Question de Mme MORIN-DESAILLY Catherine (Seine-Maritime - UC) publiée le 30/01/2025

Question posée en séance publique le 29/01/2025

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Combien de temps encore allons-nous tolérer que les géants du numérique américains ou chinois défient ouvertement nos lois, mettent en danger nos enfants, manipulent les opinions et s'ingèrent dans nos processus électoraux pour saper nos démocraties ?

L'activisme politique dangereux du propriétaire de X et le chantage inadmissible exercé par le président des États-Unis sur la Commission européenne pour qu'elle abandonne enquêtes et sanctions vis-à-vis des plateformes appellent à des actions fermes et immédiates.

Merci au Premier ministre espagnol Pedro Sánchez qui, à Davos, a appelé à « se rebeller » et à proposer des alternatives !

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, quelle position et quelle stratégie la France entend défendre au sein du Conseil européen pour convaincre nos vingt-six partenaires qu'à ce stade c'est vraiment de la survie économique et politique de l'Union qu'il est question ?

Exigerez-vous la stricte application, voire le renforcement, des règlements numériques européens - DMA (Digital Markets Act), DSA (Digital Services Act), règlement sur l'intelligence artificielle ?

En matière industrielle, quelles mesures concrètes proposerez-vous pour briser enfin le cycle de nos dépendances technologiques dangereuses, à propos desquelles, ici, nous n'avons cessé d'alerter depuis des années, et dont MM. Mario Draghi et Enrico Letta font le dramatique constat ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, SER et GEST. - MM. Ian Brossat et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

Mme Laurence Rossignol. Vous êtes plus applaudie à gauche qu'à droite, comme c'est bizarre !

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Réponse du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée le 30/01/2025

Réponse apportée en séance publique le 29/01/2025

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, chacun connaît ici votre expertise sur ces sujets, ainsi que votre engagement, qui a favorisé, entre autres, les réalisations obtenues par la France lorsqu'elle a exercé, en 2022, la présidence du Conseil de l'Union européenne, c'est-à-dire l'adoption des règlements que vous avez évoqués.

Plus que jamais, il est essentiel que la Commission européenne puisse faire respecter ces règles. Il y a quelques semaines, en Roumanie, l'élection présidentielle a dû être annulée parce qu'elle avait été perturbée par des manoeuvres de désinformation visant à instrumentaliser une plateforme de réseaux sociaux, en l'occurrence TikTok.

Ces règles sont connues et elles sont simples : en Europe, les plateformes de réseaux sociaux doivent veiller à ce que leurs services ne perturbent ni la sécurité publique, ni la santé publique, ni le débat public, sous peine d'amendes dont le montant peut représenter jusqu'à 6 % de leur chiffre d'affaires mondial annuel et de sanctions qui peuvent aller jusqu'à une restriction de l'accès aux services en Europe.

Ces sanctions sont entre les mains de la Commission européenne. Celle-ci a diligenté, depuis l'entrée en vigueur de ces nouvelles règles, un certain nombre d'enquêtes qu'elle doit désormais clore afin de pouvoir prononcer des sanctions, gage de la crédibilité desdites règles. Aussi avons-nous appelé la Commission à agir en ce sens.

Lundi dernier, j'ai insisté sur ce point auprès de la vice-présidente exécutive chargée de la souveraineté technologique, de la sécurité et de la démocratie, Mme Henna Virkkunen.

Mardi, de concert avec ses homologues, mon collègue Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe, lui a remis une lettre appelant la Commission à agir prestement.

Par ailleurs, des parlementaires - la députée européenne Aurore Lalucq et la sénatrice Marie-Claire Carrère-Gée - ont déposé une plainte devant l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), que celle-ci a transmise à la Commission.

Bref, la Commission n'a plus d'excuse : il lui faut agir. À défaut, nous serons bien obligés de lui demander de permettre aux États membres d'agir à sa place.

Pour ce qui est de l'avenir, nous devons nous détacher de nos dépendances et devenir, dans les prochaines années, propriétaires de nos propres outils. En effet, celui qui forge les outils a toujours plus d'impact que celui qui les régule. C'est tout l'enjeu du Sommet mondial pour l'action sur l'intelligence artificielle qui se tiendra dans quelques jours à Paris, et qui sera l'occasion d'affirmer notre volonté de faire de la France et de l'Europe une puissance numérique souveraine, indépendante des milliardaires américains ou chinois. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, c'est d'un véritable sursaut industriel qu'il est question. La France et l'Union européenne peuvent et doivent être replacées au coeur de la compétition mondiale de l'innovation technologique, et ne pas se laisser écraser dans la guerre homérique que se livrent Américains et Chinois à coups de chiffres.

Le programme-cadre Horizon 2030 est défaillant ; il doit être rapidement révisé. Il lui manque un financement européen stratégique associant recherche et développement dans une logique open source, ainsi qu'une doctrine assumée de la commande publique visant à renforcer notre souveraineté.

Il faut aussi rappeler à Mme von der Leyen que nos données sont un actif stratégique majeur et qu'elles ne sont pas négociables, même en échange de gaz.

Nous souhaitons qu'un discours extrêmement volontariste soit prononcé à l'ouverture du Sommet mondial pour l'action sur l'intelligence artificielle. Rien ne serait pire, d'ailleurs, que d'y dérouler une énième fois le tapis rouge à Elon Musk, Mark Zuckerberg et leurs acolytes (M. Mickaël Vallet et Mme Raymonde Poncet Monge applaudissent.), lesquels sont uniquement préoccupés par leurs entreprises et par le remodelage de l'Europe et du monde à leur propre image ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, SER et GEST. - MM. Ian Brossat, Pierre Ouzoulias et Alain Joyandet applaudissent également.)

Mme Laurence Rossignol. À droite, ils n'ont pas l'air trop gênés par les Gafam...

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