Question de M. OUZOULIAS Pierre (Hauts-de-Seine - CRCE-K) publiée le 21/11/2024

M. Pierre Ouzoulias attire l'attention de M. le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les défis et enjeux de la transition vers la science ouverte dans le domaine de la publication scientifique.

La science ouverte, dont l'objectif est de rendre les résultats de la recherche accessibles au plus grand nombre, est généralement perçue comme une avancée majeure pour la démocratisation du savoir. Toutefois, la mise en oeuvre de cette transition soulève des questions concernant son impact sur l'ensemble de la chaîne de publication, incluant les chercheurs, les éditeurs et les institutions.

Le système d'évaluation actuel de la recherche s'appuie principalement sur des indicateurs bibliométriques qui favorisent des revues prestigieuses, souvent inaccessibles en libre accès, ou des revues en accès ouvert aux frais de publication élevés. Cette dynamique entretient une forte dépendance envers les éditeurs commerciaux, qui contrôlent une part significative du marché. En 2018, quatre éditeurs représentaient 52 % des publications scientifiques mondiales, avec des marges de profit atteignant 40 %. Par ailleurs, certains modèles de publication dits « hybrides » appliquent des frais aux auteurs puis font payer les lecteurs, augmentant ainsi le coût global de la recherche.

De fait, ces pratiques soulèvent des préoccupations majeures en matière d'équité d'accès et de pérennité financière pour la science ouverte, menaçant à la fois l'indépendance et la diffusion libre des connaissances. L'absence de plafonnement des frais de publication et la survalorisation des revues payantes dans le système d'évaluation de la recherche pourraient compromettre l'égalité d'accès au savoir scientifique. De telles conditions risquent de fragiliser les efforts de transition vers un modèle réellement inclusif et accessible.

Face à ces enjeux, il demande quelles actions le Gouvernement prévoit de prendre pour soutenir une transition équilibrée vers la science ouverte. Plus spécifiquement, il souhaiterait connaître les mesures envisagées pour revoir les systèmes d'évaluation de la recherche afin de réduire la dépendance aux indicateurs favorisant les revues payantes ; mettre en place un plafonnement des frais de publication (APC) afin de limiter les coûts excessifs et les doubles facturations ; assurer la formation des jeunes chercheurs à l'évaluation critique des articles pour renforcer leur autonomie dans le processus scientifique.

Enfin, il souhaite savoir quelles initiatives seront déployées pour garantir aux chercheurs la conservation de leurs droits d'auteur, y compris pour les manuscrits acceptés, et pour encourager une gouvernance partagée de la transition vers la science ouverte, impliquant directement les chercheurs, les sociétés savantes et les académies scientifiques.

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Transmise au Ministère auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche


Réponse du Ministère auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche publiée le 20/02/2025

