C. UN AXE FONDAMENTAL DE NOTRE POLITIQUE ÉTRANGÈRE

La défense de la langue française et, plus généralement, le combat pour la diversité linguistique et culturelle constituent un axe essentiel de notre politique étrangère et de notre action sur la scène internationale.

1. Un engagement fort du Président de la République

a) Le discours de Hanoï

Au cours de voyage qu'il a effectué au Vietnam le 6 octobre dernier, le Président de la République a insisté à plusieurs reprises sur l'importance qu'il attache à la défense de la diversité linguistique et culturelle.

S'exprimant librement devant de jeunes Vietnamiens le 7 octobre à Hanoï, il a rappelé quelques vérités essentielles : qu'une langue, c'est une ouverture sur une culture, et que la diversité des cultures, qui constituent chacune une vision du monde, de la vie, de l'honneur, des choses et de l'évolution, était essentielle pour l'avenir de la pensée. Il a dénoncé le risque que constituerait pour l'humanité, une évolution dans le sens du monolinguisme, qui ne pourrait se traduire que par un rétrécissement de la pensée.

Il a indiqué les raisons pour lesquelles nous ne devions pas laisser une culture majoritaire étouffer toutes les autres expressions culturelles.

Il a rappelé que les biens culturels n'étaient pas des biens comme les autres, qu'il fallait en conséquence permettre à chaque pays d'apporter une aide directe à sa création culturelle, et que tel était le sens de l'initiative prise par la France pour faire adopter prochainement sous l'égide de l'UNESCO une nouvelle convention mondiale.

b) La convention mondiale sur la diversité culturelle

Une « déclaration universelle sur la diversité culturelle » a été adoptée par acclamation à la 31 e réunion de la Conférence générale de l'UNESCO d'octobre 2001.

Elle a constitué une première étape dans une action de longue haleine engagée à l'initiative de notre pays et soutenue par la francophonie.

Lors du sommet du développement durable de Johannesbourg, en septembre 2002, le Président de la République a proposé d'aller plus loin et s'est prononcé en faveur de l'adoption par la communauté internationale d'une « convention mondiale sur la diversité culturelle » qui donnerait force de loi internationale aux principes de la déclaration que venait d'adopter l'UNESCO.

Il a également indiqué qu'il revenait à l'UNESCO d'en prendre la responsabilité.

Lors de sa 32 e réunion, en octobre 2003, la conférence générale de l'UNESCO a adopté par consensus, une résolution conforme à cette attente, aux termes de laquelle « la question de la diversité culturelle doit faire l'objet d'une convention internationale ». Elle a invité en outre le directeur général à soumettre à la 33 e réunion de la Conférence générale un avant-projet de convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques.

Ce dernier a constitué un groupe de 15 experts indépendants qu'il a chargés de rédiger, avant l'été 2004, un avant-projet de convention. Adressé aux Etats au mois de juillet, celui-ci fournit maintenant un canevas aux négociations intergouvernementales qui se sont ouvertes en septembre 2004 et devraient aboutir en juin 2005, l'objectif étant de pouvoir proposer un texte définitif pour l'adoption à la 33 e réunion de la Conférence générale qui doit se tenir à l'automne prochain.

Dans son état actuel, le texte de l'avant-projet de convention reprend les objectifs que s'était fixés la France :

- la reconnaissance de la spécificité des biens et services culturels, afin que ces derniers ne soient pas soumis aux règles de marché ;

- la reconnaissance du droit des gouvernements à adopter ou à maintenir des mesures qu'ils jugent appropriées à la préservation de leur patrimoine culturel et au développement de leurs expressions culturelles et linguistiques ;

- le renforcement de la solidarité internationale en faveur des pays en développement.

Le principal point d'achoppement des négociations restera sans doute l'articulation entre la future convention et les accords commerciaux existants.

