D. LE RÉSEAU DE DIFFUSION : UNE STRUCTURE À PRÉSERVER

Alors que les diffuseurs de presse occupent une place essentielle dans le réseau de distribution de la presse écrite en France, contribuant ainsi à maintenir les conditions d'exercice de la liberté d'expression, du pluralisme et du débat démocratique, leur situation économique ne cesse de se dégrader depuis plusieurs années.

Liés à leur dépositaire (grossiste de presse) par un contrat-type qui définit leur statut, les diffuseurs de presse ont la qualité de mandataire-commissionnaire ducroire, ce qui signifie qu'ils reçoivent la presse sans que s'opère un transfert de propriété, qu'ils sont tenus au paiement des exemplaires vendus (ou non retournés sous forme d'invendus), et enfin qu'ils vendent la presse pour le compte de leur mandant, l'éditeur. L'éditeur reste propriétaire de ses publications jusqu'à l'achat final par le lecteur, aussi il détermine lui-même le nombre d'exemplaires à fournir. En conséquence, le diffuseur se doit de recevoir tous les titres livrés et de les présenter de façon impartiale au public.

Pour la première fois dans son rapport, votre rapporteur a souhaité faire l'inventaire du réseau des diffuseurs de presse et présenter les principales difficultés que ces derniers rencontrent dans l'exercice de leur fonction.

1. Un réseau spécialisé qui fait face à de nombreuses difficultés

Le réseau de la presse en France se distingue de ses homologues étrangers par une spécialisation marquée, avec des points de vente identifiés et agencés comme des magasins de presse.

a) Un réseau spécialisé

Parmi les points de vente spécialisés, dont la vente de la presse est l'activité principale, on distingue :

- les magasins traditionnels, qui le plus souvent développent certaines activités complémentaires (tabac, jeux, librairie-papeterie) ;

- les magasins rattachés à une enseigne ou à un concept, majoritairement situés en centre ville (Maisons de la presse, Mag-presse) ;

- les magasins Relay, détenus par le groupe Hachette (Hachette distribution service) et implantés pour la plupart dans les gares, les aéroports et les stations de métro ;

- les kiosques, implantés sur la voie publique, qui font l'objet d'une concession de la part des municipalités concernées.

LA DIVERSIFICATION DES SOURCES DE REVENU
DES DIFFUSEURS DE PRESSE

Outre la vente de la presse et des produits hors-presse, le réseau des diffuseurs développe un certain nombre d'activités complémentaires. On peut ainsi observer que :

- 80 % des diffuseurs de presse sont détaillants de la Française des jeux ;

- 70 % des diffuseurs de presse développent une activité de libraire papetier ;

- 50 % des diffuseurs de presse sont débitants de tabac.

S'ajoute à ce réseau spécialisé un certain nombre de points de vente où la presse représente une activité complémentaire, voire un produit d'appel : rayons presse dans les grandes et moyennes surfaces, stations-service, boulangeries, etc. Ce réseau additionnel est utilisé en particulier par la presse locale et régionale.

UNE TYPOLOGIE DES DIFFUSEURS DE PRESSE

Types de points de vente

Nombre estimé

Part du réseau

Part du CA

Tabac-presse

16 450

47 %

32 %

Librairie-papeterie-presse

7 700

22 %

31 %

Concepts et enseignes (Maisons de la Presse, Mag-presse)

1 400

4 %

12 %

Relay

1 050

3 %

8 %

Kiosques

700

2 %

5 %

Total points de vente spécialisés

27 300

78 %

88 %

Rayons grands magasins et supérettes

2 800

8 %

9 %

Divers capillarité

4 900

14 %

3 %

Total

35 000

100 %

100 %

Source : Conseil supérieur des messageries de presse - janvier 2004.

b) Un réseau dont l'importance diminue progressivement

Selon les chiffres des Nouvelles messageries de la presse parisienne, le nombre de points de vente de presse nationale en France s'établissait à 30 886 en 2002, contre 34 737 en 1995, soit 3 901 disparitions nettes (dépôts de bilan, cessions de pas-de-porte, fins d'activité). La contraction du réseau de vente se poursuit sur la période récente, au rythme moyen de 150 disparitions nettes par an. Au total, le nombre de points de ventes a chuté de près de 16 % depuis 1995.

LE MOUVEMENT DE FERMETURE DES POINTS DE VENTE

Année

2000

2001

2002

2003

Ouvertures

421

382

425

484

Fermetures

503

535

569

686

Solde

- 82

- 153

- 144

- 202

Positif en moyenne sur la période 1995-1999, le tableau précédent permet de constater que le rapport ouvertures/fermetures s'inverse à partir de 2000 pour se dégrader ensuite : selon l'UNDP, les quelque 1 600 fermetures enregistrées entre 2000 et 2002 ont entraîné la disparition d'environ 4 000 emplois de proximité, sans que les créations, pour l'essentiel greffées sur des structures existantes (notamment dans l'univers alimentaire) aient pu générer un volume équivalent d'emplois.