La politique nationale de science ouverte, mise en oeuvre en 2018 et 2021 par deux plans nationaux successifs, vise à rendre plus largement accessibles les résultats de la recherche (publications, mais aussi données, protocoles, logiciels, etc.) au monde de la recherche ainsi qu'au reste de la société. Elle a vocation à renforcer la transparence de la recherche ainsi que sa dimension cumulative. Elle vise également une démocratisation de l'accès au savoir, ce qui contribue à une meilleure information des citoyens, du monde socio-économique et des décideurs en général. Enfin, elle contribue à réduire la désinformation en offrant à tous des contenus validés scientifiquement de première qualité. La politique nationale de science ouverte s'inscrit dans le mouvement international porté par l'UNESCO dans le cadre des recommandations sur la science ouverte de 2021, qui est attentive aux enjeux d'équité et d'inclusion, pour lesquelles les enjeux d'évaluation constituent un levier potentiel. Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) en 2022, la France a porté les conclusions du Conseil sur l'évaluation de la recherche et la mise en oeuvre de la science ouverte. Le texte « reconnaît que pour accélérer la mise en oeuvre et l'impact des politiques et des pratiques en matière de science ouverte dans toute l'Europe, il est nécessaire d'adopter des mesures visant à évoluer vers une approche renouvelée de l'évaluation de la recherche ». Le texte suggère de mener des actions pour réduire l'usage d'indicateurs quantitatifs, reconnaître une plus grande diversité de produits et processus liés à la recherche, tenir compte de la diversité des parcours et de toutes les activités de recherche et d'innovation. Suite à ces conclusions du Conseil, a été lancée l'initiative COARA, la coalition pour l'avancement de l'évaluation de la recherche, à laquelle les établissements français de l'enseignement supérieur et de la recherche participent activement, ainsi que France universités et le HCERES. Les conclusions du Conseil sur la science ouverte appellent également à plus de transparence sur la question des frais de publications (dits « APC »), en particulier : « les frais de publication en libre accès, lorsqu'ils sont appliqués, devraient être transparents et proportionnels aux services de publication ». Elles insistent également sur le risque d'inéquité que fait peser sur la communauté scientifique le modèle des frais de publication payés par les chercheurs. Le plafonnement des frais de publication n'a pas été retenu, mais la France mène une politique à trois niveaux : - le consortium Couperin mène des négociations avec les éditeurs pour définir un cadre national et éviter les facturations à l'unité, dans le cadre d'accords de type « lire et publier » qui permettent à nos chercheurs de pouvoir lire et publier sans avoir à honorer de frais individuels. Des établissements centralisent la gestion des frais de publication afin de les réguler. Le consortium Couperin encourage ses membres à collecter les frais de publication payés et à les déclarer dans l'initiative internationale OpenAPC. Le ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche a mené une étude sur la base de ces données montrant que la dépense nationale en frais de publication augmentait rapidement. Le coût moyen des frais à payer pour un article augmente régulièrement. D'après cette étude, les dépenses de frais de publication ont triplé entre 2013 et 2020, passant de 9 Meuros à 30,1 Meuros. Cette trajectoire n'est pas satisfaisante, ni pour le budget de l'État, ni pour l'équité d'accès à la possibilité de publier ; - par ailleurs, en complément, la France cherche à développer une édition en accès ouvert plus équitable, sans frais de publication. Par exemple, en encourageant l'adoption d'un modèle de type « s'abonner pour ouvrir » (ou « subscribe to open »), qui permet de convertir les abonnements existants en accords entre les établissements et l'éditeur, ce qui permet d'éviter les frais de publication, tout en apportant des moyens pour financer l'activité éditoriale. On peut citer par exemple l'accord avec la plateforme Cairn.info dans le cadre du plan de soutien à l'édition : https://www.couperin.org/negociations/accords-specifiques-so/cairn-revues/ ; - enfin, la France développe depuis plus de vingt ans une archive ouverte nationale, HAL, qui permet le dépôt de publications en accès ouvert même lorsqu'elles sont publiées sous abonnement par ailleurs. La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique le permet après un délai dit d'embargo et sans embargo si les auteurs ne cèdent pas tous les droits sur leurs articles. D'une façon générale, les conclusions du Conseil insistent sur la nécessité de développer une diversité de modèles pour les revues et plateformes en accès ouvert. En ce qui concerne la formation des jeunes chercheurs à l'évaluation critique des articles pour renforcer leur autonomie dans le processus scientifique, elle fait partie de la formation courante des doctorants. Cependant, cette dimension a été renforcée à partir de 2022. En effet, l'arrêté du 26 août 2022 modifiant l'arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat prévoit que les écoles doctorales « sensibilisent les doctorants aux enjeux de la science ouverte et de la diffusion des travaux de recherche dans la société pour renforcer les relations entre les scientifiques et les citoyens ». Par ailleurs, l'enquête à paraître menée par le ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche auprès des établissements au sujet de leurs politiques de science ouverte indique que de nombreux établissements ont développé des formations à la science ouverte, à destination de divers publics, doctorants, étudiants et professionnels. Une enquête nationale menée auprès des doctorants en 2023 par les collèges doctoraux montre que 61 % des doctorants (toutes années confondues) avaient eu une formation à la science ouverte et que 82 % de ceux qui ont été formés sont satisfaits de ces formations. Enfin, les droits de propriété intellectuelle appartiennent aux auteurs. Ils peuvent en céder tout ou partie, selon leur décision. Sur ce point également, les formations à la science ouverte mises en oeuvre dans les établissements permettent d'informer mieux les auteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche sur leurs droits.

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