EXAMEN EN COMMISSION
Au cours d'une séance tenue le jeudi 19 octobre 2000, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Denis Badré sur le projet de loi n° 473 (1999-2000) portant habilitation du gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis, a tout d'abord rappelé que le projet de loi habilitait le Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire. Cette habilitation devrait permettre au Gouvernement de transposer tout ou partie de plus de cinquante directives et de procéder aux adaptations de la législation liées à cette transposition.
Il a fait remarquer que si elle était adoptée, la loi autoriserait notamment le Gouvernement à procéder par ordonnance à la refonte du code de la mutualité et la réforme du code de la voirie routière, afin de modifier le régime d'exploitation des autoroutes et des ouvrages d'art à péage.
Il a précisé que, selon l'exposé des motifs, le recours à la procédure des ordonnances de l'article 38 de la Constitution devrait permettre d'améliorer rapidement la situation de la France en matière de mise en conformité de sa législation avec le droit communautaire et d'éviter ainsi que davantage de contentieux soient portés devant la Cour de justice des communautés européennes.
Il a ajouté que l'exposé des motifs indiquait que, dans la mesure où il s'agissait de textes pour l'essentiel techniques, ce projet de loi d'habilitation préserverait les droits du Parlement en allégeant son programme de travail.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis , a ensuite justifié la volonté de la commission de se saisir des articles 1 er , 3 et 4 du projet de loi.
En ce qui concerne l'article 1 er , il a indiqué qu'il permettait effectivement la transposition de directives techniques, pour les matières qui relevaient de la compétence de la commission des finances. Mais il a rappelé qu'outre les mesures législatives nécessaires à la transposition des directives 92/49 et 92/96 figurant à l'article 1 er du projet de loi, l'article 3 proposait d'autoriser le Gouvernement à procéder, par ordonnances, à la refonte du code de la mutualité, à supprimer dans le cadre de l'assurance complémentaire la période de stage de deux ans pendant laquelle l'assureur peut modifier le contrat ou y mettre un terme, à renforcer les pouvoirs de contrôle de la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance et à créer un fonds paritaire de garantie des institutions de prévoyance.
A cet égard, il a insisté sur le fait qu'il y a déjà deux ans, la commission s'était intéressée à la transposition des troisièmes directives aux mutuelles régies par le code de la mutualité sous l'égide du président Alain Lambert et, avait émis, à cette occasion des propositions concrètes. Elle avait souhaité, à l'époque, le dépôt rapide d'un projet de loi.
Puis il a annoncé que l'article 4 du projet de loi habilitait le Gouvernement à prendre des ordonnances dans les domaines suivants : suppression de la garantie de reprise de passif accordée par l'Etat aux sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) et prorogation des durées des conventions de concessions conclues entre l'Etat et certaines sociétés concessionnaires, modification des diverses dispositions relatives aux péages pouvant être institués pour l'usage des autoroutes et des ouvrages d'art.
Il a tenu à préciser qu'en constituant une commission d'enquête sur les infrastructures de transports en 1998, le Sénat avait préparé le débat en amont, et avait poursuivi ses investigations par l'intermédiaire d'un groupe de travail au sein de la commission, sous la présidence de M. Jacques Oudin. Le ministre de l'équipement, des transports et du logement avait annoncé, devant la commission, un projet de loi sur la réforme des sociétés concessionnaires d'autoroute. La commission est donc fondée à se saisir de l'article 4.
Puis il a présenté ses propositions sur ces articles. Il a annoncé que l'article 1 er ne posait pas de problème, pour les sept directives auxquelles la commission s'était intéressée, et sous réserve des avis des autres commissions. En revanche, il a émis trois critiques essentielles à l'égard des articles 3 et 4 du projet de loi d'habilitation.
Il a estimé que le projet de loi véhiculait une conception erronée et dangereuse de la construction européenne, que l'argument de l'urgence brandi par le Gouvernement pour faire accepter ce projet de loi au Parlement n'était pas acceptable et que le champ d'application de l'habilitation demandée par le gouvernement au Parlement débordait largement une simple transposition du droit communautaire et constituait de ce fait une atteinte aux prérogatives de la représentation nationale.