Cette évolution est particulièrement accusée en Ile-de-France et à Paris. Selon les chiffres du CSMP, l'Ile-de-France représente à elle seule près de la moitié des fermetures enregistrées en 2002. Les points de vente parisiens (magasins et kiosques) ont vu leur nombre baisser de plus de 15 % depuis 1998. Pour la seule année 2003, 40 des 950 points de vente recensés ont disparu.

c) Une dégradation des conditions de travail

La disparition des points de vente est liée à 3 facteurs principaux : la faiblesse des rémunérations, la pénibilité du travail et l'accumulation des publications à écouler.

(1) La stagnation des rémunérations à un niveau relativement faible

Les taux de rémunération actuellement pratiqués sont désormais très proches des plafonds fixés par le décret n° 88-136 du 9 février 1988. Pour autant qu'une comparaison soit possible, ils demeurent en tout état de cause sensiblement inférieurs à ceux constatés chez nos voisins européens : plus de 25 % en moyenne en Grande-Bretagne, entre 20 et 25 % en Italie, plus de 20 % en Allemagne.

Cette relative modicité des taux de commission, combinée à l'atonie des ventes en valeur, dont les commissions perçues par les diffuseurs représentent un pourcentage, explique la stagnation des rémunérations à un niveau communément jugé insuffisant (égal ou inférieur au SMIC pour deux tiers des kiosquiers, selon les NMPP). Cette faiblesse du niveau de rémunération des diffuseurs est d'autant plus manifeste rapportée à la durée de travail et aux conditions d'exercice de leur activité.

(2) Des conditions de travail difficiles et dégradées

La difficulté des conditions de travail tient à deux aspects principaux :

- l'importance des contraintes horaires : l'amplitude moyenne quotidienne d'ouverture d'un kiosque est de 13h30 et la moyenne hebdomadaire d'ouverture est de 80 heures ;

- la pénibilité des tâches matérielles : un diffuseur de presse spécialisé consacre quotidiennement 4 à 5 heures aux seules opérations de mise en place des produits et de gestion des stocks et des invendus.

Il convient de souligner par ailleurs que l'augmentation du nombre et du volume des produits à traiter, qui génère un encombrement croissant des linéaires, contribue largement à la dégradation des conditions de travail.

(3) L'encombrement des linéaires

L'engorgement croissant des surfaces d'exposition dans les points de vente résulte principalement de la combinaison de trois facteurs :

- l'explosion du nombre de produits à traiter : 3 526 produits ont été distribués par les NMPP en 2002 (dont 339 titres supplémentaires par rapport à 2001), et 1 759 par les Messageries lyonnaises de presse (MLP), soit un total de près de 5 300 produits pour ces deux seules sociétés ; le nombre de références de presse a progressé de 35 % entre 1996 et 2002, selon le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) ;

- le développement spectaculaire des produits « hors-presse » (DVD, multimédias, livres, encyclopédies, etc.) : 426 produits diffusés en 2002, contre seulement 61 en 1997 ;

- la persistance de forts taux d'invendus : 46,7 % en moyenne en 2002 (41,2 % pour les quotidiens, 46,8 % pour les magazines et 51,4 % pour les produits « hors-presse »).

Outre l'impact déjà évoqué sur la pénibilité du travail des diffuseurs, cet encombrement des linéaires nuit à la visibilité et à l'accessibilité des titres et produits exposés, et, partant, aux ventes et à la profitabilité des exploitations.

2. Un cas particulier : les kiosquiers parisiens

Les kiosquiers représentent une catégorie particulière de diffuseurs. Près de 800 kiosques sont implantés en France 12 ( * ) , dont 372 à Paris.

a) Un statut à part

Les kiosques parisiens sont fabriqués et entretenus par l'Administration d'affichage et de publicité (AAP), filiale détenue à plus de 90 % par le groupe Hachette, les NMPP et Transports presse. L'AAP tire ses ressources des publicités affichées sur les kiosques, publicités dont elle assure la gestion. Elle a dégagé un bénéfice net de 3,2 millions d'euros en 2002, pour un chiffre d'affaires de 18,1 millions d'euros.

Propriétaire des kiosques, la Ville de Paris définit leur emplacement, après avis du CSMP, puis en gère la concession. Elle perçoit une redevance à ce titre. La Ville de Paris gère également la carrière des kiosquiers, et réunit deux fois par an la commission professionnelle des kiosquiers, qui attribue la gérance des kiosques libres.

