton soit réglée de manière « ambitieuse, rapide et spécifique » à travers la création d'un sous-comité coton et la favorisation de programmes d'aide internationaux.
Si elle semble a priori jouer en leur faveur, l'ouverture des marchés agricoles ne devrait en réalité que peu leur bénéficier , s'agissant de pays importateurs nets de produits agricoles ne parvenant pas à être compétitifs dans les échanges internationaux et se voyant concurrencés sur leur propre marché par des produits provenant de pays exportateurs nets.
4. L'Union européenne et les Etats-Unis
L'Union européenne et, sur l'insistance de cette dernière et après de longs atermoiements, les Etats-Unis, se sont engagés à supprimer progressivement toutes leurs aides à l'exportation, à limiter leurs subventions internes et à réduire par étapes leurs droits de douane. Ces engagements devraient peser plus lourdement sur les Etats-Unis, qui ont dernièrement renforcé le soutien à leurs agriculteurs sur les plans tant interne qu'externe.
L'Union européenne s'est déclarée, par l'intermédiaire de son commissaire au commerce extérieur Pascal Lamy, satisfaite de cet accord. Il semble en réalité qu'il faille en analyser l'impact sur les pays membres en distinguant ses diverses composantes.
En ce qui concerne les subventions aux exportations , la suppression que prévoit l'accord ne devrait pas avoir d'incidence notable sur l'Union.
D'une part, en effet, les subventions à l'exportation communautaire représentent aujourd'hui un peu moins de trois milliards d'euros, soit 5 % de la valeur des exportations européennes, contre 12 milliards d'euros au début des années 90. Si elles permettent encore à des producteurs européens non compétitifs de vendre sur le marché mondial, les révisions successives de la PAC les ont réduites à un nombre limité de secteurs, parmi lesquels le lait ou la viande.
D'autre part, l'Union européenne a obtenu une amélioration des mesures prévues, comme le report de la suppression des restitutions à une date-butoir qui ne devrait pas être inférieure à une dizaine d'années, ou encore une définition suffisamment large des crédits à l'exportation pour y intégrer certaines pratiques de pays concurrents.
Enfin, l'accord pèse comparativement davantage sur des pays tels que les Etats-Unis ou les membres du groupe de Cairns, qui ont développé de nombreux outils d'aide aux échanges, tels que les crédits à l'exportation, les privilèges spéciaux conférés à des entreprises commerciales d'Etat ou encore l'utilisation du dispositif de l'aide alimentaire à des fins commerciales : on estime ainsi que les principes arrêtés devraient permettre d'éliminer environ 60 % des crédits exports des Etats-Unis.
S'agissant des soutiens internes tels que les subventions liées au prix ou au volume de production -que l'accord prévoit de réduire à 5 % du montant de la production agricole-, il ne remet pas en cause la PAC telle qu'elle résulte de la réforme de juin 2003.
Au contraire, celle-ci donne à l'Union européenne des marges de manoeuvre conséquentes, puisque 70 % des aides versées aux producteurs européens se retrouvent classés dans la « boîte verte ». Ces aides consistant en des primes directes versées aux agriculteurs sans relation avec les prix de marché ou le volume produit, elles sont autorisées dans le cadre de l'OMC. Il se pourrait toutefois que ce type d'aides fasse à l'avenir l'objet de contestations de la part de pays émergents comme le Brésil, dans la mesure où en donnant à des producteurs la possibilité de continuer à produire avec des coûts de revient supérieurs aux prix de vente, elle permet à l'Union européenne de continuer à pratiquer une sorte de « dumping » agricole.
Pour ce qui concerne les barrières aux échanges telles que les droits de douane, leur diminution à courte échéance s'avère source de difficultés pour l'Union européenne.
Malgré la baisse des prix actée dans les accords de Luxembourg l'année passée, les prix intérieurs de certains produits communautaires, tels que le lait, restent supérieurs aux cours mondiaux. De ce fait, l'ouverture des frontières à laquelle aboutira la baisse des droits de douane serait susceptible de remettre en cause le principe de préférence communautaire. Une augmentation des quotas d'importation à des conditions tarifaires avantageuses, qui pourrait accompagner cette ouverture de nos frontières internes, serait par ailleurs susceptible de déstabiliser certains marchés fragiles tel celui de la viande bovine. Toutefois, l'Union européenne a obtenu la reconnaissance du principe d'un traitement approprié pour les produits dits « sensibles », pour lesquels le désarmement tarifaire sera atténué par rapport à la formule générale.