Il a constaté que l'exposé des motifs du projet de loi d'habilitation négligeait complètement l'importance des sujets traités, puisqu'il disposait qu'" en l'espèce, l'habilitation demandée au Parlement est définie de manière précise, limitée dans le temps et porte principalement sur des directives de nature essentiellement technique ".
M. Denis Badré, rapporteur pour avis , a souligné que l'exposé des motifs ajoutait, fort mal à propos, qu'" on note enfin que l'habilitation n'est pas demandée pour des directives dont l'objet et la portée politiques justifient un débat par la représentation nationale ".
Il a alors estimé pour le moins surprenant le fait de considérer que le financement du système autoroutier ou la refonte du code de la mutualité ne justifiaient pas de débat par la représentation nationale, deux réformes allant d'ailleurs très au-delà de ce que requièrent les directives.
Ainsi, il a expliqué qu'en ce qui concernait l'article 3, il apparaissait que contrairement à l'exposé des motifs du projet de loi, celui-ci ne transposait pas deux directives dans le code de la mutualité et en profitait pour moderniser ce dernier, mais plutôt réécrivait le code de la mutualité et, à cette occasion, transposait lesdites directives.
Il a ajouté que, selon le Gouvernement, la refonte du code de la mutualité proposée par voie d'ordonnances aurait été élaborée en étroite coopération avec le milieu mutualiste. Il s'est alors demandé s'il fallait en déduire que le consensus qui se dégagerait sur ce projet était une garantie suffisante et si le Parlement n'avait donc pas besoin d'être consulté. Il a estimé qu'il s'agissait d'une curieuse interprétation de la démocratie : certes, les secteurs concernés par ce projet de loi doivent être entendus, mais il revient au peuple français, à travers la représentation nationale, de statuer sur l'évolution de la mutualité.
En ce qui concerne l'article 4 du projet de loi, il a rappelé que, selon le Gouvernement, les mesures proposées " visaient à faciliter la mise en oeuvre " des objectifs fixés par la directive 93/37/CEE du Conseil du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux. Il a indiqué qu'il ne s'agissait pas, en fait, de mesures de transposition du droit communautaire, mais de dispositions concernant les péages routiers qui n'étaient en rien la conséquence de textes communautaires, et de dispositions relatives à l'allongement des concessions et à la suppression de la garantie de passif accordée aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui avaient reçues l'accord de la commission européenne.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis, a ensuite déclaré que ces deux articles conduisaient à une vision erronée et dangereuse de la construction européenne.
En effet, ils présentent l'Union européenne non seulement comme celle qui sanctionne notre pays, mais également comme celle qui oblige la France à " mal légiférer " : pour mettre un terme aux procédures d'astreinte présentes ou à venir engagées par la commission européenne, le Parlement devrait se dessaisir de ses pouvoirs constitutionnels d'examen et de vote de la loi au profit du Gouvernement.
Il a estimé qu'en réalité, la situation actuelle en matière d'assurance relevait de l'entière responsabilité des gouvernements qui n'avaient pas été diligents alors que la transposition des directives sur ce sujet était déjà urgente, et qui avaient laissé s'accumuler un retard qui apparaissait aujourd'hui difficile à combler. Pour la question des autoroutes, il a indiqué qu'aucune procédure d'infraction n'avait été engagée contre la France, hormis sur l'application de la TVA aux péages autoroutiers, qui n'était justement pas traitée par le présent texte, alors que la France venait d'être condamnée sur ce thème.
Il s'est ensuite demandé comment défendre l'idée de l'Europe des citoyens auprès des Français s'il revenait au Gouvernement le soin de négocier les directives, puis de les transposer dans le droit interne. Il a jugé au contraire indispensable que les citoyens, à travers la représentation nationale, puissent se prononcer sur la construction européenne à travers l'examen des directives élaborées par la commission européenne.
Enfin, M. Denis Badré, rapporteur pour avis, a rejeté l'argument de l'urgence. Il a rappelé que dans son exposé des motifs, le Gouvernement dressait la situation de la France en matière de transposition des directives : à la date du 1 er juin 2000, 117 directives n'auraient pas été transposées dans les délais requis, dont près de la moitié nécessiterait des dispositions législatives. Cette situation serait source d'un important contentieux.
