Question de Mme OLLIVIER Mathilde (Français établis hors de France - GEST) publiée le 24/10/2024
Mme Mathilde Ollivier attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur les difficultés rencontrées par les personnes trans lors de la procédure de changement de prénom pour motif de transidentité.
Les personnes trans peuvent se heurter à certains obstacles : l'absence d'accusé de réception (bien que non obligatoire, il reste nécessaire pour certaines démarches) ; l'absence de notification des motifs qui conduisent l'administration à ne pas reconnaître l'intérêt légitime ; des délais prolongés ; des demandes de pièces justificatives excessives ; des situations de discrimination en lien avec l'apparence physique. Selon la circulaire du 17 février 2017, « la volonté de mettre en adéquation son apparence physique avec son état civil en adoptant un nouveau prénom conforme à son apparence » est considérée comme un motif légitime de la demande de changement de prénom. La formulation de ces instructions, une méconnaissance de la loi ainsi qu'une marge d'appréciation élevée conduisent souvent à une appréciation fondée sur l'apparence physique. L'article 225-1 du code pénal précise cependant que « toute discrimination fondée sur l'apparence physique ou l'identité de genre est pénalement répréhensible ». L'appréciation d'un intérêt légitime en fonction de stéréotypes ou d'une apparence conformes à un genre revendiqué est donc susceptible de constituer une discrimination fondée sur l'apparence physique et sur l'identité de genre. Sur ce point, la circulaire semble obsolète quant à l'appréciation des motifs. Par ailleurs, certains procureurs conseillent aux personnes trans de recourir au motif « d'usage prolongé ». La procédure actuelle pour motif de transidentité implique en effet que l'apparence physique soit en adéquation avec le prénom masculin ou féminin choisi, ce qui soulève par ailleurs certaines difficultés lorsque le prénom choisi est neutre. Sur le motif de transidentité, le procureur est également susceptible de solliciter des preuves complémentaires, notamment des photos, et peut ainsi juger sur l'apparence physique. Cette appréciation entre là aussi en contradiction avec la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sur le droit à l'autodétermination. Cette solution de contournement dans la pratique n'est pas viable. Le changement de prénom représente souvent une première étape dans le processus de changement de genre. L'usage prolongé, qui peut se justifier après environ deux ans d'utilisation, ne peut pas toujours être prouvé par des éléments relatifs à la vie professionnelle, la scolarité ou la vie sociale. Cette solution est par ailleurs susceptible de constituer une atteinte à la dignité des personnes trans, qui ne peuvent faire valoir un droit qui leur est pourtant garanti. Elle lui suggère de réviser la procédure afin de faciliter le traitement des demandes, d'aider les services de l'état civil à mieux appréhender ces situations par un cadre mieux défini, de veiller à ce que le traitement des demandes ne soit jamais entravé par la permanence d'idées reçues sur les transidentités et par une méconnaissance des parcours et des droits des personnes trans, et de veiller à l'harmonisation des pratiques. Elle lui demande à compter de quelle date les circulaires de référence (du 17 février 2017 et du 10 mai 2017), qui semblent incompatibles avec l'article 225-1 du code pénal et la jurisprudence de la CEDH, pourront être révisées. Elle lui demande enfin de bien vouloir lui faire connaître la date estimée de la mise en oeuvre d'une procédure de changement de prénom « déclaratoire, accessible et rapide, par la production auprès des officiers d'état civil d'une attestation sur l'honneur circonstanciée caractérisant un intérêt légitime, afin de garantir les droits fondamentaux et la dignité des personnes trans », comme préconisé par le Défenseur des droits.
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Réponse du Ministère de la justice publiée le 12/12/2024
Le I de l'article 56 de la loi n° 2016-1547 du 28 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle (ci-après « loi J21 ») a déjudiciarisé la procédure de changement de prénom prévue à l'article 60 du code civil, qui relevait de la compétence du juge aux affaires familiales, pour la confier aux officiers de l'état civil. Les circulaires de présentation de l'article 56 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, respectivement en date des 17 février et 10 mai 2017 présentent, pour la première, la nouvelle procédure de changement de prénom dans sa phase déjudiciarisée devant l'officier de l'état civil, et, pour la seconde, la procédure dans sa phase judiciaire, en cas de contentieux, devant le juge aux affaires familiales. Le demandeur qui souhaite modifier son prénom doit déposer une demande auprès de l'officier de l'état civil de son lieu de résidence ou du lieu où son acte de naissance a été dressé. L'officier de l'état civil qui reçoit cette demande doit, s'il estime qu'elle ne revêt pas d'intérêt légitime, saisir le procureur de la République à qui il revient d'apprécier l'existence d'un tel intérêt. Si le procureur de la République décide de s'opposer au changement de prénom sollicité, il notifie une décision motivée en ce sens au demandeur (circulaire du 17 février 2017, page 16), qui peut contester cette décision en saisissant le juge aux affaires familiales afin qu'il statue sur la demande de changement de prénom, dans le cadre d'une procédure judiciaire. L'exigence d'un intérêt légitime est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui, si elle considère que le droit à voir modifier son prénom relève du droit au respect de la vie privée protégé par l'article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme, admet que la préservation du principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, de la garantie de la fiabilité et de la cohérence de l'état civil et, plus largement, de l'exigence de sécurité juridique, relève de l'intérêt général et justifie la mise en place de procédures rigoureuses dans le but notamment de vérifier les motivations profondes d'une demande de changement légal d'identité, sous réserve que celle-ci prenne en compte la situation concrète des intéressés et permette une modification du prénom dans un délai raisonnable (CEDH, S.V. c. Italie, 11 janvier 2019, n° 55216/08, §58 à §75). La justification d'un intérêt légitime peut reposer sur des pièces de toute nature. Si la circulaire du 17 février 2017 énumère différents types de pièces susceptibles d'être produites, ce n'est qu'à titre illustratif, en prenant le soin de rappeler que les pièces mentionnées le sont « à titre indicatif et non cumulatif ». Comme le rappelle la circulaire du 17 février 2017, l'intérêt légitime doit être apprécié « en fonction des circonstances particulières de chaque demande » (page 13), et « de manière concrète (..) » (page 18). La circulaire présente un panorama de la jurisprudence dégagée par les juges aux affaires familiales en matière de changement de prénom, dans le cadre des dispositions antérieures de l'article 60 du code civil. C'est à ce titre qu'est mentionnée, comme constituant un intérêt légitime au changement de prénom, « la volonté de mettre en adéquation son apparence physique avec son état civil » (page 20). La circulaire souligne par ailleurs qu'une demande de changement de prénom ne peut être rejetée au seul motif que l'intéressé n'aurait antérieurement introduit aucune procédure de modification de la mention du sexe dans les actes de l'état civil et que le changement de prénom peut constituer l'une des étapes conduisant au changement de sexe de l'intéressé (p. 13). Ainsi, ni la loi ni la circulaire ne renvoient à l'apparence physique du demandeur ou ne font intervenir celle-ci dans l'appréciation du motif légitime. Il en est de même s'agissant du motif d'« usage prolongé ».
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