Question de M. ALLIZARD Pascal (Calvados - Les Républicains) publiée le 17/10/2024

M. Pascal Allizard attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice à propos des délais de jugement anormalement longs.
Il rappelle la longueur des procédures en justice quelles que soient les juridictions. La France est régulièrement condamnée pour non-respect du "délai raisonnable" par la Cour européenne des droits de l'Homme.
Cet état de fait a un impact sur le bon fonctionnement des collectivités territoriales, en particulier des communes. Ainsi, des décisions portant sur des projets communaux font l'objet de saisines systématiques de la part de particuliers ou d'associations, lesquels épuisent toutes les voies de recours, pour finalement être déboutés. Il s'agit le plus souvent d'adversaires politiques, d'associations qui s'opposent par principe à toute évolution, voire de personnes qui cherchent à accroitre la valeur de leurs biens immobiliers.
Aujourd'hui, de nombreux projets de développement ou d'aménagements collectifs disposant de toutes les autorisations nécessaires sont bloqués par des recours qui vont jusqu'au Conseil d'Etat, soit au moins dix ans de procédure. Cette réalité contribue à figer les territoires et exaspérer leurs habitants qui attendent ces projets. C'est le cas dans le Calvados.
Par conséquent, il souhaite connaitre les mesures envisagées par le Gouvernement pour accélérer les délais de jugement, mieux lutter contre les recours abusifs et aider les collectivités à faire face à ces situations.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 12/12/2024

La juridiction administrative est confrontée à un enjeu important de gestion des flux contentieux, qui progressent depuis de nombreuses années. En 2023, les tribunaux administratifs ont ainsi enregistré 257 329 affaires nouvelles ce qui représente, s'agissant des entrées en net, une progression du nombre d'affaires enregistrées de 6,7 % par rapport à l'année 2022 et de 11,3 % par rapport à l'année 2019. Le nombre de référés enregistrés connaît également une augmentation importante, passant de 35 076 en 2019 à 49 716 en 2023. Dans ce contexte, la juridiction administrative est pleinement engagée dans un effort constant de diminution des délais de jugement. Ainsi, en 2023, le délai moyen de jugement, toutes affaires confondues, est de 7 mois et 8 jours devant le Conseil d'Etat, de 11 mois et 16 jours devant les cours administratives d'appel et de 9 mois et 20 jours devant les tribunaux administratifs, ce qui représente respectivement une diminution du délai moyen de jugement de 29 %, de 8 % et de 17 % entre 2013 et 2023. La préservation du délai raisonnable de jugement, composante du droit à un procès équitable, est un objectif prioritaire du Gouvernement. Le législateur est ainsi intervenu par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice afin de remanier en profondeur le statut des magistrats honoraires, dont les missions ont été élargies (article 35), et d'ouvrir la possibilité au Conseil d'Etat et aux juridictions du fond de nommer des juristes assistants (article 36). Sur le plan procédural, il importe de rappeler que le droit d'exercer un recours juridictionnel à l'encontre de toute décision administrative a valeur constitutionnelle. Ce contrôle juridictionnel est le corollaire du principe de libre administration des collectivités territoriales. Toutefois, afin que les collectivités puissent exercer leurs compétences en respectant le principe de sécurité juridique, qui garantit la stabilité des situations juridiques, le droit au recours juridictionnel est encadré par des règles de recevabilité. Dans le contentieux de l'urbanisme et de l'environnement, de nombreux mécanismes dérogatoires au droit commun ont eu pour objet d'éviter les recours dilatoires et d'accroître la célérité de la justice administrative. S'agissant du contentieux de l'urbanisme, le législateur a ainsi encadré l'intérêt à agir des associations dans le cadre des recours dirigés contre les décisions relatives à l'occupation ou l'utilisation des sols (article R. 600-1-1 du code de l'urbanisme), prévu une cristallisation automatique des moyens (article R. 600-5 du code de l'urbanisme), encadré le délai de jugement de certains permis de construire dans un délai indicatif de 10 mois (article R. 600-6 du code de l'urbanisme), supprimé le double degré de juridiction pour certains contentieux (article R. 811-1-1 du code de justice administrative) ou encore facilité l'action en dommage et intérêts pour recours abusif (article L. 600-7 du code de l'urbanisme). S'agissant du contentieux de l'environnement, le législateur a notamment supprimé le double degré de juridiction en matière de contentieux éolien terrestre (article R. 311-5 du code de justice administrative) ou encore institué un délai de jugement impératif de dix mois en matière de décisions relatives aux installations de production d'énergie à partir de sources renouvelables (article R. 311-6 du code de justice administrative). Parmi ces dérogations, celles supprimant le double degré de juridiction ou prévoyant un délai de jugement contraint ne sauraient être trop nombreuses sous peine d'entraîner un effet contre-productif. D'une part, les délais de jugement de première instance, de cassation, puis de réexamen par le juge de première instance après renvoi de l'affaire s'avèrent finalement plus longs, en effet, que ceux qui résulteraient d'une première instance classiquement suivie d'un appel devant la cour administrative d'appel. D'autre part, la multiplication des délais de jugement contraints est contreproductive en raison de l'effet d'éviction qu'ils engendrent inéluctablement sur le traitement des autres affaires. En outre, le mécanisme de l'amende pour recours abusif, dont seul le juge est compétent pour estimer s'il y a lieu de la prononcer, a été renforcé par le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 qui a augmenté le montant maximal de l'amende à 10 000 euros. Enfin, le développement d'une culture de l'amiable à travers les modes alternatifs de règlement des litiges constitue un enjeu fort, tant pour le gouvernement que pour les juridictions administratives afin de recentrer le juge sur son rôle. Le secrétariat général du Conseil d'État est ainsi engagé, en partenariat avec les juridictions, dans une démarche de promotion de la médiation administrative profondément renouvelée en 2016. Les résultats apparaissent déjà, avec un nombre toujours plus élevé de médiations engagées par les parties de manière volontaire. En 2023, ce sont 1 819 médiations terminées dont 48% ont abouti à un accord. Ce développement de la médiation doit également passer par une meilleure appréhension de ce mode de réglement par les administrations lorsqu'elles y sont invitées par les juridictions. Enfin, le dispositif de médiation préalable obligatoire dans cerains contentieux, qui est un succès, a permis de trouver un accord pour 76 % des 4 364 médiations préalables menées entre 2018 et 2021.

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