La France, qui bénéficie du soutien de nombreux Etats, est favorable à une solution permettant de tempérer le respect des droits et obligations découlant d'un accord international existant par une clause permettant d'y déroger en cas de dommages sérieux ou de menaces pour la diversité culturelle. Mais d'autres pays, dont les Etats-Unis, souhaitent faire prévaloir le seul respect des engagements internationaux antérieurs, sans clause dérogatoire, ce qui risquerait alors de priver la convention de l'essentiel de sa portée.

2. La place du français dans les institutions européennes

Le français occupe traditionnellement une situation relativement privilégiée dans le fonctionnement des institutions européennes. Toutefois, on assiste, depuis plusieurs années, à une érosion de ses positions, notamment comme langue de travail et langue de rédaction des rapports de la commission. Ce mouvement risque encore de s'amplifier sous l'effet de l'élargissement de l'Union à de nouveaux pays. Le « plan pluriannuel pour le français en préparation de l'élargissement de l'Union européenne » tend à contrer cette tendance.

Ce combat est loin d'être perdu d'avance comme le montre le déroulement des travaux de la Convention pour l'avenir de l'Europe qui a fait une place enviable au français.

a) Le plan pluriannuel pour le français en préparation de l'élargissement de l'Union européenne

Dès la présidence française de 1995, le ministère des affaires étrangères a lancé un programme spécifique de formation au français en direction des fonctionnaires des institutions dans les pays candidats à l'élargissement (hauts fonctionnaires et particulièrement diplomates, traducteurs et interprètes). Le Centre européen de langue française (CELF) a été créé dans ce cadre à Bruxelles en tant que pôle de formation spécialisé pour les publics des institutions de l'Union européenne. Ce programme a été rejoint en 2002 par le Luxembourg, la communauté française de Belgique et l'Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF). Officiellement signé le 11 janvier 2002, il porte depuis la dénomination de « Plan pluriannuel pour le français en préparation de l'élargissement de l'Union européenne ».

Ce plan comprend d'importants volets de formation, des actions de promotion de notre langue, ainsi que la mise à disposition de logiciels facilitant la rédaction administrative en français. Il bénéficie d'un engagement financier majeur de la France, annoncé lors du sommet de la francophonie à Beyrouth en octobre 2002. Doté d'une somme totale de 1,4 million d'euros, il a vu ses actions décuplées en 2003. Un premier bilan peut en être dressé :

- des cours de français ont été dispensés à 3 292 fonctionnaires dans les pays candidats à l'Union européenne ; dans certains pays, la formation en français des fonctionnaires a fait l'objet d'une convention entre les ministères concernés et l'ambassade de France, notamment en Lettonie et Estonie ;

- des stages intensifs en français , notamment pour la préparation aux concours communautaires ont accueilli 448 personnes ;

- une campagne de communication sur le français au service des institutions européennes a été lancée en Pologne, République Tchèque et Slovaquie ;

- enfin, un logiciel d'aide à la rédaction administrative « Prolexis » a été mis à la disposition des institutions. Sur les 20 000 licences prévues, 5 630 sont déjà opérationnelles.

Sur le plan financier, le ministre des affaires étrangères a consacré 424 000 euros à la conduite de ces opérations, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, près de 40 000 euros. L'Agence intergouvernementale de la francophonie y a également contribué à hauteur de 1,4 million d'euros en 2003.

Sollicitée par la Commission, la France a apporté en 2004 une aide spécifique à la formation au français des nouveaux commissaires, de leurs cabinets, ainsi qu'à certaines catégories de fonctionnaires communautaires.

b) Un exemple encourageant : les travaux de la Convention pour l'avenir de l'Europe

Les travaux de la Convention pour l'avenir de l'Europe ont fait, dans le respect du principe de la diversité linguistique, une place enviable au français . Ce succès pour notre langue s'est manifesté à l'écrit comme à l'oral.

A l'écrit, la majorité des documents issus du secrétariat de la Convention et du praesidium a été rédigée originellement en français. Dans les autres cas, l'anglais a été utilisé, mais la traduction en français a été transmise dans les délais les plus brefs.

