IV. LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES OU STATUTAIRES
1. La poursuite de la modernisation du droit applicable à l'outre-mer par ordonnances
Une première loi n° 98- 145 du 6 mars 1998 avait habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer, les ordonnances prises en conséquence ayant été ratifiées par les lois n° 99- 1038 du 9 décembre 1999, n° 99- 1121, 99- 1122 et 99- 1123 du 28 décembre 1999.
Par ailleurs sont intervenues huit ordonnances autorisées par la loi n° 99- 1071 du 16 décembre 1999 portant habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnances à l'adoption de la partie législative de certains codes.
Une nouvelle loi n° 99- 899 du 25 octobre 1999 a autorisé le Gouvernement à prendre une deuxième série de 18 ordonnances, notamment s'agissant du statut des agences d'insertion, de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), du droit électoral, ainsi que, d'autre part, du régime de l'état civil, de l'organisation du système de santé et des conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte.
L'ordonnance portant adaptation pour les départements d'outre-mer de la législation relative aux transports intérieurs n'ayant pu être prise dans les délais, des dispositions transitoires ont été introduites dans la loi d'orientation.
Trois projets de loi de ratification des ordonnances ont été déposés sur le bureau du Sénat les 13 et 19 juillet 2000.
2. Réflexions sur des évolutions statutaires ou institutionnelles
Depuis les lois de décentralisation, aucune grande réforme institutionnelle n'avait concerné les départements d'outre-mer. L'annonce par M. Jean-Jack Quyeranne, alors secrétaire d'Etat à l'outre-mer, d'un projet de loi d'orientation pour l'outre-mer lors de la discussion budgétaire de l'automne 1998 a donc entraîné de nombreuses réflexions sur d'éventuelles évolutions statuaires ou institutionnelles.
a) le rapport Lise-Tamaya
Ainsi, MM. Claude Lise, sénateur de la Martinique, et M. Michel Tamaya, député de la Réunion, ont été chargés par le Premier ministre d'une mission sur l'approfondissement de la décentralisation dans les départements d'outre-mer.
Le rapport qu'ils ont remis au Premier ministre en juin 1999, intitulé : " Les départements d'outre-mer aujourd'hui : la voie de la responsabilité ", contenait des propositions dont un bon nombre a été repris par le Gouvernement dans le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, qu'il s'agisse des évolutions institutionnelles ou des mesures à caractère économique, social et culturel.
Le rapport préconisait ainsi la création d'un congrès qui, outre la charge de proposer des évolutions statuaires ou institutionnelles, serait l'instance de décision de droit commun s'agissant des compétences partagées entre la région et le département.
Cependant, après l'avis du Conseil d'Etat considérant qu'une assemblée permanente ayant de telles missions aboutirait à la création d'une troisième assemblée et serait inconstitutionnelle, le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer n'a retenu (en l'encadrant) que le pouvoir de proposition d'évolution institutionnelle.
Le développement des compétences du conseil régional et du conseil général dans le domaine de la coopération régionale figurait également dans les propositions du rapport de MM. Claude Lise et Michel Tamaya.
b) les réflexions en Guyane
A été adopté le 27 février 1999 par les assemblées régionale et départementale de Guyane réunies en " congrès ", le " pacte de développement pour la Guyane ", qui préconise l'instauration d'une collectivité territoriale unique et d'un pouvoir législatif et réglementaire local autonome.
Par ailleurs, M. Gorges Othily, sénateur de la Guyane, a rédigé (mais non déposé) en mars 2000 une proposition de loi " d'orientation pour le développement réel et durable de la Guyane ". Cette proposition de loi, qui s'inspire du statut corse défini par la loi du 13 mai 1991, vise à substituer au département et à la région une collectivité dotée de compétences élargies, ainsi qu'à créer quatre provinces qui exerceraient les attributions incombant traditionnellement aux établissements publics de coopération intercommunale, ainsi qu'une partie des anciennes attributions départementales.
