N° 32
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 18 octobre 2000 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer , par ordonnances , des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire (Urgence déclarée),
Par M. Philippe RICHERT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Adrien Gouteyron,
président
; Jean Bernadaux, James Bordas,
Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar,
vice-présidents
; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André
Maman, Mme Danièle Pourtaud,
secrétaires
;
MM. François Abadie, Jean Arthuis, André Bohl, Louis de
Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand
Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt,
Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard
Fournier,
Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling,
Pierre Jeambrun, Roger Karoutchi, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Robert
Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Mme Hélène
Luc, MM. Pierre Martin
,
Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar,
Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux,
Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre
Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
Voir les numéros :
Sénat : 473 (1999-2000), 30 et 31 (2000-2001).
Union européenne . |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Comme plusieurs autres commissions, la commission des affaires culturelles a souhaité se saisir pour avis du projet de loi portant habilitation du gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire.
Votre commission n'insistera pas sur les raisons qui ont conduit le gouvernement à recourir à cette procédure d'habilitation par ordonnances, laissant à la commission des lois, saisie au fond, le soin de rappeler et d'apprécier le retard considérable pris par la France en matière de transposition des directives européennes : au moment où notre pays était appelé à présider l'Union européenne, quelque 117 directives n'étaient pas transposées dans les délais requis, dont près de la moitié nécessitent des aménagements législatifs, un tel retard étant source d'un important contentieux et d'astreintes coûteuses.
Si le recours à la procédure des ordonnances de l'article 38 de la Constitution n'est pas nouveau, s'agissant de la transposition de directives communautaires -cette procédure ayant été utilisée au cours des années 60 pour assurer l'application des directives du Conseil de la CEE en vue de mettre en place progressivement la liberté d'établissement et des prestations de services à l'intérieur de la Communauté, conformément au traité de Rome- force est de reconnaître que le présent projet de loi a pour objet de transposer des directives souvent anciennes, adoptées pour certaines au cours des années 80, ce qui témoigne à l'évidence d'une véritable négligence du gouvernement quant à la mise en oeuvre de la politique communautaire.
Pour justifier le recours à cette procédure d'habilitation, le gouvernement invoque l'encombrement du calendrier législatif. On ne peut que rappeler qu'il appartenait au gouvernement de tenir compte des impératifs, parfaitement prévisibles, de la présidence française de l'Union européenne dans l'élaboration de l'ordre du jour des assemblées dont il est maître en application de l'article 48 de la Constitution. Ainsi on se demandera pourquoi le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine social, déposé à l'Assemblée nationale le 10 mai dernier, n'a pas été inscrit.
Par ailleurs, le gouvernement souligne le caractère technique des mesures de transposition, mesures dont la portée ne justifierait pas un véritable débat parlementaire. Il s'agit là d'une interprétation de la compétence législative à la fois inédite et contestable, le caractère technique d'un dispositif ne le privant pas pour autant a priori de sa portée politique. Au delà, cette appréciation, loin de justifier le recours aux ordonnances, constitue un motif supplémentaire de s'interroger sur les raisons des retards pris .
Ces observations conduisent naturellement votre rapporteur à s'interroger sur l'opportunité de recourir à la procédure des ordonnances pour des mesures qui auraient dû et pu être prises depuis longtemps.
Cependant, dans le cadre de la procédure d'habilitation, les pouvoirs dont disposent le Parlement sont contraints. Les assemblées ne peuvent qu'accepter la délégation du pouvoir législatif ou la contester, en la refusant ou en en limitant le champ. La voie est donc étroite.
Si ses champs de compétence ne sont concernés que de manière limitée par le présent projet de loi d'habilitation, votre commission est cependant fondée à se prononcer sur l'opportunité d'habiliter le gouvernement à transposer en droit national des règles communautaires qui relèvent des domaines de l'éducation (reconnaissance mutuelle des diplômes), de la communication (aspects du statut des réseaux câblés) et de la culture (profession d'agent artistique).
Sans remettre en cause la nécessité de procéder à des adaptations législatives dans les trois domaines dont elle s'est saisie, votre commission ne pourra que déplorer les négligences et les retards pris par le gouvernement dans la transposition du droit européen, qui seuls sont à l'origine aujourd'hui du dessaisissement du Parlement, et se prononcera sur les modalités à retenir pour mettre en conformité le droit national avec les règles communautaires.
*
* *
I. LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES RELATIVES À LA RECONNAISSANCE DES DIPLÔMES ET DES FORMATIONS
Si la transposition de chaque directive et les mesures d'adaptation correspondantes relèvent normalement d'un ministère " de tutelle " elle peut aussi concerner plusieurs départements ministériels : c'est en particulier le cas pour les deux directives relatives à la reconnaissance des diplômes et des formations qui relèvent à titre accessoire du ministère de l'éducation nationale pour certaines professions.