Les sessions plénières se déroulaient dans les onze langues officielles de l'Union, tandis que les groupes de travail avaient opté pour un nombre limité de langues incluant toujours le français. Quant aux réunions du praesidium -le « bureau » de la Convention- elles se sont systématiquement déroulées en français, la plupart du temps sans système d'interprétation.

Dans ce contexte favorable, de nombreux conventionnels de divers pays se sont exprimés régulièrement en français.

Cette bonne position de notre langue peut être attribuée à plusieurs facteurs : les choix imprimés par le président Giscard d'Estaing au sein du secrétariat, la nature juridique des travaux et le rôle des experts juridiques qui recourent majoritairement au français, enfin, l'importance des contributions francophones.

Ce rôle éminent de la langue française au sein de la Convention a trouvé son prolongement dans le cadre de la conférence intergouvernementale . Ainsi, du moins sous présidence italienne, la version originale de la plupart des documents était le français. La présidence irlandaise a privilégié naturellement l'anglais, mais une traduction française était toujours disponible lors des délibérations. Les experts juridiques et les juristes-linguistes ont, conformément à la tradition, travaillé sur la base de la version française du projet de Constitution.

En définitive, les travaux de la Convention et de la Conférence intergouvernementale, qui ont constitué pendant plus de deux ans pour de nombreux hommes politiques et hauts fonctionnaires des Etats membres et candidats un événement fondateur, ont mis en évidence l'importance du français dans l'Union européenne, et ont souligné l'intérêt d'acquérir un niveau satisfaisant dans notre langue.

Votre rapporteur se réjouit que le français ait, au cours de ces travaux, bénéficié d'un tel traitement qui montre qu'aucune fatalité n'impose « l'anglais de communication internationale » comme le seul vecteur d'avenir de la construction européenne.

c) Un contre-exemple consternant : le discours du président de la Banque centrale européenne devant le Conseil de l'Europe

Votre rapporteur regrette avec régularité que des personnalités françaises nommées dans des instances européennes capitulent dans la défense de notre langue.

Le président de la Banque centrale européenne en a fourni une illustration lorsque, prenant la parole devant le Conseil de l'Europe, le 21 juin dernier, il a choisi de s'exprimer en anglais.

Votre rapporteur se félicite de l'excellente réaction de la délégation française qui a décidé de quitter l'hémicycle en signe de protestation , pour rappeler que le français était l'une des deux langues officielles du Conseil de l'Europe et que sa défense impose que les Français nommés dans des instances européennes s'expriment en français chaque fois que l'occasion leur en est donnée.

3. Le Français, langue olympique

L'article 27 de la charte olympique désigne le français et l'anglais comme langues officielles du mouvement olympique.

Le secrétaire général de la francophonie a désigné M. Hervé Bourges pour être le « grand témoin francophone » pour les Jeux olympiques d'Athènes et lui a demandé un rapport détaillé sur la place du français lors de cet événement sportif majeur.

Parmi les observations qu'il a pu faire sur place, le grand témoin francophone souligne que « rarement pour des Jeux olympiques, la langue française n'avait été aussi bien défendue, à la fois par les autorités athéniennes et les diplomates francophones sur place » prenant pour exemple la version française du site internet des Jeux, les efforts considérables accomplis par la ville d'Athènes et les autorités nationales. Pourtant, il note dans son rapport qu' « un décalage énorme existait entre les moyens mis en oeuvre et les résultats observés » : des réunions olympiques ne se déroulaient qu'en anglais et sans traduction, les billets d'entrée aux stades ne portaient aucune mention en français, la signalétique des lieux n'était souvent libellée qu'en grec et en anglais. M. Hervé Bourges, qui est président de l'Union internationale de la presse francophone a fait aussi remarquer que le signal audiovisuel repris par les télévisions du monde entier n'était disponible qu'en anglais.