Le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a indiqué que les propositions concernant les institutions en Guyane devraient être examinées dans le cadre mis en place par la loi d'orientation pour l'outre-mer et a invité les élus et les partis à une table ronde à Paris le 18 décembre prochain.
c) la déclaration de Basse-Terre et les départements français d'Amérique
Les présidents des conseils régionaux de Guadeloupe, Martinique, et Guyane, Mme Lucette Michaux-Chevry, M. Alfred Marie-Jeanne et M. Antoine Karam, ont, par la déclaration de Basse-Terre du 1 er décembre 1999, demandé l'instauration d'un régime d'autonomie interne en réclamant " une modification législative, voire constitutionnelle, visant à créer un statut nouveau de région d'outre-mer , dotée d'un régime fiscal et social spécial, dans le cadre de la République française et de l'Union européenne " .
Ce projet, qui emprunte sans le dire aux statuts de la Corse et de la Polynésie française, mais également au texte sur l'Assemblée unique dans les régions monodépartementales d'outre-mer, déclaré non conforme à la Constitution en 1982, se réfère aussi, explicitement cette fois, aux statuts des collectivités autonomes des Canaries, de Madère et des Açores (qui font partie des régions ultra-périphériques).
Les régions d'outre-mer auraient la possibilité de légiférer dans leurs domaines de compétence (qui seraient considérablement étendus, l'Etat ne conservant que la justice, la police, la santé, la défense et la monnaie), et notamment en matière fiscale, sociale et de contrôle de l'immigration.
Cette revendication ne semble cependant pas être partagée par les populations antillaises et guyanaises.
d) l'avenir institutionnel de Saint- Barthélémy
Le rapport " Saint-Martin, Saint-Barthélémy : quel avenir pour les îles du Nord de la Guadeloupe ", remis en décembre 1999 au secrétaire d'Etat à l'outre-mer par M. François Seners constatait notamment que les responsables locaux aspirent à une évolution du statut de l'île (actuellement une commune du département de la Guadeloupe) qui mette le droit en conformité avec la réalité, c'est à dire la très forte autonomie de gestion acquise par la commune.
S'il considérait que la commune pouvait faire face à la perte de crédits résultant de sa sortie du département de la Guadeloupe, ce rapport concluait aussi que les projets locaux de collectivité locale sui generis sur le fondement de l'article 72 de la Constitution ne permettraient pas à l'île d'exercer des compétences fiscales, ceci requérant son érection en territoire d'outre-mer doté, selon l'article 74 de la Constitution, d'une " organisation particulière ".
Il estimait par ailleurs que si une telle évolution statutaire n'était pas contraire à la Constitution, elle ne pouvait cependant être engagée qu'après consultation de la population locale.
Cependant, la transformation de Saint-Barthélémy en territoire d'outre-mer n'est pas envisagée par le Gouvernement qui s'est orienté vers l'insertion de dispositifs particuliers dans la loi d'orientation pour l'outre-mer.
Une possibilité originale de transfert de compétences (dans les domaines de la formation professionnelle, de l'action sanitaire, de l'environnement, du tourisme, des ports maritimes de commerce et de pêche ou des aéroports, de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme, des transports, de la culture et du sport - et à l'initiative du Sénat de la voirie classée en route départementale) pour une durée déterminée de la région ou du département à la commune de Saint-Barthélémy a ainsi été prévue, le département ou la région étant cependant laissés libres d'y souscrire, ce qui en limite singulièrement la portée.
Le texte adopté en lecture définitive le 15 novembre 2000 prévoit aussi la possibilité de voter une taxe de séjour dans les mêmes conditions qu'à Saint-Martin, une taxe additionnelle à la taxe régionale sur les cartes grises, ainsi, à l'initiative du Sénat, qu'une taxe sur les carburants et une taxe sur les débarquements de passagers par voie maritime.
3. La loi d'orientation pour l'outre-mer
Cette année a surtout été marquée par la présentation du projet de loi d'orientation sur l'outre-mer en mai 1999, projet finalement adopté en dernière lecture par l'Assemblée nationale le 15 novembre 2000.
