Question de Mme CHAIN-LARCHÉ Anne (Seine-et-Marne - Les Républicains) publiée le 06/02/2025
Question posée en séance publique le 05/02/2025
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Chain-Larché. Monsieur le garde des sceaux, notre justice va mal. Elle est noyée sous un nombre effarant de plaintes, qu'elle ne peut plus examiner sereinement.
Je vous donne un cas très concret : lors de l'audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire de Melun, le procureur de la République a annoncé le classement sans suite et sans acte d'investigation d'un certain nombre de plaintes, et ce pour « désengorger » les tribunaux et « alléger le travail des policiers ». Les plaintes seront désormais « triées dès l'origine en fonction des priorités » et le procureur de la République a lui-même reconnu que cela était « choquant sur le principe ».
À l'heure où nombre de nos concitoyens n'osent pas porter plainte, y compris pour des faits très graves, le signal que la justice envoie est dévastateur. Celle-ci doit être au service des victimes, non des délinquants ! Tout cela induit une perte de sens pour les juges, pour les policiers, mais aussi pour les citoyens.
L'argument du manque de moyens humains et financiers est inaudible : comment est-il possible que la justice ne puisse pas faire son travail dans un pays, le nôtre, qui détient le record d'Europe des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques ?
En outre, le signal ainsi envoyé entre en contradiction avec la politique de fermeté qu'applique Bruno Retailleau à la tête du ministère de l'intérieur, politique dont les premiers effets se font déjà sentir. (Marques d'ironie sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Monsieur le garde des sceaux, quelles actions comptez-vous entreprendre à court terme pour mettre fin à cette situation ? Allez-vous simplifier et rationaliser la procédure pénale ? Envisagez-vous qu'une sanction ferme puisse être prononcée dès le premier délit, afin de dissuader la récidive ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
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Réponse du Ministère de la justice publiée le 06/02/2025
Réponse apportée en séance publique le 05/02/2025
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, si nous sommes le pays où les prélèvements obligatoires et la dépense publique sont les plus importants, ce n'est pas dans le domaine régalien, et encore moins dans celui de la justice, qu'il faut en chercher la cause : le budget de la justice représente moins de 2 % de celui de l'État, qui lui-même ne représente que 30 % de la dépense publique.
Si nous avons un problème en France, c'est celui de la dépense sociale ! On eût aimé entendre M. le sénateur rappeler, au moment d'évoquer les dépenses publiques, quel est l'âge légal de départ à la retraite en Espagne... (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. - M. Bernard Buis applaudit également.)
Les commissariats et les brigades de gendarmerie ont 3 millions de plaintes à traiter au moment où je vous parle, dont 65 % ont été déposées il y a plus de six mois. La moitié de ces plaintes vieilles de plus de six mois n'ont fait l'objet d'aucun acte d'investigation.
Madame la sénatrice, si j'en crois mon expérience passée, le problème relève avant tout d'un manque d'officiers de police judiciaire (OPJ), c'est-à-dire de gendarmes et de policiers réalisant des actes d'enquête. Il existe depuis très longtemps une crise de la filière investigation dans notre pays.
L'une des réponses possibles est la réforme de la police nationale, en faveur de laquelle poussent le ministre de l'intérieur et le ministre placé auprès de lui, qui souhaitent qu'elle aille jusqu'au bout. Cette réforme vise à replacer l'investigation sur son axe ; j'espère qu'elle produira ses premiers effets en permettant la hausse du nombre d'officiers de police judiciaire, conformément à la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, que j'ai déposée et qui fut promulguée il y a plus de deux ans - ce texte prévoit l'apprentissage du bloc OPJ dès l'école de police. Pour traiter les plaintes dans les commissariats, il nous faut avant tout des OPJ !
C'est donc une question d'investigation, mais aussi de justice : il manque des parquetiers - notamment à Melun - et des magistrats. Nous devons également rendre plus efficace la réponse de la justice et de la police aux dépôts de plainte. Bien souvent, les plaintes qui parviennent jusqu'aux tribunaux aboutissent à des peines de quelques mois de prison, et ceux qui y sont condamnés ne vont pas réellement en prison. Cela fait plus de vingt ans - vous le savez, madame la sénatrice - que ceux qui sont condamnés à des peines de prison ferme inférieures ou égales à six mois ne vont pas en prison.
Il faut des amendes réellement payées. À cet effet, je proposerai au Premier ministre que les commissaires de justice, c'est-à-dire les huissiers, et non plus l'administration, recouvrent les amendes : voilà qui sera, me semble-t-il, beaucoup plus efficace.
Il faut aussi des peines alternatives - travaux d'intérêt général, non rémunérés - prononcées comme peines autonomes.
En somme, il faut un Grand Soir de la chaîne pénale,...
M. le président. Il faut conclure !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. ... pour une réponse ferme et rapide, de la police comme de la justice ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. - M. Yves Bleunven et Mmes Pascale Gruny et Brigitte Hybert applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour la réplique.
Mme Anne Chain-Larché. Monsieur le garde des sceaux, nous savons que le ministère de la justice est le ministère du temps long. Nous comptons sur vous pour agir, car les Français ne peuvent plus se contenter d'une justice pour les délinquants ; ils ont besoin d'une justice pour les victimes ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
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