La conclusion générale qu'il tire de ses observations est nuancée : avec 4 milliards de téléspectateurs dans le monde entier, les Jeux olympiques constituent indéniablement une occasion unique pour la langue française de se faire entendre dans le monde entier et de se faire reconnaître comme une langue de communication internationale au même titre que l'anglais. Mais cette formidable vitrine n'a pas été suffisamment utilisée et éclairée à Athènes.

M. Hervé Bourges juge indispensable qu'elle le soit mieux et davantage à Pékin en 2008 et avance un certain nombre de propositions qui seront soumises aux chefs d'Etat et de gouvernement réunis pour le 10 e sommet francophone de Ouagadougou.

On doit toutefois s'étonner que cette préoccupation n'ait pas été celle de la commission chargée de présenter la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2012, qui a tenu à s'exprimer en anglais devant la presse.

4. La politique linguistique des entreprises

Le rapport rendu par Mme Catherine Tasca 3 ( * ) au ministre de la culture le 1 er juillet 2003, ainsi qu'un certain nombre d'études comme celle réalisée par le CREDOC 4 ( * ) en octobre 2002 à la demande de la DGLFLF montrent une progression alarmante de l'utilisation de l'anglais comme langue courante dans les entreprises travaillant à l'international.

Celle-ci ne résulte généralement pas d'une volonté affichée. Comme le relève le CREDOC : « le choix d'une politique linguistique n'alimente pas de débats soutenus. A quelques exceptions près, on ne peut pas à proprement parler de politique linguistique. C'est le pragmatisme qui règne en maître et le positionnement par rapport à la langue étrangère ne suscite aucun état d'âme ».

Mme Catherine Tasca relève de son côté que l'anglais est installé et jugé irremplaçable dans une part croissante de l'activité des entreprises et que « les raisons invoquées sont toujours présentées comme de l'ordre de l'évidence ».

C'est contre cette évidence que souhaite s'élever votre rapporteur, en insistant sur les effets positifs que peut présenter au contraire une politique linguistique volontaire et délibérée d'une grande entreprise.

Le constructeur automobile PSA a récemment fait un investissement important pour créer à Trnava, près de Bratislava, une usine qui emploiera 3 500 personnes. Il ne s'agit pas d'une délocalisation, il faut le préciser, dans la mesure où les voitures construites seront destinées au marché d'Europe centrale et limitées à des séries équivalentes à l'ancienne 206.

PSA a décidé que le français serait langue de travail sur ce site, et a passé un accord spécifique avec le ministère de l'éducation nationale d'une part, et le ministère slovaque de l'éducation de l'autre, pour assurer une formation professionnelle en français soit à la faculté de mécanique de Bratislava, soit dans l'un des trois lycées professionnels concernés ; cette formation sera assurée par des enseignants français mis à disposition.

Un autre accord passé entre PSA et l'Institut français de Bratislava a pour objet de dispenser des cours de français à des niveaux divers, aux personnels recrutés ou en préembauche. 250 personnes ont été ainsi déjà formées. Il pourrait être ainsi envisagé de former quelque 800 personnes d'ici 2007.

Ces initiatives ont induit un cercle vertueux tout à fait remarquable : pour répondre aux besoins des expatriés et des Slovaques, l'Ambassade de France a dû créer une école française à Bratislava en septembre 2003 ; les effectifs sont déjà passés de 16 élèves à la rentrée 2003 à 53 à celle de septembre 2004.

L'attitude de PSA en Slovaquie ne semble pas lui avoir nui. Elle se révèle très positive pour la langue française.

Souhaitons que beaucoup d'autres entreprises françaises s'en inspirent.

* 3 « Pratiques linguistiques des entreprises françaises ». Rapport au ministre de la culture et de la communication - 1 er juillet 2003.

* 4 Les pratiques linguistiques des entreprises à vocation internationale. Esquisse de typologie. Octobre 2002.

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