Ce projet de loi d'orientation a été préparé à partir des propositions formulées dans plusieurs rapports établis à la demande du Gouvernement
Cette loi d'orientation comporte tout d'abord un premier volet économique et social qui a pour objet de favoriser la création d'emplois dans les départements d'outre-mer.
Le deuxième volet de la loi, de caractère institutionnel, tend à favoriser une meilleure insertion de ces territoires dans leur environnement régional en rendant possible la coopération décentralisée des régions ou de départements avec les Etats voisins, et à transférer des compétences et des ressources nouvelles aux collectivités territoriales. Il doit également permettre d'ouvrir le débat sur les questions institutionnelles afin de rompre avec l'uniformité.
S'agissant de la coopération internationale , un président de conseil général ou régional pourra recevoir un pouvoir afin de signer des accords internationaux avec les Etats (ou organismes régionaux) voisins dans les domaines relevant de la compétence de l'Etat. Il pourra en outre être autorisé à représenter la France au sein des organisations régionales. Un président de conseil général ou régional pourra également participer, sur sa demande, aux négociations avec l'Union européenne relatives aux mesures spécifiques tendant à préciser les conditions d'application de l'article 299- 2 du Traité d'Amsterdam. Les conseils régionaux d'outre-mer (et les conseils départementaux dans la rédaction du Sénat rejetée par l'Assemblée nationale) pourront en outre participer en tant que membres associés ou observateurs aux organisations internationales régionales . Par ailleurs seront mis en place quatre fonds de coopération régionale.
En ce qui concerne les aspects institutionnels (titres V, VI et VII), votre commission des Lois a jugé nettement insuffisantes les dispositions prévues par la loi d'orientation eu égard à la situation constatée dans les départements d'outre-mer au cours des deux récentes missions d'information effectuées dans les départements d'outre-mer.
La délégation de votre commission des Lois conduite par M. le président Jacques Larché, dont faisait partie votre rapporteur pour avis, avait alors mis en lumière la nécessité d'une meilleure prise en compte des spécificités locales (du " cousu main "), celles-ci apparaissant à l'intérieur même de chaque département (comme le montre la situation des communes intérieures de la Guyane et des îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy).
Les élus de Saint-Martin ayant notamment fait part à la mission des problèmes posés par leur dépendance vis à vis de la Guadeloupe pour l'attribution des crédits disponibles au titre du contrat de plan Etat-régions ou des fonds structurels européens. La loi d'orientation prévoit (sur proposition de votre rapporteur) l'instauration de chapitres spécifiques à Saint-Barthélémy et à Saint-Martin dans le contrat de plan conclu entre l'Etat et la région de la Guadeloupe.
Les deux principales dispositions du projet de loi d'orientation ouvrant la perspective d'une évolution institutionnelle substantielle, à savoir la bidépartementalisation de la Réunion (article 38) et la création d'un congrès dans les départements français d'Amérique (article 39), ont fait l'objet de vives controverses qui ont conduit le Sénat à les supprimer.
S'agissant de la bidépartementalisation, le Sénat a notamment constaté l'avis défavorable du conseil général comme du conseil régional et l'hostilité de la population réunionnaise consultée par sondages.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a en nouvelle lecture profondément modifié cet article, en adoptant un amendement portant article additionnel de 33 paragraphes prévoyant les modalités de la bidépartementalisation et en l'avançant au 1er janvier 2001. En lecture définitive, les députés réunionnais, suivis par l'Assemblée nationale, prenant acte de l'inconstitutionnalité de telles modifications à ce stade de la procédure, ont supprimé ces dispositions, renvoyant le projet de bidépartementalisation au dépôt d'une proposition de loi qu'ils espèrent voir aboutir au 1 er janvier 2001.
Votre rapporteur se félicite de la confirmation par l'Assemblée nationale de la suppression de cette mesure.
Interrogé par votre rapporteur, M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a indiqué que s'il était toujours favorable à ce projet de bidépartementalisation de la Réunion, une éventuelle proposition de loi en ce sens ne pourrait de toute façon être adoptée avant les élections municipales et cantonales de mars 2001.