Le choix de légiférer par ordonnance aurait été contraint par la surcharge du calendrier parlementaire et la nécessité de légiférer rapidement. Mais le Gouvernement est maître de l'ordre du jour du Parlement et il lui appartient entièrement de définir ses priorités et par conséquent d'inscrire en urgence les textes législatifs dont l'adoption lui paraît indispensable. De surcroît, la procédure choisie ne devrait pas être si rapide, puisque le Gouvernement disposerait d'un délai de 6 mois pour prendre les ordonnances.
Il a noté qu'il avait plutôt le sentiment que l'obligation de transposition servait de prétexte au Gouvernement pour introduire, dans notre droit interne, des dispositions qui ne faisaient pas l'objet de directives, notamment pour les mesures visant à créer un fonds de garantie paritaire des institutions de prévoyance ou à renforcer les pouvoirs de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance.
Concernant plus précisément l'article 4 du projet de loi, il a fait observer que le ralentissement du programme autoroutier était déjà à l'oeuvre, sans qu'il soit possible d'en imputer la cause à une autre raison qu'au souhait du Gouvernement de limiter les investissements.
Par ailleurs, il a indiqué qu'un avant-projet d'ordonnance lui avait été transmis, dont l'exposé général comportait des considérations qui relevaient de choix politiques et en aucune façon de considérations juridiques d'application du droit communautaire. Cet exposé général énonce notamment que la politique autoroutière " doit évoluer pour mieux tenir compte des préoccupations environnementales de nos concitoyens, qui acceptent de moins en moins le " tout routier " comme le " tout autoroutier ". Il en a déduit que la réforme ne viserait pas, contrairement à ce que le Gouvernement indique, à faciliter le financement de futures liaisons autoroutières, mais à poursuivre une politique dite de rééquilibrage, visant en fait à freiner massivement les investissements routiers. Il a ajouté que l'avant-projet d'ordonnance n'était pas complet. L'objectif véritable du Gouvernement est de prendre appui sur la réforme des SEMCA pour obtenir de ces sociétés des résultats d'exploitation bénéficiaires constituant de nouvelles ressources pour l'Etat et permettant, notamment, de financer le développement du réseau autoroutier, mais également un programme prioritaire de réhabilitation du patrimoine routier national, et la politique intermodale des transports. Or, il a fait remarquer qu'aucun élément sur cette réforme ne figurait expressément dans l'avant-projet d'ordonnance et que, d'autre part, l'avant-projet ne comprenait aucune disposition sur les comptes des sociétés d'autoroutes, alors que ces dispositions entraient dans le champ de l'habilitation.
Dans ces conditions, il lui est apparu que les dispositions que le Gouvernement présentait au Parlement étaient tronquées et ne reflètaient pas l'ensemble de ses intentions en matière de réforme du financement autoroutier.
Enfin, il a rappelé que le projet d'habilitation comprenait des dispositions relatives aux péages, notamment pour les ouvrages d'art, qui concernaient aussi bien l'Etat que les collectivités locales, et méritaient, de ce fait, un examen approfondi que les délais de présentation du projet de loi ne permettaient pas de mener.
Pour toutes ces raisons, M. Denis Badré a proposé à la commission d'adopter deux amendements de suppression des articles 3 et 4 du projet de loi.
Il a en revanche proposé de donner un avis favorable aux dispositions de l'article 1er, pour les seules directives touchant aux compétences de la commission des finances, et sous réserve de l'avis des autres commissions saisies.
Un débat s'est alors ouvert au cours duquel sont intervenus MM. Jacques Oudin, Jacques-Richard Delong, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Denis Badré, rapporteur pour avis, et M. Alain Lambert, président.
A l'issue de ce débat, le président Alain Lambert a rappelé que le renoncement à leurs prérogatives essentielles était de nature à remettre en cause la raison d'être des assemblées parlementaires, représentantes, selon notre Constitution, du peuple français.
Il a ajouté que tous les discours sur la revalorisation du Parlement perdraient toute valeur si le Sénat se privait d'apporter sa contribution précisément dans les domaines où il travaille depuis plusieurs années, et où les agents économiques eux-mêmes ont reconnu son expertise et la valeur de ses propositions.
La commission a alors donné un avis favorable à l'article 1 er , sous les réserves posées par le rapporteur, et a adopté deux amendements de suppression des articles 3 et 4 du projet de loi.