Question de M. SAVOLDELLI Pascal (Val-de-Marne - CRCE-K) publiée le 21/11/2024
M. Pascal Savoldelli interroge Mme la ministre de la culture concernant la nécessité de publier les « cahiers de doléances » issus du « grand débat national » lancé le 15 janvier 2019.
Il rappelle que, le 17 novembre 2018, soit il y a 6 ans, un mouvement social d'ampleur dit « des gilets jaunes » avait gagné le pays pour exprimer notamment le profond sentiment de colère concernant la baisse du pouvoir d'achat.
S'en est suivi un « grand débat national » à partir du 15 janvier 2019 puis la mise à disposition, dans les mairies, de « cahiers de doléances » afin que les citoyennes et les citoyens puissent y exprimer leurs revendications et y être entendus. Quatre axes avaient structuré ces cahiers de doléances : transition écologique, fiscalité, démocratie et citoyenneté, organisation de l'État et des services publics.
Dans un contexte de forte défiance envers les institutions, le Président de la République avait ainsi annoncé vouloir « redonner la parole aux Français sur l'élaboration des politiques publiques qui les concernent ».
Ce sont au total près de 20 000 cahiers qui ont été répertoriés, avec la participation de plus de deux millions de citoyennes et de citoyens.
Or, il ne voit aucune utilisation revendiquée politique de ces témoignages. Il n'a connaissance d'aucune conclusion ou synthèse et l'ensemble de ces cahiers n'est pas consultable. Seuls les cahiers physiques conservés dans les différentes archives départementales sont consultables manuellement et individuellement.
Il lui rappelle que ces cahiers ont en effet été collectés par la « mission du grand débat », via les préfectures, leur reproduction envoyée à la bibliothèque nationale de France pour numérisation. Les documents numérisés ont ensuite été envoyés aux archives nationales tandis que les cahiers physiques sont conservés aux archives départementales.
Il appelle son attention concernant l'urgence d'entendre la parole des Français : selon le dernier baromètre annuel du Cevipof sur la confiance politique, 70 % des Français n'ont plus confiance en la politique et 68 % estiment que l'actuel modèle démocratique ne fonctionne pas bien.
Il rappelle enfin que la bibliothèque nationale de France, comme les archives départementales sont placées sous la responsabilité du ministère de la culture. Aussi, et au regard des enjeux démocratiques évoqués, il lui demande comment elle entend assurer la publication des cahiers de doléances.
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Transmise au Ministère de la culture
Réponse du Ministère de la culture publiée le 30/01/2025
À l'issue du Grand Débat national, les originaux des « cahiers citoyens » mis à la disposition des Français ont été versés aux Archives départementales territorialement compétentes, après que leur numérisation eut été réalisée par la Bibliothèque nationale de France. Cette copie, correspondant à 19 935 cahiers et comprenant plusieurs centaines de milliers de fichiers, a ensuite été transférée aux Archives nationales, où elle a rejoint les autres archives papier et numériques versées par la Mission d'organisation et de coordination du Grand Débat national. L'ensemble de ce corpus documentaire constituant des archives publiques au sens des articles L. 211-1 et L. 211-4 du code du patrimoine, leur communication, leur diffusion en ligne et leur réutilisation par des tiers sont soumises aux dispositions législatives et réglementaires qui en encadrent l'accès. Leur régime de communicabilité a de plus fait l'objet, depuis 2019, de plusieurs avis de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). La collecte matérielle des cahiers citoyens ayant mis en évidence le fait qu'avaient été réunies à nombre d'entre eux des contributions libres, adressées à l'administration directement par voie postale ou électronique, la CADA a estimé que, si les observations figurant dans les cahiers accessibles en mairie étaient en principe librement communicables - leurs contributeurs, en formulant ces observations et en rendant publique leur identité, ayant renoncé à ce que ces éléments soient couverts par un secret -, les contributions libres, à l'inverse, ne traduisaient pas la volonté de leurs auteurs de les rendre publiques et étaient donc protégées, entre autres, par le secret de la vie privée. À ce jour, tous les services d'archives départementales ont fait le départ entre les cahiers qui contiennent ou ceux qui ne contiennent pas ces contributions libres - lesquels constituent en fait l'écrasante majorité des cahiers citoyens. Ceux-ci sont, dès lors, librement communicables, c'est-à-dire consultables et reproduisibles par quiconque en fait la demande. L'accès à ceux des cahiers dont la communication reste protégée et, a fortiori, à l'entier corpus des cahiers citoyens, n'est cependant pas impossible. Tout usager peut en effet déposer auprès des Archives nationales ou des Archives départementales une demande de consultation anticipée par dérogation aux délais légaux de communicabilité des archives publiques, prévue par l'article L 213-3 du code du patrimoine. Ces autorisations sont délivrées par l'administration des archives après accord de l'autorité dont émanent les documents. Cette procédure, actionnée à plus de cinquante reprises en 2024, a permis l'accès des usagers (enseignants-chercheurs, journalistes, artistes ) à tout ou partie des cahiers citoyens conservés aux Archives nationales ou dans les Archives départementales. Ainsi, dans ces dernières, au cours de l'année 2024, sur cinquante-six demandes, cinquante-deux ont fait l'objet d'accords de consultation anticipée. La diffusion en ligne des cahiers citoyens est, quant à elle, encadrée par l'article D. 312-1-3 du code des relations entre le public et l'administration et par le droit applicable à la protection des données à caractère personnel (règlement général de protection des données, loi Informatique et Libertés). Ce cadre juridique impose, avant toute mise en ligne, l'anonymisation préalable des documents. Or il s'avère que les données à caractère personnel que comportent les cahiers citoyens sont nombreuses. En effet, la parole étant libre, les contributeurs ont souvent fait figurer dans les cahiers citoyens, outre leur nom, des informations personnelles (financières, fiscales, médicales, familiales, professionnelles ), contextualisant leur situation pour argumenter leurs propositions et évoquant parfois celle de tiers. L'hypothèse d'une anonymisation du corpus a néanmoins été récemment expertisée par les Archives nationales, avec l'appui de différents prestataires spécialisés. Outre le coût et le temps de travail qu'elle supposerait, cette opération nécessiterait soit le masquage de toute information directement ou indirectement identifiante, soit la réécriture des contributions sous une forme « neutre », par exemple par l'utilisation d'un algorithme associé à l'usage de l'intelligence artificielle - deux opérations qui auraient pour conséquence soit la diffusion d'informations en grande partie lacunaires, soit la perte d'intégrité des données ainsi diffusées. Le ministère de la culture rappelle son attachement au principe d'équilibre sur lequel s'appuie l'accès aux archives, qui permet une très large ouverture des données et documents publics dans le respect des textes législatifs et réglementaires qui, notamment, protègent la vie privée des personnes. La préservation de cet équilibre constitue la meilleure garantie de sa pérennité.
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