C. L'AVENIR DU SYSTÈME DE FINANCEMENT LOCAL : DES INQUIÉTUDES LÉGITIMES
Lors des deux derniers exercices, votre commission des Lois s'était inquiétée des très fortes incertitudes pesant sur les finances locales, notamment à la suite de la réforme fiscale voulue par le Gouvernement. Le présent projet de loi de finances ne peut que nourrir encore un peu plus ces légitimes inquiétudes. Alors que la part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités locales votent les taux, dans leurs recettes totales hors emprunt, s'élevait encore à 54% en 1995 , cette proportion s'est réduite sous l'effet des mesures adoptées dans la période récente.
L'article 53 de la loi de finances pour 1993 a supprimé les parts régionales et départementales de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
L'article 29 de la loi de finances pour 1999 a supprimé la taxe additionnelle régionale aux droits de mutation à titre onéreux , soit plus de 10% des recettes fiscales totales des régions.
Le même article a réduit le taux des droits de mutation à titre onéreux des départements sur les locaux à usage professionnel et, de fait, leur capacité à voter les taux de cet impôt.
L'article 44 de cette même loi de finances a supprimé la fraction de l'assiette de la taxe professionnelle assise sur les salaires, soit environ un tiers de l'assiette de cet impôt dont le produit représente environ la moitié du produit des quatre taxes directes locales. Au terme de cette réforme, les collectivités locales auront été amputées du sixième de leur pouvoir fiscal.
L'article 9 de la loi de finances pour 2000 a poursuivi la réforme des droits de mutation , engagée en 1999, en unifiant les taux départementaux des droits de mutation à titre onéreux sur les locaux d'habitation.
La loi de finances rectificative pour 2000 a supprimé la part régionale de la taxe d'habitation , soit près de 15% des recettes fiscales totales des régions et 22% du produit des quatre taxes.
En outre, le présent projet de loi de finances prévoit de supprimer la vignette automobile, soit 5% des recettes totales des départements et près de 10% de leurs recettes fiscales.
La part de la fiscalité locale dans les ressources globales hors emprunt aura été au total réduite à 36% pour les régions, 43% pour les départements et à 48% pour les communes. Le poids des compensations versées aux collectivités par l'Etat s'est accentué. Au total, le montant des compensations aura été multiplié par 13 depuis 1983 et par 3,3 depuis 1987. Compte tenu de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, les compensations se sont élevées à 66,4 milliards de francs en 2000 , soit près de 20% du montant total du produit de la fiscalité directe locale qui atteint 345,4 milliards de francs.
Cette recentralisation des ressources locales aboutit à un brouillage entre compensations et fiscalité Elle ne peut que consacrer une dépendance financière des collectivités à l'égard de l'Etat et décourager l'esprit d'initiative . Elle est très largement imputable à l'absence de réforme de la fiscalité locale. Selon un processus inexorable, faute de réformer les bases de l'impôt local, c'est sa suppression graduelle qui est mise en oeuvre.
Le Sénat a souhaité mettre un coup d'arrêt à cette mise en cause de la fiscalité locale, incompatible avec l'esprit même de la décentralisation. Sur l'initiative du président Christian Poncelet, il a adopté, le 26 octobre dernier, sur le rapport de notre collègue Patrice Gélard, la proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières.
Ce texte dispose que " la libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de recettes fiscales dont elles votent les taux dans les conditions prévues par la loi ". Il précise, en outre que " les ressources hors emprunt de chacune des catégories de collectivités territoriales sont constituées pour moitié au moins de recettes fiscales et autres ressources propres ". Toute suppression d'une recette fiscale perçue par les collectivités territoriales devrait donner lieu " à l'attribution de recettes fiscales d'un produit équivalent ". Le même texte affirme le principe d'une compensation intégrale et concomitante , par des ressources permanentes, stables et évolutives, des compétences transférées et des charges imposées aux collectivités par des décisions de l'Etat. Il appartient désormais au Gouvernement et à l'Assemblée nationale de donner suite à cette proposition de loi.
Le Gouvernement a annoncé qu'un premier rapport sur la réforme des finances locales serait remis au Parlement avant la fin de l'année prochaine. Votre commission des Lois juge indispensable que, dans cette perspective, les orientations définies par la mission d'information sur la décentralisation pour une rénovation du système de financement local soient prises en compte.
La mission d'information a notamment souhaité que ne soit négligée aucune piste pour moderniser la fiscalité locale : rénover l'assiette des impôts existants ; transférer de nouvelles ressources fiscales aux collectivités locales, soit pour remplacer les impôts actuels, soit pour remplacer certaines dotations de l'Etat. Ces nouvelles ressources pourraient provenir soit du transfert d'impôts, soit de la possibilité pour les collectivités locales de voter des taux additionnels aux impôts d'Etat, soit de la création de nouveaux impôts. Elle a également jugé nécessaire d'améliorer la péréquation , en renforçant le caractère redistributif des dotations de l'Etat, notamment de la dotation globale de fonctionnement, et de mesurer l'efficacité des dispositifs existants. Elle a proposé que la norme d'évolution de concours de l'Etat soit fixée après un débat parlementaire et que les normes d'évolution de ces concours fassent bénéficier les collectivités locales de leur contribution à la croissance.
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Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des lois a décidé de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à l'administration territoriale et à la décentralisation, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2001.