2. Cas potentiels
Parmi les sujets de friction entre les deux rives de l'Atlantique, deux sont susceptibles de donner lieu à une plainte devant l'OMC, l'un offensif, l'autre défensif.
a) Le « Farm Bill » de mai 2002
Le premier concerne le « Farm Security and Rural Investment Act » adopté aux Etats-Unis en mai 2002. Cette nouvelle loi d'orientation agricole américaine pour la période 2002-2007 confirme l'orientation très interventionniste de la politique agricole américaine, constatée depuis l'adoption du « Fair Act » en 1996.
Ce dernier avait pour objectif initial de favoriser les mécanismes de marché dans le secteur agricole et de réduire les dépenses budgétaires. Toutefois, les années 1996-2000 ont été marquées par une augmentation des stocks, en dépit de la baisse des prix des produits de base, et par une augmentation de la part des transferts publics dans les revenus agricoles. Le soutien public à l'agriculture a été multiplié par six au cours de cette période.
Le FSRIA prolonge cette évolution. Il prévoit notamment :
- une augmentation substantielle des soutiens financiers accordés aux grandes cultures : en plus des prix garantis (« loan rates ») et des paiements directs découplés, des paiements contracycliques (« counter-cyclical support payments ») pourront désormais être versés sur une base régulière, alors qu'ils relevaient jusqu'à maintenant de mesures d'urgence adoptées annuellement ;
- l'augmentation des mesures de soutien ayant un effet sur la production : augmentation du niveau des « loan rates », particulièrement dans le secteur des céréales, éligibilité des oléagineux (notamment du soja) à la totalité de la panoplie des soutiens aux grandes cultures, mise en place d'un programme de soutien pour les arachides... ;
- l'extension des programmes de soutien aux produits laitiers et au sucre.
Le FSRIA définit les financements pour dix ans, c'est-à-dire jusqu'en 2012. Les estimations prévoient une augmentation de budget de 73,5 milliards de dollars sur la période, soit une augmentation de 78 %, portant le budget total à 180 milliards de dollars. Celles-ci reposent cependant sur des hypothèses de prix de marché parfois jugées optimistes. Une situation moins favorable pourrait se traduire par une augmentation plus conséquente du budget agricole.
Le Farm Bill aura nécessairement des répercussions sur les échanges et sur les prix mondiaux .
Le mécanisme des aides contra-cycliques encouragera les agriculteurs à continuer de produire même en cas de situation durablement excédentaire, avec un effet dépressif sur les prix mondiaux.
Cet effet dépressif aura deux conséquences . La première portera sur les importations américaines . Bénéficiant d'une garantie de revenus, les producteurs américains pourront se contenter de prix de marché qui seront négociés à un niveau assez bas par les industries de transformation. La production locale pourra donc, dans plusieurs secteurs, évincer progressivement les importations.
Sur les marchés mondiaux également , les Etats-Unis pourront continuer d'écouler leurs excédents à bas prix, concurrençant les producteurs des pays en développement sur leurs propres marchés, les prix garantis (« loan rates ») s'apparentant alors à une forme de subvention à l'exportation.
La question de l'impact de cette loi agricole sur l'architecture (les « boîtes ») du futur accord agricole de l'OMC reste ouverte .
La nouvelle loi agricole américaine pourrait avoir des conséquences sur le respect des engagements américains à l'OMC au titre de l'accord actuel. La mesure globale de soutien (MGS) 5 ( * ) des Etats-Unis est plafonnée à 19,1 milliards de dollars. Les soutiens internes pour les années 1999 et 2000, qui n'ont pas encore été notifiés à l'OMC, pourraient atteindre, selon l'administration américaine, plus de 80 % de ce plafond (contre 29 % en 1997 et 50 % en 1998). Même si le nouvel accord sur l'agriculture à l'OMC ne sera finalisé qu'en 2005, les Etats-Unis pourront difficilement accepter des engagements qui seront clairement contradictoires avec leur loi agricole.
Deux paramètres détermineront la capacité des Etats-Unis à respecter les disciplines de l'OMC :
- d'une part, les notifications des mesures contra-cycliques et des paiements fixes découplés ; les Etats-Unis pourraient être tentés de les classer en « boîte verte 6 ( * ) » ou de jouer sur la clause de minimis 7 ( * ) pour les exempter d'engagements de réduction ;
- d'autre part, le volume des dépenses américaines ne peut être évalué à l'avance, les paiements contra-cycliques et les marketing loans dépendant de l'évolution des cours des produits de base. Une forte diminution des prix de marché des produits agricoles se traduirait mécaniquement par une augmentation des dépenses et, potentiellement 8 ( * ) , par un dépassement du niveau de minimis maximal autorisé. Une plainte pourrait alors être déposée à l'OMC par l'Union européenne.
b) Les OGM
Le second cas potentiel à l'OMC concerne les organismes génétiquement modifiés (OGM). La pression américaine sur l'Europe va croissant depuis de nombreux mois. L'Europe refusant d'ouvrir ses frontières aux OGM tant que le système d'étiquetage et de traçabilité n'est pas finalisé, le récent Conseil des ministres sur l'environnement du 17 octobre 2002 a aiguisé l'impatience américaine.
En effet, lors de ce Conseil, et de manière assez inattendue au regard des propos très confiants du commissaire européen chargé de la consommation, M. David Byrn, les Etats membres ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur les directives relatives à l'étiquetage des OGM. Le moratoire européen n'a donc pu être levé, si bien que l'horizon se recule une nouvelle fois pour les Etats-Unis, qui estiment que la fermeture actuelle de l'Europe représente pour leur pays un préjudice de 4 milliards de dollars . Il est donc probable que ce conflit latent sera porté devant l'OMC dans les prochains mois.
* 5 Ensemble des soutiens internes soumis à engagement de réduction car ayant des effets de distorsion sur les échanges.
* 6 Les différentes catégories de soutien interne dans le cadre de l'accord sur l'agriculture à l'OMC sont réparties entre les boîtes suivantes :
- boîte verte : soutiens dont les effets de distorsion sur les échanges sont nuls ou minimes ;
- boîte bleue : versements directs au titre de programmes de limitation de la production, qui sont partiellement découplés de la production et ne font pas l'objet de réduction ;
- boîte orange : soutiens ayant des effets de distorsion sur les échanges qui font l'objet d'engagements de réduction de la part des pays concernés.
* 7 La clause des minimis exempte notamment d'engagements de réduction les mesures de soutien « autres que par produit » (non ciblées sur un produit spécifique) comptant pour moins de 5 % de la valeur de la production agricole totale.
* 8 Cette probabilité a été évaluée à 19 % par le Food and agricultural Policy Research Institute.