Le Sénat a également constaté que le projet de création du congrès dans les régions monodépartementales, réunissant le conseil général et le conseil régional et ayant vocation à délibérer de toute proposition d'évolution institutionnelle , le Gouvernement pouvant alors déposer un projet de loi prévoyant la consultation des populations intéressées sur ces propositions, avait suscité l'avis défavorable de six des huit assemblées locales concernées, que la procédure envisagée serait particulièrement lourde, risquant d'aboutir de fait à la création d'une troisième assemblée locale au rôle ambigu et la constitutionnalité douteuse (malgré le changement de dénomination en nouvelle lecture - " congrès des élus départementaux et régionaux "- répondant à une objection de votre rapporteur).
Saisi de ce dispositif, le Conseil constitutionnel aura à se prononcer dans les prochains jours sur sa constitutionnalité.
4. Le nouveau statut de Mayotte
Mayotte, seule île des Comores à avoir souhaité rester au sein de la République française en 1974, vit depuis 24 ans avec un statut provisoire issu de la loi du 24 décembre 1976.
Deux groupes de travail mis en place en 1996, l'un à Paris sous la présidence de M. le Préfet Bonnelle et l'autre à Mayotte, coordonné par M. le Préfet Boisadam ont rendu un rapport de synthèse en vue d'une évolution progressive du statut actuel de collectivité territoriale vers celui de département d'outre-mer, conformément aux souhaits des élus locaux.
A la suite de ce rapport, une mission interministérielle s'est rendue à Mayotte en décembre 1998 et juillet 1999 afin de mener des discussions avec les principales formations politiques, les élus et les représentants de la société civile, aboutissant à l'élaboration d'un " document d'orientation " signé au mois d'août 1999 par les représentants de l'ensemble de formations politiques mahoraises, mais non par le député et le sénateur représentant la collectivité territoriale de Mayotte.
Sur cette base, l'accord de Paris a été signé le 27 janvier 2000 par le président du conseil général, les représentants des principaux partis politiques représentés au conseil général et le secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Consulté sur cet accord, l'électorat mahorais s'est prononcé à 73 % en sa faveur le 2 juillet 2000 (le taux de participation ayant atteint 70 %).
Aux termes de l'accord, Mayotte passera du statut de " collectivité territoriale " à celui de " collectivité départementale ".
Celle-ci se verra attribuer des compétences nouvelles, proches de celles exercées par les conseils généraux et régionaux d'outre-mer. L'exécutif sera transféré du représentant du Gouvernement au président du conseil général. Les compétences des communes se rapprocheront de celles de droit commun (les lois de décentralisation ne s'appliquant pas à Mayotte à l'heure actuelle). Une dotation de rattrapage et une dotation de premier équipement viendront appuyer ce rapprochement. Une fiscalité locale sera progressivement instaurée, l'Etat continuera à aider les collectivités locales en matière d'enseignement primaire et préélémentaire.
Mayotte, pour laquelle un effort sensible d'actualisation et de modernisation du droit applicable a été mené notamment par le biais d'ordonnances, continuera de bénéficier de la spécialité législative mais l'identité législative sera progressivement instaurée, avec l'objectif de la généraliser en 2010, étant donnée l'importance des particularismes économiques, sociaux et culturels d'une île fortement marquée par l'Islam, dont la grande majorité de la population ne relève pas du statut civil de droit commun, mais d'un statut civil de droit local.
Une clause de rendez-vous, fixée en 2010 , prévoit que le Gouvernement et les principales forces politiques de Mayotte feront ensemble le bilan de l'application de ce nouveau statut. Le conseil général pourrait alors proposer au Gouvernement de nouvelles évolutions institutionnelle pour la collectivité départementale de Mayotte.
Le premier comité de suivi de l'accord s'est réuni à Paris du 6 au 8 septembre 2000. Après une phase de concertation locale, deux nouvelles réunions permettront de préparer un avant-projet de loi qui sera adopté par le Conseil des ministres fin décembre 2000 ou début janvier 2001 .
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Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés aux départements d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon dans le projet de budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 2001, ramenés le cas échéant aux montants proposés par la commission des Finances.
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