Les kiosquiers parisiens subissent de manière particulièrement aiguë les difficultés communes à l'ensemble des diffuseurs. L'exiguïté et l'inconfort des locaux accentuent la pénibilité du travail, elle-même liée à la surcharge des points de vente et à l'amplitude des contraintes horaires. Malgré des taux de commissions plus élevés qu'en province, la rentabilité des kiosques reste faible. Sur les 430 emplacements définis en 1995, 372 kiosques sont aujourd'hui effectivement implantés à Paris, parmi lesquels seuls 296 restent ouverts à l'heure actuelle (contre 355 en 2000).

b) Vers une revalorisation de la situation des kiosquiers ?

Face aux difficultés de la profession, la Ville de Paris a oeuvré aux côtés des éditeurs et des kiosquiers afin de redéfinir les conditions d'exercice de ce métier.

Le 16 juillet 2002, la Ville de Paris, les éditeurs, les distributeurs, le concessionnaire des kiosques et les représentants des kiosquiers ont signé un protocole d'accord destiné « à rendre son dynamisme au réseau des kiosquiers parisiens ». Au total 750 000 euros devaient être dégagés sur une période de 6 mois en faveur des kiosques percevant moins de 45 000 euros de commission par an. Sur ce total, 600 000 euros étaient versés par les éditeurs des coopératives associées aux NMPP, les éditeurs des coopératives associées à Transports presse, la coopérative MLP, la messagerie NMPP (à hauteur de 165 000 euros), Transports presse et l'AAP et 150 000 euros correspondaient à l'abaissement des redevances consenti par la Mairie de Paris.

Par ailleurs, un comité de pilotage avait été chargé d'une réflexion sur les « solutions durables » qu'il convenait de mettre en oeuvre portant notamment sur les revenus des gérants des kiosques, l'organisation du travail, l'optimisation des flux, la modernisation des kiosques, leur implantation et une meilleure ouverture le dimanche.

Les mesures d'urgence déployées en juillet 2002 ont globalement permis d'enrayer la fermeture des kiosques (douze à quinze fermetures par an avant cette date). Elles devaient prendre fin en mars 2003. Le soutien de la Ville a cependant été prolongé, la réduction de 50 % de la redevance d'occupation du domaine consentie aux kiosquiers représentant un effort de 300 000 euros en année pleine.

À l'issue des travaux du comité de pilotage, les deux principaux syndicats de kiosquiers parisiens ont rejeté, le 29 avril 2003, le protocole d'accord proposé par la Ville de Paris, qui prévoyait notamment que la gestion des kiosques parisiens ferait désormais l'objet d'une délégation de service public. La délégation devait être confiée à une société de droit privé dont les éditeurs et l'AAP auraient partagé le capital. Les syndicats de kiosquiers se sont déclarés attachés à la tutelle directe de la Ville et inquiets que le dispositif envisagé ne les place dans une dépendance plus grande encore par rapport aux éditeurs.

Les discussions ont repris au printemps 2004, sur la base de nouvelles propositions formulées par les NMPP. En juillet, les éditeurs de presse et le conseil de gérance des NMPP ont approuvé les grandes lignes d'un plan de réorganisation prévoyant de confier à l'AAP la gestion des kiosques parisiens. Une partie des recettes d'exploitation de l'AAP (évaluées à 3 millions d'euros par an) serait redistribuée afin de soutenir les kiosquiers en difficulté. La composition du conseil d'administration de l'AAP serait modifiée pour assurer la neutralité du système à l'égard du groupe Hachette, en conférant une position majoritaire aux autres éditeurs actionnaires.

Une assemblée générale devrait se tenir prochainement afin de procéder à la modification des statuts de l'AAP qu'implique une telle réforme. Favorable au dispositif, la Ville de Paris prévoit quant à elle de lancer un appel d'offres auquel répondra l'AAP pour obtenir la gestion des kiosques sous forme de délégation de service public. Une délibération en Conseil de Paris devrait intervenir à cet effet d'ici la fin de l'année.

Le nouveau cadre d'organisation ainsi envisagé suscite une réaction partagée des syndicats de kiosquiers. Le Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP) reste radicalement hostile au principe même de la délégation de service public. Le Syndicat national de la librairie et de la presse (SNLP) demande des garanties quant à la gestion des carrières, souhaitant qu'elles restent fondées sur le critère d'ancienneté. Les syndicats semblent en tout état de cause peu favorables à l'idée d'un soutien direct aux kiosquiers sous forme d'allocations, et maintiennent la revendication d'une revalorisation des commissions.

* 12 Dont environ 700 en activité.

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