Il s'agit en l'espèce de la directive 89/48/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans, et de la directive 92/51/CEE du Conseil du 18 juin 1992, qui complète la précédente en étendant son dispositif aux formations courtes, d'une durée inférieure à trois ans.
Ces deux directives ont d'ores et déjà été transposées pour une grande part à l'exception de certaines professions paramédicales, comme celle de psychologue et celle de diététicien .
Si les mesures législatives nécessaires à la transposition totale de ces directives apparaissent donc singulièrement modestes et techniques, elles n'en sont pas moins nécessaires, ne serait-ce que pour mettre fin à la procédure d'infraction engagée par la Commission européenne à l'encontre de la France pour défaut de transposition de la directive 89/48 à la profession de psychologue.
A. LE PROBLÈME GÉNÉRAL DE LA RECONNAISSANCE MUTUELLE DES DIPLÔMES ET DES FORMATIONS AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE
Dès l'origine, la Communauté s'est efforcée de donner un contenu concret au principe de la libre circulation des personnes, ce qui implique le droit pour les ressortissants des pays de la Communauté d'accéder à une activité professionnelle dans les Etats membres.
Il est apparu nécessaire de coordonner entre les Etats membres les conditions d'accès aux divers emplois, en particulier en ce qui concerne l'équivalence des diplômes et des qualifications professionnelles : la Communauté a ainsi engagé une politique visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres délivrés par les systèmes d'enseignement nationaux.
1. Le cas des professions réglementées
En l'absence d'harmonisation des qualifications, le candidat à certaines professions réglementées doit justifier du diplôme exigé dans le pays d'accueil sans pouvoir se prévaloir du diplôme obtenu dans le pays d'origine lui permettant d'exercer la même activité.
Dans la perspective du marché unique, un système de reconnaissance des diplômes a été progressivement mis en place, selon deux approches : la première sectorielle par profession, qui a permis d'adopter laborieusement plusieurs directives, la seconde, horizontale et générale tendant à une reconnaissance mutuelle des diplômes exigés pour l'accès à une profession.
a) Une reconnaissance sectorielle des diplômes
La reconnaissance est ainsi automatique pour les professions dont la formation a été harmonisée par le droit communautaire : dans ce cas, tout citoyen de l'Union européenne ayant acquis dans un Etat membre l'expérience ou la formation professionnelle a le droit d'exercer librement sans que l'Etat d'accueil ait un droit d'appréciation.
Les systèmes communautaires instaurant un tel mécanisme de reconnaissance automatique des diplômes sont aujourd'hui au nombre de 22 : ils concernent les activités artisanales, industrielles ou commerciales, le transport routier et fluvial, les professions de santé 1 ( * ) , les architectes et les avocats.
b) Une reconnaissance générale des diplômes
Les autres professions réglementées sont désormais régies par un système général de reconnaissance mutuelle des diplômes, mis en place par l'adoption de deux directives, 89/48 et 92/51 qui seront détaillées plus loin.
Afin de compléter ce dispositif, la Commission européenne a proposé une modification de ces deux directives en vue d'associer reconnaissance des diplômes et reconnaissance de l'expérience professionnelle.
Ces deux directives ne sont pas applicables aux professions qui ont déjà fait l'objet de mesures d'harmonisation spécifique et concernent tout ressortissant d'un Etat membre voulant exercer à titre indépendant ou salarié une profession réglementée dans un Etat membre d'accueil.
En France, les activités et professions qui en relèvent concernent le secteur juridique, fiscal et comptable, le secteur paramédical (dont les psychologues et les diététiciens), le secteur dit technique et le secteur socio-culturel 2 ( * ) .
* 1 Les sept directives sectorielles pour les professions de santé sont les suivantes :
- 16 juin 1975 : médecins généralistes et spécialistes ;
- 27 juin 1977 : infirmiers en soins généraux ;
- 25 juin 1978 : dentistes ;
- 18 décembre 1978 : vétérinaires ;
- 21 janvier 1980 : sages-femmes ;
- 16 décembre 1985 : pharmaciens.
* 2 - Secteur juridique, fiscal et comptable : avocat, huissier de justice, notaire, greffier au tribunal de commerce, administrateur judiciaire, mandataire-liquidateur, commissaire aux comptes, expert-comptable, commissaire-priseur ;
- Secteur paramédical : orthophoniste, ortho-prothésiste, podo-orthésiste, masseur kinésithérapeute, psychomotricien, ergothérapeute, psychologue, diététicien, oculiste, aide-soignant, auxiliaire de puériculture, audioprothésiste, opticien-lunetier, pédicure-podologue, technicien de laboratoire, technicien de biologie médicale ;
- Secteur technique : conseil en propriété industrielle, géomètre-expert, agent immobilier, chauffeur de taxi, ambulancier, capitaine de navire, administrateur de biens, moniteur d'auto-école ;
- Secteur socio-culturel : guide interprète régional, agent de voyage, assistant de service social.